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L’islamophobie en France Sainte Laïcité clivante priez pour nous !

samedi 20 avril 2013, par Courant Alternatif


L'islamophobie en France <br> Sainte Laïcité clivante priez pour nous !

Institutionnel et commun, particulier et quotidien, le système dans lequel nous vivons baigne dans le racisme et la peur de l’autre. Le terme « islamophobie » rentre dans la catégorie de ces mots où l’opacité le dispute à l’intensité.
Contrairement à ce que les stéréotypes de base véhiculent, la diffusion de l’islam dans les régions françaises ne date ni de la fin de la guerre d’Algérie ni des attentats du 11 septembre 2001, même si depuis ces derniers événements, la « musulmanophobie » - à contrario de parler d’« islamophobie » tant ce terme présente des controverses profondes - a pris des proportions beaucoup plus importantes très rapidement.

L’islam est présent en Europe depuis de nombreux siècles. Qu’il s’agisse entre autres de la France, de la Grèce, de la Turquie, des pays balkaniques, de l’Espagne ou de la Sicile, l’interpénétration des communautés religieuses est effective de longue date.

Certes, l’historicité des religions nous prouve sans l’ombre d’un doute que dès qu’il s’agit de se massacrer plus ou moins systématiquement les uns les autres et de s’opprimer, nulle objection n’est réellement invoquée, comme disait l’autre : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». En effet, au-delà des dogmatismes, le respect et la tolérance ne sont pas des finalités strictement religieuses, finalités que les porteurs d’encens de tous bords voudraient bien nous faire croire détenues par leurs chapelles respectives. Les religions ainsi que leurs représentants ne sont que des vecteurs du capitalisme, nous savons pertinemment que seuls leurs prébendes les intéressent au final. Cependant, chacun est libre de s’adonner aux billevesées qui le rassurent tant qu’elles restent de l’ordre de la sphère individuelle. Mais où s’arrête la tolérance et où commence le radicalisme religieux ?

Actuellement en France, l’islam est devenu la seconde religion la plus pratiquée après le christianisme[1]. Mais tout comme ce dernier, la religion musulmane ne se présente pas de façon globale, car elle incorpore toute une pléiade d’expressions diverses, de pratiques et de traditions diverses (sunnisme, chiisme, soufisme, malékisme, alévisme...)

Nous osons espérer que nul besoin n’est ici de démontrer les caractères iniques et la nocivité entraînés dans leurs sillages par les religions sur l’esprit des femmes et des hommes au travers de l’ensemble d’une population. La « musulmanophobie » n’est qu’un outil de domination et d’asservissement parmi d’autres, il n’est qu’un vecteur de xénophobie au milieu de l’offensive permanente alimentée par les forces réactionnaires.
L’obscurantisme d’état et/ou religieux n’est jamais loin et aucun mot n’est innocent, le terme « islamophobie » n’échappe pas à la règle. Il convient de nous interroger sur les sens qu’il revêt ainsi que sur ceux qu’il sous-entend.

Un mot à géométrie variable

Les sources semblent limoneuses et se confondent concernant l’origine de ce mot. L’une d’elles, tout aussi peu fiable que les autres l’attribue à la révolution iranienne durant les années 80 où des mollahs auraient qualifié des féministes de ce pays par ce terme en les désignant ainsi comme des mauvaises musulmanes, car ne portant pas le voile.

Quoi qu’il en soit, le terme « islamophobie » est un néologisme qui désigne l’opposition, la peur, ou les préjugés à l’encontre de l’islam et par la suite la peur et le rejet des personnes de confession musulmanes.

L’« islamophobie » réfère théoriquement à l’hostilité envers l’islam, ou une attitude considérée comme discriminatoire à l’encontre des personnes de cette religion et par amalgame des résidents d’origine maghrébine ou arabe. D’autres occurrences[2] issues d’une littérature coloniale évoquent ce terme dès 1910 en langue française. Peu importe l’origine étymologique à laquelle l’on se réfère, il est indéniable que le racisme envers les résidents d’origine maghrébine ou arabe est une réalité concrète qui remonte à des époques anciennes. Certes, de nos jours, d’autres communautés telles celles des Rroms par exemple sont aussi très largement stigmatisées par l’oppression de l’État et l’information matraquée en boucle par tous les médias pour imprégner la peur dans les ménages. Les boucs émissaires changent selon les époques, mais pas les procédés consistants à les désigner : cathares, juifs, homosexuels, palestiniens, protestants, immigrés, communistes et anarchistes entre autres, la liste est sans fin. Le seul ennemi à désigner est celui qui divise.
Il est très intéressant de noter que ce concept présente une résonance sociale particulière : son emploi est très largement galvaudé par ses usagers. Dans la bouche et les oreilles de beaucoup de personnes, son emploi est manifestement utilisé comme une charge violente, un anathématisation marquant le front de son interlocuteur d’un sceau d’opprobre le désignant à la vindicte si vous nous passez notre lyrisme. Bref, ce mot, comme peuvent l’être les mots « fasciste » ou « antisémite » présente des usages à géométrie variable selon qui l’emploient et à qui il s’adresse.

