Accueil > Courant Alternatif > *LE MENSUEL : anciens numéros* > Courant Alternatif 2010 > 200 mai 2010 > Après les régionales...

Après les régionales...

samedi 22 mai 2010, par Courant Alternatif

C’est, bien sûr, le taux d’abstention qui a retenu toutes les attentions au soir des premier et second tour. Il n’est évidemment pas question d’en revendiquer la moindre parcelle sous le prétexte que nous serions abstentionnistes, mais cela ne nous dispense pas d’en comprendre le sens. Le taux a été commenté et déploré, mais tout a été fait et organisé pour en minimiser la portée. Par exemple en mettant l’accent sur les scores des partis en pourcentage des votants : 29,5 pour le PS, 26 pour l’UMP, 12,5 pour Europe Ecologie…, on peut faire oublier ces abstentions et donner au score des « grands partis » une allure plus honorable !


Un rejet de la classe politique

Pourtant, une autre présentation des chiffres donne une image beaucoup plus proche de l’ampleur du phénomène : Les résultats réels du premier tour sont en fait les suivants :
Abstention : 53,6%
Blancs ou nuls : 1,70 %
Soit : 55,3 qui ne se sont pas prononcés.
L’ensemble des partis se partage les 45 % restants :
PS : 13,59%, UMP : 12,11%, Europe Ecologie  : 5,75%, FN : 5,43%, Front de Gauche : 2,61%, Modem : 1,99%, NPA : 1,09%.

On en conviendra, cette réalité donne une tout autre lecture, et encore plus forte, que celle qui fut présentée par la presse ou les services officiels de l’Etat. Les deux grands partis qui représentent 90% du parlement dépassent de peu les 50 % des suffrages exprimés et environ un quart des inscrits ! Le PS donné grand vainqueur ne représente que 13 % des inscrits !
Au soir du second tour, les abstentionnistes n’étaient plus que… 49 % mais les blancs et nuls passaient à 2,4 % ce qui donnait à la défiance générale le score honorable de 51 %.
Car c’est bien d’une défiance et d’un rejet de la classe politique (et pour une part importante, du système qu’elle défend) qu’il s’agit. A noter que cette défiance n’est pas spécifique aux régionales franco-françaises ! Aux européennes, qui sont en quelque sorte les régionales de l’UE, l’abstention fut de 57 % à l’échelle du vieux continent, record battu après celui de 2004. C’est donc aussi le refus d’accorder de la légitimité aux structures européennes et aux dirigeants de chacune de ses composantes qui s’était alors exprimé après que les « non » français, irlandais et néerlandais avaient été ignorés par les pouvoirs avec le mépris que l’on sait.
Mais ce qui est encore plus significatif, c’est la répartition sociologique et géographique de ces abstentions : 70 % des jeunes en général, les deux-tiers des classes populaires et parfois les trois quarts dans certains quartiers. La non légitimité des partis est donc bel et bien confirmée et surtout encore plus profondément ancrée dans les classes populaires qui subissent jour après jour les défaites dans leurs luttes, le mépris des autorités, les diminutions drastiques des fonds publics alloués aux services et le racisme d’Etat.
La « victoire du PS » est donc celle de classes moyennes inquiètes de la stagnation ou du recul de leur niveau de vie et qui ne voient l’avenir que dans un retour au passé, celui de l’Etat-providence et du compromis de l’après-guerre qui a jeté les bases du modèle social à la française, encore aperçus dans le rétroviseur, mais surtout pas dans une quelconque remise en cause du capitalisme, même symbolique ou théorique, ni encore moins dans un avenir socialisant ou communisant.
Le score « honorable » du Front de gauche cache en fait une véritable défaite pour le parti communiste, qui perd la moitié de ses élus par rapport à 2004 (et on sait l’importance que ça a pour lui !). Ceux qui avaient prédit (et souhaité par anticommunisme primaire) la rapide disparition du PCF après 1990 se sont trompés, ce fut un lent déclin. Mais, cette fois-ci, ce pourrait bien être le début de la fin et l’éclatement. Les Braouzec, Zarka, Fraysse, Autin, Ascensi et autres cherchent maintenant leur beefsteak ailleurs.
En nombre d’élus, le rapport de forces droite/gauche a moins changé qu’on le dit par rapport à 2004, seuls des déplacements se sont produits : à droite, l’UMP progresse très exactement du nombre d’élus qui était celui d’une l’UDF disparue et non remplacée par le Modem ; le FN en perd une quarantaine ; la gauche socialiste n’en gagne que 40 et le front de gauche en perd 100 par rapport au PC. Seul les écolos ont un gain réel, une centaine, ce qui compense la perte du PC.
Ce rejet et cette illégitimité de la classe politique affirmés s’appuie sur une simple constatation que l’on peut faire tous les jours : à « droite » comme à « gauche », les candidats n’ont plus rien de tangible à proposer. La montée de l’abstention semble indiquer que les gens sont de plus en plus nombreux à avoir compris qu’ils ont affaire à des figurants, mais mieux payés que les intermittents du spectacle ! Car il apparaît clairement que, même s’ils sont élus, ils n’auront aucune emprise réelle sur l’évolution d’une société où les réseaux de la grande finance imposent leur politique. C’est la faute à la crise, confessent-ils d’ailleurs en chœur. Dans ces conditions, les élections sont-elles autre chose qu’une course aux bonnes places pour quelques-uns ? Nicolas Sarkozy annonce une «  réforme » des retraites dont les classes populaires peuvent raisonnablement craindre le pire, mais les retraites des professionnels de la politique et de la « haute administration » se portent bien. Les stock-options continuent de se déverser dans les mêmes poches, les banques accumulent les bénéfices, la liste est longue.

