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CA 234 novembre 2013

Immigration : Contre le racisme et la xénophobie d’Etat, l’égalité des droits

Pierre Stambul

mercredi 27 novembre 2013, par ocl-lyon

À toutes les époques de l’histoire, les êtres humains ont migré. Tantôt pour conquérir de nouveaux territoires et s’y installer en maîtres, tantôt pour chercher un refuge.


Immigration : une division de classe à l'échelle de la planète.

Dans le cadre de la mondialisation capitaliste, le dumping social s’est généralisé. D’un côté les capitalistes délocalisent impunément la production là où les travailleurs/ses sont privéEs de droits, de protection sociale et de salaires décents. Et la condition des exploitéEs peut ressembler à celles d’esclaves comme dans les ateliers textiles du Bangladesh.

De l’autre, des millions d’immigréEs, ancienNEs ou récentEs, arrivéEs dans les pays développés n’y jouissent pas des garanties obtenues (souvent au bout de longues années de lutte) par les prolétariats locaux. L’immigration est instrumentalisée pour diviser la classe ouvrière, pour casser les acquis sociaux, pour provoquer des phénomènes d’union nationale ou de consensus contre les plus précaires et les plus fragiles.

Les accords de Schengen, la barrière électrifiée pour « protéger » la frontière sud des Etats-Unis ou les zones de non-droit de Ceuta et Lampedusa génèrent une monstruosité que la lutte des classes devra abattre : le capitalisme mondialisé peut se déplacer instantanément pour optimiser ses profits tandis que les travailleurs sont condamnés à un choix sans issue : l’enfermement dans une pauvreté sans espoir ou la noyade aux portes d’un Occident mythifié. Face au cynisme meurtrier de ceux qui déclarent (comme Rocard) : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et qui en même temps installent Renault en Roumanie, les centres téléphoniques au Maghreb, l’industrie textile au Bangladesh, qui envoient leurs troupes en Afrique pour rétablir leur ordre et qui planquent leurs profits aux îles Caïmans, notre réponse c’est avant tout le droit absolu de voyager et d’immigrer et la régularisation inconditionnelle de tous les Sans Papiers.

Colonialisme et post-colonialisme

La colonisation n’a pas seulement été une expansion commerciale ou un pillage des richesses. Elle a aussi été une idéologie meurtrière théorisant l’inégalité, l’esclavage, la supériorité des civilisations occidentales sur les peuples colonisés et l’idée que le colonialisme amenait à ces peuples progrès et modernité. Le colonialisme a détruit des sociétés jugées archaïques et inférieures. Il a imposé ou essayé d’imposer ses croyances, ses « valeurs », son mode de vie.

Toutes les immigrations en France ont connu au départ racisme, discriminations et souvent violences. Avec le temps, une partie de l’immigration en France s’est aujourd’hui « intégrée », c’est-à-dire qu’elle se différencie peu culturellement ou économiquement du reste de la population. Il s’agit des immigrations italienne, espagnole, portugaise, polonaise, arménienne, juive…

Il n’en est pas du tout de même des immigrations coloniales ou post-coloniales. Au contraire, les très timides avancées un moment obtenues ont été remises en cause. Très massivement, des millions de personnes souvent de nationalité française, vivent dans de véritables ghettos et subissent quotidiennement des discriminations au travail, au logement ou à l’éducation, ainsi que le chômage massif, le racisme et les contrôles au faciès. Sans compter les innombrables crimes racistes ou « bavures » policières restés impunis.
Parmi les causes de cette situation scandaleuse, il ne faut jamais oublier que la parole n’a pas été dite sur l’esclavage, la colonisation ou les crimes commis pendant la guerre d’Algérie. Les généraux assassins qui ont enfumé les Algériens au moment de la conquête ou qui ont balancé les Malgaches depuis des avions sont toujours célébrés. Papon ou Bigeard ont été ministres des années après leurs crimes et la vérité sur le 17 octobre 1961 n’a toujours pas été reconnue. Il y a même eu un grand « consensus » sur l’annexion de Mayotte.