Ainsi, on peut aussi bien l’entendre dans le discours d’un musulman radical véhiculant une vision rétrograde et archaïque de l’islam que dans ceux d’intellectuels goguenards, faussement laïcs, souhaitant défendre des valeurs « républicaines ». Ne nous y trompons pas, car il ne s’agit ici que d’une forme de racisme respectable, bon teint, car il est employé avant tout pour désigner les musulmans. Un terme bouc émissaire comme le sont « les jeunes des quartiers » ou les « gens du voyage », autrement dit : la souplesse stylistique de l’euphémisme au service de l’ostracisme.

L’argument anti-islamique a toujours été un argument fort utile pour ceux qui souhaitent légitimer leur haine de l’Arabe et leur refus de l’accueillir[3], mais avoir peur de quelque chose n’est absolument pas identique à ne pas aimer quelque chose. On peut d’ailleurs observer la puissante résurgence de stéréotypes coloniaux justifiant des pratiques discriminatoires à l’encontre des musulmans. L’islam est perçu comme violent, agressif, menaçant (la fameuse phobie !) et forcément soutenant le terrorisme, ce regard est tout droit issu de l’imaginaire raciste : choc des civilisations, religion utilisée au service d’une idéologie politique et à des fins politiques et militaires.

L’islam est aussi perçu comme un bloc monolithique, statique, incapable de répondre aux changements et il est vrai que rarement les religieux radicaux furent à la pointe du progressisme, mais cela quels que soient leurs bords. Toujours dans le principe de cette même vision homogénéisatrice, l’islam est vu comme inférieur, car barbare, irrationnel et sexiste. D’un autre côté, la culture catholique traditionnelle peut aussi s’enorgueillir d’être un modèle de vertu civilisatrice de l’inquisition à nos jours. Concrètement, l’hostilité anti-musulmane est devenue pour nombre de nos contemporains une chose naturelle et normale[4].

Un phénomène psychosocial

Le développement de la haine ou de la peur du musulman et de sa religion est liée en partie à des processus inconscients.
Wilhelm Reich, l’un des fondateurs du Freudo-marxisme et de l’École de Francfort démontra dans un de ses ouvrages[5] que les individus créent des stéréotypes qu’ils projettent sur autrui et que ceci influence activement la société et les comportements humains.

Ces stéréotypes engendrent une fausse conscience et c’est là l’une des grandes contributions de l’École de Francfort que l’analyse de cette fausse conscience.
Celle-ci a fait l’objet d’une investigation systématique à un moment où les idéologies racistes se développèrent et où elles furent tout particulièrement imprégnées d’antisémitisme.

Dès la fin de la guerre, en 1947, d’autres sociologues tels que Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, posaient à leur tour la question centrale de Wilhelm Reich sur la psychologie de masse et tentaient d’apporter une réponse théorique à « la mystérieuse disposition qu’ont les masses à se laisser fasciner par n’importe quel despotisme, leur affinité autodestructrice avec la paranoïa raciste »[6].

