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Quartier de Gamonal, Burgos, État espagnol

« La rue est à nous ! »

La victoire d’un mouvement de lutte dans un quartier populaire (Maj du 8/02)

samedi 8 février 2014, par WXYZ


<img2596|left>Pendant une semaine, du 10 au 17 janvier, des milliers d’habitants de Gamonal, le grand quartier populaire de Burgos, se sont mobilisés pour empêcher le démarrage d’un chantier. Le maire de cette ville conservatrice de la Vieille Castille, au nord de l’Espagne, voulait transformer la rue Vitoria, une des artères principales qui relie ce quartier au centre-ville, en un “bulevar”, qui aurait – entre autres conséquences – fait disparaître les uniques places de stationnement gratuites qui existent au profit de parkings souterrains payants (et dont chaque emplacement aurait été revendu autour de 20.000 euros), ça dans un quartier ouvrier qui compte 18.000 chômeurs pour 70.000 habitants...

Très rapidement, la présence massive et constante des habitants dans la rue, les affrontements répétés, les agences bancaires vandalisées, le chantier paralysé, l’envoi de renforts policiers et la répression font que l’affaire occupe aussitôt les gros titres de la presse et des TV, publiques comme privées. Et provoque de nombreuses manifestations de solidarité sous le slogan « Nous sommes tous de Gamonal » dont certaines seront elles aussi réprimées, comme à Barcelone, Madrid, Saragosse…

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Malgré les campagnes médiatiques et politiques contre les soi-disant « antisystèmes » infiltrés et « itinérants » qui iraient de lutte en lutte semer le désordre, les habitants restent unis, occupent la rue, organisent des assemblées, manifestent dans le quartier et au centre-ville, bloquent physiquement le démarrage du chantier, assument collectivement un certain niveau de confrontation avec la police et d’autres expression de colère (barricades, destruction de matériel de chantier et de palissades, incendies de conteneurs, agences bancaires attaquées...), défendent toutes les personnes arrêtées et poursuivies quelles que soient les charges retenues.

La propagande du pouvoir sur le maintien de l’ordre ne passe pas et c’est même l’effet inverse qui se produit : un mouvement de solidarité se répand comme une traînée de poudre un peu partout qui, en moins de 48 heures, voit se multiplier les initiatives de rassemblements et de manifestations sur tout le territoire de l’État espagnol.

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La forte détermination du mouvement auto-organisé des habitants du quartier et l’‟effet Gamonal” auront raison du projet qui est annulé officiellement le 17 janvier, soit une semaine à peine après le début des affrontements. C’est une victoire indéniable pour le mouvement et pour tous ceux et celles qui savent que c’est là, dans la rue, que ça se passe, que c’est là que se gagnent les combats. En période pré-électorale, ça remet quelques pendules à l’heure.

<img2594|left> Voici deux articles qui éclairent cette lutte des habitants de ce quartier ; l’un ce qui s’est passé lors ces dernières semaines (“La rue est à nous”), l’autre (‟Gamonal : quartier toujours vivant, toujours combatif”) qui fait mentir la vision d’une explosion spontanée et incontrôlée et qui raconte une histoire de luttes, de multiples conflits ; l’histoire d’un quartier ouvrier, situé dans une ville globalement assez bourgeoise, qui a pris la bonne habitude, depuis plus de cinquante ans, de ne pas se laisser faire, de résister, un quartier ouvrier qui a toujours su opposer une forte cohésion sociale face à divers projets d’aménagement urbain et au-delà, contre tout ce qui pouvait affecter négativement la vie de ses habitants.

XYZ, le 5 février.


Ajout du 8 février, “Dies Irae. Le syndrome de Gamonal”, texte de la revue Argelaga, voir en fin de document.


La rue est à nous !

  

par Todo por hacer, Madrid

  

« Ceux qui ont gagné sont les éléments les plus pervers et antisociaux d’un système qu’ils veulent faire éclater des coups de pied » - Quotidien La Razón

Une fois de plus, le quartier populaire de Gamonal à Burgos nous donne une leçon d’engagement, de solidarité et de lutte en nous montrant que les victoires sont le résultat de grands efforts et que « La lutte est la seule solution » n’est pas seulement un slogan, mais une réalité tangible dans chacune des avancées des mouvements populaires. Le conflit du boulevard de la rue Vitoria n’est pas un fait isolé, ni même une simple explosion de colère semblable à celles qui se sont produites au cours des années précédentes dans les quartiers populaires de Paris (les banlieues) ou plus récemment dans les bidonvilles de Melilla. Ce conflit ne serait pas explicable sans la mobilisation préalable de l’ensemble du quartier, sans le travail quotidien et invisible de tant de personnes et de groupes et sans la mémoire des habitants du quartier qui se souviennent de comment, en d’autres occasions, ils ont aussi gagné.

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Gamonal, loin du spectacle médiatique et folklorique qui érige la violence comme le seul outil utilisé par les habitants est un quartier éveillé, organisé, actif et combatif.

Un peu plus qu’un boulevard

« Nous réinviterons ces politiciens et ces employés municipaux qui nous ont montré une collaboration loyale » - Méndez Pozo.

Pour l’observateur non averti, le conflit pourrait se réduire au simple fait que les habitants d’un quartier n’étaient pas d’accord avec la construction d’un nouveau boulevard dans leurs rues. C’est du moins ce qu’ont voulu nous faire croire les grands médias. Loin de cette vision réductionniste, le conflit est plus large et va au-delà du quartier lui-même. Il est clair que la construction du boulevard a provoqué l’étincelle, mais si nous regardons comment on en est arrivé à ce projet, nous nous rendrons compte que – comment pourrait-il en être autrement ? – les intérêts de la classe dirigeante, patrons et politiciens, s’opposent aux intérêts des habitants.

