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Après Charlie

Après les attentats de janvier déjouons le piège des embrigadements  !

vendredi 20 mars 2015, par ocl-lyon

Comment se présente la situation en France, depuis les assassinats à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher, où les médias ont surfé sur l’émotion suscitée par ces actes pour la mettre au service du gouvernement – et ouvrir à celui-ci un boulevard lui permettant d’accentuer sa politique antisociale  ?


On connaît l’habileté de la presse et du pouvoir à récupérer un mouvement, quel qu’il soit, dès lors que cela peut favoriser leurs intérêts financiers et de classe. Si, avec l’attentat du 7 janvier, les médias ont d’abord été pris de court, la dynamique de mobilisation en réaction s’étant enclenchée sans eux (1), les rédactions des quotidiens ont très vite revu le contenu des éditions en cours, ou du moins leur une. C’est souvent un deuil national qu’elles ont voulu signifier par un aplat noir ne mentionnant que « Je suis Charlie  » – un slogan devenu mondial à peine mis sur le Net (2)  ; ou par des titres ayant pour clé les mêmes mots, en particulier la « liberté (3)  ». La presse régionale a suivi la même ligne, à quelques variantes près, ou a illustré l’attaque contre la liberté d’expression par des crayons cassés (4)  ; et les télés et radios ont joué avec ces thèmes en boucle afin d’assurer la réussite des manifs du 11 janvier, auxquelles toutes les instances de l’Etat conviaient de façon assez autoritaire le « bon Français démocrate  » contre le « musulman fanatique  ».

 {{Un tsunami d'unanimisme…}}

Certes, au moment de la guerre du Golfe de 1990, ou lors du 11 septembre 2001, les moyens d’expression dont disposent les milieux anticapitalistes, d’extrême gauche et libertaires (quelques journaux, sites, blogs et émissions de radio) ne faisaient déjà guère le poids contre les mastodontes de l’info  ; néanmoins, d’autres poches d’opposition au discours officiel existaient alors dans la société – par hostilité à une intervention en Irak, par anti-américanisme… –, et nous avions pu faire entendre un autre son de cloche que le matraquage médiatique. Dès l’opération du 7 janvier, en revanche, nous avons été submergé-e-s par la pensée unique omniprésente sur tous les canaux de communication existants. Face à la remise en selle du gouvernement, si décrié la veille encore, qu’a permise l’extraordinaire engouement pour « Charlie  », les bras nous en sont souvent littéralement tombés, nous laissant entre l’écœurement, l’abattement – et l’attente que puisse passer un autre discours que l’enchantement pour « notre démocratie  » attaquée par des terroristes contre lesquels il fallait se préparer à la guerre (5).

Entre le 7 et le 12 janvier, on a pu mesurer à plein la force de la manipulation médiatique et gouvernementale. Le 8 a été déclaré jour de deuil national – avec appel à l’unité nationale, un Hollande en Président de la « République agressée  », et les morts de Charlie en « héros  » salués par des drapeaux en berne pendant trois jours. Pour l’élection d’Obama, tout le monde devait être « Yes we can »  ; après le 11-Septembre, il fallait être américain  ; là, il s’agissait d’« être Charlie  » afin de soutenir les interventions de l’armée française dans le monde, ainsi que le « sacrifice  » de certaines libertés publiques ici (avec l’élargissement des écoutes et de la vidéosurveillance, l’alourdissement des peines de prison [6] et des sanctions à l’école contre les mauvais-es élèves ou professeurs en matière de laïcité…). Chacun-e a été sommé-e non seulement de choisir son camp (7), mais surtout d’accepter l’évidence de la ligne de démarcation établie – qui sert bien les idéologues du djihadisme international, désireux de voir les nations européennes se scinder entre des populations « blanches  » convaincues d’être menacées par un péril islamiste et une frange de « musulmans  » radicalisés par le racisme et les interventions militaires occidentales.

