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Edito 148 Avril 2005

vendredi 1er avril 2005, par Courant Alternatif


Il y a dans l’air printanier comme un parfum, un relent plutôt, d’avril 2002. Il fallait alors choisir entre la Démocratie ou la descente aux Enfers : Chirac ou Le Pen. Trois ans plus tard nous sommes convoqués pour une nouvelle échéance historique : la Constitution européenne ou la Pétaudière nationale. Comme en avril 2002, point de drame, tout juste une farce sinistre. Mais parions que les médias feront hurler les démocrates bon teint à la mort (voir article dans ce numéro sur la directive Bolkestein) pour guider les masses vers le bon choix ! Et qu’est-ce que cette Europe ?..Une nouvelle entreprise de soumission !

Actuellement après 50 années de Communauté Européenne, le bilan bruxellois évoque les guerres évitées (comme si l’épouvantail soviétique n’avait jamais existé !), ou bien le niveau de consommation inédit (comme si les mouvements sociaux n’avaient pas pesé pour une répartition plus équitable !), ou encore le futur monde multipolaire où seuls les géants continentaux auront un avenir (comme si la domination européenne sur d’autres peuples pouvait être un réconfort et une garantie contre sa propre précarité !).

Cette concentration du pouvoir européen, cette fusion des appareils d’Etat s’accompagne d’un mouvement inverse simultané : à la base, le capitalisme filialise, sous-traite en cascade l’administration, comme dans les entreprises. Régions, « pays », communautés de communes, quartiers sont autant de cloisonnements et de subdivisions utiles pour diviser, optimiser, différencier, affiner la gestion humaine et renforcer l’exploitation et le contrôle, le consensus et l’adhésion (avec des ersatz et autres gadgets comme la démocratie participative, les conseils de quartiers,etc). Car cette adhésion à l’Europe, cette soumission volontaire, cette rentabilité, ce n’est pas gagné d’avance et les dirigeants sont prêts à faire des accrocs à leurs propres résolutions de sévérité salariale, pour que la potion européenne ne semble pas trop amère…

La preuve : les 0,8 % d’augmentation supplémentaire des salaires de fonctionnaires distribués en 2005, qui viennent se rajouter à un autre 1 % prévu de longue date, alors que les caisses étaient vides. Royal ! Raffarin-Chirac savent arroser le petit personnel, quand celui-ci manifeste quelque énervement, comme le 10 mars dernier quand un million de personnes descendaient dans la rue ! Au risque de mal voter et repousser dans le temps le scénario européen !
Les syndicats semblent eux aussi satisfaits de ce 0,8 %, et plutôt disposés à calmer les esprits, les enjeux européens les concernent directement pour leur survie économique (voir l’article plus loin). Donc il semble que la montée de la pression sociale, bien perceptible le 10 mars, retombe pour le moment. Même si en profondeur, rien n’est réglé ; la preuve en est : les mouvements dans le privé comme dans le public se succèdent.

Mais gagner aujourd’hui dans un conflit d’entreprise, c’est se heurter à une détermination patronale sans faille. Il faut vraiment que les patrons soient au pied du mur (d’argent !) pour que le conflit gagne quelque chose (comme dans le conflit Saupiquet à Nantes à la mi-mars, où les personnes délocalisées ont obtenu une amélioration substantielle du plan financier ; en bloquant l’administration de Saupiquet elles bloquaient les fournitures de conserves aux distributeurs, dont les stocks au bout d’une semaine de grève étaient épuisés, rentabilité oblige). Ainsi les 0,8 % d’augmentation des fonctionnaires n’ont été suivis que d’une fin de non-recevoir de la part du MEDEF pour le privé, en ravivant la tension privé-public dans les têtes.

Un général britannique déclarait, en regardant les manifestants contre la guerre en Irak : « Qu’ils continuent de marcher tant qu’ils veulent, tant qu’ils paient leurs impôts cela ne nous gêne pas » -Peace News , déc. 2004. Guillaume Sarkozy , candidat à la succession de Seillières à la tête du MEDEF, devait penser comme ce général anglais quand il répondait par un refus définitif à l’ouverture de négociations salariales dans le privé. « Tant que vous ne touchez pas nos intérêts économiques vitaux, manifestez comme ça vous chante ! ».

Il faut dire qu’il est bien épaulé. Les médias nous refont le coup du silence et du black-out, comme lors du mouvement des chômeurs en 98. Après l’annonce de l’ouverture de négociations le 11 mars dernier et la manif de Bruxelles, la mobilisation sociale est tombée aux oubliettes des salles de rédaction. De même pour le mouvement lycéen, après le vote à marche forcé de la réforme Fillon dans l’éducation ; les occupations et grèves lycéennes continuent un peu partout, avec leurs cortèges de violences policières d’ailleurs, mais les médias n’en parlent plus, ou alors très peu, comme d’un mouvement complètement retombé après le passage du texte à l’assemblée.

Pour faire plier les possédants et obtenir quelque chose de substantiel, il nous faudra plus que quelques manifs « citoyennes ». Comme ces cueilleurs de tomates nord-américains qui ont gagné une victoire après trois ans (!) de campagne contre une multinationale, niant sa responsabilité dans les méthodes esclavagistes usées par ses fermiers sous-traitants(voir article plus loin). Ce sont ces nouvelles formes de structuration et de résistance collective, expérimentées ici ou là qui pourront marquer des points décisifs et rétablir un rapport de forces plus favorables aux exploité-e-s qu’il ne l’est aujourd’hui.

Nantes le 3 avril 2005

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