La critique de l’assujettissement par la propagande industrielle d’un système tout entier, système centré sur la froide rationalité de la domination est nécessaire. Cette « mystification des masses » est liée à l’administration totalitaire des choses ou de leur faux-semblant et nous amène à la critique de la culture de masse ; « masses démoralisées par une vie soumise sans cesse aux pressions du système [et] dont le seul signe de civilisation est un comportement d’automate susceptible de rares sursauts de colère et de rébellion ». Exposées aux injonctions idéologiques (publicitaires mercantiles), les masses se retrouvent englouties au cœur d’un système d’aliénation ce qui chez Adorno et Horkheimer débouche sur la critique impitoyable d’une « société de désespérés [...] proie facile pour le gangstérisme ».[7
Mais c’est surtout le gangstérisme de masse fasciste, en tant que dissolution totale et totalitaire des Lumières, qui méritait d’être soumis à l’analyse critique, et notamment à l’aune de son fondement idéologique : l’antisémitisme. « Les fascistes ne considèrent pas les Juifs comme une minorité, mais comme l’autre race, l’incarnation du principe négatif absolu : le bonheur du monde dépend de leur extermination ».[8]

L’intérêt théorique de l’œuvre fondatrice de Theodor W. Adorno et Max Horkheimer était aussi de pointer le rôle des stéréotypes et des étiquettes dans les préjugés antisémites (racistes)  :
« L’antisémitisme n’est pas une caractéristique de l’étiquette antisémite, c’est un trait propre à toute mentalité acceptant des étiquettes. La haine féroce pour tout ce qui est différent est téléologiquement inhérente à cette mentalité ».[9]

Tous nous sommes concernés par ces étiquettes, bien souvent à notre insu, dans un mouvement, une parole, une expression, une pensée, mais ce n’est pas grave de se reprendre, ça l’est plus quand on considère comme vérité le stéréotype. Se reprendre et s’auto-éduquer est à la hauteur de chacun.[10]
Cet intérêt est aussi à étendre à d’autres formes de rejets de l’autre dans lequel on ne reconnaît aucun alter ego. Les travaux effectués par Reich, Adorno ou Horkheimer peuvent aussi bien s’appliquer aux personnes qui rejettent les différences culturelles ou cultuelles de l’islam et ainsi transposer les mêmes craintes internalisées et autres angoisses disproportionnées qu’eurent d’autres masses en d’autres temps vis-à-vis de la judaïté ou de toute autre ipséité.

Quant à la phobie, elle est une peur irrationnelle par définition, et dans ce cas précis, il s’agit d’une peur qui est savamment instillée et reproduite, partant des élites et des classes dominantes pour être assimilée tout du long de l’échelle des classes sociales.

Peu importe ce que certains théoriciens et leurs usages hypocrites et délirants de ce mot en disent, c’est toujours la personne et ses croyances qui étaient/sont/seront visées et non ses idées. Mettre au ban une communauté : sexuelle, ethnique ou religieuse, c’est simplement se déresponsabiliser de façon plus ou moins conscientisée vis-à-vis des autres.

Une laïcité clivante et en vase clos

En France, la laïcité fut forgée lors de la Révolution française pour mettre l’Église catholique à l’écart des affaires politiques. Querelle de puissants encore une fois. Aujourd’hui encore l’on peut assister et subir ces travers jacobins et centralistes tout droit issus du républicanisme.

C’est une sainte laïcité qu’il faut révérer sous peine d’excommunication républicaine. Disons-le clairement, de nos jours on a moins à craindre des pouvoirs publics si l’on est de confession juive ou chrétienne que si l’on est de confession musulmane. Toutes les communautés ne sont pas traitées de la même façon. Quels sont les intérêts en jeu pour nécessiter ces clivages ? Si la religion musulmane est la seconde plus pratiquée en France, l’État français ne craindrait-il pas que sa domination politique ne soit ébranlée par celle de l’islam ? Querelle de puissants encore une fois.
Notons aussi qu’avec l’ampleur de la crise économique, l’excitation des peurs collectives est d’autant plus renforcée par les médias que certaines langues se délient.

