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Venezuela

Où en est le chavisme après Chávez ?

dimanche 24 novembre 2013, par WXYZ


Venezuela

Á deux semaines des élections municipales du 8 décembre

Où en est le chavisme après Chávez ?

Quelques jours avant les élections municipales du 8 décembre, le Parlement vient d’adopter une « loi habilitante » qui permettra au nouveau chef de l’exécutif, Nicolás Maduro, de gouvernent par décrets. Avant lui, Hugo Chávez y avait eu recours… de même que tous ses prédécesseurs. Au-delà de cette échéance, quelle est la situation du pays près de 9 mois après le décès d’Hugo Chávez qui concentrait sur sa personne à la fois le régime « bolivarien » et toute la rhétorique d’une pseudo-révolution mais qui a pu compter avec une assise populaire tant les attentes sociales et les espoirs étaient et demeurent immenses pour une grande majorité de la population.

Cependant, les signes d’un effritement de ce soutien se multiplient et le culte de la personnalité qui fonctionnait si bien avec Chávez est définitivement en panne tandis que la propagande pro-régime ne suffit plus à garantir une large adhésion. Ceci dans un contexte où le mécontentement contre les pénuries, l’inflation galopante et la corruption notamment commence à se faire entendre jusqu’à la base des mouvements bolivariens, et dont certains appellent à radicaliser la révolution, où des grèves éclatent (travailleurs universitaires, dans le secteur de l’industrie alimentaire – Aceites Diana, Lácteos Los Andes, Grupo Souto, Monaca… –, chez les sidérurgistes du bassin de l’Orénoque….), où luttes territoriales (terres indigènes, semences agricoles, contre la contamination des sols et des fleuves, contre les mines de charbon…) se poursuivent et font surgir de nouvelles remises en question du « modèle » politique et productif, et alors que l’unanimisme auparavant de rigueur au sein des cercles du pouvoir et aux échelons intermédiaires du parti et de l’Etat commencent à se fissurer et des voix dissidentes se font entendre.

Voici, dans deux documents, le point de vue d’un militant libertaire vénézuélien sur la situation actuelle, la crise du chavisme après Chávez, son devenir et aussi les défis que la nouvelle situation imposent pour ceux qui font le pari de la transformation révolutionnaire à partir des mouvements sociaux d’en bas et de leur autonomie. Un troisième article se fait l’écho d’une intervention récente de Maduro fustigeant des travailleurs de la sidérurgie en grève (« voyous » et « anarcho-syndicalistes populistes »), les accusant de « sabotage », les menaçant de poursuites et de les expulser manu militari de l’usine qu’ils occupent.

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« Le comportement du chavisme populaire <br> est la clé des prochains résultats électoraux »

Pour un travail de recherche, un journaliste français a fait parvenir quelques questions à Rafael Uzcátegui, membre du collectif éditorial de la revue El Libertario et auteur de ‟Venezuela : révolution ou spectacle”, sur la situation actuelle du pays près de neuf mois après la disparition d’Hugo Chávez, en particulier une scène électorale différente qui a vu, selon lui, s’éloigner le « chavisme populaire » des partis et instances de représentation du mouvement « bolivarien » et l’apparition de contradictions internes dans la direction du régime.

Le 2 novembre 2013

Nicolás Maduro est-il la continuation de Chávez ou y a-t-il une rupture ?

RU : Maduro tente de fonder sa légitimité en tant que président de la continuation du projet bolivarien construit par Hugo Chávez Frías (HCF), à la fois sur le plan politique et symbolique. Il a repris à son compte le programme de gouvernement « Plan Patria 2013-2019 » avec lequel HCF avait remporté les élections d’octobre dernier et il répète à chaque fois qu’il le peut qu’il représente son legs. Il s’est fait appeler ‟Le fils de Chávez” et essaie d’imiter son style et ses façons de gouverner, ce qu’il a pu capitaliser politiquent à court terme, mais qui, en raison de son manque de personnalité, se ressentira à moyen terme. Cependant, il y a des différences parce que la scène politique n’est pas la même. La présence physique de HCF a été déterminante pour les agissements des différents acteurs politiques et sociaux dans le pays entre 1998 et 2012, de sorte que son absence modifie qualitativement la et le politique au Venezuela.

Nicolás Maduro subit les conséquences d’un mouvement fondé sur le culte de la personnalité, et son autorité sur toutes les parties de l’univers bolivarien est mise en doute, une dimension stimulée par la perte d’un nombre important de voix lors des élections d’avril dernier, qui ont été les pires résultats électoraux du mouvement bolivarien depuis qu’il existe. La faiblesse du leadership de Maduro a stimulé à son tour la lutte des différents secteurs du chavisme, chacun essayant de capter l’hégémonie du legs politique d’Hugo Chávez. Contrairement à un HCF vivant, lorsque l’action du gouvernement était monolithique et dévastatrice, les décisions actuelles se montrent erratiques et les différentes parties du gouvernement agissent parfois de manière contradictoire.

Á la crise politique, s’ajoute la crise économique, en raison de la forte inflation, de la spéculation sur le marché noir des dollars et des pénuries alimentaires. Alors qu’auparavant, il y avait différents niveaux de compromis avec le secteur privé, Nicolás Maduro a ouvertement fait appel aux secteurs économiques non étatiques pour accroître la production alimentaire. Une troisième différence est qu’auparavant, HCF contrôlait le secteur des Forces Armées. Actuellement, les pressions militaires et le rôle qu’elles jouent dans le maintien de la gouvernance sont évidents.

Avec la nouvelle loi ‟habilitante” [permettant de gouverner par décrets], la lutte contre les syndicats, peut-on dire qu’il y a un virage, un changement autoritaire ?

