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1936 : le Front populaire contre les occupations d’usines

jeudi 20 janvier 2011, par Courant Alternatif

L’affrontement avec le Front populaire a longtemps marqué la culture ouvrière française. Juin 36 puis mai 68 ont revivifié un imaginaire de lutte dont les antécédents se trouvent dans la commune de 1871 ou les révoltes de 1848. Une des supercheries de la vision républicaine de notre histoire a été d’attribuer ces « révolutions manquées » à des étapes nécessaires d’une évolution sociale : les acquis sociaux. Avec les premiers congés payés, elle a drapé les luttes de « justes récompenses », comme pour mieux usurper les contenus souvent radicaux des occupations d’usines. Pendant toute cette période, le discours de la SFIO et du PC a été de combattre une situation révolutionnaire. Les syndicats ont lancé le mot d’ordre de « savoir terminer une grève ».


L’espoir qu’a suscité juin 36 a été comparable à ceux que soulevèrent les événements cités plus hauts. Pendant la période où la SFIO a tenu le pouvoir parlementaire, sa politique a été de tout faire pour aboutir à un « temps de pause ». Dans le même temps, elle se positionnait devant le patronat comme la seule force capable de tenir la barre. Elle a usé de tout un appareil d’État pour réprimer ceux et celles qui débordaient la CGT dans laquelle réformistes et staliniens étaient de nouveau réunifiés aux moments des faits.[1] Cette transformation pragmatique de la social-démocratie l’a amenée, en trois ans, du « Front populaire » au « front national des Français » puis au « front de la guerre », jusqu’à ce que, finalement, avec la même assemblée qui conduisit le Front populaire elle vote les pleins pouvoirs à Pétain...[2]

L’arrivée au pouvoir du Front Populaire : les promesses, les tactiques

Le 6 février 1934, les ligues fascistes (Croix de feu, Camelots du Roy, Action française ou organisations d’anciens combattants) firent défiler plus de 100.000 personnes dans Paris pour protester contre le renvoi du préfet de police Chiappe. Elles essayèrent de prendre l’Assemblée nationale, mais en furent repoussées par les flics. Pendant la nuit, des affrontements violents opposèrent place de la Concorde les fascistes et les policiers à de jeunes travailleurs.
Si, du côté parlementaire, les ligues réussirent à faire tomber le gouvernement radical de Daladier[3] et à imposer un gouvernement réactionnaire autour de Laval, les journées de février 1934 ont amorcé, par la défaite des ligues, un sentiment d’unité dans la classe ouvrière.
Cette unité s’est faite sur la base assez vague de l’antifascisme mais surtout le sentiment collectif d’un rapport de force qui a certainement été le point de départ des occupations d’usines de juin 36. Suite aux mobilisations persistantes qui ont fait suite au 6 février 34, la SFIO et le parti communiste ont tenté d’absorber ce nouveau rapport de force. Pour faire reconnaître les accords franco-russes, l’URSS se satisfaisait du gouvernement Laval en France qui y souscrivait. Si bien que pour gagner des victoires électorales et un poids parlementaire, la SFIO et le PC se sont tournés vers le parti radical, représentant des classes moyennes, lui même très favorable à ces accords entre États.
Le rôle que Blum joua, par la suite, dans la campagne pour les élections de mai 36, est assez représentatif du positionnement de la social-démocratie française. Entre le radicalisme bourgeois et le national-communisme, Blum inséra un discours politique républicain et jacobin de défense des libertés démocratiques « conquises par le peuple de France ».[4] Le Front Populaire a donc regroupé le parti communiste, la SFIO et le parti radical. Les liens entre le PC et la SFIO étaient essentiellement effectués par la Gauche Révolutionnaire — dont l’animateur principal fut Marceau Pivert, avec la présence de Daniel Guérin[5], qui, depuis 1935, tentait à l’intérieur de la SFIO de développer un discours révolutionnaire de classe.
La direction syndicale de la CGT, autour du réformiste Léon Jouhaux, a quant à elle favorisé un rapprochement avec le parti radical en tenant un discours de protection des classes moyennes. Le parti communiste préconisait une alliance avec le parti radical-socialiste pour « amener au pouvoir un gouvernement populaire ». L’argument paraissait léger, puisque ce parti radical s’était compromis dans un gouvernement antisocial et réactionnaire qui avait fortement entamé son prestige. Pour empêcher les classes moyennes d’être attirées par les sirènes fascistes, la SFIO déclarait vouloir les ménager par un soutien à ces mêmes radicaux-socialistes. Mais, à ce moment-là, les enjeux étaient autres. L’intérêt du parti communiste était celui de Moscou. Staline cherchait un gouvernement qui puisse appuyer les accords franco-soviétiques de l’époque contre l’Allemagne hitlérienne, et surtout les élargir au plan militaire. Ce que refusait le gouvernement de Laval. Dans cette optique, pour les staliniens, les radicaux-socialistes semblaient plus sûrs que les socialistes. Ce qui explique aussi pourquoi, lorsque le gouvernement de Front populaire tomba en 1937, le Parti communiste ne fit pas grand-chose d’autre que de permettre aux gouvernements radicaux qui suivirent, de tenir. Ainsi, une large part de la campagne ne devait se faire que sur une base minimaliste d’alliances parlementaires. En défendant le régime républicain, Blum préconisait un exercice du pouvoir dans les cadres institués et constitutionnels. Pour les sociaux-démocrates, cette orientation se justifiait comme une politique défensive et préventive face au danger fasciste. L’antifascisme permettait ainsi d’être l’arbre qui cache la forêt, puisqu’il ne remettait absolument pas en cause le fonctionnement du capitalisme et qu’il contribuait même à son aménagement.
Les événements de mai-juin découlent du malaise provoqué par le décalage entre les déclarations politiques et l’aspiration de la classe ouvrière à une réelle transformation du quotidien. C’est à ce malaise que le gouvernement issu de la victoire électorale de mai 36[6] doit faire face. C’est ce malaise que la social-démocratie et le parti communiste allaient devoir réprimer.