Mais que voulait exprimer le slogan charlien  ? Certainement pas une adhésion inconditionnelle à un Président qui battait hier tous les records d’impopularité, et bien plutôt, pour la grande masse des gens, des sentiments où se mêlaient une affirmation individuelle (« je suis  ») et l’envie de dire ensemble des « trucs bien  » (liberté d’expression, démocratie, tolérance…) ainsi que l’appartenance à une communauté humaine, universelle, et une solidarité envers les personnes assassinées. Se trouver en nombre à battre le pavé, alors que depuis si longtemps règne la morosité liée à la « crise  », pour défendre sereinement de telles valeurs sans céder à la peur (8), a produit un effet de délivrance –, et pareille démarche n’avait évidemment rien de déplaisant en soi. Mais, évidemment aussi, elle n’aurait pas obtenu ce succès s’il ne s’était agi de gentils dessinateurs bien de chez nous – et forcément inoffensifs (?) – victimes de méchants terroristes « étrangers  » – forcément aussi, même si les frères Kouachi étaient français. On le sait, la liberté d’expression est plus souvent revendiquée pour les siens que pour les autres, et Charlie appartient au camp de la laïcité. S’il a également choqué, l’attentat antisémite à l’Hyper Cacher n’a pas produit tant d’affichettes « Je suis juif  » que cela  ; et beaucoup d’autres morts tout aussi violentes et inattendues, comme celles de jeunes des cités, soulèvent quant à elles fort peu de cette belle indignation.
Quoi qu’il en soit, la réaction de la population pouvait sans problème faire l’objet d’une reprise en main politicienne et marchande (9)  : la grand-messe servie le 11 a été présentée comme un combat pour la démocratie contre l’obscurantisme, pour les valeurs républicaines et la laïcité (le credo de Hollande depuis) contre le chaos, pour le Bien contre le Mal – un remake de Bush et son « axe du Mal  » –, avec sans surprise un amalgame entre la liberté d’opinion ou d’expression et le libéralisme économique. De même, ce grand élan fraternel a conduit certain-e-s à applaudir l’action de la police alors que le cadavre de Rémi Fraisse était encore chaud.

Certes, quoi qu’en aient dit les médias, les avis dans les cortèges étaient sans doute moins homogènes que ceux des personnalités larmoyantes qui ont défilé sur les plateaux télé  ; et on peut espérer que pas mal des personnes qui ont participé aux manifs ou qui ont regardé les images, diffusées en boucle, de foules tricolores chantant La Marseillaise et acclamant les forces de l’ordre n’ont pas été dupes de ce qu’on leur assénait. N’empêche  : ces marques de patriotisme ont largement été utilisées par la presse et le pouvoir, trop ravis de l’aubaine, comme la preuve de la réconciliation entre le peuple et « ses » gouvernants. Toutes les chaînes s’étant mises à faire de l’info en continu afin de battre leur record d’audience, elles ont même réussi à orienter les événements à l’instant précis où ils se déroulaient, en allant dans le sens attendu par leurs directions éditoriales  : la « marche citoyenne  » du 11 a symbolisé l’ordre et la bienséance, avec ses 44 chefs d’Etat et de gouvernement au coude-à-coude – même s’ils-elles sont loin d’être pour la liberté d’expression dans leur pays (10)… où ils-elles ne reculent pas toujours devant un assassinat (11). Dans Le Monde du lendemain, cette mobilisation historique a été comparée à Mai 68  ; les journalistes qui la suivaient ont confié qu’ils-elles avaient eu l’« impression grisante d’être la France  », et que « l’héroïne de cette journée  » c’était « Marianne qui relevait la tête  ».
Résultat immédiat pour les médias  : un excellent début d’année pour la presse écrite en déliquescence, merci, alors que janvier est d’ordinaire pas terrible question ventes  ; et, à TF1 comme à BFM-TV, « on a fait péter l’Audimat  ». Quant à Hollande, félicité par la presse pour s’être (enfin) comporté en véritable chef d’Etat et des armées, expert en questions internationales, il est remonté de 21 points dans les sondages.
Pour qui s’oppose à cet ordre des choses, le cadre idéal d’une république laïque et démocratique ressoudée qui a été planté autour de « Charlie  » promet au contraire des lendemains pas roses.