RU : Nicolás Maduro tente de dissimuler ses faiblesses politiques avec des gestes autoritaires. Alors qu’il flexibilise en matière économique en dialoguant avec le secteur privé de l’économie, en lui facilitant l’accès aux devises étrangères et les conditions pour l’accroissement de ses investissements, il se montre avec un discours radical et intransigeant sur le plan politique. Maduro essaie de s’appuyer sur l’armée, à qui il a donné un rôle plus important dans les prises de décision politique du pays. Pour ces raisons, le gouvernement va militariser tous les conflits sociaux qui menacent la production, dans le cadre d’accords signés avec le secteur privé, et qui menacent de montrer les faiblesses internes du gouvernement. Le gouvernement Maduro est la phase terminale de l’hégémonie politique bolivarienne, c’est pourquoi tant de choses peuvent survenir en vue de son maintien au pouvoir.

Les mesures contre l’insécurité sont-elles satisfaisantes ?

RU : Non, elles ne l’étaient pas sous le gouvernement de HCF et ne le sont pas davantage dans le gouvernement de Maduro. La seule nouveauté a été la militarisation des interventions dans la rue pour lutter contre l’insécurité, le ‟Plan Patria”. Cependant, nous savons tous que la répression ne diminue pas, mais augmente les problèmes structurels qui sont à l’origine de la violence urbaine et de l’insécurité.

En plus de la répartition injuste des richesses dans un pays producteur de pétrole, il y a l’action du système judiciaire qui défend l’impunité pour les fonctionnaires et condamne les gens des secteurs populaires dans des prisons qui sont des dépôts d’êtres humains, dans les pires conditions imaginables. D’autre part, l’insécurité s’est déplacée vers les préoccupations de la population pour l’insuffisance des salaires et les pénuries.

Peut-on penser que les pénuries et l’inflation vont favoriser l’opposition pour les élections municipales du 8 décembre ?

RU : Le résultat des prochaines élections donnera des informations quantitatives sur la force du mouvement bolivarien en l’absence physique de son leader. C’est pourquoi elles sont statistiquement importantes et qualitativement différentes de celles qui ont eu lieu entre 1998 et 2012. Les élections sont devenues une sorte de plébiscite sur la popularité du gouvernement, de sorte que le combat final sera pour le montant du total des voix que chaque secteur pourra accumuler.

Les résultats catalyseront ou ralentiront le processus de fragmentation du mouvement bolivarien. Dans le cas des pires résultats pour Maduro – être dépassé largement par le total des voix de l’opposition – cela ouvrira la voie à un référendum présidentiel dans trois ans. Institutionnellement, il n’y a pas de possibilité de changer de président à court terme. Cependant, l’opposition souffre aussi d’une crise de leadership. Ils ont construit leur proposition politique sur la base de virer HCF du pouvoir, et maintenant il n’y est plus. Il est clair qu’ils n’ont pas de proposition pour le pays – sauf leur anti-chavisme – sous lequel ils pourront se construire et se maintenir comme nouvelle majorité. Il reste une question : quel sera le comportement électoral des différentes parties du chavisme lors des prochaines élections (voteront-ils ? appliqueront-ils le vote sanction ? s’abstiendront-ils ?). Mais théoriquement la crise économique aggrave la crise politique et pourrait tenir les bolivariens à l’écart du vote pro-gouvernemental en décembre prochain.

Y a-t-il de nouvelles divisions au sein du PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela) ? Depuis la France, je vois un pays qui va de mal en pis... La gauche commence (enfin) à se demander si c’est la bonne voie.

RU : En ce moment, les luttes intestines au sein du chavisme commencent à devenir visibles, et comme nous l’avons suggéré plus haut, ces batailles peuvent s’aggraver si les résultats de décembre montrent que Maduro continue de perdre significativement du soutien populaire. Des dénonciations de corruption au sein des représentants du gouvernement commencent à se répandre, presque toutes relatives à l’accès aux dollars dits préférentiels et à la spéculation sur le marché parallèle. Il est évident que ces dénonciations font partie des luttes entre les différents secteurs du bolivarisme. Mêmes certains analystes du chavisme ont commencé à montrer leurs distances avec la manière de gouverner de Maduro, et il y a un débat très intense sur la façon de faire face à la crise économique. Il faut être clair que, indépendamment de ce qui se passera dans les prochains mois, le chavisme restera un acteur politique dans la scène vénézuélienne.

Cependant, la poursuite de son hégémonie actuelle dépend de sa fragmentation. Dans le PSUV, il existe des divisions entre les secteurs les plus pragmatiques et les plus idéologiques, ces derniers étant les promoteurs radicaux du contrôle de l’État communal et de ce qu’ils appellent le ‟pouvoir populaire” sur le reste de la société. Il existe également des niveaux de conflit entre le PSUV et les dits “partis alliés”, comme le PCV, La Causa R et Redes. Toutefois, l’absence de Chávez et la crise économique ont éloigné le chavisme populaire des organisations partidaires du bolivarisme. Le comportement du chavisme ‟populaire”, qui ne milite dans aucune organisation formelle et avait seulement une relation affinitaire avec HCF, est la clé de la victoire électorale du chavisme au mois de décembre prochain. Ce secteur est le plus important quantitativement, et selon mon hypothèse, celui qui n’a pas voté pour Nicolás Maduro en avril dernier.

Interview publiée le 2 novembre 2013 sur le site internet d’El Libertario


Faire des vagues, en attendant les tempêtes. Inventaire libertaire pour le post-chavisme

Rafael Uzcátegui

Depuis la mort d’Hugo Chávez, un état de confusion s’est emparée du pays, en particulier pour les différentes forces politiques, qui, par inertie, continuent de parier sur la scène électorale pour obtenir la « légitimité » d’un vote majoritaire comme résolution providentielle de la crise profonde qui s’est installée parmi nous.