Nous pouvons revenir quelques années en arrière, quand, dans un processus entaché d’irrégularités, sont concédés les travaux de restructuration de la rue Vitoria à l’entreprise MBG Ingeniería y Arquitectura, dont le propriétaire est Antonio Miguel Méndez Pozo et sa famille, qui sont en même temps les propriétaires de plusieurs médias locaux, dont le quotidien Diario de Burgos. En outre, tout le monde sait à Burgos que Méndez Pozo est l’un des plus grands bailleurs de fonds du PP [Parti Populaire, droite] local, et s’il restait encore un doute, ce type a passé quelques temps en prison à cause de ses affaires urbanistiques. Méndez Pozo est ce qu’on appelle traditionnellement un cacique, quelqu’un qui fait et défait à sa guise, une figure du pouvoir économique qui marche en permanence dans l’ombre du pouvoir politique. Et c’est ainsi que fonctionne la politique, à petite et grande échelle : celui qui met l’argent sur la table sera toujours en condition d’exiger, de commander et d’ordonner. En face de cela, la réponse du quartier est claire et vigoureuse.

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De la manifestation au conflit

Dès qu’a été su publiquement que le début des travaux du dit boulevard de la rue Vitoria était imminent, une opposition locale importante exprimant son rejet de ce projet s’est manifestée. Les raisons ne manquent pas chez ceux qui affirment que, dans un contexte d’endettement généralisé des institutions locales, lancer des travaux avec de telles caractéristiques suppose qu’à la longue, ce sont toujours les mêmes qui devront payer les pots cassés de ce macro-investissement. Et ils ne sont pas rares ceux qui ont souligné que les messages officiels qui nous martèlent en permanence la nécessité de l’austérité ne cadrent pas avec des dépenses prévues de plusieurs millions d’euros et que cela a éveillé beaucoup de doutes dans le quartier.

Les protestations contre le boulevard ont commencé autour de la ‟Plate-forme contre le boulevard de la rue Vitoria” avec des manifestations successives qui rassemblaient des milliers de voisins au début du mois de décembre 2013 sur le slogan ‟Pas maintenant !”, slogan un peux malheureux et qui laisse facilement entrevoir la composition de ladite plate-forme. Á mesure que le temps passait, rien n’indiquait que les travaux allaient s’arrêter et dans le quartier, l’atmosphère s’est échauffée.

Le mercredi 8 janvier, le rue Vitoria est fermée et le début des travaux est imminent. Le 10 janvier, un rassemblement est programmé à 17 heures, lequel finit par être dispersé par la police, à la suite de quoi, les habitants appellent de nouveau à ce rassemblement, au même endroit, plus tard dans la soirée. Á ce moment-là, on peut déjà prévoir une forte tension entre les manifestants et la police, ce qui explique pourquoi la Plateforme décide de se dissoudre avec des déclarations comme « ne pas approuver des actes qui ne sont pas civiques fondés sur le respect du reste des citoyens, y compris les ouvriers qui travaillent là car ils ne sont pas coupables de ce qui se passe » ou « n’a jamais défendu et jamais soutiendra le vandalisme , les actes hors-la-loi et les actions extrêmes qui mènent à des situations de violence ».
Alors que la Plateforme civique recule, les habitants, eux, avancent. Dans la soirée du 10 janvier va commencer une vague d’affrontements entre les habitants et la police, une escalade répressive qui se soldera avec plus de 40 arrestations – et de la détention provisoire pour certains – ainsi que l’envoi de policiers anti-émeute supplémentaires de Madrid à Burgos.

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Á partir de ce moment-là, c’est l’auto-organisation de la population locale qui va mener la danse, avec des rassemblements permanents de 24h sur le site des travaux pour empêcher qu’ils puissent commencer. Avec les nuits du 11 et 12 janvier, dans la même veine que celle du 10, arrivera la nouvelle du 15 janvier annonçant l’arrêt provisoire du chantier et, le 17 janvier, l’arrêt deviendra définitif.

Tous contre Gamonal

« Ils crient assez énervés, on sent beaucoup de tension » - Reporter de La Sexta, alors que les manifestants de tous âges passent à ses côtés sans un seul signe de violence

Il peut s’avérer invraisemblable qu’un petit conflit de quartier en arrive à assaillir toutes les premières pages des journaux nationaux et qu’il soit aussi remarqué par tous les programmes d’information télévisée. Gamonal risquait de devenir un exemple pour les autres quartiers dans toute l’Espagne, c’est pourquoi il fallait essayer de discréditer et d’isoler leur lutte. Et tous les médias s’y sont mis, espérant qu’avec des reportages et des affirmations absurdes, la haine et le mépris de tout Burgos serait obtenu. Le reporter qui ose mentir au beau milieu de la manifestation, les manifestants qui disaient la vérité et à qui on a retiré le micro. La Sexta, ridicule, quand elle parle de « tension » et de « violence extrême » en direct pendant que l’on voit des vieux marcher dans la manifestation, la RTVE, un honte, disant que des magasins ont été attaqués dans le quartier quand un habitant lui répond en disant que seules des banques avaient été détruites, pas des magasins.
Il ne pouvait pas non plus manquer le fameux lien ETA-Gamonal que les médias les plus réactionnaires ont essayé de vendre et la nouveauté des « groupes antisystèmes itinérants », de soi-disant groupes de radicaux allant d’un conflit à un autre pour exercer la violence. Mais bon, le rôle des médias n’est pas surprenant, mais l’habileté qu’ils ont pour créer, inventer et déformer ne cessera jamais de nous surprendre. Pur spectacle.