Les récents propos de l’actrice Véronique Genest concernant l’islam ainsi que le battage médiatique y afférent en sont révélateurs. Nous ne sommes pas dupes de cette ambiance pré-apocalyptique entretenue pour nous pressuriser encore plus. L’État français ne peut concevoir qu’un islam policé s’intégrant parfaitement aux valeurs du pays d’accueil, mais avancer cet argument n’est-il pas tout aussi stigmatisant pour la religion musulmane que pour les autres ? Alors quoi ? Il y aurait donc des bons et des mauvais musulmans ?
En effet, les pouvoirs publics entretiennent une vision de l’islam monolithique et sans aspérités. Alors que c’est tout le contraire, et que c’est seulement auprès des religieux les plus radicaux que l’on retrouve cette vision homogénéisatrice de la communauté religieuse. Il est assez intéressant de renvoyer les laïcards et les religieux radicaux les uns aux autres dans leurs discours, car en fin de compte, le corollaire de l’« islamophobie » est une vision cloisonnée et de la laïcité. On n’a fait que travestir le racisme en y ôtant le rapport direct à la « race ». Car au final, même mutant, le racisme est-ce qu’il est : une volonté délibérée de refuser l’altérité, une projection de ses propres frustrations sur l’autre et l’on retrouve ce schéma aussi bien chez le connard lambda que le connard alpha. Autant dire que pour les musulmans de France, ça sent le fagot s’ils ne sont pas assez français et la ratonnade s’ils sont trop maghrébins.
Accrochez-vous à vos élastiques, Riposte laïque n’a qu’a bien se tenir : « Et, bien sûr, jamais la moindre condamnation des provocations antichrétiennes pourtant incontestables. On se souviendra pourtant que la même famille socialiste n’avait pas manqué de dénoncer les « provocations »lorsque l’actualité s’était arrêtée sur une obscure bande-annonce — circulant uniquement sur Internet — d’un film se moquant de Mahomet ou sur une caricature blessante pour les musulmans, publiée dans Charlie Hebdo. Le parti socialiste confirme ainsi ce que beaucoup savaient déjà : au nom de la laïcité républicaine, il s’émeut de toute « islamophobie » tout en applaudissant chaque démonstration de « christianophobie ».
Pour les fondamentalistes de la laïcité, l’ennemi c’est le christianisme. Il est essentiel que chaque catholique en prenne conscience ».[11]

Après ces réjouissances fascistoïdes, revenons à nos principes fondamentaux d’ouverture à l’autre et du respect de sa personne ainsi que de sa liberté inconditionnelle de croire (ou pas) à une vérité de son choix, révélée ou pas. Car tous ceux qui se gargarisent de détenir une vérité intangible au nom d’humains ou de dieux représenteront toujours un danger pour les esprits progressistes.

En accord avec les idées et les actions de Pierre Tévanian, il est préférable de promouvoir une laïcité ouverte aux autres cultures, sans nivellements. « Il n’est évidemment pas question pour nous de dicter la bonne manière de penser ou de parler (...) mais si nous ne prétendons pas connaître la bonne façon de parler, nous considérons qu’il y en a indéniablement de mauvaises ».[12]

Comme les mots ont leur importance, il est souhaitable de les circonscrire à leur juste valeur. N’importe quelle graine de fanatique niera tout ceci envers et contre tout à ses propres fins.

En conclusion, la séparation de l’Église et de l’État fut une bonne chose dans la mesure où l’on avait enfin le choix. Le choix entre la peste ou le choléra à la place de la peste ET du choléra. Ne crachons sur aucun effort. Trêve de méchanceté, car malgré cette séparation et l’instauration de la laïcité, on assiste aujourd’hui à l’altération de son sens et à la perversion de nobles valeurs, telles que la tolérance et l’équité. L’État et les autorités religieuses relèvent des mêmes schémas plus ou moins nuancés : hiérarchie rigide, soumission à l’autorité, uniformisation de la pensée et prohibition de toute velléité collective, car tout doit venir d’en haut.
Un gouffre sépare ce que la laïcité évoque et la façon dont elle est pratiquée par la République française ; cette belle égalité républicaine déclarant qu’aucune opinion n’est au-dessus des autres et que tout le monde est égal devant le droit de l’acquisition aux savoirs. La liberté, l’égalité et la fraternité c’était pourtant un bon programme au début.

Malgré tout, chacun est influencé par ses propres croyances consciemment ou pas (les auteurs de cet article inclus). Dans quelle mesure faire la part des choses ? Comment est-il possible de répondre de façon collective à ce problème ?

L’anticléricalisme à la française a-t-il payé ? Certes, les églises sont vides, mais les supermarchés sont toujours pleins. Quoique de nos jours...
Chacun détient à sa mesure une parcelle de vérité, vérité du vécu, du collectif, du partagé et de l’expérimenté. À quelle autre vérité que le partage peut-on se fier ?

Le terme « islamophobie » n’est qu’un simple mot, et ce, malgré la noria de sens qui gravite autour de lui. Ce n’est qu’un mot, mais c’est aussi un outil, une tactique de manipulation employée par l’État afin de diviser pour mieux régner. C’est un mot qui discrimine, un mot qui désigne une peur collective, et qui jamais n’invoquera la critique raisonnée et claire de l’islam.

