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Pays-Basque : L’actualité politique se précipite

dimanche 6 février 2005, par Courant Alternatif

Depuis quatre mois, les opérations policières, débouchant sur des dizaines d’arrestations, se sont intensifiées au Pays Basque, de part et d’autre de la frontière. Ce qui peut paraître paradoxal, c’est qu’elles se produisent au moment où le parti de la gauche indépendantiste Batasuna (1) formule, selon des modalités nouvelles, une proposition de dialogue multilatéral pour résoudre politiquement le conflit, processus que ETA appuie. De son côté, le parlement basque a adopté un projet de réforme du statut de la communauté autonome de Euskadi qu’il a déposé au parlement espagnol. Le gouvernement espagnol, dirigé par Zapatero (PS), d’un côté rejette ce plan, de l’autre se dit prêt à écouter les propositions de Batasuna si la lutte armée cesse. Le face à face politique entre le pouvoir central et le gouvernement basque se double d’un jeu tactique et stratégique au sein même des forces politiques basques.


UNE REPRESSION POLICIERE VASTE ET SPECTACULAIRE

Vaste opération policière anti-Eta au Pays Basque Nord, à partir du 3 octobre, puis au Pays Basque Sud. 150 policiers de tous corps, sous la conduite des magistrates anti-terroristes Le Vert et Houyvet et réunissant les services de police français et espagnols, ont perquisitionné six maisons au Pays Basque Nord et une en Béarn, en provoquant des dégâts considérables : cloisons abattues, engins de terrassement défonçant cour ou jardin... Du matériel (armes, munitions, détonateurs) et de l’argent ont été trouvés.19 personnes ont été arrêtées et mises en garde-à-vue. Un lycéen mineur a été menacé avec des armes et obligé de rester à moitié nu, menotté et cagoulé, pendant que la police fouillait la maison de ses parents. L’un des inculpés, arrêté à Burgos, a été roué de coups lors de l’interrogatoire au point qu’il a tenté de se suicider.11 interpellés ont été incarcérés dans les prisons françaises. Tous sont accusés d’association de malfaiteurs à des fins terroristes ; à ce titre, ils seront jugés par un tribunal spécial d’assises et non par un tribunal spécial correctionnel, en raison de la loi Perben II. D’autres perquisitions et arrestations se sont poursuivies les semaines suivantes, de part et d’autre de la frontière. En un mois, courant octobre, ce sont 56 personnes qui ont été arrêtées pour relations avec ETA, dont 18 ont été libérées sans charges. Quasiment tous ceux qui ont été détenus par les forces de police espagnole ont dénoncé des mauvais traitements dès le moment de l’arrestation, et des tortures au cours de l’interrogatoire. Pendant les mois de novembre et de décembre, les arrestations se sont poursuivies. La plus récente à ce jour est celle du porte-parole du comité de soutien des prisonniers basques, (comité Askatasuna), interdit sur le territoire de l’Etat espagnol, mais légale sur le territoire français. Le 14 janvier, un mandat d’arrêt européen lui a été notifié à la demande de Garzon, juge Garzon de l’Audiencia Nacional.

Les médias ont rendu abondamment compte de ces rafles spectaculaires. Promptes à rapporter les sources policières, elles annonçaient même, une semaine plus tard, d’autres caches d’armes qui se sont avérées n’être que du vent. Le ministre français de l’intérieur lui-même cautionnait la rumeur, saluant imprudemment « l’importance des nouvelles découvertes »… La police a ainsi réussi, au-delà de ses espérances sa manœuvre d’intoxication ou de désinformation.

Le prétendu numéro 1 de l’organisation armée basque est tombé, nous dit-on. « Coup de filet historique », « ETA décapitée », « Coup mortel à ETA », tels furent les titres et commentaires de Paris à Madrid, à quelques exceptions de prudence près sur la capacité d’ETA à rebondir. Tout ce que les Etats français et espagnol comptaient d’observateurs politiques et d’experts de la question était mis à contribution pour spéculer sur la fin de l’organisation armée.
Ce menu-là a été servi de multiples fois, depuis vingt ans, à chaque arrestation.