 {{… mais pas si unanimes que ça !}}

A la vérité, la contre-info n’a pas totalement disparu pendant ces journées, et des réseaux s’activent maintenant pour faire entendre un autre discours que celui des autorités. Il y a urgence à se réveiller, en effet  : lors de l’immense mobilisation provoquée par les meurtres des 7-9 janvier, les militant-e-s radicaux n’ont guère fait connaître leur point de vue dans la rue  : s’ils-elles y sont, pour partie, descendu-e-s, c’était souvent séparément et sans tracts. Les prises de position qui ont émané de nos milieux se sont réduites à des communiqués d’organisation et à des articles de « personnalités  » postés sur le Net, à destination d’un public fidèle mais restreint, ou publiés dans des périodiques dont on connaît la diffusion confidentielle. Qui plus est, ces textes ont paru faire l’objet d’une course de vitesse pour, avant tout, se démarquer d’une dynamique sociale jugée douteuse, par sa composition hétéroclite comme par les manipulations médiatiques visant à démontrer l’existence d’un consensus autour de la politique gouvernementale. Bref, parce que nous nous trouvions à contre-courant – dépassé-e-s par la popularité aussi soudaine qu’incongrue de ces caricaturistes, certes anars, mais auxquels nous avions des critiques à faire, et par le côté aberrant et grotesque de ces défilés orchestrés en leur honneur par le ministère de l’Intérieur, avec la bénédiction du pape, de l’Alliance atlantique, etc. –, notre intervention a été quasi inexistante ou est en tout cas passée inaperçue. Dommage  : non seulement nous avions sans nul doute des choses en commun avec pas mal des personnes sorties de leurs maisons et de leurs habitudes quotidiennes, mais il est impossible de rester juste serré-e-s sous la carapace de nos convictions, quel que soit leur bien-fondé, en attendant des jours meilleurs au prétexte de ne pas nous laisser piéger par le tous (des citoyen-ne-s) contre un (le djihadisme).

Depuis, nous sommes confronté-e-s à la répression accrue par le durcissement de la loi antiterroriste opéré en novembre dernier – laquelle, comme toutes les lois sécuritaires votées contre un adversaire de l’Etat, n’a pas tardé à élargir son champ d’action (12). Mais, au-delà de ce qui fait malheureusement partie de la routine militante, il faut à présent nous pencher sur cette adhésion acritique et consensuelle à la société et à l’histoire françaises qui s’est manifestée, de pair avec la recherche d’une unité fantasmée au-delà des antagonismes sociaux et politiques, car le maintien ou non d’un tel état d’esprit va peser d’un grand poids sur la suite des événements – notamment en laissant au gouvernement les coudées franches, pour prendre des mesures coercitives mais aussi pour agir dans d’autres domaines (voir la résurrection des projets d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, de LGV Limoges-Poitiers et autres).

Première constatation  : si la composition des manifs a été très large, elle n’a néanmoins pas couvert tout l’éventail des classes sociales ou origines ethniques existant en France, comme les images retenues par les chaînes d’infos ou les journaux, en particulier dans les rassemblements parisiens, pouvaient le laisser croire  : il y a eu une sous-représentation des milieux populaires – et la surreprésentation dans la capitale des classes moyennes et supérieures ne suffit pas à expliquer ce phénomène, étant donné la proximité des banlieues où ces milieux populaires sont cantonnés. Mais leur désaffection n’a en réalité rien d’étonnant  : le vécu ordinaire dans les cités ou certains quartiers, particulièrement pour la jeunesse la moins qualifiée, rappelle bien plus celui des auteurs des attentats (13) que celui des gouvernants qui ont incité à se mobiliser ou des classes moyennes cultivées qui, elles, ont largement répondu à l’appel. Les multiples formes de discrimination (sociale, religieuse, d’apparence ou d’origine) que ces populations rencontrent au quotidien, de même que leur relégation sociale et spatiale ou que l’attitude de la police à leur égard peuvent difficilement leur donner envie de fraterniser dans un même mouvement avec les personnes qui leur organisent cette vie et celles qui le déplorent mais souvent sans s’en préoccuper vraiment.