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Tous / toutes avec Gamonal

Dans toutes les villes pendant la semaine de conflit à Gamonal de grandes manifestations de soutien se sont succédées, dont l’un des objectifs était que les UIP (forces antiémeute) ne suffisent pas, car ils étaient en train de les envoyer à Burgos. Á souligner, l’ampleur de la manifestation de Barcelone, où la foule s’en est prise à un commissariat sur les Ramblas. Il semble que cela ne fut pas du goût de la police qui s’est chargée de prendre sa revanche en sortant dans la rue la nouvelle arme dont elle dispose pour déloger les manifestations, un canon à son (LRAD) qui produit un bruit insupportable pour ceux qui se trouvent à proximité de la source d’émission.

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Au-delà de l’anecdote, nous devons nous demander quelle serait la meilleure façon de se solidariser avec un conflit, et si la réponse ne devrait pas être de reproduire un tel conflit dans chaque quartier et chaque ville. Tous les quartiers servent de pâturages pour la spéculation, les projets d’aménagement urbain et les politiques contraires aux intérêts des habitants : faisons de chaque quartier un Gamonal.

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Avec toute cette lutte et sa petite victoire – l’arrêt définitif des travaux – il semble que tout soit rentré dans l’ordre, mais comme nous l’avons vu, Gamonal n’est pas un quartier qui se satisfait de peu et la lutte continue. Après une manifestation de soutien à toutes les personnes arrêtées et poursuivies pendant les manifestations, un local appartenant à la municipalité, mais cédé à la Caja Burgos, a été okupé, avec l’objectif de créer un centre social pour le quartier. Et le combat continue, parce que la lutte est la seule solution et à Gamonal, ça, ils le savent très bien.

    Ils nous ont enlevé tant de choses qu’ils ont fini par nous enlever la peur


Gamonal : un quartier chargé d’histoire

Ce n’est pas du tout la première fois que les habitants de Gamonal descendent dans la rue pour défendre leurs droits et leur dignité. Gamonal est un quartier avec une longue histoire de mobilisations et de luttes.

Dans les années 1970-80, il y eut plusieurs mouvements de protestation, d’envergure semblables à l’actuel, pour le transport public, pour un meilleur accès au quartier et contre la hausse des tarifs. Concrètement, en 1980, en raison de la hausse de 1 peseta du prix du ticket de bus entre Gamonal et Burgos, des manifestations organisées dans le quartier se sont terminées avec des barricades l’autoroute N-I et un bus brûlé. Toujours à cette époque, il y a eu l’autogestion de l’usine CYFISA à proximité du quartier. Ce sont des habitants du quartier qui ont été les premiers à engager des poursuites judiciaires contre Méndez Pozo qui l’ont conduit en prison. Dans les années 1990, le Mouvement de l’Objection de Conscience contre la conscription au service militaire était très fort, et en 2005 a éclaté le conflit contre un projet de construction d’un parking, qui était entouré par la même aura (corruption, Méndez Pozo et le conseiller à la planification d’alors qui est le maire actuel), mouvement de protestation qui a donné lieu à des affrontements majeurs et qui s’est conclu finalement par une victoire du quartier et l’abandon du projet.

(Pour plus de détails sur l’histoire de ce quartier et de ses luttes, voir plus bas le texte ‟Gamonal : quartier toujours vivant, toujours combatif”)


Blindés avec canon à eau, canons à son et balles en caoutchouc

La répression des manifestations en solidarité avec la lutte de Gamonal a donné l’occasion aux Mossos d’Esquadra [police catalane] d’étrenner leur nouvelle arme anti-émeute : le canon à son ou Dispositif Acoustique de Longue Portée (LRAD pour son sigle en anglais pour Long-range Acoustic Device). Il s’agit d’appareil portatif qui, dans le cas utilisé par la police catalane, émet un signal sonore d’un volume maximum de 137 décibels dans le but de dissoudre les rassemblements ou de contrôler des groupes de personnes.
Bien qu’il soit considéré comme un type d’arme non létale, certains médecins ont rappelé qu’à partir de 90 dB des sons peuvent provoquer des lésions auditives irréversibles permanentes et que le niveau sonore émis est supérieur à celui provoqué par un réacteur d’avion au décollage. Malgré le fait que cet appareil est utilisé par les polices occidentales depuis peu de temps, on connait déjà une plainte d’une manifestante contre le G-20 qui a subi des dommages auditifs permanents en 2009.

Ce n’est pas un hasard si c’est maintenant que cette arme est essayée, récemment, le Parlement catalan a décidé d’interdire les balles en caoutchouc à partir du mois d’avril prochain, après le succès campagne de protestation menée par ‟Stop Bales de Goma”, après qu’un manifestant a perdu un œil lors des manifestations pour la grève générale de 2012 à Barcelone et que la même année, la Ertzaintza (police basque) a ôté la vie à Iñigo Cabacas d’un coup de flash-ball.
Ce retrait de balles en caoutchouc a été critiqué par la section des CCOO [Commissions ouvrières, syndicat historiquement lié au Parti communiste] des Mossos d’Esquadra qui a envoyé un rapport au Parlement contre son interdiction dans laquelle ces syndicalistes ont déclaré : « Notre position est très claire. En aucune manière, on peut nous enlever cette ressource car nous considérons que les blessés (tant policiers que manifestants) se multiplieraient (...) Le fusil de la police est indispensable. » Nous n’avons pas entendu de voix dans ce syndicat qui se dissociaient de leurs camarades...

