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CA 234

Courant alternatif novembre 2013 est sorti

éditorial et sommaire

vendredi 8 novembre 2013, par admi2


édito - Ras-les fronts, page 3, 4

immigration

pages 5, 6, 7, Lampedusa : migrants, un carnage politique

pages 8, 9, 10 Contre le racisme et la xénophobie d’Etat,
l’égalité des droits

répression

page 11, Harcèlement policier et judiciaire à Reims...
page 11 ... et, en Russie, liberté pour les Pussy Riot !

big brother, page 12, 13

santé

pages 14, 15 Psychiatrie : simple toilettage
sur les soins sans consentement

nucléaire

pages 16, 17, 18, Démantèlement des installations nucléaires

aménagement du territoire

pages 19, 20, Morvan, la lutte contre le projet Erscia

pages 21, 22, Notre-Dame-des-Landes, l’assaut ?

entre nous soit dit

pages 23, 24 Les journaux locaux de contre-information

international

pages 25, 26 Guyane, le business du sport au profit
de l’aménagement du territoire

pages 27, 28 Etats-Unis, la grève des fast-foods

pages 29, 30, 31 Chine, travailler en Chine
et dans les usines chinoiseaux porte de l’UE

l’économie en brèves, page 32

EDITO

Ras-les-fronts

Et voilà que nous y sommes une fois de plus : la dernière ligne droite avant les élections municipales est, comme prévu, en train de réduire le débat politique à une pièce de théâtre où s’affrontent le bien et le mal. C’est du moins ainsi que la gauche socialo-écologiste entend mener campagne, et elle sera rejointe par une partie de l’extrême gauche et des antifascistes officiels à mesure qu’approchera la date fatidique du second tour.

Et c’est ainsi que le Front national fonctionnera une fois de plus comme une machine utilisée à droite et à gauche pour des visées électorales et prébendaires sans pour autant faire reculer d’un iota ni un racisme bien réel et en expansion ni un fascisme en partie imaginaire.

Quand le politiquement incorrect
est devenu correct

Pendant des décennies, l’antifascisme a fonctionné en utilisant une recette forgée par des morceaux d’histoire allant du Front populaire à Mai 68 en passant par la Résistance. Il suffisait de désigner, de nommer, d’invectiver pour contenir l’ennemi. Il suffisait d’utiliser des mots et des images basés sur la saga nationale de la résistance au fascisme et à l’envahisseur nazi, en renvoyant telle personne ou ou telle force politique à des valeurs majoritairement réprouvées et dont peu aiment être affublés. Il ne s’agissait surtout pas d’analyser ce qu’on voulait combattre mais de dresser préventivement, à l’aide de clichés et raccourcis historiques, un cordon sanitaire autour de l’ennemi en culpabilisant et en menaçant toute personne susceptible d’être tentée par le mal, ou voulant simplement s’interroger sur ce qu’est réellement cet ennemi dénoncé. De cruelles erreurs ont ainsi été commises. La gauche, en 1958 et après, hurlait : « Le fascisme ne passera pas » à l’encontre de De Gaulle, évitant ainsi de comprendre que le retour au pouvoir du grand homme, fût-ce par un coup d’Etat larvé, ne devait pas grand-chose à un élan dictatorial, mais signifiait d’abord un nouvel élan donné à ce qui fut appelé ensuite les « trente glorieuses », et que la IVe République engluée dans des vieux schémas et dans les guerres coloniales n’était pas en mesure d’accompagner.
En 1968 et après, l’extrême gauche gueulait « CRS-SS » comme si la République n’était pas capable par elle-même de taper durement et de tuer sans pour autant devenir nazie.