L’unanimisme vanté ne concerne donc pas toute la population  ; le « vu à la télé  » a juste masqué ponctuellement le clivage entre les classes moyennes et supérieures et les milieux populaires – clivage que certaines réactions d’enfants à la minute de silence ont, elles, quelque peu fait ressortir. Des élèves ont osé demander pourquoi on parlait autant de cette tuerie alors que des gens meurent dans l’indifférence au Proche-Orient  ; ou pourquoi Charlie Hebdo pouvait injurier une figure sacrée de l’islam quand Dieudonné se voyait interdire de critiquer les juifs. Ces questions découlent d’un vécu, ou du moins d’un ressenti  : il y a deux poids deux mesures dès lors qu’il s’agit de la religion musulmane, l’islam étant décrit par une bonne partie de la presse comme une croyance rétrograde ou comme une « menace contre l’identité de notre pays  », et l’islamophobie – profondément ancrée dans les mentalités parce que héritée de la période coloniale – rendant tolérables, aux yeux de beaucoup, les propos hostiles aux musulman-e-s. Ce deux poids deux mesures observé en matière de discours stigmatisants, et fréquemment « justifié  » par des arguments ethnoculturels, se prête pourtant à une tout autre lecture, pour l’essentiel sociale (14). La condition sociale à laquelle accèdent les migrant-e-s et leur descendance détermine fortement la perception que l’on en a, la différence d’implantation entre les juifs et les musulmans le montre bien  : au fil des décennies, certains descendants des premiers juifs arrivés en France se sont élevés dans la société au point d’occuper aujourd’hui des postes de pouvoir, notamment dans les milieux journalistiques, politique et universitaire  ; les enfants et petits-enfants des immigrés de culture musulmane ont grandi dans une société en crise, frappée par un chômage de masse et une précarité croissante dont ils-elles ont été les premières victimes et qui ont amenuisé leurs chances d’ascension sociale. Pourtant, cette grille de lecture est écartée en France depuis trente ans au profit d’une analyse culturelle qui envisage les problèmes des migrant-e-s selon des critères ethniques (voir l’encadré).

Seconde constatation  : l’approche ethnoculturelle de phénomènes sociaux que continue de privilégier la presse risque d’avoir assez vite des conséquences dramatiques pour les milieux populaires, en les ghettoïsant encore davantage et en amalgamant contre eux le reste de la société autour du gouvernement. En règle générale, l’affrontement entre les autorités et leurs ennemis indiffère la population – elle y assiste en spectatrice par le biais des médias, et cette distanciation empêche l’extension de la violence lorsque les groupes radicaux ne disposent pas d’une grosse base sociale ou territoriale –, mais l’augmentation actuelle de la pression pour obtenir une condamnation unanime des djihadistes et l’alourdissement des mesures judiciaires et administratives permettant de réprimer les réfractaires à cette injonction sont susceptibles de changer diamétralement la donne. D’abord en incitant une minorité de personnes qui subissent déjà préjugés et discriminations mais sont jusque-là restées passives à rejoindre les djihadistes. Ensuite en faisant basculer complètement dans le camp réactionnaire la petite bourgeoisie intellectuelle, très attachée à la république laïque et soutien traditionnel de la gauche. Si elle se laisse embrigader dans la guerre des civilisations en cassant le lien ambigu qu’elle entretient avec les prolétaires issus de l’immigration – et qui mêle désir de métissage et rapport de domination, mixité urbaine et ségrégation résidentielle, antiracisme et ethnocentrisme –, cette rupture aura un fort impact, puisqu’elle est le pilier du monde de l’art et de la culture et joue un rôle décisif dans l’élaboration des représentations sociales.