Aurélien et Mamatt

OCL Strasbourg, mars 2013

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Notes

[1] Absence de données statistiques fiables à ce sujet

[2] Alain Quellien, La politique musulmane dans l’Afrique-Occidentale française, E. Larose, Paris 1910. Le terme islamophobie y paraît page 133 comme titre d’une sous-partie.

[3] Le Nouvel observateur, 23 novembre 1989

[4] Islamophobia : a challenge for us all-organisation anti-raciste - organisation anti-raciste britannique Runnymede Trust.

[5] Wilhelm Reich, La psychologie de masse du fascisme, Paris, 1977

[6] Horkheimer (Max) et Adorno (Theodor W.), La Dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974, p. 16,

[5] Adorno (Theodor W.), Prismes : critique de la culture et société, Paris, Payot, 1986  et Horkheimer (Max), Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1974.

[7] Horkheimer (Max) et Adorno (Theodor W.), La Dialectique de la raison, op. cit. p. 161.

[8] Ibid., p. 177.

[9] Ibid., p. 215.

[10] Marianne Nizet, « Wilhelm REICH. La Psychologie de masse du fascisme » in Les cahiers psychologie politique, numéro 7, juillet 2005.

[11] Alain Escada, président de CIVITAS

[12] André Tévanian et Sylvie Tissot lors de la création en 2000 du collectif « Les mots sont importants »

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3 Messages

  • Il est faux de dire :
    "Wilhelm Reich, l’un des fondateurs du Freudo-marxisme et de l’École de Francfort (...)".

    "Wilhelm Reich, initiateur du Freudo-marxisme" aurait par exemple suffit... L’acte de fondation de ce que l’on nomme "Ecole de Francfort" a plus à voir avec Horkeimer. Par contre l’Ecole de Francfort, effectivement, se référera souvent à la "psychologie de masse du fascisme".

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  • Ruwen Ogien, philosophe et auteur de La Guerre contre les pauvres commence à l’école : sur la morale laïque a très gentiment accepté de répondre à nos questions pour le site Questions de classe(s). Nous vous livrons son analyse du projet de Vincent Peillon de rétablissement de la morale à l’école.

    Questions de classe(s) - Avec La Guerre contre les pauvres commence à l’école : sur la morale laïque (1) vous nous proposez un livre « sur » l’actualité qui s’ouvre en montrant que ce retour prôné par Vincent Peillon est tout sauf original et qu’il s’inscrit à la fois dans la nostalgie de l’école d’antan et dans le mouvement de revanche contre « l’esprit 68 » déjà porté par ses prédécesseurs. La nouveauté serait surtout que Vincent Peillon pourrait réussir à convertir la gauche au conservatisme scolaire, comme elle s’est convertie au libéralisme ou à la pensée sécuritaire...

    Ruwen Ogien - Ce que la pensée conservatrice a de plus frappant, c’est sa vision moraliste des urgences politiques. Pour ceux qui la propagent, le problème principal de nos sociétés n’est pas l’accroissement considérable des inégalités de richesse et de pouvoir, le traitement inhumain des immigrés sans papiers, ou les atteintes à la vie privée par le fichage clandestin et la surveillance illégitime des communications. Non. Ce qui les préoccupe, c’est l’effondrement d’un certain ordre moral fondé sur le goût de l’effort, le sens de la hiérarchie, le respect de la discipline, le contrôle des désirs, la fidélité aux traditions, l’identification à la communauté nationale, et la valorisation de la famille « naturelle » et hétérosexuelle. Logiquement, la priorité, pour les conservateurs, n’est pas d’améliorer la condition économique des plus défavorisés, ou de mieux protéger les droits et les libertés de chacun. Elle est de restaurer cet ordre moral.

    Le projet de ramener la morale « laïque » à l’école séduit manifestement beaucoup de monde, à droite comme à gauche. Il repose cependant sur une idée profondément conservatrice : le problème principal de l’école ne serait pas qu’elle manque de moyens matériels, et qu’elle est incapable, aujourd’hui, de compenser les injustices causées par un système économique et social profondément inégal. Non. Le problème, c’est l’immoralité des élèves, plus exactement l’immoralité des élèves des quartiers défavorisés ! Car pourquoi auraient-ils besoin de cours de morale, s’ils étaient déjà moraux ?

