Accueil > Courant Alternatif > 338 mars 2024 > Deux poids, deux mesures

Editorial de CA 338

Deux poids, deux mesures

mercredi 6 mars 2024, par Courant Alternatif


Éditorial de Courant Alternatif de mars 2024

Deux poids, deux mesures

La mise dos à dos des bons et mauvais citoyens est une vieille méthode qui a fait ses preuves dans le passé. Si le capitalisme en est un amateur depuis ses débuts, elle semble prendre une dimension bien plus assumée ces dernières années. Et les exemples ne manquent pas, et ce sur tous les sujets de société. Dernièrement, la possibilité d’illustrer cela est devenue très simple.

Dans un premier temps, si l’on se concentre sur les questions environnementales et agricoles, le deux poids deux mesures est flagrant. Nous avons d’un côté les « bons agriculteurs », menés par la FNSEA et les jeunes agriculteurs (JA), qui détruisent des bâtiments publics, bloquent des routes plusieurs jours durant (notamment huit autoroutes majeures d’accès à l’agglomération parisienne) et menacent d’envahir le marché international de Rungis. Darmanin déclare à leur sujet qu’il s’agit de « coups de sang légitimes » et que cela ne nécessite pas une répression dure. D’ailleurs, pour preuve de respect de la majorité parlementaire pour cette mobilisation, la marche arrière sur la limitation des pesticides est amorcée dans la foulée. Face à eux, il y a bien sûr les « mauvais », souhaitant protéger des terres agricoles contre la bétonisation et la financiarisation. Pour ceux-ci, actuellement mobilisés contre la construction de l’autoroute A69, le même ministre annonce une « tolérance zéro » et leur envoie ses nouveaux véhicules anti-émeute « centaure ». Tout est dans la mesure... et dans l’intérêt du Capital.

Dans un second temps, cette opposition entre les bons et les mauvais, nous la retrouvons aussi sur des questions liées aux conflits armés. Par exemple, il y aurait d’un côté une barbarie russe intolérable et terroriste, qu’il faut combattre avec la plus grande fermeté, et, quelques milliers de kilomètres plus loin, une autre barbarie, israélienne cette fois, qui serait, elle, justifiée au nom de son droit à se défendre, et donc tolérable. Là aussi, ce n’est qu’une question d’appréciation « politico-financière »... mêlée d’une accointance idéologique qui commence d’ailleurs à montrer certaines limites, tellement le carnage devient évident, insoutenable et indéfendable...

La liste des exemples peut encore facilement s’allonger, si on se concentre sur la question des dépenses publiques. L’argent coule toujours à flot quand il s’agit d’armement et de répression. Les véhicules blindés centaure, cité précédemment, coûtent 800 000 euros pièces. L’État en a commandé 90 d’ici 2025... le budget semble extensible à volonté. En plus c’est du « made in France ». Et après ça, le gaz lacrymogène serait-il bio et écoresponsable ? Pareil pour l’armée, dont le budget est augmenté d’un claquement de doigts de 25 milliards d’euros d’ici 2030.
Par ailleurs, on estime que la réforme de « France Travail », qui va pénaliser de nombreux précaires déjà placés en mode « survie », devrait coûter entre 300 et 500 millions d’euros et sera pris en charge principalement par le budget de l’UNEDIC, donc par les cotisations qui financent l’assurance chômage (mais qui sont en fait du « salaire différé »). Bref, les travailleurs financent la tondeuse servant à couper la laine de leur protection sociale... l’entourloupe est belle !
Si malgré cette petite liste d’exemple, vous êtes encore convaincu que ce régime politique qu’est la démocratie parlementaire n’est pas un taillé sur mesure par les capitalistes pour servir leurs intérêts, on peut alors ajouter un dernier exemple. L’État, qui récupère à son profit tout ce qu’il peut, n’a aucune limite en termes de communication et oppose même les bons et les mauvais résistants. Quelques semaines après avoir criminalisé et expulsé la militante palestinienne Mariam Abu Daqqa pour sa résistance contre l’occupation israélienne, l’Élysée annonce transférer au panthéon « Missak Manouchian et ses camarades de Résistance » avec un « hommage solennel de la Nation ». Cela ne choque personne ? Pas sûr que les résistants des Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’Œuvre Immigrée auraient vraiment apprécié un tel éloge venant d’un pouvoir aussi destructeur des libertés individuelles et collectives, qui a fait voter une infâme loi contre l’immigration avec l’aide d’une extrême droite héritière du régime pétainiste.

Bref, toutes ces « différenciations », mises en avant par le patronat et les gouvernants afin de tirer profit de nos vies de prolétaires maquillés en simples citoyens, soi-disant égaux devant la loi, sont peut-être un peu cousues de fil blanc pour toutes les personnes s’intéressant sérieusement aux évolutions de notre société. Mais il nous semblait pertinent d’en rappeler quelques exemples actuels afin de démontrer rapidement que la société capitaliste jette sans cesse un voile idéologique sur ses contradictions pour masquer la véritable nature des rapports d’exploitation et de domination : ainsi les riches propriétaires agricoles deviennent des « victimes » des exigeantes normes environnementales, les antifascistes internationalistes des patriotes, et les bouchers sionistes des démocrates vertueux.

Nous ne nous faisons toutefois pas d’illusions : dénoncer simplement ce « deux poids, deux mesures » peut aussi être une manière de se remettre en selle pour la nouvelle social-démocratie qui joue à la radicalité, tout en se gavant des salaires de députés, pour mieux nous vendre sa came néo-populiste de gôche, son capitalisme vert ou inclusif arc-en-ciel, sa redistribution (relative...) des richesses grâce à « l’enfer vert » du Green New Deal. Nous savons bien, pour l’avoir vue accéder au pouvoir ici et ailleurs, que la fin de ce système qui nous écrase au quotidien ne passera pas par de simples mouvements citoyennistes et réformistes, cherchant à rendre plus acceptable le capitalisme, parfois même en prenant les rênes de l’État. C’est bien par une action collective de classe contre le capitalisme, ses dirigeants et ses diverses institutions qu’il faudra en passer !

CJ Sud-Est, le 21 février 2024

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette