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CA 338 mars 2024

Où en est la lutte contre l’industrie de la croisière ?

jeudi 14 mars 2024, par Courant Alternatif

Au printemps dernier, le collectif Sémaphore organisait une action sur le port de Douarnenez afin de dénoncer l’arrivée de l’industrie de la croisière dans la cité Penn Sardin. A Marseille, quelques mois plus tôt, le collectif Stop Croisière menait une action médiatique sur l’eau afin de bloquer durant quelques heures l’accès au port au plus grand paquebot du monde, le Wonder of the Seas, depuis dépassé en envergure et en démesure par le Icon of the Seas. Ailleurs encore, au Havre, à Cherbourg, à Lorient, à la Ciotat, à Ajaccio, des collectifs se créent pour dénoncer l’impact global de cette industrie sur nos vies. À la veille d’une nouvelle saison touristique, essayons de faire le point sur l’état de cette mobilisation grandissante. Allons-nous vivre un printemps chaud sur les côtes dans ce domaine ?


La croisière en quelques chiffres

En 2023, la CLIA (Cruise Line International Association) estimait la croissance du nombre de passagers à 6% par rapport à 2019 (dernière année « normale » d’avant COVID) et tablait sur une valeur proche des 33% à l’horizon 2027. Autant dire que l’industrie se porte bien. Si la croisière de luxe sur des petite unités (200-300 places) reste un loisir de grands bourgeois, l’industrie de la croisière s’est adaptée au marché pour toucher dorénavant l’ensemble des classes d’âges, l’ensemble des budgets et même les familles. Les compagnies s’adaptent et les moyennes d’âges des clients diminuent. Les activités à bord se diversifient aussi, et ne sont plus étiquetées comme « activités de retraités ». Sur les derniers nés de la compagnie Royal Caribbean International, on peut maintenant surfer sur une vague artificielle ou grimper sur un mur d’escalade de 17 mètres, le tout en passant de ports étapes en ports étapes, parfois même sans débarquer.
Par ailleurs, la course à la démesure continue, et les chantiers navals s’adaptent. Pour ne prendre l’exemple que des Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire, fleuron historique de l’industrie navale française, le carnet de commande à l’horizon 2038 est bien rempli. Sur 15 projets de navires en commandes, 11 sont des navires de croisières, pour ne pas dire des immeubles flottants (le reste est pour l’armée...).
À ce propos, dans un article publié en décembre 2023 sur le site internet statista.com, site spécialisé dans l’analyse des données économiques au niveau mondial, l’auteur indique que « Malgré ce regain de popularité, l’industrie des croisières est régulièrement pointée du doigt pour son impact sur l’environnement et sur les villes d’escale. » (1)

L'accueil de ces navires en question, la croisière s'adapte !

Une fois mis en route, ces navires, quelle que soit leur taille, doivent vendre du loisir, du rêve. Là est leur business. Si les compagnies usent de nombreux subterfuges pour attirer les croisiéristes à bord, le principal loisir vendu par les compagnies reste le choix de la destination. Le slogan de la compagnie du Ponant est d’ailleurs catégorique « Accéder par la mer aux trésors de la Terre ». Le rêve est bien là... Pour ne parler que de l’Europe, Barcelone comme Venise sont deux destinations prisées depuis longtemps, et les dégâts inhérents aux passages des bateaux commencent à être trop visibles. Il faut noyer un peu le poisson (et le polluer…) et là aussi les compagnies s’adaptent et cherchent de plus en plus de nouvelles destinations. Les filiales de luxe de ces multinationales, cherchent à ouvrir d’autres marchés en accédant, avec leurs petites unités, à des destinations « hors des sentiers battus ». Une croisière d’aventurier habillé en Hermès…

Ajouté à cela, des élus locaux et administrations portuaires déroulent bien souvent le tapis rouge aux compagnies, sous l’éternel prétexte fallacieux de bienfaits pour l’économie locale. Les habitants des localités touchées, quant à eux, n’ont de fait plus le choix que de s’adapter, et surtout de ne pas se plaindre. Entre pollutions atmosphériques, visuelles et sonores, auxquelles on ajoute les impacts sociaux inhérent à toute industrie du tourisme, les populations locales ont pourtant bien des raisons de ne pas la boucler.