    En affirmant que la France a besoin d’un « redressement moral » avec des accents réactionnaires un peu gênants pour tous ceux qui veulent soutenir ce gouvernement, l’actuel ministre de l’Éducation nationale, dont les engagements à gauche sont pourtant incontestables, consacre l’hégémonie de la pensée conservatrice sur le sujet de l’école, comme d’autres ministres de gauche l’ont consacrée, par leurs déclarations, sur l’immigration ou la sécurité. C’est une tendance qu’il faut, je crois, essayer de combattre sans se lasser.

    Q2C - Ce qui distingue aussi le projet de Vincent Peillon de celui de ses prédécesseurs, c’est l’adjectif « laïque » accolé au terme de morale. Comment comprendre cette démarche et ses impasses ?

    R. O - Il ne faut pas être naïf. On ne peut pas ignorer ce que sont devenus les mots « laïque » et « laïcité » dans le débat public aujourd’hui.

    Loin d’exprimer la défense de la justice sociale, des droits et des libertés individuelles, comme ce fut le cas à certains moments de l’histoire, les mots « laïque » et « laïcité » servent à glorifier la Nation et ses « traditions » (gros rouge et saucisses de cochon, entre autres), et de discréditer les minorités religieuses qui ont le « culot » de revendiquer l’égalité dans la possibilité de s’exprimer publiquement et de vivre selon leurs propres habitudes culinaires ou vestimentaires.

    Pour éviter ce danger, il faudrait dire et répéter que l’usage public des mots « laïque » et « laïcité » ne vise nullement à étouffer le pluralisme des mœurs, la diversité des habitudes culinaires et vestimentaires, à rejeter les revendications présentes à l’expression publique des minorités religieuses, ou à stigmatiser telle ou telle population déjà défavorisée. Ce que le ministre ne fait pas suffisamment à mon avis.

    C’est pourquoi je me suis permis de suggérer que son projet peut parfaitement être compris comme visant en priorité, les jeunes des quartiers défavorisés, généralement accusés d’être trop sensibles à l’appel de l’intégrisme religieux musulman, d’être trop violents et trop incivils, des jeunes dont tout le monde semble penser qu’il serait urgent de les « discipliner », et de les ramener dans le « droit chemin » de l’uniformité républicaine.

    En effet, même si sa portée est plus large dans l’esprit du ministre, c’est ainsi que son projet d’enseignement de la morale laïque est généralement interprété, et c’est ce qui explique pourquoi il suscite un tel enthousiasme, même à l’extrême droite… et même chez les croyants catholiques !

    Selon un sondage IFOP effectué du 4 au 6 septembre 2012, après que Vincent Peillon ait annoncé pour la première fois son projet d’un enseignement de morale laïque, 86% des catholiques étaient pour des cours de morale laïque ! (Dimanche Ouest-France, 8 septembre 2012). C’est quand même significatif. Même les plus catholiques semblent apprécier la laïcité lorsqu’elle est comprise ainsi !

    En fait, le ministre de l’Éducation nationale n’a probablement pas l’intention, par son projet, de stigmatiser une population Il vise plutôt à obtenir une sorte de consensus sur ses projets de réforme de l’école, et il sait que l’idée d’un retour de la morale peut servir de base à ce consensus, parce qu’elle est approuvée par la majorité des citoyens. Mais le danger politique de voir la morale dite « laïque » mise au service de la stigmatisation des musulmans existe clairement à mon avis.

    Q2C - L’ouvrage aborde cet enseignement de la morale d’un point de vue philosophique. Mais c’est aussi une réflexion pédagogique puisque vous y poser la question de la possibilité d’un tel enseignement, de ses modalités et surtout de son efficacité. Quelle conclusion en tirez-vous ?

    R. O. - Le projet de faire revenir la morale à l’école part du postulat que la morale peut s’enseigner au moyen de cours et d’examens, comme si c’était une connaissance théorique du même genre que la physique - chimie ou l’histoire - géographie.

    Il ne tient pas compte du fait que ce postulat n’a rien d’une vérité d’évidence, et qu’il est disputé depuis l’antiquité. La morale peut-elle s’enseigner ? Et si son enseignement est possible, doit-il se faire de façon magistrale au moyen de cours et d’examens ? Ne consiste-t-il pas plutôt à montrer l’exemple, et à donner l’envie de le suivre ? Les examens de morale devront-ils vérifier, la connaissance de l’histoire des idées morales, celle des principes de la morale, ou la moralité des conduites de l’élève ? L’élève devra-t-il seulement montrer qu’il sait ce qu’est la vertu, ou devra-t-il prouver qu’il est devenu vertueux grâce au programme ?