Alors que de nouveaux moyens répressifs sont étudiés, nous constatons que les traditionnels sont dépoussiérés. Le gouvernement catalan a en effet ordonné la réparation d’un camion lanceur d’eau qui était tombé en désuétude et quelques jours plus tard, la Direction générale de la police a lancé un appel d’offres pour en acheter un autre pour un montant d’un demi-million d’euros. Manel Prat, directeur de la police catalane, a expliqué pourquoi cet outil n’avait pas été utilisé auparavant ; il a des ‟inconvénients” tels que son manque d’autonomie, sa mobilité difficile et peut causer des lésions et la perte d’yeux.

Mais ces nouvelles armes ne sont pas entièrement nouvelles, en 2013, le ministère de l’Intérieur a été dépensé 3,26 millions de « Matériel anti-émeute et d’Équipements spécifique de Protection et de Défense » pour la Police nationale et la Guardia Civil, 20 fois plus que ce qui a été dépensé en 2012 en équipement classique comme les balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. En outre, il semble qu’en haut lieu, des instructions ont été données à leurs mercenaires pour qu’ils les utilisent avec un plus grand dévouement au moment de distribuer les coups. Selon un communiqué de la fin 2012 du Syndicat Unifié de la Police, au cours d’un entraînement de l’UIP à des tirs de balles en caoutchouc, dans lequel le supérieur responsable demandait à ses hommes une plus grande détermination, plusieurs policiers anti-émeute ont été blessés, aux genoux, aux yeux et aux testicules et le chef de l’unité a dû être envoyé à l’hôpital. Qu’ils aillent se faire foutre !


Textes publié dans Todo por hacer (mensuel anarchiste publié à Madrid), n°37, février 2014.

http://www.todoporhacer.org/

[Traduction : XYZ pour OCLibertaire]





Gamonal : quartier toujours vivant, toujours combatif

L’histoire de Gamonal à travers ses conflits et luttes sociales

Jeudi 23 janvier 2014

Après les journées d’émeutes, les informations faisant les gros titres de la télévision d’État et la couverture médiatique sur tous les continents, on peut dire que Gamonal a acquis aujourd’hui la catégorie de symbole de la résistance face à l’arbitraire du pouvoir. Mais, pourquoi un quartier d’une ville conservatrice comme Burgos est sorti dans la rue pour défendre son territoire avec une telle détermination ? Pourquoi la lutte est-elle encore si vivante ?

Faisons connaissance avec son histoire et son présent.

L’ancien village de Gamonal a résisté comme municipalité indépendante jusqu’au milieu des années 1950. Sous la pression de la grande ville et au milieu de l’étouffement du régime de Franco, le conseil municipal, dont on peut supposer qu’il fut particulièrement accablé par les avocats de la ville de Burgos et le gouverneur civil, accepte de s’intégrer à la « capitale de la croisade »[1]. Cette intégration, qui se produit au terme d’une négociation fictive est une arnaque pour le peuple. Il cède ses immenses terrains contre seulement la création d’une ligne de bus urbain et que la Municipalité couvre les frais des festivités patronales, qui existent encore aujourd’hui (Las Candelas, en janvier).

Depuis des siècles, la ville avait le village dans sa ligne de mire, comme celui de Capiscol. Au bout du compte, cette offensive « diplomatique » était motivée par la création future du Pôle industriel de Burgos par le régime franquiste.

Or, la bourgeoisie et le clergé ne voulaient pas d’ouvriers près de leurs belles demeures ou de la cathédrale. L’archevêque Pérez Platero a été jusqu’à faire valoir que les usines apportaient le marxisme et la prostitution. C’est pourquoi le développement urbain avait comme seule ligne directrice de construire les logements des ouvriers dans le nouveau quartier. Comme le disait la Polla Records, « Vous avez fait nos maisons à côté de vos usines ».

Comme dans la plupart des quartiers ouvriers périphériques des grandes villes, le développement urbain fut totalement chaotique et fit que, pendant des décennies, le quartier était peu habitable. Aucun parc n’a été conçu. Les enfants jouaient dans les décombres des chantiers de construction jusqu’aux années 1990. Il n’y avait pas non plus de places de stationnement dans la rue, parce qu’on présumait que les travailleurs et les travailleuses n’auraient jamais de voitures. D’autre part, il y avait de nombreux jardins potagers à côté des bâtiments et des rues. On trouvait aussi de nombreuses usines le long des rues et sur le bord des places. Tout cela créait un environnement très particulier, radicalement différent de celui du centre de Burgos.

Comme nous le disions, la composition du quartier était principalement ouvrière. Parmi ses habitants, il y a toujours eu une population gitane et, plus tard aussi, immigrante. Dans le quartier, la coexistence a toujours prédominé, et personne ne se souvient de la moindre tension ou incident attribuable à la composition multiethnique.

D’autre part, le quartier conserve une forte identité propre, fruit de son origine. Tant dans le Gamonal lui-même qu’à l’extérieur, cela est manifeste dans des expressions populaires, l’argot... Les exemples sont nombreux. Par exemple, quand quelqu’un du quartier va au centre -ville, il est très courant de dire qu’il « descend à Burgos ».

Comme on peut aller le voir sur place, ce quartier a subi, au cours de ces 60 dernières années, un sérieux abandon et de nombreuses exactions, ce qui fait que ses habitants se mobilisent et se battent, en particulier en ce qui concerne les questions urbaines. Il s’agit d’un quartier habitué à combattre, mais aussi, comme nous allons le voir, à gagner.

Les principaux acteurs populaires de ces luttes ont été les associations d’habitants, des mouvements sociaux propres au quartier (en particulier de la jeunesse et culturelles, de caractère combatif et libertaire très marqué) et de nombreuses assemblées apparues pour des problèmes spécifiques. D’autre part, il faut souligner que ce quartier a toujours fourni beaucoup plus de militants aux organisations les plus combatives de la ville, à la fois sous le franquisme et par la suite. De fait, certaines organisations avaient deux assemblées, l’une à Gamonal et l’autre pour le reste de Burgos.

Bien sûr, le quartier s’est très activement impliqué dans les luttes qui concernaient toute la ville de Burgos (telles que l’exigence d’un nouvel hôpital public), mais il en a développé beaucoup, énormément, spécifiques à son propre espace.

Soulignons-en ici quelques-unes des plus significatives.

À la fin des années 1970, se produisent des luttes de quartier dont les revendications se concentrent sur la nécessité d’un meilleur service de bus et les problèmes découlant de l’autoroute ‟Ronda II”. Le 8 septembre 1978, les habitants réunis en assemblée appellent à une manifestation qui a été jugée illégale par la police et se transforme en une série d’affrontements qui ressemblent beaucoup aux événements vécus dans le quartier en janvier 2014.

Mais loin de s’arrêter, la conflictualité sociale à Gamonal continue de se développer dans les années 1980. Au début de cette décennie, la Municipalité décide de façon unilatérale, et bien sûr sans consultation ou information préalable, d’augmenter les tarifs des bus de la ville. Quand les gens ont lu cette information dans la presse, ils ont spontanément commencé à se parler dans des réunions informelles sous forme de cercles, dans les entrées d’immeubles, et sont sorti pour se rassembler dans la rue Vitoria (qui, comme nous allons le voir est le théâtre de nombreuses manifestations) pour couper la circulation. Ils ont fini par jeter des pierres sur les policiers, qui étaient venu surveiller la manifestation, et par renverser plusieurs réverbères, ce qui a eu des répercussions dans la presse locale et nationale.

A cette même époque, les bâtiments connus comme ‟Las Torres” venaient d’être construits. Il y avait trois blocs de 14 étages, situé dans une zone à peine goudronnée, dans un environnement peu aménagé. Eh bien, dans ces bâtiments et dans la garderie toute proche, des fumées toxiques ont commencé à être détectées : elles provenaient d’un des réservoirs de propane enterrés sous la surface. Quand les habitants et habitantes du quartier ont commencé à dénoncer l’affaire publiquement et judiciairement, en exigeant que le gaz soit enlevé du quartier et que leurs maisons soient réparées pour éviter les infiltrations, les autorités de la ville ont appelé, comme souvent, les ‟marrons” de Miranda de Ebro[2]. Ce contingent anti-émeute était très fréquemment présent dans le quartier et a réprimé le mouvement des habitants à plusieurs reprises. C’est l’une des occasions où le maire José María Peña, déclaré plus tard inéligible, a gagné son surnom de ‟Cabezón” [‟Têtu” ou ‟Tête de lard”] pour son incroyable entêtement et sa capacité nulle d’écouter les gens de Burgos. Après 20, vingt années (!) de procédure judiciaire, la Ville a dû indemniser les familles qui vivaient dans ces bâtiments (en particulier les personnes intoxiquées) et réparer la garderie.

En outre, dans ces années d’effervescence de l’autonomie ouvrière, les travailleurs de la CYFISA ont repris l’usine et l’ont autogérée pendant plus d’un an. Enfin, comme cela s’est passé dans d’autres endroits du pays, le syndicalisme majoritaire a liquidé cette expérience en négociant la revente de l’usine aux anciens propriétaires, qui l’ont finalement fermé avec les aides économique de l’État.

Puis, dans les années 1980, les luttes toujours liés à l’urbanisme se sont poursuivies, mais dans le quartier, d’autres initiatives ont commencé à s’articuler. Plusieurs collectifs ont mené une campagne très intéressante contre la hausse du coût de la vie, ont appelé à une grève du petit commerce et organisé une importante manifestation, à laquelle plus de 5.000 personnes ont participé. Une initiative dont nous n’avons pas entendu parler dans d’autres villes, et qui a été de toute évidence très curieuse et intéressante pour essayer d’attirer l’attention sur la perte de pouvoir d’achat des travailleurs et des travailleuses. Á cette mobilisation a pris part l’Athénée Populaire ‟Los otros” [‟Les autres”], qui, dans cette décennie et la suivante, a développé une activité contre-culturelle et associative très continue avec les habitants et habitantes du quartier.

A cette époque, d’autres grandes luttes se mènent sur le terrain de l’urbanisme, comme nous l’avons dit. Beaucoup d’entre elles, en outre, se terminent par des victoires, partielles ou totales, et en tout cas, par une très importante usure politique de l’omnipotent José María Peña ‟el Cabezón” et son corrupteur Antonio Miguel Méndez Pozo. Par exemple, ils ont essayé de faire payer de la poche des riverains de l’avenue Eladio Perlado les carreaux qui avaient été placés sur leurs trottoirs. Les habitants sont descendus à la réunion du Conseil municipal avec leurs quittances et ont déclenché un grand scandale, certains d’entre eux se déclarant insoumis et disant qu’ils ne paieraient pas. Par ailleurs, diverses formes de protestation ont été organisées contre la présence d’usines dans le quartier, et ce mouvement a obtenu qu’elles s’en aillent toutes à la périphérie. Même une usine de produits laitiers (CLESA) a été occupée et transformée en centre social.
Plus tard, après sa démolition, la Municipalité a été forcée de construire le parc Félix Rodríguez de la Fuente. Il est arrivé la même chose avec le parc Santiago.
Le maire et plusieurs entrepreneurs du BTP ont aussi cherché à construire davantage de bâtiments dans une zone déjà très densément peuplée, mais les palissades du chantier ont été abattues et complètement démolies. De nos jours, c’est un lieu de divertissement et de loisir.

Il est également important de souligner que ce qui est public a toujours été très apprécié dans ce quartier. En plus des luttes pour la santé, la campagne très largement suivie pour la construction d’un sixième établissement public, du fait que tous les autres étaient complètement saturés, a été aussi remarquable.

Comme point culminant des année 1980, soulignons que l’association des habitants ‟Tous Unis” de notre quartier, a engagé une procédure judiciaire qui a obtenu la condamnation de Méndez Pozo à 9 années de prison pour corruption dans l’urbanisme. Même si la joie fut de courte durée, car il n’a accompli que 9 mois de prison et, plus tard, fut nommé président de la Chambre de Commerce. Son amitié avec Aznar semble avoir été déterminante.[3]
Pour plus de détails sur cette première affaire où un constructeur du BTP a été condamné pour corruption urbanistique, il est indispensable de se référer aux pages de El Jeje. El caso de la construcción de Burgos (Librería Editoria Berceo, 1998)

Quant à la jeunesse, dans cette décennie et celle des années 1990, de nombreuses expériences apparaissent. Le Mouvement de l’Objection de Conscience a eu un impact important, ainsi que le Centre Social Gacela [Gazelle], les écoles populaires de musique (où l’on échange des connaissances et l’on apprend à jouer des instruments de manière totalement gratuite), de nombreux centres sociaux ou maisons occupées, en plus locaux traditionnels de la jeunesse utilisés pour répéter la musique et profiter des moments de loisirs... Il faut mentionner que plusieurs générations de jeunes formèrent (et forment) leurs propres collectifs socio-politiques, qu’ils soient anarchistes, castillanistes, antifascistes, de travail social ...

Passées les années 1990, certains de ces collectifs, associations, athénées existent encore, d’autres ont disparu ou ont été transformés, mais les personnes qui les ont dynamisés restent connectés et font partie d’un tissus social relativement large. De nouvelles expériences se créent également.

Dans la première décennie des années 2000, le combat le plus dur et le plus remarquable, qui une fois de plus s’est terminé en victoire, a été celui de l’avenue Eladio Perlado. Dans certains milieux, on l’appelle ‟la Seconde Bataille de Gamonal” par l’importance des émeutes et de la répression ordonnée par la Municipalité et les représentants du gouvernement central (la première bataille de Gamonal était contre les troupes de Napoléon). Son origine : l’arrogance de Javier Lacalle (à l’époque, conseiller à la planification), de Juan Carlos Aparicio (le maire) et de l’entreprise de travaux publics Arranz Acinas dans leur volonté de construire un parking dans cette avenue. Les voisins et voisines dénoncent que c’est là une manœuvre spéculative, qui n’est pas nécessaire et que cela met en danger les bâtiments voisins, certains sont déjà fissurés à causes de chantiers antérieurs. En outre, l’année précédente, 10 ouvriers travaillant pour Arranz Acinas avaient trouvé la mort dans un accident du travail dû au non-respect des règles de sécurité (un évènement qui a également provoqué un grand scandale et de nombreuses protestations).

Comme avec le conflit actuel du projet de boulevard, les associations d’habitants ont organisé des manifestations et de nombreuses formes de protestations pacifiques et légales, mais la Municipalité a refusé de les écouter.

En plein milieu de l’été, au matin du 18 août, alors que le maire et tous ses adjoints sont en vacances, la police locale escorte des véhicules de chantier venu pour installer des palissades et les engins.
Les personnes les plus âgées du quartier apprennent ce qui se passe et descendent pour protester, mais la police les matraque et arrête certains d’entre eux.
Dans l’après-midi, une assemblée est organisée dans le quartier, à laquelle des centaines de personnes se rendent, absolument scandalisées, à la fois par le chantier lui-même et par la maltraitance de personnes âgées par la police locale. Bien que la police reste présente pour protéger le chantier, les gens du quartier, jeunes et vieux, les expulsent, démolissent les palissades, incendient la baraque du chantier et commencent une émeute qui durera environ cinq heures.
Résultat, de nombreux blessés et 8 personnes sont jugées et finalement condamnées à de lourdes amendes et des peines de prison évitables contre paiement d’une caution. Mais, autre résultat, les travaux ont pris fin ce même jour du 18 août. Aujourd’hui, Eladio Perlado est toujours une avenue à quatre voies, avec des places de stationnement gratuite et arborée dans sa partie centrale.

D’autre part, après les mobilisations du mouvement 15M, à Burgos a été créée l’Assemblée de Gamonal. C’est la seule partie de la ville où l’initiative des quartiers a abouti [4] et a acquis une particularité distincte. Cette assemblée, composée de jeunes et les personnes plus âgées, a obtenu une ‟dation en paiement” avec un logement social après une lutte intense contre les expulsions. Elle a également obtenu la récupération pour le quartier d’anciennes salles de cinémas fermées par la Caja Burgos (aujourd’hui CaixaBank) et mène des campagnes contre les banques.

Dans une parcelle abandonnée par les entreprises du BTP, elle plante et s’occupe d’un jardin potager biologique communautaire avec de nombreuses activités pour les gens de Gamonal et de Capiscol. Et elle développe aussi de nombreuses activités, des débats et des réflexions sur les identités de genre, le machisme, le droit de décider et la violence structurelle de l’État contre les femmes.

Par ailleurs, lors des journées de grèves générales, ce quartier y contribue également de manière importante. D’abord, parce qu’il est entouré par l’un des principaux parcs industriels, et qu’il est l’un des points clés où les piquets de grève se retrouvent pour développer leur action. Lors de deux dernières journées, c’est là qu’ont été les principaux lieux de la confrontation en parvenant à bloquer le passage des bus de la ville qui n’avaient pas signé le service minimum malgré l’opposition de la Municipalité et aussi à bloquer l’entrée de certaines usines, malgré la présence de la police nationale.

Comme on le voit, au long de ces six décennies, les habitants de ce quartier se sont organisés de différentes façons pour faire face à leurs problèmes et exposer leurs propositions, leurs revendications et manières de faire au-delà de ce que stipule la prétendue ‟participation démocratique” que nous vendent les institutions. Les jeunes et le reste du quartier n’ont pas été déconnectés, et les ponts ont toujours existé ainsi que les personnes qui servent de référence pour savoir ce qui se passe dans le quartier et coordonner les actions lorsque cela est jugé nécessaire, avec un succès variable.

Avec la mémoire historique du quartier, le tissu social existant, le ras-le-bol absolu de la corruption à Burgos de ces dernières années (y compris deux démissions de conseillers) et les souffrances provoquées par les politiques des deux derniers gouvernements de l’État [PSOE et PP], tout était en place pour qu’explose une lutte comme celle à laquelle nous avons pu assister jusqu’ici. Tout le quartier le savait. La moitié de Burgos aussi. Tous, sauf le maire.

Un habitant de Gamonal


Texte publié dans le Diario de Vurgos, publication anti-autoritaire de Burgos, qui pendant et depuis le conflit, a publié quotidiennement informations et analyses.

Original ici

[Traduction : XYZ pour OCLibertaire]

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Notes de la traduction

[1] De 1936 à 1939, Burgos fut la ville choisie par Franco pour y établir le siège de son gouvernement et, de cette place forte devenue la capitale franquiste, lancer sa ‟croisade”.

[2] Ville de 40 000 habitants, de la province de Burgos, célèbre pour avoir été le site d’un des principaux camps de concentration de prisonniers politique de 1939 à 1947. Les ‟marrones” désignent, à partir de 1979, les membres de la Police nationale, car c’est devenu à cette date la couleur de leur uniforme. Avant, sous le franquisme, ils étaient d’une autre couleur et ils étaient appelés alors ‟los grises”, à ne pas confondre avec ‟los verdes” de la Guardia Civil.

[3] José Maria Alfredo Aznar, membre de mouvements phalangistes dans sa jeunesse, président PP du gouvernement espagnol de 1996 à 2004, et auparavant président de la communauté de Castilla y León où se trouve Burgos. La condamnation de Méndez Pozo en 1994 a eu un très grand retentissement en Espagne car c’était la première fois qu’un patron du BTP et des médias (propriétaire d’une holding composée de 62 entreprises) était condamné à de la prison.

[4] Mouvement du 15-M (pour 15 mai), dit aussi des ‟Indignados” né au printemps 2011. Après les premières semaines d’occupation des places centrales des villes, le mouvement prend l’initiative ‟Toma los barrios y pueblos” pour tenter d’insérer ces dynamiques de rassemblements assembléistes dans le tissus social et au plus près des problématiques concrètes où vivent les populations, les quartiers, les petites villes...

[5] Dation en paiement. Possibilité juridique qui a été reprise comme revendication par le mouvement de lutte et de résistance contre les saisies-expulsions immobilières. Il s’agirait de permettre aux débiteurs de rendre leur logement à la banque contre l’effacement de la dette, alors que la règle veut que la saisie du bien par la banque ne met pas fin à l’hypothèque qui court toujours sur sa valeur d’achat initiale (alors que sa valeur du marché a baissé) et que la dette se trouve le plus souvent augmentée par des pénalités pour retards ou non-paiement.


Dies Irae. <br>Le syndrome de Gamonal

Revue Argelaga, 5 février 2014

La mafia du BTP et la partitocratie espagnole qui lui sert de bras politique ont connu à Gamonal un considérable revers, et cela parce qu’aucun autre quartier dans aucune autre agglomération n’a osé les défier d’une manière aussi vigoureuse et exemplaire. Cela fait longtemps que des conteneurs brûlent sans que le pouvoir ne cède un iota dans sa corruption et son arrogance, mais, cette fois, la main qui les a incendiés venait d’une communauté de quartier indignée et non d’une poignée d’irréguliers urbains en rébellion. Une communauté formée dans le conflit et renforcée par son développement n’est pas facile à vaincre parce qu’elle représente vraiment l’‟intérêt public” face à ses usurpateurs. En outre, du fait de la similitude des conditions sociales actuelle dans les quartiers urbains, il était fort probable que son exemple se serait propagé ; il n’est donc pas surprenant que la classe dirigeante a préféré reculer que de s’engager en bloc dans un conflit qui ne lui convenait pas. Les intérêts généraux de la domination ont eu plus de poids que les profits douteux de particuliers ; la petite corruption fabriquée à la maison et les affaires privées devront attendre des temps meilleurs, au moins à Burgos.

La révolte de Gamonal n’a pas éclaté simplement à cause d’un remodelage urbain qui aurait été préjudiciable au quartier et scandaleusement bénéfique pour le cacique qui contrôle la politique à Burgos et les médias régionaux. Le parking privé a été l’étincelle qui a provoqué un incendie dont les matériaux ont été préalablement amoncelés par un urbanisme odieux pendant quarante années d’impunité. Celui-ci, en ordonnant hiérarchiquement un espace infâme de blocs d’appartements traversés par de tristes boulevards régulant l’accès motorisé de la population, tout en remplissant les poches des spéculateurs immobiliers et des politiciens prévaricateurs, imposait à la population des conditions de vie d’autant plus insupportables que la distance du centre était grande.

L’industrialisation du mode de vie augmente en fonction de l’éloignement des bureaux d’où les dirigeants prennent unilatéralement des décisions qui aggravent les conditions de vie de tout un chacun. Mais il est difficile de toujours accepter un mode de vie enclos, dépendant des transports et de l’argent, bref irrationnel et inhumain, et qui plus est, dans un horizon de précarité, de chômage et d’abandon comme actuellement. Parfois, la résignation ne suffit pas pour étouffer la colère d’un quartier qui sait qu’il ne compte pas dans le calcul des bénéficiaires de sa survie asservie ; alors, une petite arnaque immobilière de plus fait déborder le vase de la patience. Le jour de la colère arrive et l’indignation populaire se dresse devant les impératifs politico-spéculatifs. L’émeute de rue en est la conséquence immédiate car ces impératifs, en dernière extrémité, se matérialisent généralement en forces de l’ordre. Mais ce qui a été vraiment admirable à Gamonal, c’est que la prise de la rue a favorisé la prise de conscience : la communauté des voisins a vraiment émergé à ce moment.

La révolte de Gamonal a été un soulèvement contre la prolétarisation de la vie et l’injustice sociale, un rejet du modèle de la vie industrielle, déracinée et solitaire. L’esprit communautaire né du conflit transcende les aspects purement revendicatifs ; ce que les habitants exigent vraiment, mais intuitivement, c’est le droit à la ville – à l’égalité, à l’assemblée publique, à l’autogestion du quartier, à l’auto-approvisionnement, à l’autodéfense, à la mobilité gratuite, à l’agora – un droit enterré dans la mer d’une architecture impotente pour pauvres, où viennent s’échouer les débordements de la crue des voitures privées, et qui aujourd’hui, est indissociable du droit à la révolte et à la barricade. Dans le monde capitaliste, de nombreux endroits sont comme Gamonal ; toutes les grandes agglomérations sont certainement ‟gamonalières” car elles recréent les mêmes conditions dégradantes qui incitent perpétuellement à la révolte. Il suffit d’un abus de plus pour qu’elle se produise : cela peut être l’expulsion d’un centre social occupé (Hambourg, le 7 janvier 2014), la hausse du prix du ticket de bus (São Paulo, juin et octobre 2013), la brutalité de la police face à une manifestation protestant contre la destruction d’un jardin public (Istanbul, le 28 mai 2013), la mort d’un vieil homme malade dans un quartier d’immigrants (Stockholm, 23 mai 2013), la mort des mains de la police d’un jeune Noir dans une banlieue londonienne (Tottenham, 9 août 2011), etc., etc. La vérité que toutes ces luttes découvrent, c’est que dans la communauté locale se cristallise la véritable nature sociale de l’être humain, mais que celle-ci ne peut être pleinement réalisée qu’en l’absence du capitalisme et de l’État. Pour pouvoir exister, la communauté doit s’affirmer contre les deux ; c’est pourquoi, dans les premiers moments, elle se montre en négatif, violemment. Elle ne fait rien de plus que se défendre face à l’État/Capital et essayer d’y répondre.

La guerre sociale, puisqu’il s’agit d’une authentique guerre entre la classe dirigeante et la population dirigée ne sera pas seulement urbaine, car les principaux antagonismes se déploient plus profondément dans le territoire où la communauté paysanne doit se reconstruire pour le rendre de nouveau habitable. Cependant, les hostilités commenceront dans les villes parce que c’est là que sont concentrées les masses qui, en devenant des sujets collectifs conscients, c’est-à-dire en communauté de voisinage, peuvent faire face aux attaques de l’ordre oppressif avec des garanties de succès.
Des quartiers sortiront les guérillas qui s’étendront sur le territoire, scène finale des luttes sociales qui doivent libérer le monde. Et c’est précisément pour faire avorter toute tentative en ce sens que les gouvernements préparent des mesures de sécurisation généralisée, que ce soit sous la forme de plans, de lois et de décrets contre l’‟ennemi intérieur” (le protocole qui prolonge l’existence du régime FIES[*], la réforme du Code Pénal, la Loi de Sécurité Citoyenne, le Plan national pour la protection des infrastructures critiques... ) , ou sous la forme de contingents policiers spécialisés, d’État ou privés, avec lesquels ils sèment la désolation dans les campagnes et les quartiers, sans parler de l’élargissement continuel des espaces de violation des droits de l’homme comme les Centres d’Internement pour les Étrangers, les Unités Thérapeutiques et Éducatives pénitentiaires, les centres fermés pour mineurs.
Gamonal n’est que le début : la victoire de la liberté ne sera pas facile.

5 février 2014

Revue Argelaga.
(revue antidéveloppementiste et libertaire)

Source : http://argelaga.wordpress.com/2014/02/05/dies-irae-el-sindrome-de-gamonal/

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[*] NdT : Ficheros de Internos de Especial Seguimiento, ou Fichiers de Suivi Spécial des Internés. Régime instauré en 1991, avec une base de données selon les profils de dangerosité supposée des détenus qui permet d’organiser un système de régimes spéciaux disciplinaires internes aux prisons espagnoles, un système punitif et carcéral à l’intérieur des prisons.

Traduction : XYZ / OCLibertaire

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