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« Ouvrir le champ des possibles »

dimanche 7 juin 2009, par Courant Alternatif


Pour les « plumes » de l’ordre bourgeois, les conflits actuels ne sont que le résultat de la crise ; dès la première accalmie venue, tout rentrera dans l’ordre. Avant d’aller plus loin, il faut souligner plusieurs choses : la trop grande complexité de la crise rend celle-ci encore incompréhensible dans son ensemble. Ensuite, la relance de la production par la consommation ou l’extension de la demande dans les pays émergents, si cela est possible, peut demander des années, voire un siècle, personne n’en sait rien, ni même si cela est possible. Tout cela est de l’ordre de l’hypothétique et n’a que peu d’utilité pour les travailleurs et travailleuses. De toute façon, le capitalisme est un système de profit. Il n’est pas un système de création d’emplois, bien que dans le cours des événements des emplois puissent être créés (1). La crise est simplement en train de faire disparaître le « mensonge déconcertant » créé par les Etats capitalistes : la lutte des groupes sociaux dans le travail n’a jamais disparu dans les méandres de l’Histoire. Le lieu de travail est toujours une structure autoritaire et antidémocratique. Les conflits liés au travail sont des éléments permanents de notre société. Les travailleurs sont obligés de lutter pour pouvoir survivre, les « conditions objectives » les y contraignent. Bien sûr, cela ne les pousse pas nécessairement à faire la révolution.

La guerre du travail

Dans les conflits sociaux actuels, qui sont en très nette augmentation, les pratiques de luttes collectives et individuelles s’entremêlent. Face à la hiérarchie, les résistances existent et ne sont pas forcément conditionnées par la présence d’un syndicat. Ainsi, l’absentéisme est une stratégie d’évitement et de retrait qui permet d’échapper à la pression des chefs ou au travail, et même de lancer une lutte sur le plan juridique. L’arrêt de travail de courte ou de longue durée a des répercussions importantes pour désorganiser une production qui est toujours à flux tendu (2). Le sabotage permet lui aussi de perturber la machine ou de miner l’entreprise. Les sabotages sont souvent des actes individuels, mais pas toujours. La résistance peut s’associer à d’autres activités de base, comme la grève perlée ou la diminution de la production. Plusieurs secteurs peuvent aussi être touchés et s’imbriquer. La taille de l’entreprise a une incidence sur les stratégies de lutte : actions collectives dans les grandes structures, individuelles dans les petites entreprises. La raison est que, dans les petites entreprises, la proximité et la surveillance de la hiérarchie empêchent les mobilisations collectives. Les relations avec les chefs y sont très individuelle-s, paternalistes voire de type domestique. Cela individualise la violence des rapports hiérarchiques et la lutte dans l’entreprise. Autre précision : la présence ou non d’un syndicat n’indique pas nécessairement que tout va bien, car la guerre au travail traverse l’ensemble du monde du travail. Enfin, l’explosion d’une grève au sein d’une entreprise est loin de n’intéresser que les salariés : des étudiants (des fois) ou des précaires viennent dans certains cas aider. Un conflit social peut se répandre dans une autre entreprise voisine, et de ce fait toucher tout un bassin industriel. Plus largement, les luttes locales créent des solidarités, et même des liens dans la ville touchée par la destruction d’un site industriel ou d’une entreprise. Ainsi, le monde du travail est loin d’être cloisonné et cartographié. Au-delà de la description des modes d’action et de leurs conséquences, la crise actuelle est en train de faire exploser une réalité : les conflits sont loin d’être l’apanage du secteur public. Dans le secteur privé, l’industrie reste le lieu central d’éclosion des grèves et des conflits du travail (devant les transports et les services). Ainsi, la crise n’a fait qu’accentuer la hausse des entreprises touchées par les conflits en France, car cette hausse est continuelle depuis les dix dernières années. Simplement, les grèves, tout comme les grandes journées syndicales de l’année 2009, ne sont pas les seules formes de lutte des travailleurs. Les conflits sont nombreux, multiformes, et les manifestations saute-mouton ne reflètent rien sinon la complète intégrations des bureaucraties syndicales à l’ordre du Capital. Les conflits n’ont jamais disparu, sauf dans les journaux et les revues scientifiques…

Adieu Etat et patrons !

Tous ces actes et ces conflits sociaux témoignent d’une activité autonome des travailleurs et de la guerre qui se déroule dans le travail. La remise au goût du jour de pratiques anciennes, telles que la séquestration, témoigne de l’inventivité et d’une mémoire collective des travailleurs (3). Cette activité autonome est souvent très difficilement quantifiable, car elle est criminalisée par la justice et marginalisé – voire dénoncée – par les syndicats. Dans ces conditions, il est normal que les travailleurs restent silencieux. Il faut aussi ajouter que pendant très longtemps, dans les revues scientifiques, les journaux et les livres spécialisés, les luttes sociales n’ont été étudiées que par rapport aux syndicats ou aux partis politiques. Ce choix de grille d’analyse est bien sûr politique et vise à faire croire que les travailleurs ne s’expriment qu’à travers des représentants syndicaux ou des élus (4). Les faibles effectifs des syndicats ne témoignent pas de la mort de la classe ouvrière en France et de la fin de la lutte des classes. Les ouvrierEs, les employéEs, les précaires constituent toujours la grande majorité des travailleurs. La caractéristique fondamentale de la classe des travailleurs, c’est toujours l’insécurité économique et donc le rapport de forces avec le patron. Ainsi, le plus grand danger pour les institutions, c’est l’établissement de nouvelles formes de lutte ou de structures en dehors des partis, des syndicats et des associations. Dans un contexte difficile, il est normal pour le pouvoir politique de cacher ou de minimiser les conflits sociaux afin d’éviter les prises de conscience collective ou les explosions de liberté. Le Capital, comme système d’exploitation, a besoin de marges de liberté pour pouvoir exister ; l’autonomie des travailleurs lui est nécessaire mais elle peut aussi le renverser. Enfin, l’intégration des travailleurs au système du Capital est loin d’être totale, car ce système produit des crises et donc des brèches pour des changements sociaux radicaux dans le cadre d’une crise révolutionnaire. L’Histoire est création et n’a pas de processus naturel ; le projet d’une société autonome (par des conseils ouvriers ou une forme plus élaborée de l’autogestion) est un possible qui ne sera réalisable que dans les brèches causées par les luttes de celles et ceux qui refusent l’exploitation. Plus largement, les modes d’action- des travailleurs et de tous ceux qui refusent le Capital sont une source de transformation et de révolution.

1. Tiré de Travailler pour la paie : les racines de la révolte, Acratie, 2008.
2. Tiré de La lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine, édition du Croquant, 2008.
3.Ces pratiques sont anciennes et ne sont pas une exclusivité de l’histoire de France. Ainsi, lors des révoltes de 1905 en Pologne, des patrons ont été séquestrés jusqu’à l’obtention de concessions.
4. L’élection est un principe aristocratique...
5. Avant 1789, personne n’imagine la fin de la monarchie ; après 1789, personnes n’imagine le retour d’un roi sur le trône de France.

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