    Toutes ces questions philosophiques se ramènent en fait à une seule plus terre-à-terre : l’enseignement de la morale laïque devra-il ressembler à celui des sciences naturelles ou de la natation ? Savoir nager ne consiste évidemment pas à être capable de décrire les mouvements de la brasse sur une copie d’examen ! Et si apprendre la morale laïque, c’est comme apprendre à nager, si c’est la transformation des conduites de l’élève qui est visée, comment sera-elle évaluée ? En soumettant l’élève à des tentations (tricher, voler, mentir, tromper, etc.) pour voir s’il y résiste ? En instaurant une surveillance permanente des élèves en dehors de l’école par des agents spécialisés ? En construisant des confessionnaux « laïques » où l’élève devra avouer au professeur de morale ses péchés contre le « vivre ensemble » ou le bien commun ?

    Finalement, lorsqu’on s’interroge sur la possibilité même d’enseigner la morale à l’école, on ne peut pas éviter de se poser des questions plus générales sur le contexte dans lequel les professeurs sont censés inculquer les valeurs suprêmes de la République : liberté, égalité, fraternité. Comment un enseignement de la fraternité peut-il être dispensé dans le contexte d’un système qui cultive la concurrence acharnée entre les élèves et les établissements scolaires ? Comment un enseignement de la liberté et de l’égalité pourrait être donné dans le contexte d’une institution organisée comme une armée, outrageusement centralisée et hiérarchisée, où les enseignants souffrent plus, finalement, de mépris et du contrôle permanent de leurs supérieurs que des provocations de leurs élèves ?Pour certains observateurs que l’état présent de l’école en France préoccupe, ce qu’il faudrait pour améliorer les choses, ce n’est pas plus d’autorité, de surveillance, de contrôle, mais plus de démocratie à tous les niveaux. En ce qui concerne les conduites « antisociales » à l’école, par exemple, ils constatent que les établissements dans lesquels les élèves participent à l’élaboration du règlement intérieur sont, par la suite, les moins exposés aux actes de violence. Cette hypothèse n’est probablement pas acceptée par tout le monde, mais elle mérite d’être explorée. En tout cas, s’il fallait choisir entre deux moyens de rendre l’école plus satisfaisante pour ses membres, enseignants et élèves, ou bien introduire plus de démocratie à tous les niveaux, ou bien restaurer des cours de morale laïque, je n’aurais personnellement aucune hésitation. Ce ne serait pas les cours de morale !

    Q2C - Le titre frappe fort, et, à première vue le lien entre « la guerre contre les pauvres » et la morale laïque ne semble pas immédiat. Est-ce que vous pouvez éclairer le rapport que vous établissez entre les deux ?

    R. O. - De nombreuses enquêtes montrent que l’explication de la pauvreté par la paresse n’a cessé de gagner du terrain dans le monde « occidental » au cours des années 1990, au détriment de l’explication par les phénomènes macro-économiques. Voyez par exemple celles dont fait état Nicolas Duvoux dans son excellent livre Le nouvel âge de la solidarité. Pauvreté, précarité et politiques publiques (2012).

    L’idée qui se répand à nouveau, comme si on revenait au XIXe siècle, c’est que si vous êtes riche, c’est que vous le méritez, et que si vous être pauvre, c’est de votre faute. Vous ne vous levez pas assez tôt, vous ne cherchez pas un emploi avec suffisamment de persévérance, vous préférez être assisté, et ainsi de suite.

    On cherche de plus en plus massivement à « blâmer la victime ». C’est ce que j’appelle la guerre intellectuelle contre les pauvres.

    Cette guerre aux pauvres s’exprime aussi dans les tentatives d’expliquer la situation des plus défavorisés par des déficits moraux des individus, plutôt que par les effets d’un système social injuste à la base, et d’une redistribution des bénéfices de la coopération sociale et économique qui ne permet pas de compenser les handicaps initiaux.