Cherche situation financière pour classes moyennes...

La victoire électorale rendait de plus en plus impatiente la classe ouvrière qui, outre le fait d’être spoliée de son travail, connaissait des brimades et une violence permanente. « Pour n’importe quelle faute, le contremaître pouvait retirer deux sous de l’heure. Certains jours, quand vous arriviez le matin, le contremaître vous disait : “Y a pas de boulot, vous reviendrez demain.” Pourtant, il y avait des gars qui venaient de loin. Le lendemain par contre, il fallait rester jusqu’à 7 ou 8 heures (...) ».[7] Cependant, Léon Blum ne voulait pas engager de rapport de forces : « J’aime mieux espérer que le mois de mai s’écoule sans trop aggraver une situation financière déjà effroyable » ; et de préciser tout de suite l’objectif de son gouvernement : agir à l’intérieur du régime actuel. C’est le problème de savoir si, de ce régime social, il est possible d’extraire la quantité de bien-être, d’ordre, de sécurité, de justice qu’il peut comporter pour la masse des travailleurs et des producteurs. Ainsi, le dirigeant de la SFIO ne cherche ni à abolir un régime de classe ni à l’affaiblir ; il cherche au mieux à l’aménager pour le renforcer. Entre la victoire électorale et le début du mandat, les intérêts que la SFIO a cherché à protéger n’étaient pas ceux des ouvriers et des ouvrières, mais bien ceux de la finance.

... mais trouve détermination de la classe ouvrière

Le véritable début du formidable mois de juin commence au premier jour de mai. Alors que le 1er mai 1935 avait été un grand flop, le 1er mai 1936 allait être un grand succès. Face aux promesses de la SFIO déjà remises en cause par les déclarations de sa direction, une partie de la classe ouvrière souhaitait faire savoir que tout rapport de forces s’établirait dans la rue, et qu’elle n’entendait pas donner carte blanche à un gouvernement qui ne respecterait pas ses intérêts. Pendant que Blum et comparses méditaient sur la situation financière, les ouvriers de l’usine Bréguet, au Havre, occupaient leur lieu de travail pour protester officiellement contre l’attitude du chef du personnel. En deux jours, ils obtiennent gain de cause. Les métallurgistes de Nieuport à Issy, de Farman à Billancourt et de Hotchkiss leur emboîtent le pas. Le 27 mai, les usines Renault connaissent les premiers débrayages.
C’est le parti communiste qui donne le premier coup de frein, en signant des accords minables pour faire cesser un mouvement qui, dès le début le dépasse. L’Humanité du 30 mai titre sur un énorme mensonge : « Victoire chez Renault ».
Ce qui vient de naître est un sentiment de force collective et une aspiration à faire changer les choses. La social-démocratie, qui souhaitait retrouver une unité pour accéder au pouvoir, se trouve coincée entre un mouvement social grandissant et une volonté de collaboration de classe.

Les patrons leur demandent de ne pas attendre

Le Front populaire n’est même pas encore intronisé que déjà, les 4 et 5 juin, il y a un million de grévistes et que l’ensemble des usines de la région parisienne sont occupées. Marceau Pivert a assuré dans une tribune libre du Populaire, le 27 mai, que « Tout est possible » ; Marcel Gitton dans l’éditorial de l’Humanité du 29 mai, dit que « Tout n’est pas possible » et reconnaît que le programme du Front populaire n’est pas de nature à effrayer qui que ce soit.
Mais l’augmentation du nombre de grèves et d’occupations effraie le patronat. Et c’est lui qui va chercher les sociaux-démocrates pour les prier de prendre la direction du gouvernement. Ces derniers s’empresseront de le faire avec une fidélité indéfectible à la collaboration de classe. Léon Blum raconte : « Le 4 juin, je suis arrivé à l’Élysée avec mes collaborateurs vers 7 heures du soir (...) Au moment ou nous allions nous retirer, M. Albert Lebrun nous a dit : “J’ai une demande à vous transmettre de la part de M. Sarraut, président du Conseil, ministre de l’Intérieur, et de la part de M. Frossard, ministre du Travail. Ils considèrent la situation comme si grave qu’ils vous demandent de ne pas attendre jusqu’à demain matin pour la transmission des pouvoirs. Ils vous prient avec instance de vous rendre l’un et l’autre au ministère de l’Intérieur et au ministère du Travail dès ce soir, 9 heures, pour qu’il n’y ait pas un instant de délai d’interruption dans le passage des services. Ils ne veulent pas plus longtemps demeurer chargés d’un intérim dans les circonstances actuelles (...) Les ouvriers ont confiance en vous.” (...) J’ai fait ce que me demandait M. le Président de la République, et qui, au point de vue correction parlementaire, était assez critiquable (...). Ce qui était l’état d’esprit du chef de l’État était aussi l’état d’esprit du patronat (...). M. Lambert-Ribot, avec qui j’avais toujours entretenu des relations amicales, m’a fait toucher par deux amis communs, par deux intermédiaires différents, afin que, le plus tôt possible, sans perdre une minute, je m’efforce d’établir un contact entre d’une part les organisations patronales suprêmes, comme le Comité des forges et la Confédération générale de la production, et d’autre part la Confédération générale du travail. Sans nul doute, j’aurais tenté moi-même ce qu’on a appelé l’accord de Matignon. Mais je dois la vérité de dire que l’initiative première est venue du grand patronat. (...) La contrepartie, c’était l’évacuation des usines. Dès ce jour-là, les représentants de la CGT ont dit aux représentants du grand patronat, qui étaient à Matignon : “Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons, et nous le ferons. Mais nous vous en avertissons tout de suite : nous ne sommes pas sûrs d’aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-là, à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s’étaler. Et puis, c’est maintenant que vous allez peut-être regretter d’avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n’y sont plus. Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades l’autorité qui serait nécessaire pour faire exécuter nos ordres.” Et je vois encore M. Richemont, qui était assis à ma gauche, baisser la tête en disant : “C’est vrai, nous avons eu tort.” Voilà quel était l’état d’esprit de Matignon (...), au moment où j’ai pris le pouvoir. Qu’est-ce que je devais faire ? »[8]