Il est symptomatique de voir que tout le monde s’émeut pour savoir si la laïcité a été au non violée à Chanteloup-les-Vignes mais que quasiment plus personne ne s’émeut de ce qu’est Chanteloup-les-Vignes : un ghetto où la majorité de la population, d’origine post-coloniale est exclue, vit sous le seuil de pauvreté et a davantage de chances de s’en tirer en trafiquant plutôt qu’en continuant d’espérer dans une « égalité républicaine » qui ne s’adresse décidément pas à ces dominéEs. De même, les autorités qui réagissent à tous les actes antisémites, même non avérés, sont étrangement silencieuses quand des femmes (voilées) d’Argenteuil sont agressées en pleine rue.
Il existe un discours « républicain » qui stipule qu’a priori la république permet l’égalité. Dans son histoire, la République s’est totalement adaptée au colonialisme, au racisme, aux discriminations et bien sûr à la dictature du capital. Le discours républicain et les valeurs qu’il exhibe sont totalement creux pour le prolétariat issu de l’immigration coloniale ou post-coloniale.

Le racisme ou les racismes ?

Bien sûr, on peut donner une définition générale du racisme qui essentialise les populations selon leurs origines ou leurs identités supposées, propage la haine et hiérarchise les groupes humains. Une définition trop globale permet toutes les confusions.

L’extrême droite a créé l’AGRIF (Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité française et Chrétienne). Même le MRAP a adopté un texte qui parle d’un « racisme anti-blanc » et cela a provoqué fort heureusement des vagues en son sein.

La question du racisme recoupe fondamentalement celle des dominants et des dominés. Le racisme est un des moyens utilisé par les dominants pour maintenir leur domination.

En Europe, pendant des décennies, l’antisémitisme a été le dénominateur commun de tous les courants de l’extrême droite raciste. Les Juifs, croyants ou pas, étaient alors des « parias » considérés comme des Asiatiques inassimilables, obstacle au rêve fou de construire des Etats ethniquement purs. L’Occident s’est débarrassé de sa responsabilité majeure dans l’antisémitisme sur le dos du peuple palestinien en disant aux Juifs : « maintenant, vous avez un pays et vous partez quand vous voulez ». Le sionisme a fait des Juifs qui épousent cette cause des colonisateurs au service de l’Occident. Les Juifs en Occident font aujourd’hui partie des « dominants » et l’antisémitisme a fortement diminué. En d’autres époques une affaire comme celle de DSK aurait provoqué une explosion antisémite. Aujourd’hui les principaux dirigeants de l’extrême droite européenne sont ouvertement pro-israéliens et l’antisémitisme d’un Jean-Marie Le Pen est de moins en moins repris dans le parti qu’il a fondé.

Après le 11 septembre 2001, Bush a fait sienne la théorie du « choc des civilisations » et a déclaré la « guerre du bien contre le mal », le mal étant le musulman ou le présumé tel. L’islamophobie a remplacé l’antisémitisme comme trait commun de l’extrême droite raciste. Il est absurde de nier l’existence de l’islamophobie. Elle ne frappe pas l’émir du Qatar. Ceux qui acceptent que des richissimes capitalistes rachètent tout se moquent du fait qu’ils soient musulmans ou pas. L’islamophobie frappe les dominéEs. L’islamophobie de Breivik pense que l’Islam brise la pureté de la Norvège. Quand Ménard affirme qu’en Seine-Saint-Denis, il naît plus de Musulmans que de Français, c’est le même fantasme. Quand Marine Le Pen compare les prières de rue à l’occupation allemande, elle ne vise pas les autres religions. Elle s’attaque aux Musulmans ou aux personnes « d’apparence » musulmane. Tout comme l’antisémitisme frappait tous les Juifs, croyants ou pas.

Un racisme particulièrement odieux ressemble à une résurgence éternelle de la haine et du mépris ordinaire. Le racisme anti-Rom, c’est le besoin dans une société en crise d’avoir plus bas que soi. C’est l’idée que la cohésion sociale a besoin d’une haine commune contre un groupe humain qu’on a exclu. Cela rappelle au Moyen Age l’élimination de la société des lépreux, des prostituées, des hérétiques …

La stratégie de s’opposer au racisme au nom de valeurs « morales » comme l’avait fait SOS racisme dans les années 80 est tout à fait inefficace. D’une part parce que SOS Racisme est l’appendice clientéliste d’un parti qui a prolongé la politique sécuritaire raciste chaque fois qu’il a été au pouvoir, mais aussi parce qu’on ne combat pas le racisme sans poser la question sociale.

Tous les racismes ont pour finalité de précariser les populations dominées, de les maintenir dans l’insécurité et de diviser le prolétariat.

La poursuite de la politique du gouvernement français contre les Roms, les Sans Papiers ou les Comoriens considérés comme des immigrants illégaux à Mayotte est clairement raciste.

Ségrégation, discriminations et luttes

La marche des Beurs date du 1er juin 1983. Elle s’était terminée par une gigantesque manifestation de plus de 100000 personnes. Cette manifestation n’avait aucun caractère religieux. Elle avait entraîné l’essor du MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues). Depuis 1983, tout a empiré. Les fermetures d’entreprises et le chômage massif ont davantage frappé les quartiers. Les services publics et le tissu associatif ont été désintégrés beaucoup plus qu’ailleurs, laissant les habitants des cités livrés à eux-mêmes sur fond de racisme et d’exclusion. La ségrégation dans le logement a accentué le caractère de ghetto de ces quartiers qui se sont délabrés faute d’entretien ou de constructions nouvelles. Au niveau de l’école, tous les indicateurs de réussite se sont retournés à la fin des années 1990 et de toute façon, de nombreux jeunes diplômés des quartiers connaissent quand même précarité et chômage.

Si tous les pouvoirs ont laissé les quartiers à l’abandon, ils ont multiplié les lois discriminatoires et les lois sécuritaires. La loi sur les signes religieux à l’école ne visait à l’évidence que la religion musulmane. La loi sur la burqa visait un ennemi imaginaire, mais elle désignait clairement les pauvres femmes musulmanes comme étant un problème. Au-delà des lois, les jeunes tués par des policiers en toute impunité à Grasse, Clichy-sous-Bois, Villiers-le-Bel ou l’envoi de toutes les « forces de l’ordre » en Seine-Saint-Denis pour mater la colère ont un sens : les habitants des quartiers sont stigmatisés comme dangereux et comme constituant le problème de la société française.
C’est sur l’abandon des quartiers que les religieux ont commencé à prospérer et à offrir une forme d’identité et de lien social qui ont trop souvent disparu. C’est aussi sur cet abandon qu’on aboutit à des horreurs comme ces habitants d’une cité déshéritée expulsant des Roms.

Il est possible de sortir du cercle vicieux. Pour le 30e anniversaire de la Marche des Beurs, une manifestation a eu lieu à Marseille à l’appel du groupe « Quartiers Nord, quartiers forts » (QNQF) pour hurler l’indignation contre l’abandon des quartiers et ses conséquences : des jeunes désoeuvrés s’entretuant à coup de kalachnikovs pour le contrôle du trafic de drogue. Quelques jours plus tard, l’un des principaux centres associatifs de ces quartiers, menacé d’expulsion, réunissait les principales forces de ces quartiers dans une gigantesque fête. Notre place est au côté de celles et ceux qui luttent avec ces excluEs qui représentent une part notable du prolétariat vivant en France. Pourtant quand les ComorienNEs sont descenduEs dans la rue pour hurler leur douleur après l’accident d’avion où beaucoup des leurs ont disparu, les « Blancs » étaient bien rares dans la manifestation.

 {{La gauche, l'extrême gauche et les syndicats face à l'immigration. }}

D’abord une constatation : le faible nombre de membres des partis ou de syndicalistes issus de l’immigration. 

Il y a une raison principale. Le discours qui est tenu est en gros celui-là : « soyez comme nous, adoptez nos valeurs et nous vous défendrons ». Il y a une espèce de condescendance à leur égard avec l’idée que les « vraies » valeurs (féminisme, laïcité, socialisme …) sont occidentales et que la population issue de l’immigration doit se débarrasser de ses archaïsmes pour accéder à la modernité. 

Ce paternalisme peut même tourner au clientélisme. Le PS (comme l’UMP) considère la population issue de l’immigration comme un électorat qu’on peut acheter comme la droite l’a fait à Corbeil ou séduire à l’aide de politicienNEs qui accèdent à des responsabilités et font miroiter le mythe d’une émancipation (comme Samia Ghali à Marseille).

La gauche mythifie les « Lumières » sans voir les contradictions de ce mouvement historique notamment vis-à-vis des coloniséEs et de leurs descendantEs. Même dans les courants révolutionnaires, la clairvoyance a été rare au moment des luttes anticoloniales.