Or, précisément, Mikel Albizu Antza, dans la clandestinité depuis 1985, serait devenu numéro 1 d’ETA après l’opération de 1992 à Bidart où fut arrêté le numéro 1 d’alors, Artapolo, lui-même remplaçant le numéro 1 précédent…. Le phénomène de la lutte armée en Pays Basque ne peut se comprendre et se résoudre par la seule action policière, fût-elle fondée sur la coopération renforcée des Etats français et espagnol. La voie policière, la seule choisie par les deux gouvernements, n’a eu pour conséquence que la refonte de l’organisation.

Le Pays Basque Sud est gouverné depuis des années par des lois d’exception. Le judiciaire et le policier jouissent des pleins pouvoirs et occupent un terrain que les politiques leur ont octroyé. Ces dernières années, le gouvernement Aznar a développé une répression tous azimuts contre le mouvement basque dans son ensemble, fermant des journaux, interdisant des partis politiques, des associations, empêchant une liste de candidats de la gauche abertzale de se présenter aux élections européennes, inculpant de nombreuses personnes (militants, élus, journalistes, intellectuels, jeunes, éditeurs…) sous l’accusation d’appartenance à ETA (selon la théorie que tout mouvement politique, social, culturel se définissant de la « gauche abertzale » fait partie intégrante de cette organisation) et sur la base de dossiers vides pour la plupart (2).

C’est le cas de 62 personnes mises en cause par le juge Garzon et qui passent aujourd’hui en procès.. L’amalgame avec ETA sert ainsi d’alibi pour criminaliser l’ensemble du mouvement qui mène la lutte pour l’indépendance au Pays Basque. Le bénéfice escompté : une marginalisation de la gauche abertzale au sein même de la société basque.

BATASUNA LANCE UN APPEL AU DIALOGUE ET À UN PROCESSUS DE PAIX

Depuis quelques mois, ETA d’une part, Batasuna d’autre part ont énoncé des propositions de dialogue en vue d’un changement politique en Pays Basque. Ce n’est pas la première fois, mais celles-ci semblent dessiner un changement de stratégie.

D’un côté, ETA a diffusé un message par vidéo, fin septembre, annonçant qu’ « une nouvelle opportunité s’offre aujourd’hui » et que la gauche abertzale « est prête à développer des forums de rencontres entre les différentes forces basques, avec pour objectif d’obtenir la reconnaissance d’Euskal Herria (Pays Basque) sur la base de l’autodétermination ». Ainsi, l’application du droit à l’autodétermination, rappelle ETA, signifierait « la fin du conflit ».

Plus tard, fin octobre, c’est par une déclaration publiée dans le quotidien Gara qu’ETA dit explorer de nouvelles voies pour la résolution du conflit : « La seule façon d’avancer est d’organiser un processus de dialogue ouvert et concret, qui aura pour but un accord général qui préfigurera la résolution du conflit et marquera les étapes à franchir ». ETA, derrière ces mots assez flous, semble indiquer un retrait implicite de l’usage de sa lutte armée.

De l’autre côté, Batasuna, dans un meeting massif (15 000 personnes) le 14 novembre à Saint Sébastien, fait une proposition très similaire et un peu plus détaillée. Ce parti appelle les forces travaillant en faveur du respect des droits du Pays Basque à se rassembler ; il affirme vouloir, en apportant « une contribution pour la résolution du conflit en Pays Basque », amorcer un processus de paix durable qui aura comme priorité « le dépassement une fois pour toutes du scénario de confrontation politique et armée ». Pour cela, il propose une démarche en deux étapes : d’abord « un dialogue politique entre les différents acteurs politiques, mais aussi sociaux et culturels afin d’arriver à un accord sur un nouveau statut pour la Communauté autonome basque », qui devra être avalisé par une consultation populaire ; ensuite, une fois réalisé l’accord sur un nouveau statut, un autre niveau de discussion s’engagerait entre ETA, ses militants emprisonnés et les gouvernements centraux, sur la démilitarisation du conflit, la question des prisonniers, des déportés, des réfugiés et celle des victimes. Sans jamais parler de trêve d’ETA, les dirigeants de Batasuna n’en impliquent pas moins l’organisation armée dans leur proposition, tout en la laissant à l’écart d’une négociation politique directe avec le pouvoir central, ce qui est nouveau.