Dans quel moment sommes-nous ? Depuis la mort d’ Hugo Chávez, il y a un processus de mutation d’un pouvoir unipersonnel à celui représenté par la direction du parti, dans un contexte marqué par la chute de popularité du projet bolivarien – dont les données les plus visibles sont les votes recueillis par Nicolás Maduro le 14 avril dernier, le pire résultat électoral bolivarien de son histoire jusqu’à présent –, de sévères mises en question adressées à la direction des deux bords politiques en compétition et une crise économique aiguë. Le gouvernement dispose de Nicolás Maduro, comme figure principale pour l’extérieur, mais avec une autorité et une capacité de leadership qui sont questionnées à l’intérieur du bolivarisme. Maduro a tenté de compenser cette faiblesse en renforçant son poids grâce à la direction cubaine, tout en subissant des pressions de différents côtés de la part des cadres supérieurs et moyens des Forces Armées Vénézuéliennes placés dans des postes stratégiques du contrôle civil où ils contrôlent toutes les marchandises, légales et illégales, qui circulent sur le territoire. Alors que le parti au pouvoir, le PSUV, commence à être traversé par les subtilités des luttes intestines, l’exécutif, sans la force nécessaire pour promouvoir le projet autrefois mobilisateur du « Socialisme du XXIe siècle », essaie de gagner du temps de survie : il radicalise en apparence son discours politique tout en construisant des ponts avec le secteur des entreprises privées pour qu’elles augmentent la production alimentaire, en essayant de désactiver l’un des principaux vecteurs du mécontentement : les pénuries .

Dans cette situation, quels seraient les scénarios possibles ? Nous en visualisons deux. Dans le premier, le madurisme parvient à se maintenir au pouvoir pendant six ans dans un contexte de prix élevés du pétrole qui lui permettent d’injecter, par intermittence, des fonds dans le réseau clientéliste des missions sociales. En contrôlant les canaux institutionnels qui permettent au gouvernement de maintenir un vernis démocratique, soutenu par la discipline – et la corruption – des Forces Armées et par un secteur du patronat privé, il parvient à maintenir ses critiques à distance grâce aux appellations de « putchisme », de « sabotage » et de « trahison ». Dans ce scénario, la figure d’Hugo Chavez montrerait son efficacité en tant que mythe fondateur et de cohésion d’une bonne partie du bolivarisme.

Cependant, nous considérons que le deuxième scénario a la plus forte probabilité d’occurrence. En ce cas, le chavisme connait une crise terminale qui, à moyen terme, mettra fin à son hégémonie politique dans le pays. L’intensité de la crise économique catalyse ou ralentit l’implosion du mouvement bolivarien, tandis que les diverses tendances répandent des dénonciations de corruption contre leurs adversaires. Le secteur le plus pragmatique du chavisme partitiste établira des canaux de dialogue avec un secteur de l’opposition, pour garantir sa longévité dans la future administration des espaces du pouvoir d’Etat. Quel que soit le sens que prendra la destitution de Nicolás Maduro, les militaires joueront un rôle de premier plan et, si l’ingouvernabilité l’encourage, un secteur impulsera sa démission par un coup d’État « constitutionnel ». Dans cette éventualité, celui qui remplacera Maduro peut être ou un porte-parole de l’opposition - pas nécessairement Capriles –, ou un représentant du chavisme, dans une recomposition de la politique des partis qui aura laissé derrière elle les coalitions GPP [Gran Polo Patriótico, soutien du gouvernement] et MUD [Mesa de la Unidad Democratica, opposition de droite]..

Les défis, les dilemmes

Ceux qui comme nous pensent que ce sont les mouvements sociaux de base qui transforment les réalités, et pas les gouvernements, doivent miser sur la fin de l’hégémonie du bolivarisme pour la simple raison qu’elle empêche l’émergence d’identités politiques différentes que celles dictées par la polarisation chavisme-antichavisme. En outre, cette hégémonie représenterait une continuation, et pas une rupture, de la crise structurelle du pays en raison de son modèle étatiste d’une économie primaire exportatrice de ressources énergétiques.

Nous considérons que, dans cette période de transition vers le post-chavisme, nous devons mener à bien collectivement plusieurs tâches pour gagner une influence à moyen terme. En première lieu, la restauration complète de l’autonomie et de la belligérance des mouvements sociaux, de décider par nous-mêmes quels sont les manières de nous organiser, quelles sont nos exigences et comment nous nous lions avec les autres mouvements sur des préoccupations communes, sans perdre la capacité d’auto-mobilisation, en fonctionnant de manière autogérée, en rejetant les médiations et sans placer nos luttes sur la voie électorale, en refusant d’être des plates-formes pour un parti politique.

Cela ne sera possible qu’en dépassant la polarisation, en nous éloignant des fausses idéologisations et en travaillant de façon intelligente et audacieuse pour la récupération d’un tissu social qui évolue selon de nouvelles références politiques et en étant attentifs à l’émergence de nouvelles sensibilités et formes d’organisation souples pour l’action.

Les défis ne se situent pas seulement dans l’action directe, mais aussi sur le plan théorique, qui doit avoir des effets en augmentant la masse critique et la capacité d’effectuer nos propres diagnostics, en élargissant nos capacités d’analyse et de discours , et élément non moins important, en repérant correctement la généalogie du mouvement populaire par une récupération historique allergique au discours officiel des veufs de la Quatrième et de la Cinquième République.

Ce processus de réflexion doit être entrepris avec l’humilité nécessaire, en tirant les leçons d’une décennie de sectarismes paralysants et d’idéologisations délirantes, en stimulant la création de nouvelles initiatives sociales dont les réalisations concrètes devront parvenir à déborder la fossilisation et les limitations des organisations politiques traditionnelles de gauche et de droite.

Temps nouveaux, nouvelles subjectivités

L’infantilisation rhétorique de la dispute polarisée a empêché d’inclure dans la discussion des thèmes structurels ainsi que les besoins et les désirs réels de larges secteurs de la population. Nous devons récupérer une décennie et demie de stagnation et de régression dans le débat, en intégrant des questions fondamentales qui se posent dans la région.