Pas d’autre choix pour les « politiques » que de
se serrer les coudes

Face à cette bérézina qui menace les « politiques », ils n’ont pas d’autre choix que de reconstituer des blocs pouvant paraître crédibles pour tenter d’enrayer leur discrédit. Ce qui se dessine est assez semblable à ce qui s’est passé en 1981, à savoir une reconstitution de l’union de la gauche, à ceci près que le PRG qui était la troisième roue du carrosse n’existe plus et est remplacé par le PC, lui-même remplacé comme seconde force par les Verts/Europe écologie. Cette gauche éclatée jusqu’à il y a peu n’a d’autre choix que de se rassembler même si ce ne sera pas sans contradictions internes. Elle va devenir une force d’attraction pour ceux qui « voudront en être » en grappillant ici ou là quelques strapontins.
A l’extrême gauche, le NPA en fera les frais par quelques départs mais cela peut inciter la majorité – surtout composée d’ex-Ligue – à se maintenir sur une ligne « hors union de la gauche ». Tant mieux. C’est donc en partie l’échec de la tentative NPA ; on voit que pas mal d’opportunistes quittent le navire en voyant que la réussite comptée en élus n’est pas au rendez-vous. Le NPA a perdu pour avoir voulu jouer sur les deux tableaux : celui de l’indépendance vis-à-vis du PS et celui du ralliement annoncé pour le second tour à ce même PS. Ses électeurs tenants de l’indépendance n’ont pas apprécié le ralliement annoncé et se sont abstenus, les fans de l’ancrage à gauche ont trouvé la direction pas assez unitaire et ont voté Front de gauche.
Quant à Europe écologie, il ne faut pas voir dans l’opposition actuelle entre Cohn-Bendit et Duflot autre chose qu’une divergence de tactique. Dans un cas comme dans l’autre, le grand réseau avec adhésion directe pour dépasser les partis n’est qu’artifice de langage pour tenter de se servir au mieux de cette délégitimation des politiques. Cette stratégie est d’ailleurs à la mode dans d’autres familles politiques (voir Royal). Les Verts comme EE ont, au-delà de leurs oppositions, déjà sacrifié ce qu’ils appelaient l’écologie à l’autel du réalisme de l’union de la gauche. Les uns après les autres ils sont en train d’accepter les grands projets d’aménagement du territoire qu’ils faisaient semblant de combattre

Cette reconstitution de l’Union de la gauche, si elle s’opère comme prévue, entraînera une incidence importante sur le mouvement social par le poids qu’elle aura sur les structures intermédiaires syndicales, associatives, environnementales qui, une à une, s’y rallieront et n’œuvreront que pour son succès électoral. On peut considérer la récente grève des cheminots comme la première manifestation de ce qui nous attend : laisser les colères isolées en misant tout sur le pouvoir syndical dans les négociations maintenant que ce dernier, surtout pour la CGT, est consolidé pour longtemps avec la nouvelle loi sur la représentativité.
Mais la comparaison avec 1981 s’arrête là dans la mesure où, depuis, la crise s’est profondément aggravée et que les attaques contre le salariat sont passées à une vitesse autrement supérieure. Maintenant, une énorme majorité des classes populaires et même au-delà, considèrent que le capitalisme n’est pas une bonne chose, que la droite et la gauche ne peuvent que faire la même politique. En 1981 nous étions en plein triomphe de l’idéologie selon laquelle le capitalisme représentait la fin de l’Histoire et était indépassable. Maintenant tout le monde ou presque sait que cette affirmation fut une escroquerie intellectuelle, mais en même temps persiste la peur de ce dépassement possible par l’établissement d’un véritable rapport de force vis-à-vis de la bourgeoisie (je ne parle pas de « révolution » évidemment). Peur sans doute que l’intensification de la conflictualité ouvre des portes vers l’inconnu et peut-être vers une situation bien pire, mais aussi une méfiance compréhensible vis-à-vis de récupérations possibles : si on constate que les rapports de forces qui s’établissent sur tel ou tel problème, dans telle ou telle région, tel ou tel secteur se mettent de plus en plus en place et que la contestation peut être forte et tenace, celle-ci reste sectorielle et locale. Or les jonctions que nous appelons de nos vœux présentent le risque que les acteurs et actrices de ces luttes soient dépossédés de leur contrôle au profit de politiciens qui, eux, prétendent avoir des perpectives « nationales et globales ». Et c’est bien là l’enjeu des mois et des années à venir. D’un côté le renforcement de la politique comme sphère séparée et inaccessible qui maintient et entretient la peur du changement, de l’autre une réappropriation de la politique par les classes populaires comme volonté de pouvoir réel sur l’espace social et qui repousse les limites de la peur.

JPD

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette