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USA : DES PRÉCAIRES CONTRE UNE MULTINATIONALE !

vendredi 1er avril 2005, par Courant Alternatif

Face à une gestion du travail par la sous-traitance généralisée, des travaileurs agricoles ont fait reculer une multinationale de l’agro-alimentaire sur la question du salaire et des conditions de travail, après trois ans de lutte.


Samedi 12 mars devait se tenir une grosse manifestation de protestation devant le siège de Yum !Brands à Louisville (Kentucky). En fait, cela s’est transformé en manifestation de victoire pour les membres de la CIW (Coalition of Immokalee Workers, Regroupement des travailleurs d’Immokalee) et pour tous ceux qui les ont soutenus un peu partout aux Etats-Unis. La lutte des cueilleurs de tomates d’Immokalee (Floride) contre la grande entreprise de fast-food Taco Bell et contre son entreprise mère, Yum ! Brands (plus grosse encore que McDonald’s), était entrée dans sa quatrième année. Pendant trois ans, les cueilleurs de tomates et leur organisation, la CIW, avaient organisé le boycott de Taco Bell, exigeant que la compagnie reconnaisse sa responsabilité dans les conditions de travail épouvantables faites aux ouvriers agricoles de la tomate, qui pour la plupart sont des immigrés venus du Mexique, de Haïti ou du Guatemala.

LE BAGNE SALARIÉ

Travail forcé, esclavage pour dettes imposé par les fermes et les entrepreneurs, empoisonnement aux pesticides, absence d’eau potable et de toilettes, conditions de logement misérables, et un tarif au panier qui n’avait pas changé depuis 1978. Chaque ouvrier devait cueillir 1 tonne de tomates par jour pour se faire 50 dollars. Leur salaire annuel tournait autour de 7000 dollars. Ce qu’ils demandaient au géant Taco Bell, c’est qu’il paie un centime de plus pour ses tomates, et que ce centime revienne aux travailleurs. Pendant trois ans ils ont boycotté, manifesté, fait de l’agitation auprès des travailleurs, des étudiants et des Eglises pour obtenir ce centime.
Le 8 mars, alors qu’ils étaient engagés dans leur troisième “ caravane de la justice ” annuelle, se déplaçant de ville en ville accompagnés de leurs soutiens, dormant dans des églises et prenant la parole dans des universités ou ailleurs – une caravane qui devait se terminer en manifestation devant le siège de Yum ! - Taco Bell a cédé et accepté de payer.

UN DONNEUR D’ORDRES RESPONSABLE DE SES FOURNISSEURS

Bien qu’il ne s’agisse que d’un centime, et que Taco Bell n’achète qu’un pour cent des tomates de Floride, les ouvriers ont déclaré que c’était une grande victoire, une victoire historique même, car c’était le refus des entreprises de reconnaître leur responsabilité dans les pratiques de leurs fournisseurs qui avait été mis en échec. Taco Bell a accepté de travailler avec le CIW pour améliorer les conditions de travail dans les fermes. Il s’est engagé à faire que l’augmentation d’un centime aille dans la poche des ouvriers, à ne rien acheter aux fournisseurs qui pratiquent l’esclavage pour dettes, et à contrôler avec le CIW les conditions de travail. La victoire, c’est le précédent que constitue le fait qu’une énorme entreprise se reconnaisse finalement responsable des conditions de travail imposées par ses fournisseurs, et, en ce sens, il s’agit seulement du début d’une lutte, et non pas de sa conclusion.

UN NOUVEAU VISAGE DU MOUVEMENT OUVRIER

Le 12 mars a donc été un jour de fête à Louisville. Les étudiants qui avaient obtenu l’expulsion des franchisés Taco Bell de 21 universités étaient présents. Les Eglises qui avaient aidé au boycott étaient présentes. Des organisations de travailleurs indépendantes étaient présentes. Parmi elles, le Centre ouvrier du Mississippi, l’Association des travailleurs unis de Baltimore, le regroupement de travailleurs “ Le chemin se fait en marchant ” de Brooklyn (New York), les Industrial Workers of the World (IWW), le Centre des ouvriers de la confection de Los Angeles, le Centro Campesino du Minnesota, Le Centro Independiente de Trabajadores Agricolas de l’Etat de New York, les Défenseurs des travailleurs immigrés coréens de Los Angeles, l’Alliance ouvrière solidaire...
Ces organisations représentent avec le CIW un nouveau visage du mouvement ouvrier aux Etats-Unis, d’importance croissante. Opposées aux “ syndicalisme d’affaires ” des syndicats affilés à l’AFL-CIO, qui se soumettent aux vieilles règles établies de l’Etat et des patrons (celles imposées par the National Labor Relations Board), ces nouvelles organisations considèrent que ce modèle a totalement échoué et cherchent de nouveaux modes d’organisation des travailleurs. Certains de ces “ nouveaux modes ” sont les vieux modes des années 1920, de l’époque où les syndicats n’étaient pas légalement reconnus, avant que l’on crée le National Labor Relations Act (NLRA)pour maintenir en laisse la combativité ouvrière et établir des règles du jeu qui garantissent la paix sociale. La victoire de la CIW, même si ce n’est qu’un premier pas et que la lutte continue contre les autres acheteurs de tomates, est une victoire pour toutes ces formes “ alternatives ” d’organisation des travailleurs, et est comprise comme telle. Ces formes alternatives ont pris récemment de l’ampleur, et tireront sûrement un regain de vitalité de la victoire de la CIW.


Oso Bear
Trad. : NT - titre, Chapô et intertitres : CJ Nantes

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