La première d’entre elles est la validité du modèle de développement extractiviste, en dépit de ses conséquences sociales et environnementales, et au Venezuela, comme garant d’une culture socio-politique axée sur la rente pétrolière. Cela nous amène à une seconde question qui est la gestion commune de ce qu’on appelle les « biens communs » – eau, air, environnement sain – et l’émergence d’un nécessaire espace public non étatique. Les situations des grands conglomérats dans les villes, y compris la sécurité des citoyens et la violence, ont favorisé le développement d’une « écologie urbaine », qui traite de ce que devrait être les relations entre l’homme et son contexte urbain, ce qu’on appelle le « droit à la ville » et à une qualité de vie dans la dignité. D’autres questions aussi actuelles qu’urgentes portent sur les droits des dites minorités sexuelles, et l’intégration régionale par en bas.

La crise économique est la variable impondérable qui menace de déclencher des tempêtes dans le pays. Cependant, la signification de tout changement dépendra des actions des personnes non alignées dans la polarisation paralysante et dépendra de vastes mouvements sociaux, autonomes et belligérants qui fassent contrepoids à l’influence des Forces Armées et aux accords d’en haut entre les porte-paroles de la politique institutionnalisée qui font semblant de tout changer pour que rien ne change en réalité. Informons-nous, activons-nous et organisons-nous. Faisons des vagues.


Maduro contre les grévistes

« Un groupe anarcho-syndicaliste populiste »

Le 5 octobre dernier, Maduro a menacé les grévistes de l’aciérie nationalisée Sidor (Siderúrgica del Orinoco) de les expulser s’ils ne cessaient pas immédiatement la grève, après les avoir traités de « voyous » et d’« anarcho-syndicalistes populistes ». La formule a dû beaucoup lui plaire car il l’a répété au moins quatre fois en quelques minutes.

« J’attends une rectification immédiate ou rapide, sinon, nous allons récupérer Sidor avec tout le peuple du Venezuela, avec l’ensemble de la classe ouvrière. Je le dis comme ça. Je ne vais pas avoir de faiblesse face à des syndicalistes voyous, anarcho-syndicaliste » a déclaré Maduro dans un discours télévisé prononcé lors d’une cérémonie civique militaire au Campo de Carabobo.

Devant des soldats de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) et les Milices Bolivariennes, des bataillons d’ouvriers armés vêtus de chemises bleues et rouges, venus principalement des entreprises d’Etat Petróleos de Venezuela (Pdvsa) et Corpoelec, Maduro a déclaré la grève est dirigée par « un petit groupe » de syndicalistes qui « ne la ramenaient pas » quand Sidor était une entreprise privée.

« Je veux vous demander votre soutien, car très étrangement, dans une entreprise fondamentale pour la Patrie comme l’est Sidor, a surgit un courant anarcho-syndicaliste et populiste » qui réclame à l’État de verser une prime de salaire individuelle égale à 80 000 dollars, que l’État ne peut pas leur payer. Cet argent, « d’où le sortirions-nous ? ».

Maduro, qui a rappelé son passé à la tête d’un syndicat du métro de Caracas, a déclaré qu’il était maintenant un « président ouvrier » et a demandé au procureur général qu’il poursuive en justice ces « démagogues, irrationnels et populistes » qui dirigent la grève. « Ils sont en train de causer des dommages au pays. (…) Ils ont commis un crime, mais le crime ne paie pas ».

« Je ne l’accepterai pas, nous ne pouvons pas l’accepter, camarades. Une chose est de discuter d’un contrat, d’une revendication, il y a des tensions, des différences, c’est normal, il y a pleine liberté au Venezuela, mais une autre chose est que tout à coup, quel hasard ils déclarent la grève. Il y a des gringos qui se mêlent des affaires intérieures du Venezuela, ceux que nous avons virés qui sont allés là-bas, à Ciudad Guayana, se promenant et cherchant les syndicalistes de Sidor. Je ne veux pas en dire plus maintenant mais j’ai beaucoup de choses à dire. J’attends de la classe ouvrière de Sidor, sans crainte, qu’elle retourne complètement au travail et réactive la production de l’acier et du fer dont le Venezuela a besoin, pour la grande Mission de l’Habitat du Venezuela ». Puis Maduro revient à la charge : « je rends responsable devant le pays ce petit groupe d’anarcho-syndicalistes populistes si cette année nous ne pouvons pas livrer leurs maisons à 300 000 familles pauvres ».

« Ces gens se croient propriétaires de Sidor, ils séquestrent Sidor et menacent de faire disparaître les fers à béton », et donc de laisser les 300 000 familles pauvres qui devaient bénéficier de la Mission Habitat sans maison, « un crime ».

« Je demande votre appui camarades, l’appui des dirigeants de la classe ouvrière, je demande le soutien de la classe ouvrière, pour réactiver la production de Sidor. Non au sabotage, non au sabotage, non à l’anarcho-syndicalisme ! (…) Sidor appartient à la patrie »

Les travailleurs avaient repris une première grève de 15 jours (du 19 septembre au 8 octobre) qu’ils avaient terminée deux jours plus tôt, après que le gouvernement ait finalement refusé de s’engager sur les revendications salariales, alors que la direction de l’entreprise, Corporación Venezolana de Guayana (CVG), avait parlé d’un possible rattrapage salarial de 125 jours.

« Nous avons dû recourir de nouveau à l’appel à la grève illimitée », avait déclaré Yunis Hernández, président du syndicat Unidad Matancera, courant qui intègre le plus large Syndicat Unique des Travailleurs de l’Industrie Sidérurgique et Similaires (Sutiss).

Ce que Maduro appelle des primes individuelles, ce sont en fait les compensations et récupérations salariales liées au non renouvellement de la convention collective depuis plus de 3 ans, soit à la suite de la nationalisation de 2008. Les négociations qui ont débouché sur le conflit actuel ont commencé à l’automne 2012.

De son côté, Wills Rangel, le président de la pro-gouvernemental Federación Unitaria de Trabajadores Petroleros de Venezuela, présent à la cérémonie, a déclaré que la classe ouvrière rejoint « à partir de maintenant » la milice bolivarienne. Rangel a assuré à Maduro qu’il peut compter «  sur cette armée d’ouvriers et de travailleurs » pour renforcer la lutte contre la « guerre économique ».

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Trois jours après cette intervention de Maduro, le 8 octobre, des affrontements ont brièvement opposés au début d’une assemblée générale des grévistes et membres du syndicat Suitiss à un groupe syndical local « officaliste », pro-gouvernemental appelé Alianza Sindical (lié à Central Bolivariana de Trabajadores Socialistas de Venezuela et à la Fuerza Bolivariana de Trabajadores), opposé à la grève. Deux délégués du Sutiss ont été blessés. Les « officialistes », militants du PSUV accompagnés de personnes de l’extérieur, se sont un moment emparé des lieux, avant de devoir céder la place à la masse des grévistes présents.

Les deux premières grèves ont duré 22 jours entre septembre et octobre dans les unités de production du gigantesque complexe sidérurgique de Sidor situées dans la province orientale de Bolivar, région de Guyana, dans le bassin de l’Orénoque. Les discussions entre le Sutiss et la direction ont repris mais, à la mi-novembre, pour la troisième fois, les sidérurgistes ont de nouveau cessé le travail parce que les négociations n’avancent pas et que la direction ainsi que le gouvernement semblent surtout vouloir gagner du temps, tabler sur les divisions internes au syndicat et entre différentes unités de productions et épuiser la combativité des travailleurs.

Le 15 novembre, alors que travailleurs se sont remis en grève, Maduro a déclaré que les sidérurgistes étaient des « faignants » et que des fonctionnaires des États-Unis avaient « capté deux syndicalistes de Sidor pour saboter l’industrie et laisser le pays sans acier » (El Universal)

Rappel

En 2008, la société Sidor, qui appartenait alors à 60% à la compagnie argentine Techint (via la société Ternium), a été nationalisée à la suite d’un conflit de plus de deux mois qui portait principalement sur la transformation de plus de 8000 contrats précaires en contrat à durée indéterminée.
Le gouvernement de Chávez envoie la troupe de la Garde nationale pour briser la grève, il y a des dizaines de blessés et autant d’arrestations, une cinquantaine de voitures de grévistes endommagées, mais le mouvement de grève tient bon, les travailleurs ne cèdent pas. Des arrêts de travail de solidarité ont même lieu dans cette région très industrielle de Guayana. C’est finalement Hugo Chávez lui-même qui décida de nationaliser le groupe, après avoir viré son ministre du Travail de l’époque (qui était aussi un chef syndicaliste du « bolivarisme », la Force Bolivarienne des Travailleurs, dont Maduro est un des fondateurs), et qui, le 12 mai, s’est déplacé et signa la nouvelle convention collective avec le Sutiss. A l’époque, les travailleurs de Sidor étaient presque les héros de la classe ouvrière et la nationalisation présentée comme le signe tangible que le régime était bien « socialiste » et penchait du côté des travailleurs. D’autres nationalisations allaient suivre.

Le 23 novembre, Maduro, un des fondateurs du syndicalisme chaviste avant de devenir ministre puis président, a renouvelé ses attaques contre les « anarcho-syndicalistes » de Sidor.

Voici la traduction d’un article du Correo del Caroní, quotidien régional de Guyana, qui s’en est fait l’écho.

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Maduro est revenu à la charge contre les dirigeants du SUTISS

Clavel A. Rangel Jiménez

Dimanche 24 novembre 2013

Le Président de la République, Nicolás Maduro a rappelé que les travailleurs de la Siderúrgica del Orinoco (Sidor) sont des « victimes de l’anarcho-syndicalisme » à propos de la grève dans l’entreprise d’Etat.

Depuis le Palais de Miraflores, lors une réunion avec le ‟pouvoir ouvrier”, Maduro a salué l’attitude du syndicat du métro de Caracas dont les dirigeants ont déclaré, à la radio et à la télévision, qu’avant d’être syndicalistes, ils étaient « chavistes et révolutionnaires ».

« Suivez l’exemple que donnent les travailleurs du métro », a déclaré le président, alors qu’il comparaissait le mouvement syndical « chaviste » avec le syndicalisme « capitaliste » qui ne réclame que des avantages revendicatifs.

« Les travailleurs sont victimes de conceptions revendicationnistes (sic) et anarcho-syndicalistes (...), il y a un débat dans le mouvement syndical, entre le capitalisme et la construction du concept de socialisme, sans abandonner les luttes qu’il faut mener contre ce qui fait mal et contre la corruption, mais pour la première fois travailleurs savent qu’à Miraflores, il y a un gouvernement de la classe ouvrière », a déclaré Maduro.

Il a exhorté le mouvement syndical à être cohérent avec les pratiques du président Hugo Chávez. « Si à un moment donné, un camarade doit obéir et être mis à une autre responsabilité, qu’il le fasse mais nous ne pourrons jamais, sur n’importe quel plan, nous offrir le luxe de perdre la révolution sur le moindre plan ».

Une question de la responsabilité

Le président a fait remarquer qu’on avait créé de faux espoirs chez les travailleurs de Sidor en leur disant qu’ils avaient droit à 500 000 bolivars [58 000 euros]. « Ils croient peut-être que nous avons une petite machine ici ? » a-t-il déclaré. « Comme ça, c’est facile », a-t-il ajouté.