Face à de telles conséquences, faire prendre en compte la situation économique et sociale dans les cités, ainsi que le lourd héritage colonial pour une bonne partie de leurs habitant-e-s, afin d’identifier les causes d’une décomposition sociale et d’éclairer les enchaînements qui ont conduit aux attentats, s’avère une tâche indispensable. C’est un des moyens d’empêcher le « choc des civilisations  » – et une guerre contre le terrorisme qui conduit forcément, entre autres, à une restriction des libertés publiques. Pour nous, l’alternative ne se situe évidemment pas entre l’Occident capitaliste dominant « civilisé  » et le terrorisme sanguinaire islamiste – selon la formule bushienne : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous.  » Pourquoi devrait-on choisir entre la peste et le choléra, qui de plus s’alimentent l’un l’autre  ? Réactivons plutôt le désir de révolution sociale, ravivons partout, à l’exemple de la Grèce et de l’Espagne, cette formidable espérance collective que produisent les dynamiques sociales  !

Vanina

1. A Paris, les appels à se retrouver à la République l’après-midi même ont émané très vite de sites politiques ou syndicaux d’extrême gauche et de blogs « citoyens  ».

2. Créé par le directeur artistique du magazine Stylist, il a aussitôt été repris par les réseaux sociaux.

3. « La liberté assassinée  » (Le Figaro), « Ils ne tueront pas la liberté  » (Le Parisien), « Liberté barbarie  : 0-12  » (L’Equipe)… – Le Monde variant un peu avec « Le 11-Septembre français  », Libération avec « Nous sommes tous Charlie  » et La Croix avec « La France meurtrie  ».

4. Au sein de la presse occidentale, deux clivages sont apparus quant à la publication ou non des dessins jugés insultants dans le monde musulman  : entre vieux et nouveaux titres, et entre Europe et Etats-Unis. Les journaux traditionnels américains ont passé les dessins floutés, leur règle étant qu’il y a une limite entre la satire et l’insulte gratuite que pratique délibérément Charlie selon eux  ; à l’inverse, Slate, The Huffington Post, etc., les ont publiés tels. Si la Grande-Bretagne s’est montrée prudente, l’Europe l’a été en général bien moins.

5. Cette guerre existe déjà, et pour les djihadistes il s’agissait bien avec l’attaque contre Charlie et l’Hyper Cacher de la porter sur le territoire ennemi.

6. Deux jours après la formidable célébration de la liberté d’expression tombaient les premières condamnations à des peines de prison ferme – pour des ados, un ivrogne et un simple d’esprit coupables de dérapages verbaux.

7. « C’est justement ceux qui ne sont pas “Charlie” qu’il faut repérer, s’est exclamée la journaliste Nathalie de Saint-Cricq sur France 2, le 12 janvier. Ce sont eux que nous devons repérer, traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale.  »

8. « Ça ne s’arrêtera pas là…  », entendait-on couramment dans les conversations, sans plus de précisions, et la presse a entretenu une intox sur cette menace informelle, qui aurait notamment incité à ne pas sortir pour faire les soldes.

9. Voir les « Je suis Charlie  » qui ont fleuri aux caisses des supermarchés… et ne pas mourir d’un rire grinçant, là encore.

10. Par exemple l’Egypte, la Turquie, la Russie, la Jordanie, les Emirats ou le Gabon. Concernant l’Amérique latine, beaucoup de gouvernants étaient représentés, mais nombre d’entre eux-elles ont évité d’invoquer sous leurs latitudes la liberté d’expression « défendue  » ici.