    À mon avis, le retour de la morale à l’école exprime aussi cette philosophie, Mettre l’accent sur la nécessité de la morale à l’école permet de diminuer l’importance du facteur social dans l’explication de la violence et de l’échec scolaire. C’est en ce sens qu’on peut dire du retour de la morale à l’école qu’il est un nouvel épisode dans la guerre intellectuelle contre les pauvres, visant, comme les précédents, à les rendre responsables des injustices qu’ils subissent. S’ils échouent, c’est parce qu’ils sont immoraux.

    Q2C - Une telle annonce semble finalement avoir pour objectif de détourner les regards des véritables enjeux scolaires du moment et d’offrir une grille d’analyse conservatrice et réactionnaire de l’école. Le texte reste assez discret sur ces questions et en particulier, puisque c’est l’un de vos objets d’étude en tant que philosophe, sur la question sociale. Comment faites-vous le lien entre cette question sociale et l’école. Que pensez-vous par exemple des réflexions et des pratiques visant à faire advenir une « pédagogie sociale » ?

    R. O. - Pour ceux qu’on appelle les « nouveaux réactionnaires », l’école serait en pleine « décadence » parce qu’elle serait devenue trop démocratique (les élèves ne se lèvent plus à l’arrivée des professeurs, ils ont leur mot à dire sur des problèmes d’organisation interne de l’école, et les parents aussi : quel scandale !), trop pluraliste en matière religieuse (on peut manger « halal » ou « cachère » dans certaines cantines : où sont passées nos traditions ?), trop tolérante à l’égard des attitudes plus décontractées, et plus libres des jeunes d’aujourd’hui (on s’habille comme on veut, on flirte dans la cour, on fume à la sortie : on est passé directement de l’école - caserne aux maisons closes !)

    Ces critiques ne sont pas nouvelles, et elles rencontrent un certain écho chez les plus nostalgiques de l’école du passé.

    Ce qui est nouveau, c’est que certains penseurs veulent en tirer des conclusions agressives contre la démocratie, le pluralisme moral et religieux, et la tolérance en matière de mœurs en général. Du fait que, d’après eux, ces principes ne marchent pas à l’école, ils affirment qu’ils ne peuvent marcher nulle part !

    Le raisonnement est fallacieux du début à la fin. D’abord, ces principes ne marchent pas plus mal que ceux qui autorisaient les maîtres à tirer les oreilles des élèves, ou qui forçaient les élèves à cacher leur appartenance religieuse quand elle n’était pas chrétienne. Ensuite, même si ces principes ne sont pas pertinents pour l’école, il ne s’ensuit pas qu’ils ne peuvent pas l’être ailleurs.

    Il n’empêche qu’un discours radical sur les ravages de la démocratie, du pluralisme et de la liberté prospère sur le fond d’une description effrayante de la vie quotidienne dans les établissements scolaires des quartiers populaires.

    Ce que j’ai voulu, montrer, dans mon livre, c’est que contrairement à ce que les nouveaux réactionnaires proclament dès qu’on leur donne l’occasion de s’exprimer, ce dont l’école souffre, ce dont nous souffrons en général sans la société, ce n’est pas de l’excès de démocratie, de pluralisme moral et religieux, et de libertés individuelles, mais des restrictions de plus en plus fortes à la démocratie, au pluralisme, et à la liberté.

    Propos recueillis par Grégory Chambat pour Q2C

    (1)Grasset, 2013, 168 p., 14,50 €

    Voir en ligne : Question de classe(s)

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  • A noter que cet article a été refusé par Indymedia Paris au prétexte d’un lien avec Tevanian considéré par eux comme un "conspi" pas dans la ligne ! Il y a quelques jours également Indy paris a refusé de passer l’annonce d’un débat à Toulouse avec Pierre Stambul, non parce que c’était à Toulouse mais parce que ce dernier est à l’UJFP et que l’UJFP est accusé de complicité avec le site "Le grand soir", lui aussi "conspi", louche, "rouge brun, etc. En gros la police de la pensée va fouiller dans les agendas pour savoir "qui fréquente qui". Avec de telle méthodes on n’est près de faire reculer la vraie extrême droite, celle de l’allliance entre une partie de l’UMP et le FN. Pendant ce temps de petits fouille merde continue de faire des listes de dénonciation idélogique.
    En revanche Indy Paris n’hésite pas (évidemment c’est dans la même ligne policière) à publier des textes anonymes comme celui de la"matérielle" dénonçant sans preuve un camarade accusé de harcèlement.

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