« Est-ce que c’est cela être un dirigeant ? Ce n’est pas du tout être dirigeant, c’est n’être qu’un marchand qui offre une marchandise. On pourrait dire aussi syndicalisme parasite, parasitisme syndical ou syndicalisme parasitaire. Là-bas, un super leader convoque tout le monde, leur balance des boniments parce que telle clause dit telle chose, telle chose, et telle chose et ils nous doivent 500.000 bolivars à chacun. Vous croyez qu’ici une petite machine ? »

Il a dit croire en la «  classe ouvrière » comme une force transformatrice de l’histoire, pour donner le bonheur à la société, « celui qui peut donner le bonheur à la société, c’est la classe ouvrière en devenant une entité productive. C’est ce que Karl Marx a dit : passer de l’état de nécessité à l’état de la production », a-t-il ajouté.

Il a ensuite exposé que le syndicalisme contre un gouvernement néolibéral et contre un gouvernement socialiste, ce n’est pas la même chose. « Les travailleurs du Métro sont comme les travailleurs de Corpoelec, de Sidor, de la Banque du Venezuela, de Pdvsa, vous êtres les gardiens de ces entreprises qui appartiennent à tous les Vénézuéliens. En devenant des gardiens socialistes, pas des gardiens capitalistes. »

Il a exalté les travailleurs du métro de Caracas qui sont, à son avis, de « véritables gardiens socialistes chavistes de l’entreprise Métro de Caracas comme propriété de tout le peuple du Venezuela. »

Produire plus

« Combien cela a-t-il couté de récupérer Sidor ? Il nous a fallu Dieu et son aide car ils la privatisèrent avec la “loi habilitante”. Ils l’ont vendu une bouchée de pain à une transnationale et beaucoup de gens qui sortent maintenant pour crier n’ont rien dit et font les imbéciles ».

Il a attribué la nationalisation de l’aciérie dans le processus de ré-étatisation qui a eu lieu au milieu d’une grève en 2008, au caractère du président Hugo Chávez qui assuma « à tout prix » et à un « juste prix » le paiement de la transnationale Ternium.

« Mais Sidor a besoin d’une la classe ouvrière qui serve de gardiens socialistes. La glorieuse classe ouvrière de Sidor doit être les gardiens socialiste » et il les a invités à produire plus et à avoir la garantie absolue « que leurs droits de travailleurs, les droits salariaux, seront toujours reconnus sans aucun doute ».

La cible est le SUTISS

C’est la quatrième fois que le président mène la charge contre la direction du syndicat de Sidor. Lors de la première grève de 22 jours, Maduro avait déclaré à la radio et à la télévision que les dirigeants du Sindicato Único de Trabajadores de la Industria Siderúrgica y Sus Similares (Sutiss) avaient rencontré des membres de l’ambassade américaine pour concevoir un plan de conspiration.

Puis, il les a appelés « anarcho-syndicalistes » et cette semaine, il a qualifié de « faignants » les dirigeants syndicaux qui réclament la correction de la feuille de calcul et une nouvelle formule pour le paiement des primes, selon un acte signé avec la CVG [Corporación Venezolana de Guayana, l’entreprise qui chapeaute Sidior] le 8 octobre 2013.

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Situation du conflit

Chaque secteur du comité exécutif du Sutiss a examiné une proposition pour sortir du conflit. La dernière, approuvée parmi un groupe du syndicat est d’annuler un montant linéaire aux travailleurs avec les 408 millions de bolivars que Sidor a dans leurs comptes.
La proposition est une réponse à l’offre faite par la société qui se réfère à 120 jours de salaire plein en moyenne pour les mois effectivement travaillés, plus trois jours de salaire de base par mois, calculé sur la base de la « journée parfaite de l’année », pour un total de 36 jours.

La formule a été rejetée à l’avance par la direction du syndicat au motif que la clause de « jour parfait » est désavantageuse par rapport à la clause actuelle sur les revenus actuels.
Ce dimanche, Sidor en est à son neuvième jours de grève sans qu’il y ait eu à ce jour a été une médiation du ministère du Travail.

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Le 24 novembre 2013


Extraits télévisés de l’intervention de Maduro contre les grévistes « anarcho-syndicalistes populistes » de l’aciérie Sidor (en espagnol)

http://www.youtube.com/watch?v=R4D2qbIxLUw


Traduction : OCLibertaire

Rafael Uzcátegui
http://rafaeluzcategui.wordpress.com/

El Libertario
http://periodicoellibertario.blogspot.fr/

‟Venezuela : révolution ou spectacle”, éditions Les Amis de Spartacus, 2011, Paris, 272 p., 14€.
http://www.atheles.org/spartacus


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  • Libération puis Le Monde s’intéressent au conflit qui oppose les ouvriers de Sidor au gouvernement chaviste de Maduro

    Sidor, un bâton en acier dans les roues de Nicolás Maduro

    Libération

    Simon PELLET-RECHT. Envoyé spécial à Puerto Ordaz (Venezuela) 5 décembre 2013.

    A l’approche des municipales de dimanche au Venezuela, la grève des ouvriers de l’entreprise de sidérurgie nationalisée illustre la défiance envers le Président.

    « Nous sommes chavistes, mais nous ne lâcherons rien ! » clame José Pino qui, comme 15 000 autres ouvriers, est de nouveau en grève contre la direction socialiste de Sidor (Sidérurgie de l’Orénoque) : « Nous voulons seulement que le contrat collectif soit respecté. » A deux jours des élections municipales de dimanche que le président vénézuélien, Nicolás Maduro, compte transformer en test de popularité, les « Sidoristes » continuent de défier ouvertement le gouvernement. Ils réclament l’équivalent de plusieurs millions d’euros d’impayés depuis la nationalisation de la gigantesque aciérie, en 2008.

    Tout en se promenant au milieu d’une forêt d’entrepôts et d’arbres de métal décharnés et rouillés, à l’entrée de la zone industrielle de Puerto Ordaz, à 500 km au sud-est de Caracas, dans l’Etat de Bolívar, José Pino trépigne : « Notre feuille de paie n’a pas été actualisée, nos salaires auraient dû être triplés depuis 2008 ! » Après vingt-sept ans à soulever des barres d’acier, il ne gagne que 6 000 bolivars mensuels (environ 700 euros), soit le double du salaire minimum pour élever ses huit enfants. « Les conditions de travail sont meilleures, on a enfin deux jours de repos par semaine et on ne travaille plus que 40 heures, mais là, avec la crise, les salaires ne suffisent plus », soupire-t-il.

    Échec. La grogne a commencé de manière informelle cet été, quelques mois après la mort de l’ex-président Hugo Chávez. « Avant, une telle grève aurait été inimaginable, on avait une confiance totale en notre leader », explique Leonel Grisett, à la tête du mouvement « de base » Coalition sidérurgique. « Chávez avait par exemple signé fin 2012 un budget spécial de 300 millions de dollars [environ 200 millions d’euros] pour relancer la production et payer les ouvriers, mais tout a disparu. Maintenant, personne ne veut de Nicolás Maduro et de sa clique de corrompus », insiste Leonel Grisett, qui déplore l’échec du « contrôle ouvrier » : « En 2008, on a essayé de mettre des ouvriers à la direction, mais pas les bons, ils n’y connaissaient rien en gestion. Il n’y a pas eu d’investissement, tout est tombé en ruine. » Selon lui, la production d’acier liquide aurait dégringolé de 4,3 à 1,8 million de tonnes en cinq ans. La reprise en main de Sidor par des militaires depuis février 2013 n’a fait qu’accentuer le mécontentement des ouvriers, peu enclins à marcher au pas.

    Alors que la contestation croît dans tout le pays, Nicolás Maduro a de plus en plus de mal à assumer l’héritage d’Hugo Chávez. Pour tenter de conserver les positions du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) lors des municipales de dimanche, il a enchaîné ces dernières semaines les effets d’annonces : création d’institutions de régulation du commerce extérieur, politique de baisse des prix obligatoire dans la plupart des points de vente, militarisation des entreprises accusées de spéculation… Le Président est intervenu sur tous les fronts. Dans le même temps, à quelques semaines de Noël, il importe à tout va pour faire face à la pénurie qui touche le pays. Maduro a également obtenu fin novembre des pouvoirs spéciaux pour lutter contre la « guerre économique », menée selon lui depuis les Etats-Unis. Ainsi, lors d’une nouvelle coupure de courant géante qui a affecté la moitié du Venezuela lundi soir, le Président a encore une fois pointé du doigt un supposé « sabotage » de l’opposition.

    « Offense ». Il utilise d’ailleurs le même genre de rhétorique pour le conflit Sidor lorsqu’il traite les grévistes « d’anarcho-syndicalistes » et les accuse de frayer avec « l’empire » américain. En octobre, le gouvernement vénézuélien a ainsi expulsé trois fonctionnaires de l’ambassade des Etats-Unis pour avoir rencontré, entre autres, des dirigeants syndicaux de Sidor. José Luis Hernandez, le président du Syndicat uni des travailleurs de l’industrie sidérurgique et assimilés (Sutiss), qui regroupe toutes les tendances syndicales de Sidor, se défend : « Nous ne sommes pas anarchistes, nous ne nous sommes pas réunis avec des Américains, nous défendons juste les salaires des ouvriers. Cette accusation est une offense au peuple travailleur. » Le dirigeant de Sutiss se dit dorénavant « en guerre » contre Nicolás Maduro et ne semble pas très inquiet à l’idée de perdre sa carte du PSUV.

    Les autres entreprises d’Etat de la région de Bolívar attendent impatiemment l’issue de ce conflit symbolique pour réclamer elles aussi l’application effective des contrats collectifs signés depuis les nationalisations. Après plus de cinq semaines de grève discontinue, « Sidor indique le chemin à suivre pour la classe ouvrière », assure Orlando Chirino, ex-candidat marxiste à la présidentielle du mois d’avril. Un chemin qui sort de plus en plus des clous du « madurisme ».

    Simon PELLET-RECHT Envoyé spécial à Puerto Ordaz (Venezuela)


    Au Venezuela, les ouvriers de la sidérurgie ne croient plus aux patrons militaires

    Le Monde.fr
    Le 07.12.2013 à 11h14 • Mis à jour le 07.12.2013 à 11h16 | Par Marie Delcas (Puerto Ordaz, Venezuela, envoyée spéciale)

    Les mains musclées, le regard las, les ouvriers de Sidor entament leur sixième semaine de grève de l’année. « Ce n’est pas nous qui ruinons l’entreprise, ce sont ses administrateurs », affirme Cruz Hernandez, délégué départemental du Syndicat unique des travailleurs de l’industrie sidérurgie et similaires (Sutiss). Autrefois fleuron de l’industrie lourde vénézuélienne, l’entreprise sidérurgique périclite doucement, à en croire les grévistes.

    En 2007, juste avant d’être renationalisée par l’ancien président Hugo Chavez, Sidor a produit 4,3 millions d’acier liquide, un record. « Elle aura du mal à atteindre la barre du million et demi cette année », affirme le technicien Johnny Luna. Les 13 320 travailleurs de l’entreprise exigent le paiement d’un arriéré de salaires et de dividendes, prévus dans la convention collective. Les négociations achoppent sur le mode de calcul. « J’ai toujours voté pour Hugo Chavez et je soutiens la révolution, soupire Freddy Cordoba. Je ne comprends pas pourquoi Nicolas Maduro, qui était syndicaliste avant de devenir président, nous ignore comme cela. »

    A 640 kilomètres au sud-est de Caracas, dans le département de Bolivar, les installations de la Sidérurgie de l’Orénoque (Sidor), s’étendent au bord du fleuve sur plus de 900 hectares. L’entreprise produit de l’acier brut et des produits semi-finis. Sidor fait partie des grandes « entreprises de base », développées dans les années 1960. Proximité des matières premières, énergie bon marché, facilité du transport fluvial, la région de Guayana et la ville de Puerto Ordaz deviennent alors le centre de l’industrie non pétrolière du Venezuela.