La lutte comme seule option

Durant la période creuse actuelle, différents collectifs ont enclenché ici et là des actions, afin de montrer les désaccords profonds qui existent envers les politiques de développement de la croisière, et ce sur les différentes façades maritimes, alors que les actions étaient jusqu’ici réalisées principalement en pleine saison. Cette nouveauté apériodique est notable et montre, s’il faut encore le prouver, l’envie de ne pas laisser ces nuisances s’imposer. Et cela augure évidemment de belles choses à venir pour les beaux jours et les premières escales. Si les collectifs bretons ne sont pas décidés à lâcher la dynamique positive de 2023 en termes de perturbations des escales touristiques, les normands de leurs côtés se sont fortement mobilisés cet hiver contre l’électrification des quais au Havre.
Pendant ce temps-là, en Méditerranée, les collectifs continuent de travailler pour rendre la lutte plus visible et créer des liens avec les autres villes touchées par ce fléau sur le bassin méditerranéen. Une coalition de collectifs a même été créée à l’échelle de l’Europe afin d’essayer de coordonner des actions communes et éviter l’isolement des plus petits collectifs dans leurs ports respectifs. Des liens ont aussi été créés avec des collectifs américains afin principalement de s’informer et se soutenir des deux côtés de l’Atlantique.

Détruire Goliath et son monde

Comme toujours quand on s’attaque au cœur même du capitalisme, il faut reconnaître que nos chances de gagner sont minces. Mais dans la lutte contre l’industrie de la croisière, malgré la démesure du camp d’en face, les militants peuvent néanmoins avoir un impact peu négligeable pour une prise de risques mesurée. Les actions médiatiques dans le Finistère, à Marseille ou à Barcelone ces dernières années l’ont bien démontré. Il y a en effet mille et une façon d’entraver une bonne escale d’un navire de croisières, que ce soit en mer, dans les ports, ou même à terre en perturbant les excursions, bloquant les axes routiers empruntés par les cars.
Toute action visant à casser l’image de rêve vendu par les compagnies à leurs clients est une petite victoire. Un client insatisfait pendant ses vacances est un client qui, nous l’espérons, rechignera à revenir, et ce, quelle que soit la classe sociale du croisiériste.
Cependant, pour mesurer un peu notre joie, on constate fréquemment du côté de l’opinion publique, comme du côté de certains militants anti-croisière, que les questions environnementales et de santé publique sont souvent les points centraux de la critique faite aux industriels du secteur. Les actions sont d’ailleurs souvent organisées par des mouvements ou collectifs dits « écolo ».

La critique sociale et politique est souvent secondaire, la question environnementale étant bien plus médiatique et concrète aux yeux d’un bon nombre de militants. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des membres d’EELV, d’Alternatiba ou d’autres organisations réformistes s’impliquer dans l’organisation de ces collectifs, apportant avec eux des moyens économiques et des méthodes de travail très, pour ne pas dire trop, cadrées… Ce qui n’augure rien de positif dans une perspective de victoire contre le capitalisme et les croisières ! Si la question environnementale est évidemment primordiale dans cette lutte, il semble cependant utopique de mettre à mal cette industrie en ne se focalisant que sur ce volet. Rien ne sert de répéter que le capitalisme n’a que faire de l’environnement et trouvera toujours une manière ou une autre pour s’adapter et faire du fric sur notre dos, même s’il faut en passer par on-ne-sait quelle transition écologique de la croisière. Le capitalisme vert reste du capitalisme, qu’il faut donc détruire. Une utopique croisière verte exploite tout autant les prolos et leur environnement… Faire flancher une telle industrie passe avant tout par une critique globale de cette dernière sur des dimensions de classe. De même, les actions directes menées sur le terrain doivent l’être contre son économie, et non pour faire de la com’.

Malgré ces quelques critiques sur cette mobilisation en cours de construction, il est fort réjouissant de voir la mayonnaise prendre. Nous verrons dans les mois prochains si cette lutte prend une nouvelle dimension. Et bien sûr, nous espérons toutes que les actions de terrain à venir feront un peu vaciller les armateurs et industriels, afin qu’il réfléchissent à deux fois à l’avenir avant de commander la construction d’un navire à plus d’un milliard de dollars.(2).

Arturo, Marseille, Février 2024

Notes
1. https://fr.statista.com/themes/3644...
2. https://sbcnews.fr/combien-coute-un...

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