Batasuna amorce donc ce qui paraît être une nouvelle stratégie, préconisant un travail commun avec toutes les autres forces, abertzale et non abertzale, et reconnaissant qu’ « un tel processus va l’obliger à faire des concessions, (…) puisqu’un processus de paix demande que l’on soit complice de nos ennemis »

LES RÉACTIONS IMMÉDIATES À LA PROPOSITION DE BATASUNA

La proposition de Batasuna a été immédiatement assez positivement accueillie par les partis politiques du Pays Basque, aussi bien par ceux de la gauche abertzale, au Pays Basque Sud et Nord, que par le PNV, EA et IU (Gauche Unie) qui dirigent le gouvernement autonome et se disent prêts à participer « à un débat politique multilatéral ». Le PS basque a tenu lui aussi des propos d’ouverture.

Mais, du côté des forces politiques espagnoles, la surdité a été au début totale. Suite au meeting de Batasuna, le ministre espagnol de la Justice disait « n’avoir rien entendu qui vaille la peine d’être écouté ». Et les partis espagnols, le PSOE et le PP, ont réagi négativement à la proposition du parti indépendantiste, « organisation terroriste » qui n’a pas condamné « la violence ». Du côté de l’Etat français, la surdité est plus grande encore, puisque les partis politiques de droite et de gauche persistent à nier l’évidence et à considérer que le conflit basque ne les concerne pas. Au vu du refus d’accorder la libération conditionnelle à Filipe Bidart (3), au vu des arrestations massives récentes, de la dispersion plus grande que jamais des prisonnier-es, de la visite éclair touristico-coloniale que de Villepin a faite récemment au Pays Basque Nord, des promesses de collaboration renforcée des polices lors du sommet franco-espagnol le 7 décembre à Sarragosse, il est clair que l’Etat français joue la carte du hors-jeu et de l’alignement sur les positions de l’Etat espagnol.


DANS QUEL CONTEXTE, QUELS RAPPORTS DE FORCE POLITIQUES ?

Les courants abertzale de toutes tendances, à travers leurs partis, leurs syndicats, leurs associations, mènent depuis plusieurs années prioritairement un travail de construction nationale, développant malgré la répression leurs propres liens économiques (4), culturels, institutionnels d’entraide, leur propre cadre de débat. Ce travail de longue date, axé sur la construction nationale, a connu un essor particulier lors de la dernière trêve d’ETA. Qui dit construction nationale dit interclassisme : ces démarches le sont indéniablement ; elles sont aussi pluralistes (divers acteurs sociaux, culturels et politiques du Pays Basque y participent ou y sont représentés) et cherchent à en finir avec le conflit présent, fruit de l’immobilisme des Etats, en enclenchant un processus qui permettra l’expression des différentes positions et la réponse aux questions : comment concrétiser aujourd’hui le droit à l’autodétermination, comment permettre au peuple basque de choisir librement son destin ?

Les propositions de Batasuna se font dans ce contexte et dans une période où ETA est affaiblie à cause de la répression policière ; de plus, l’organisation de lutte armée a perdu, depuis quelques années, beaucoup de son soutien populaire à cause de ses objectifs de moins en moins lisibles et de plus en plus ouvertement contestés ; de nombreux militants n’ont pas compris non plus ni digéré que ETA rompe, en décembre 2000, sa longue trêve ; des débats internes sur l’efficacité de sa lutte armée semblent agiter ses rangs mêmes (5). Le parti Batasuna, de son côté, perd de son impact militant, surtout du fait de son interdiction qui la tient en dehors de la voie institutionnelle, réduit au silence son électorat et rend plus difficile son protagonisme politique. Il doit compter avec les autres forces partidaires au Pays Basque, en particulier celles qui se revendiquent aussi de la gauche abertzale. Or à l’heure actuelle, cette gauche abertzale est neutralisée par ses propres divisions. Elle a éclaté au Nord comme au Sud, suite à la rupture de la trêve d’ETA et à la création de Batasuna.

D’autres partis sont nés (Aralar, au Sud) ou se sont maintenus (Abertzaleen Batasuna au Nord), tous deux opposés à la lutte armée dans le contexte actuel. Ils cherchent à occuper leur propre espace et ne sont pas prêts à céder du terrain. De plus, les appareils de la gauche abertzale sont non seulement désunis mais aussi idéologiquement appauvris et en recul. Ils sont prêts à mettre un bémol aux pratiques de confrontation, d’opposition et pensent plus que jamais en termes de gestion et de postes de pouvoir institutionnel. Ils sont prêts à envisager des alliances et des accords de coalition, notamment avec le PNV et avec les sociaux-démocrates, jusqu’alors honnis, et à apprendre à vivre avec les forces politiques de tous bords, l’enjeu prioritaire de ces appareils étant la création nationale et la mise en place d’institutions adéquates.

LE COUP DE POUCE DE BATASUNA AU PLAN IBARRETXE

La proposition de Batasuna s’est faite dans une période où les nationalistes de droite occupent le devant de la scène et où Batasuna cherche à reprendre la main et à leur disputer l’initiative.

En effet, Ibarretxe, le président du gouvernement basque a produit, en 2002, un projet de nouveau statut politique pour Euskadi, appelé « plan Ibarretxe », à un moment où le statut d’autonomie accordé à la Communauté autonome basque en 1979 était clairement contesté et considéré comme totalement dépassé par une grande majorité des habitants ainsi que par les membres du gouvernement basque et le parti qui le dirige - le PNV, Parti Nationaliste basque, démocrate-chrétien. Inspiré par le modèle québecois, ce plan prévoit le dépassement de l’actuel statut et son évolution vers un statut de « libre association avec l’Etat espagnol » ; il n’est absolument pas conçu pour conduire à la sortie d’Euskadi de l’Etat espagnol ; le plan veut la reconnaissance de la nation basque, le respect du droit des Basques à décider de leur avenir ; il prévoit d’élargir les compétences du gouvernement autonomique sur le terrain social, de la fiscalité et de la justice ; Euskadi disposerait ainsi de sa propre nationalité, de son pouvoir judiciaire et participerait à des réunions de l’Union européenne. Ibarretxe prévoit que la mise en pratique de ce plan se déroulera suivant trois étapes : sa présentation et son vote au parlement basque ; puis sa discussion et son vote aux Cortès (Parlement espagnol) ; enfin, quels que soient les résultats des votes, le plan sera soumis à un référendum dans les trois provinces d’Euskadi (« ce sera aux citoyens basques de décider »), et acquerra ainsi une valeur politique, sinon juridique.

Or, la première étape a été franchie avec succès, fin décembre 2004, grâce à trois voix des six députés de Sozialista Abertzaleak –ex- Batasuna-, qui ont permis d’assurer la majorité face au PP et au PS et de faire adopter le « plan »par le Parlement basque. Cette demi-allégeance de Batasuna au PNV, son ennemi juré, et alors que Ibarretxe a toujours dit qu’il ne pactiserait pas avec Batasuna, est un choix tactique bien calculé, qui propulse à nouveau le parti indépendantiste au centre du débat politique : Batasuna fait ainsi la démonstration publique et concrète de sa bonne volonté à favoriser le débat sur l’autodétermination au travers des canaux « démocratiques » et d’un référendum populaire ; il empêche le PNV d’inventer tout faux prétexte pour ne pas aller au bout de la logique du plan Ibarretxe ; en même temps, il réaffirme ses propositions, à savoir que la priorité, c’est la résolution du conflit, c’est-à-dire la paix, et que celle-ci ne passe pas par la négociation d’une resucée de statut d’autonomie pour trois provinces basques (alors qu’il y en a sept), mais par la mise en place d’un dialogue multilatéral de l’ensemble du pays. S’amenuise ainsi l’espoir du PNV de récupérer une bonne partie des voix de Batasuna, lors des élections législatives autonomiques de mai 2005. Et grandit celui de Batasuna de pouvoir négocier son retour sur la scène politique – par la levée de son interdiction- , pour reprendre sa place dans le jeu institutionnel, quelques mois avant ces mêmes élections.

Pour sa part, Ibarretxe rappelle ses conditions : référendum oui, mais en l’absence de toute violence.

Ainsi, le gouvernement basque, poussé par les trois voix d’un complice encombrant, envoie à présent la balle du débat souverainiste dans le camp d’ETA et dans celui du gouvernement et du parlement espagnols.

LES REACTIONS AU PLAN IBARRETXE

Du côté des partis espagnols, les premières réactions à l’impact symbolique du vote au Parlement basque ont été la stupeur et la colère. Le plan basque de « libre association avec l’Espagne », qui plus est adopté grâce aux voix d’un parti indépendantiste, a été jugé immédiatement comme anti-constitutionnel, antidémocratique et sécessionniste. C’est le Parti Populaire (PP) qui se montre le plus agressif et qui joue sur la peur, voyant dans le plan « le plus grand défi à l’unité espagnole », « la guerre déclarée à l’Espagne unie ». L’ex-ministre franquiste Manuel Fraga en appelle à la suspension de l’autonomie et à l’intervention de l’armée au cas où Ibarretxe tenterait d’imposer son plan par un référendum. Le patronat basque proche du PP évoque la « subversion de l’ordre juridique », « l’incertitude politique, l’instabilité et la division sociales », « la mise en danger de l’économie et à long terme la faillite du système » que provoquerait l’application du plan. L’Eglise, par la voix de sa plus haute autorité, la Conférence épiscopale espagnole, y est allée aussi de son grain de sel, dénonçant un plan « moralement inacceptable ». Le Roi, de concert avec le ministre espagnol de la Défense, a cherché à rassurer immédiatement l’armée, et à réaffirmer son rôle de garant de l’indivisibilité de l’Espagne. Le chef du gouvernement, Zapatero, a fait preuve de plus de prudence : il rejette le plan, le juge non négociable et « sans avenir » ; quant au projet du gouvernement basque d’organiser coûte que coûte un référendum dans la Communauté autonome, Zapatero rappelle que la constitution espagnole ne l’y autorise pas et qu’il mobilisera « à tout moment tous les instruments juridiques dont il dispose pour que le plan Ibarretxe ne devienne jamais une réalité » ; cependant, il indique qu’il n’entravera pas son examen par les Cortès, en mars prochain, sachant que seule la petite minorité du PNV, des nationalistes galiciens du BNG et des Catalans de CIU et ERC appuiera le plan. De plus, Zapatero s’est fendu d’une rencontre avec Ibarretxe, ce que Aznar avait toujours refusé.


ETA RENTRE SUR LA SCÈNE DU DIALOGUE

Tous les partis politiques, à l’exception de Batasuna, exigent l’abandon par ETA de la lutte armée, préalable indispensable, selon eux, à toute offre crédible de dialogue ; et ils n’ont fait qu’enfoncer le clou sur la contradiction supposée entre l’offre de Batasuna et la poursuite des actions armées.

En effet, ETA s’est manifestée par plusieurs actions de basse intensité au cours de l’année 2003 ; les plus récentes sont une série d’attentats de faible puissance qui ont eu lieu à Madrid, le 3 décembre, puis dans plusieurs villes espagnoles simultanément le 6 décembre ; enfin l’explosion récente d’une voiture piégée dans un quartier bourgeois, près de Bilbao, le 18 janvier. Des signaux bruyants pour signifier sans doute qu’elle a encore les moyens de frapper, qu’elle ne cède pas le terrain au PNV, et qu’elle cherche aussi peut-être une voie pour négocier, sans préalable ; des signaux pour rappeler que la balle est dans le camp de l’Etat et que le chemin du dialogue choisi apparemment par le premier ministre espagnol appelle désormais des engagements et des actes concrets.

Avant son plus récent attentat, le 16 janvier, ETA avalisait par communiqué le processus enclenché par Batasuna et exprimait sa « volonté absolue de s’ (y) impliquer », réaffirmant ses positions : « L’unique moyen de résoudre le conflit est d’organiser un processus de dialogue multilatéral, ouvert et concret entre nationalistes et non nationalistes avec, pour objectif, de parvenir à un accord intégral » qui doit être soumis à l’approbation du peuple basque dans le cadre de son droit à l’autodétermination. Et Zapatero s’était dit prêt à « écouter » non seulement Batasuna - si ce parti condamnait la violence d’ETA -, en réponse à une lettre que le parti indépendantiste lui avait adressée, le 14 janvier, en l’assurant de son soutien s’il engageait un véritable processus de paix définitive, mais aussi l’organisation de lutte armée ETA, pourvu qu’elle fasse taire « le bruit des armes et des bombes ».

EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE

La proposition de Batasuna, appuyée par ETA, a un avenir d’autant plus incertain qu’elle est émise par un groupe qui n’est pas au mieux de sa forme, et qu’elle ne pourra prendre tout son sens que si les forces politiques et sociales du Pays Basque veulent bien répondre à l’offre de dialogue que ce parti leur fait. Car Batasuna fait en quelque sorte dépendre le succès de son initiative de la bonne volonté des autres.

Par ailleurs, même affaiblie, il est peu probable que ETA accepte de déposer les armes sans contrepartie ; prononcer une trêve en échange de rien ne ressemblerait pas à grand-chose, surtout dans un contexte où la répression politique, elle, non seulement se poursuit mais s’accentue davantage.
Face aux séries de propositions émises par des forces politiques du Pays Basque, le gouvernement espagnol se voit contraint d’aborder les questions liées à la souveraineté et à l’appartenance nationales et de tenter de les désamorcer en accélérant la révision des statuts d’autonomie ; en effet, pensant avoir réussi à écarter définitivement le plan Ibarretxe, il se croit en mesure de négocier entre tous un nouveau projet pour le Pays Basque, à son goût et dont il sera le promoteur.

Plan Ibarretxe ou pas, c’est la question institutionnelle et gestionnaire qui va continuer d’occuper le centre du débat politique au Pays Basque, de façon plus intense. Il dépendra des efforts des mouvements politiques, syndicaux et sociaux d’enrichir ce débat et de lui donner une dimension sociale, de classe et anticapitaliste. Depuis juillet 2004, par le biais d’un Forum de débat national, se mettent en place des canaux de communication entre les divers acteurs pour échanger, partager des propositions et en débattre afin de parvenir à un premier accord débouchant sur la constitution d’une table de résolution du conflit. Un autre objectif prioritaire est l’ouverture à des relais internationaux, afin d’informer en Europe et dans le monde et de garantir le suivi et le soutien international du processus de paix, s’il arrive à s’enclencher.

Pays Basque, le 21/01/05

1) Batasuna est un parti de la gauche indépendantiste, illégalisé en Espagne par le gouvernement Aznar en 2002, car il refusait de condamner les actions d’ETA, organisation de lutte armée.

2) La justice espagnole veut enterrer vivants les jeunes militants et ex-militants de Segi, Haika, Jarrai, trois structures de jeunes abertzale indépendantistes successivement interdites parce qu’accusées « d’être intégrées à ETA ». 112 ans de prison ont été requis contre un de ces militants, condamné pour avoir participé à une conférence de presse à l’âge de 20 ans.
Le nombre des prisonniers politiques basques s’élève à 712 en janvier, dont 151 dans les prisons françaises ; un nombre jamais atteint et qui ne cesse d’augmenter. Le 3 janvier, le Collectif des prisonniers politiques basques a démarré, dans toutes les prisons espagnoles et françaises, une dynamique de mobilisation pour la reconnaissance de leurs droits humains, sociaux, linguistiques et politiques.

3) ) Filipe Bidart, militant du groupe de lutte armée du Nord Iparretarrak, a été arrêté en 1988 ; il a été condamné par deux fois à la réclusion criminelle à perpétuité par la Cour d’assises spéciale de Paris. Il est détenu depuis 17 ans et remplit toutes les conditions légales pour obtenir la liberté conditionnelle.

4) Pour exemple de ces réalisations, le 15 janvier, malgré les menaces du préfet, les paysans d’ELB, - syndicat des paysans du Pays Basque lié à la Confédération paysanne, majoritaire au Pays Basque- mettent eux-mêmes en place, avec le soutien et la mobilisation de syndicats ouvriers basques et de la population, une Chambre d’agriculture au Pays Basque, depuis très longtemps revendiquée et sans cesse refusée par les autorités.

5) Dans une lettre datant du mois d’août et publiée le 2 novembre dans un quotidien navarrais, suite à une fuite intéressée (la diffusion de la lettre n’était pas voulue par ses auteurs), six chefs historiques de ETA, emprisonnés en Espagne et totalisant à eux six des milliers d’années de prison, analysent l’action armée d’ETA en termes de stratégie et d’efficacité : selon eux, la lutte armée menée par l’organisation est non seulement dans une impasse mais encore, à terme, elle condamne leur projet ; aussi, sans pour autant parler de trêve ou d’abandon de la lutte armée, invitent-ils la direction d’ETA à opter pour la « lutte institutionnelle et la lutte des masses », remettant à la gauche abertzale dans son ensemble le soin de « définir la stratégie et la tactique à suivre dans la réussite de nos objectifs en tant que peuple ».

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