    « PARASITES »

    En 1997, alors que l’Amérique latine cède aux sirènes du néo-libéralisme, Sidor est privatisée et passe aux mains d’un consortium italo-argentin, Techint. Mais Hugo Chavez ne l’entend pas de cette oreille. Sidor revient dans le giron de l’Etat, les travailleurs applaudissent. Techint qui, n’a pas payé beaucoup d’impôts et a gagné beaucoup d’argent, emmène dans ses bagages ses meilleurs cadres.

    La cause des travailleurs de Sidor inspire aujourd’hui peu de sympathie. Le président Nicolas Maduro a accusé les membres du Sutiss de conspirer contre son gouvernement socialiste, avant de les traiter d’« anarcho-syndicalistes populistes » et de « parasites ». Le coup est rude pour la vieille garde du syndicalisme ouvrier. « L’incurie de l’Etat et la voracité des travailleurs sont responsables du délabrement de Sidor », entend-on dire dans les rangs de l’opposition. Les employés de Sidor jouissent de privilèges jugés exorbitants par leurs compatriotes.

    C’est écrit sur le site Internet de l’entreprise : le « contrôle ouvrier », instauré depuis la renationalisation, permet « aux travailleurs et aux travailleuses de participer à la prise de décision en matière de la production, planification et usage efficace des ressources ». « Inutile de dire qu’on a jamais rien vu de tout ça », s’agace Freddy. Six présidents se sont succédé à la tête de l’entreprise depuis sa nationalisation. « Tous nommés pour des raisons politiques, pas pour leur connaissance de l’acier », résume Cruz Hernandez. « Tous des présidents éphémères disposés à céder à la première revendication syndicale, à intégrer les travailleurs précaires, à augmenter les salaires puisqu’ils ne leur en coûte rien », ajoute le patron d’une entreprise de sous-traitance, sous couvert d’anonymat.

    Comme Francisco Rangel, le gouverneur du département en place depuis neuf ans, le président actuel de Sidor, Javier Sarmiento, est un général. Carlos Osorio aussi, qui dirige la Corporation Vénézuélienne de Guyane (CVG), l’organisme public qui chapote Sidor et les autres entreprises de base. « Les militaires n’ont pas été formés pour écouter, ni pour négocier », continue Cruz. Selon les grévistes, la corruption gangrène toutes les instances de pouvoir. « Mais ce n’est pas notre problème. Notre consigne, c’est zéro politique », affirme Cesar Carrizal, en faisant énergiquement taire son camarade.

    PROFONDES DIVISIONS DU MOUVEMENT OUVRIER

    A Sidor comme dans le reste du pays, le mouvement ouvrier affiche de profondes divisions. « Le pouvoir chaviste n’a pas réussi à prendre le contrôle des syndicats comme il l’aurait voulu, explique l’avocat Marino Alvarado. Mais, ce faisant, il les a doublés et affaiblis. » Des syndicats « bolivariens » ont été créés à côté des syndicats récalcitrants. Les fractures se superposent. Entre chavistes inconditionnels du pouvoir en place et syndicalistes soucieux de défendre l’indépendance de la lutte. Entre la base et la direction de Sutiss, soupçonnée d’accointance avec le pouvoir, voire de corruption. Entre les vieux de la vieille du fer et de l’acier et les travailleurs précaires récemment embauchés. Mais, fort de sa longue existence, Sutiss jouit d’une légitimité certaine auprès de tous.

    Sur un point le consensus semble se faire : « Si Hugo Chavez était encore vivant, il serait venu depuis longtemps et tout serait résolu », disent les travailleurs. Décédé en mars, déifié par son parti, Chavez est une figure intouchable. En août 2012, deux mois avant d’être réélu pour la quatrième fois, six mois avant de mourir d’un cancer, le « Comandante » n’avait-t-il pas promis 314 millions de dollars pour Sidor ? C’était en direct à la télévision. « L’entreprise n’en a jamais vu le premier sou », affirme José Luis Hernandez, le président du Sutiss. Tous acquiescent. Et tous exonèrent Chavez.

    GOUVERNEMENT « INCAPABLE »

    Pourtant, à les écouter, les problèmes ne datent pas d’aujourd’hui. Faute d’investissements, de matériel, d’entretien des installations, de maintenance technologique, d’expertise, la production n’a cessé de chuter depuis la re-nationalisation. Et les conditions de travail deviennent dangereuses. « Comment voulez qu’une entreprise, où le papier hygiénique manque, exporte de l’acier au reste du monde ? », soupire Cruz Hernandez.

    Que font, au quotidien, les 13 000 travailleurs si l’entreprise tourne au tiers de sa capacité ? Doivent-ils rester chez eux ? Les syndicalistes répondent par la négative, mais deviennent évasifs. La rumeur dit que Sidor est désormais bien dotée en jeux de cartes et dominos. L’entreprise sidérurgique n’est pas la seule de la région à battre de l’aile. Ferromineras, qui extrait et vend du fer, tourne à bas régime. Son président, Radwan Sabbagh, et son principal sous-traitant, Yamal Mustafa, sont sous les verrous depuis juillet.
    Nationalisée en 2009, Orinoco Iron, qui produisait des briques réfractaires, est paralysée depuis août, après avoir tourné pendant quatre ans à 20% de sa capacité, toujours de source syndicale. Venalum, pour l’aluminium, et Bauxilum, pour la bauxite, opèreraient à 30%. « Le problème n’est pas la nationalisation, martèle un gréviste. Le problème, c’est que le gouvernement semble incapable de gérer quoi que ce soit ». La nouveauté, c’est que ce sont des chavistes qui le disent.

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