Les accords de Matignon : 7 juin 1936

Pour hâter au plus vite les négociations, Léon Blum, intronisé président du Conseil le 6 juin 1936, réunit dès le lendemain une délégation de la Confédération générale du patronat français (CGPF) et des représentants de la CGT, dont 4 sur 6 étaient socialistes. Il y avait alors un million et demi de grévistes. Blum annonça que des réformes allaient être entreprises par la voie législative (contrats collectifs, congés payés et semaine de 40 heures), mais qu’il restait à fixer les clauses générales des contrats collectifs[9] et à résoudre les revendications de hausse des salaires.
Le patronat a admis immédiatement l’établissement de contrats collectifs de travail garantissant la liberté syndicale, s’engagea à ne prendre aucune sanction pour fait de grève et à revaloriser les salaires de 7 à 15 %.
De son côté, la CGT accepta la proposition patronale de faire élire des délégués ouvriers dans tous les établissements de plus de 10 salariés, et d’exercer le droit syndical sans qu’il ait pour conséquence des actes contraires aux lois. Elle s’engageait en outre à demander aux grévistes de reprendre le boulot.
Le lendemain, la presse de gauche se dépêcha de faire reprendre le travail comme les accords de Matignon le prévoyaient. L’Humanité titrait : « La victoire est acquise ! »
Mais le mouvement de grève, au lieu de refluer, s’intensifia les jours suivants. Et alors que, précédemment, de nombreuses occupations avaient repris les revendications du Front populaire (congés payés, semaine de 40 heures), les occupations qui continuèrent ou débutèrent après les accords de Matignon portèrent sur des revendications moins précises, mais davantage axées sur une transformation du quotidien. On pouvait lire devant Renault-Billancourt : « On a fait des soviets pour moins que ça. »
Une semaine après les accords, il y avait deux millions de grévistes.


Des occupations joyeuses et déterminées

Dans les usines, il y avait un air de fête. Jeux de cartes, chants, concerts, théâtre... Une joie de lutter qui marqua les consciences collectives ouvrières. Les grèves touchaient les mines, l’automobile, le textile, le bâtiment, l’alimentation, et surtout, phénomène important dans l’histoire de la classe ouvrière, le monde des employés : les grands magasins, les compagnies d’assurances, les maisons de haute couture, les cafés, les théâtres, les cinémas et les grands cabarets. Les dirigeants des petites et moyennes entreprises, abasourdis de voir, pour la première fois, leurs « maisons » si familiales tenues par des grévistes, paniquèrent et demandèrent qu’on les évacue manu militari, pour faire respecter le droit de propriété. Les préfets de Salengro, ministre de l’Intérieur du Front populaire, ne parvinrent ni à arbitrer ni à imposer la négociation dans les plus petites entre- prises, au point que Daladier, ministre de la Défense, rameuta quelques régiments. Mais, tout en suscitant de sérieuses inquiétudes au sein des classes moyennes et de leurs représentants, les grévistes rencontrèrent la sympathie de nombreuses autres couches sociales : les petits commerçants se montrèrent souvent généreux dans les collectes organisées à l’intention des grévistes ; des dirigeants de l’Église évoquèrent les déficiences de l’ordre social établi[10] ; des flics affirmèrent qu’ils ne rentreraient pas dans les usines occupées. En quelques semaines, la classe ouvrière, par sa détermination, imposa des conditions favorables à un mouvement révolutionnaire. Dans ses souvenirs, Marceau Pivert écrira : « Oui, tout était possible ! Un prolétariat en pleine action, une paysannerie compréhensive, des intellectuels et des techniciens dévoués à la cause du peuple, des anciens combattants ardemment pacifistes et révolutionnaires, des petits boutiquiers empressés au service de la solidarité ouvrière, des hommes du rang, dans la police et dans l’armée, en absolue communion d’idées avec les combattants antifascistes, un mouvement syndical brusquement dressé sur ses jambes et se révélant à lui-même sa force, son efficacité, que n’avions-nous entre les mains ? »