La charge émotionnelle de ces apostrophes était à ce point forte que l’adversaire était quelquefois même amené à se justifier de ne point être celui qu’on disait. Cela avait pour effet de renvoyer le présent à une matrice passée, en évitant d’essayer de comprendre que les formes autoritaires les plus extrêmes de gestion de l’Etat pouvaient revêtir les habits les plus divers tout en étant parfois aussi, sinon plus, insupportables que le modèle. Ce faisant, on édulcore le passé en évitant le présent.
Or, progressivement depuis les années 1980, les mots anciens (fasciste, extrême droite…) ont perdu leur force dissuasive. Les mots nouveaux (islamophobe, homophobe, sexiste…) n’ont pas acquis dans la société française la même résonance historique et, qui plus est, ils ne sont même pas connus d’une bonne partie de la population, en particulier de celle qui se tourne vers le FN. Et, de toute façon, l’invective ne fonctionne pas non plus vis-à-vis des personnes qui pensent ne pas être celles que l’on désigne, parce qu’elles estiment que le FN lui non plus n’est pas ainsi… et que de toute manière ce n’est pas le plus important. Bref, le politiquement incorrect de l’époque ne l’est plus autant aux yeux d’une partie de cette population qui se tourne vers le FN parce qu’elle pense que ce parti peut la sortir de la merde ou, du moins, que ça vaut le coup de tenter l’expérience, après celle de la droite et de la gauche ; ou simplement pour faire chier les représentants de celles-ci, qui apparaissent de plus en plus comme un establishment coupé de toute réalité sociale.

La question est sociale, pas morale

C’est à cause de ce qu’ils subissent par rapport aux retraites, salaires, durée du travail, chômage, soins, logement, aides sociales, désertification de leur espace, etc., que ces gens se tournent vers le FN, et moins pour des raisons idéologiques. Mais de cela les socialos-écolos ne disent évidemment rien, puisqu’ils sont justement l’instrument de la mise en œuvre de toutes ces attaques programmées par le patronat contre le salariat modeste et moyen, les ouvriers, les petits agriculteurs et les chômeurs.
Nous sommes là bien loin des questions de morale.
Un récent conflit en cours peut nous donner quelques indications sur les mécanismes qui se mettent en place : celui qui agite les abattoirs Gad, en Bretagne (889 suppressions d’emplois) car il est un modèle réduit de ce qui se joue un peu partout. Le 22 octobre, les salariés du site de Lampaul-Guimiliau, dans le Finistère, promis à la fermeture ont voulu bloquer celui de Josselin, dans le Morbihan, qui doit être préservé dans le cadre du plan de restructuration de Gad SAS. La colère de ces salariés était d’autant plus grande que 15 millions de leurs indemnités (liées à la participation) avaient été supprimés et reversés pour relancer le site de Josselin.

Lorsqu’ils sont arrivés devant l’abattoir, 100 à 150 salariés sur les 650 que compte le site préservé, en tenue blanche de travail, ont repoussé manu militari leurs collègues de Lampaul-Guimiliau  ; puis ils se sont assis sur l’autoroute pour protester contre ces collègues « qui sont en train de perdre leur emploi mais qui, par leur démarche, vont nous faire perdre le nôtre ». Il s’agit là bel et bien d’une milice patronale qui ne dit pas son nom et qui a œuvré en attendant des CRS prêts à prendre le relais.

Jusqu’au début de ce siècle, lorsqu’on parlait de milices ou de syndicats patronaux (par exemple chez Simca, Citroën ou Peugeot), on pouvait sans grand risque d’erreur classer ses membres comme proches du FN ou du SAC, et les ouvriers qui se faisaient casser la gueule étaient plutôt de gauche. Or, dans le cas de Gad, on verrait bien la milice patronale et cette « élite ouvrière » qui veut continuer à travailler, et est très majoritairerement syndiquée à la CFDT, s’accommoder de Hollande en regrettant peut-être Sarkozy. Quant aux autres de Lampaul, à juste titre « écœurés » et majoritairement syndiqués à FO, il ne serait pas étonnant que certains d’entre eux se tournent vers le FN. Eh oui, les temps ont changé !