Le mouvement social ne doit pas défendre les acquis sociaux contre les populations issues de l’immigration dont la présence serait vue comme une menace contre ces droits. Il s’adresse à touTEs et donc aussi à ce tiers du prolétariat discriminé et stigmatisé. L’égalité des droits est inséparable de la défense des droits existants et de la conquête de nouveaux droits.

Prenons l’épisode des manifestations de protestation au moment du massacre de « Plomb durci » commis par l’armée israélienne. Au début, les forces politiques et syndicales de gauche sont descendues dans la rue. Mais dès qu’elles y ont vu des MusulmanEs, des femmes voilées, des slogans en arabe, elles s’en sont retirées. C’est assez lamentable.

L’antiracisme et l’égalité des droits supposent-ils l’assimilation, l’intégration forcée et l’abjuration de la différence ? Les immigréEs doivent-ils/elles être « blanchiEs » ? Non, mille fois non. L’antiracisme, c’est un enrichissement mutuel, c’est une confrontation pacifique de cultures et d’origines différentes où chacunE peut choisir ce qui aide à son émancipation. Le « vivre ensemble » et l’égalité des droits, ce n’est pas le modèle unique (de la baguette et du béret ?) et l’effacement de la culture d’origine. L’assimilation ou l’intégration doivent être une possibilité de choix et pas une obligation. L’antiracisme, c’est faire que la société d’accueil soit bienveillante et égalitaire, ce n’est pas une injonction.

La condescendance de toute une gauche ou une extrême gauche françaises peut mener loin. Au nom du féminisme ou de la laïcité, certainEs ont désigné les immigréEs comme des arriéréEs. Ils/elles ont repris les odieuses assimilations islam/islamisme. Ils/elles se sont associéEs à des campagnes de stigmatisation. Faut-il citer des noms ? Un groupe comme « Riposte laïque » aujourd’hui rallié au Front National vient d’un courant qui a poussé ses valeurs « républicaines » jusqu’à l’islamophobie la plus décomplexée. Plus grave, dans nos rangs, beaucoup ne voient pas ce qu’un journal comme « Charlie Hebdo » (avec ou sans le sarkozyste Val) est devenu. Ou ne voient pas ce que des « féministes » comme Elisabeth Badinter ou Caroline Fourest charrient sur l’immigration.

Les valeurs universelles ne sont pas par essence occidentales. La laïcité, le féminisme et en général nos « valeurs » sont inséparables de la lutte des classes. Quand ces valeurs servent à stigmatiser des dominéEs, elles tournent le dos à l’émancipation.

Autoorganisation et solidarité

Il y a un enjeu majeur : unifier le prolétariat, donner un sens au vieux slogan : « travailleurs immigrés, travailleurs français, mêmes patrons, même combat ». Il est intéressant de voir qu’à la manifestation des quartiers à Marseille, la fin du vieux slogan : « première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés » avait été remplacée par « nous sommes tous des Marseillais ». Au-delà du folklore local, il y a un sens. Les post-coloniséEs réclament leurs droits, ils ne quémandent pas. Ils sont chez eux.

Il y a en leur sein des tas d’associations avec lesquelles nous pouvons faire une jonction. Les centres associatifs des quartiers permettent souvent la survie de zones sinistrées. Ils assurent le soutien scolaire, la transmission de la culture, l’aide aux chômeurs, la vie associative, la résistance. Les radios libres qui permettent aux quartiers de s’exprimer existent partout.

Il existe, outre QNQF déjà cité, des associations nationales comme l’ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France) ou la FTCR (Fédération Tunisienne des Citoyens des deux Rives). Ces associations laïques combattent virulemment les intégristes dans leurs pays d’origine. En France, ils sont les fers de lance de la lutte contre l’islamophobie car ils savent bien que la stigmatisation frappe tout le monde, croyant ou pas. L’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) a une banderole commune avec ces associations (« Juifs et Arabes unis pour la justice en Palestine ») et deux missions communes ont eu lieu en Palestine. C’est à la fois le meilleur moyen de combattre tous les racismes (antisémitisme, islamophobie) et de donner un sens à la notion du vivre ensemble avec l’égalité des droits. ATMF, FTCR et UJFP étaient ensemble à Argenteuil pour protester contre les attaques impunies contre des femmes.
Faire la jonction avec ces associations laïques et progressistes est une obligation. Casser l’ostracisme dont les quartiers sont victimes, y compris à gauche, est un impératif.

Pierre Stambul

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