Il faut savoir terminer une grève

Le 11 juin, alors que, selon des rumeurs, de nombreux ouvriers discutaient de sortir en masse des usines, puis de les remettre en route, Thorez affirma, au cours d’une assemblée d’information des communistes de la région parisienne : « Nous n’avons pas encore la sympathie et l’appui de la grande majorité des travailleurs des campagnes. Nous risquerions même, en certains cas, de nous aliéner quelques sympathies des couches de la petite bourgeoisie et des paysans de France. » Et il prononça les mots décisifs : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis. »
Tout comme de Gaulle fera appel en 1968, aux CRS de province et aux chars, le gouvernement de Front populaire achemina des pelotons de gardes mobiles vers la région parisienne. Au même moment, il faisait saisir le journal des trotskistes La Lutte ouvrière qui titrait sur la largeur de sa première page : « Dans les usines et la rue, le pouvoir aux ouvriers ».
Pourtant, pendant la seconde quinzaine de juin, les grèves sur le tas continuèrent à faire boule de neige jusqu’à toucher des ouvriers agricoles, notamment dans les grandes fermes du Bassin parisien.
Mais les grèves refluèrent ensuite et Salengro, encore tout effrayé, put assurer le 26 juin : « Ainsi s’achève, sans une goutte de sang, le plus formidable conflit social qu’ait connu la République ». Et quelques semaines plus tard, pendant l’accalmie des congés payés : « Si demain des occupations de magasins, de bureaux, de chantiers, d’usines, de fermes étaient tentées, le gouvernement, par tous les moyens appropriés, saurait y mettre un terme. »

Après l’été des congés payés, des occupations reprennent

Daniel Guérin le souligne[11], les nouvelles occupations eurent partout une cause très précise : face au patronat qui violait ou détournait à qui mieux-mieux les nouvelles lois sociales, les travailleurs ne virent pas d’autre moyen, pour imposer, dans le cadre de l’atelier le respect de leurs conquêtes, que de riposter par la tactique qui avait fait merveille en juin.
Le 29 septembre, Blum adjura la classe ouvrière de lui épargner l’emploi de la force. Une semaine après, il passa à l’acte : 250 flics forcèrent la porte de la chocolaterie des Gourmets, à Paris, et après une dure bagarre en expulsèrent les occupants. Un précédent redoutable était créé.
Ainsi, le pire fut de faire croire aux travailleuses et aux travailleurs que le gouvernement de Front populaire, à direction socialiste et participation radicale, était en quelque sorte leur gouvernement. Comme l’a souligné Trotski[12], les ouvriers furent de ce fait incapables de reconnaître l’ennemi, car on l’avait déguisé en ami. Ou, comme l’écrit Daniel Guérin : « Les chefs [de la social- démocratie] entourèrent le pouvoir bourgeois d’un écran qui dissimula sa véritable nature, le rendit méconnaissable, donc invulnérable et indestructible. Parce que les leaders prestigieux s’étaient installés dans un certain nombre de bureaux ministériels, l’illusion fut de répandre que cet État n’était plus un État de classe, mais un État providentiel. » La classe ouvrière fut de cette façon détournée de l’objectif de se sauver elle-même, de dépasser le stade d’une grève générale avec occupations d’usines purement revendicatives pour la transformer en grève gestionnaire et rechercher une forme d’auto-organisation.


Jérôme (Strasbourg, septembre 1999)

Notes :
[1] Depuis le congrès de Tours en 1921, une scission s’était opérée entre la CGT (« réformiste ») dirigé par Jouhaux et la CGTU qui fut dirigée par des membres du PC. La réunification s’opéra en 1935.
[2] Voir l’article « 1940 : les socialistes disent oui à Pétain », publié dans Courant alternatif, hors-série n° 2, troisième trimestre 1999.
[3] Le parti radical n’a rien à voir avec la « radicalité » de 1999. Il était radical dans le sens où, au début du XXème siècle, il siégeait à gauche au Parlement, en tenant un discours laïc farouchement anticlérical. Il a été le parti représentant les classes moyennes.
[4] Extrait du serment du meeting de la SFIO au stade Buffalo, le 14 juillet 1935.
[5] Daniel Guérin, Front populaire, révolution manquée, édition Babel, collection “Révolution”.
[6] Les résultats des élections des 26 avril et 3 mai 1936 donnèrent la majorité à la gauche (147 élus à la SFIO, 106 au parti radical et 72 au parti communiste).
[7] Témoignage d’un ouvrier non encarté : « Tout le monde en avait marre, tout le monde a marché », Critique communiste, hors-série été 1982.
[8] Extraits de la déposition de Léon Blum devant la cour de Riom, février 1942.
[9] Ce qui est aujourd’hui les conventions collectives.
[10] Ainsi Mgr Verdier, cardinal archevêque de Paris.
[11] Cf. Daniel Guérin, op. cit.
[12] Trotski, « L’heure de la décision approche », La Lutte ouvrière, 6 janvier 1939.

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