Face à cela, que peuvent les invectives, les arguments moraux, les rappels aux fondements de la République ? Rien, sinon peut-être renforcer la conviction croissante que ceux qui utilisent de tels arguments sont des donneurs de leçons ne vivant rien de ce que les licenciés subissent, et que l’establishment qui trône sur les étranges lucarnes et s’inquiète de la montée du FN est tout aussi coupé des réalités sociales que le Roi Soleil l’était de son bon peuple.

On ne peut à la fois combattre le fascisme
et œuvrer à la défaite de la classe ouvrière

On l’a dit et redit mille fois, l’éradication du fascisme passe par une dénonciation claire du capitalisme ; et seules les luttes populaires, notamment contre les politiques antisociales (de gauche comme de droite) qui favorisent son éclosion, peuvent faire reculer la tentation autoritaire.
Et se raccrocher à la fiction d’un capitalisme protectionniste et/ou keynésien n’est d’aucun secours. Cela ne permet pas de déceler clairement que la victoire (provisoire ?) de ce qu’on appelle faussement « libéralisme » est en fait une mutation du capitalisme qui s’est réalisée sur une défaite majeure et durable du mouvement ouvrier, même dans sa version la plus réformiste. On voit mal comment des luttes sociales pourraient redémarrer si rien n’est dit sur les liens qui unissent les défaites successives du salariat, sur les combats non menés (sur l’intérim, les CDD, la flexibilité, etc.). Autant d’abandons et de défaites qui ont, petit à petit, contruit le sentiment d’impuissance et le fatalisme dans la classe ouvrière, et entraîné la montée d’une colère teintée de racisme, de xénophobie et d’individualisme.

Il ne faut pas non plus oublier que la « défense des intérêts de la nation » a été historiquement avancée par le mouvement ouvrier, notamment le PCF et la CGT. On ne rappellera jamais assez ce que furent les bulldozers de Vitry le 24 décembre 1980. Ce jour-là, 300 Maliens quittent leur foyer de Saint-Maur pour être hébergés dans un bâtiment en cours de rénovation à Vitry. La section du PCF de la ville réagit par l’action d’un commando équipé d’une pelleteuse, et, avec le soutien de la direction du Parti, s’emploit à faire s’écrouler l’entrée du foyer pour empêcher les nouveaux occupants d’y rentrer. Il s’agit là d’un véritable événement fondateur de la lente et inexorable montée de la popularisation par la gauche des thèmes racistes du FN.

Un mois et demi plus tard, Robert Hue, le maire communiste de Montigny-les-Cormeilles, organise une campagne d’une rare violence contre des immigrés accusés sans preuve de se livrer au trafic de drogue. Plus près de nous, la politique de Voynet à Montreuil, l’expulsion en plein hiver de travailleurs à Bagnolet en 2010 par une municipalité de gauche, la politique de Valls ne sont que des épisodes parmi d’autres de la banalisation du rejet de l’immigré.
Le national-populisme et les « mouvements nationalistes » sur lesquels prospère l’extrême droite ne sont pas tombés du ciel ni de la seule volonté de la bourgeoisie : ils sont aussi le produit de la lutte de classes telle qu’elle a eu lieu, celui du syndicalisme majoritaire et devenu hégémonique à partir des années 1920 et qui s’est consolidé après-guerre.

Les multiples exactions commises par des petits groupes nazis doivent évidemment être combattues politiquement et physiquement dans toutes les villes où elles ont lieu. Mais, en toute logique, si le combat contre le fascisme se doit de passer par une critique du capitalisme et une lutte contre l’offensive dite « libérale  », on voit mal comment on pourrait conclure des alliances « antifascistes » avec des forces qui défendent le capitalisme et mettent en œuvre les politiques antisociales. Les désistements de dernière minute, « en se bouchant le nez », pour barrer la route au FN au nom d’un front républicain risquent fort de nourrir encore davantage le mal qui est censé être combattu.

CJ Poitou

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