11. La présence d’un Netanyahou ou d’un Lavrov (ministre des Affaires étrangères russe) n’a pas gêné les médias, alors qu’ils ont déblatéré sur celle de Marine Le Pen, invitée à venir à l’Elysée mais non au cortège. Pour dénoncer le djihadisme et le terrorisme, c’est-à-dire l’intolérance, les partis organisateurs l’ont exclue afin de ne pas lui conférer la « respectabilité républicaine  », et elle a ainsi pu se poser en « victime de l’intolérance  ».

12. La « justice  » s’est exercée au prix de quelques bavures, mais qu’importe  ? Comme l’a dit le juge antiterroriste Trévidic sur France Inter le 14, les juges ont eu la main lourde « au nom du peuple français  », car ils étaient « émus dans l’émotion générale, (mais) cela reviendra à la normale. (…) Si les gens ont été trop condamnés, il faut qu’ils fassent appel et leurs peines seront réduites  » – oh, alors tout va bien  !

13. Interventions précoces des services sociaux et de la justice des mineurs, passages en foyer et en famille d’accueil, orientation scolaire vers des filières techniques avec interruption des études, petite délinquance… Une trajectoire à mettre en lien avec la dégradation de l’accès à l’emploi non qualifié, l’accentuation de la ségrégation spatiale et des contrôles policiers, l’ethnicisation des rapports sociaux et le déclin des mobilisations politiques portées par les générations précédentes.

14. Lire sur ces diverses questions « Les chemins de la radicalisation  » de Laurent Bonelli et « Islamophobie ou prolophobie  ?  » de Benoît Bréville, Le Monde diplomatique, février 2015.

L'approche ethnoculturelle de phénomènes sociaux, un choix politique et stratégique des gouvernants

Sous la présidence de Mitterrand, la question des « travailleurs immigrés  » a cédé le pas au « problème des Arabes  », de la « deuxième génération  » et, par ricochet, des musulmans. Les événements des banlieues se sont trouvés transformés en un fait de société témoignant du « problème de l’immigration  », quand on pouvait y voir le résultat de la dégradation physique et sociale des grands ensembles de logements sociaux ou du désœuvrement des jeunes dans un contexte de chômage endémique et de « désouvriérisation  » massive. Face aux attaques de ses adversaires contre l’immigration maghrébine, la gauche des années 80 s’est soit alignée sur leur position, soit mise à valoriser la « culture beure  » – en reprenant donc, de manière inversée, le discours culturaliste de la droite. En moins de trois ans, le débat sur l’immigration a ainsi été vidé de son contenu social, et depuis les étrangers et leurs descendants sont constamment renvoyés à leur « communauté  », à leur religion, au risque d’accentuer le fossé entre d’une part les Français « autochtones  », de l’autre les immigrés et leurs descendants. Les sujets directement liés à l’immigration (tels le racisme ou les discriminations) sont appréhendés comme des problèmes culturels, ce qui alimente les préjugés, le fantasme d’un « choc des civilisations  », la poussée de l’extrême droite – et se révèle bien pratique pour les gouvernants  : l’« islam des banlieues  », les « insécurités culturelles  » et le « communautarisme  » permettent de reléguer au second plan le triomphe de la finance, les monstrueux écarts entre les revenus et les divers autres méfaits du système capitaliste. En s’ajoutant aux inégalités sociales pour les renforcer, les discriminations raciales rendent ces deux problèmes indissociables  ; et, par réaction, les enfants d’immigrés affirment davantage leurs origines et leur religion stigmatisées. Insister sur la couleur de peau, par exemple, plutôt que sur l’appartenance aux classes populaires pour éclairer les fractures de la société française est un choix à la fois politique et stratégique. C’est pourquoi souligner la composante sociale des inégalités aide à combattre l’idée que les populations d’origine maghrébine et africaine constitueraient un problème spécifique, entièrement distinct des vagues migratoires antérieures et des classes populaires dans leur ensemble.

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