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Venezuela

Déclaration sur les événements de février-mars 2014

Collectif éditorial de El Libertario et individus anarchistes

samedi 8 mars 2014, par WXYZ


Maintenant plus que jamais <br> Autonomie, Autogestion, Action directe et Solidarité

Collectif éditorial de El Libertario et individus anarchistes

Le 6 mars 2014

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Il n’était pas nécessaire d’être un génie pour prédire que la calamiteuse situation économique et sociale du Venezuela, hérité de 14 années de gouvernement de Hugo Chávez et aggravée en un peu plus d’un an avec Nicolás Maduro, était en train de produire une pression conflictuelle prête à exploser, surtout quand ont cessé les augmentations débridées des recettes issues de l’‟or noir” qui ont soutenu, jusqu’à il y a 3 ou 4 ans, la prétention d’un ‟socialisme pétrolier”. Les ressources continuent à être abondantes mais le gaspillage, l’incapacité, la corruption et la cupidité de ceux qui gouvernent sont encore plus importantes. Entre les narco-généraux et autres rapaces en uniforme, les hauts bureaucrates qui couvrent tous les degrés de l’avidité à la nullité, ‟bolibougeois”, ”bolichicos” [jeunesse dorée de l’élite chaviste] et autres bénéficiaires des avantages de la CADIVI [Commission d’administration des devises], l’épaisse couche de la castrobourgeoisie, de l’État cubain et de ses conseillers sur le terrain prêts à magouiller ou les agents de ces transnationales qui ont obtenus des revenus si lucratifs grâce aux accords signés avec la ‟révolution bolivarienne”, la marmite devait éclater tôt ou tard, et plutôt tôt que tard, avec une population en témoin de ce show éhonté du pouvoir et en même temps souffrant le pire en matière d’insécurité, de pénurie, de crise des services publics et du taux d’inflation le plus élevé au monde.

Seule l’insolence obscène de la propagande officielle, plus la cécité – tarifée et/ou quasi-religieuse – d’une certaine gauche autoritaire toujours prête à se prosterner devant le Leader Bien Aimé du moment, ont vu dans ce tableau, qui s’est aggravé aux yeux de tous, le résultat d’une véritable machination de la part d’un certain impérialisme qui ne leur plait pas (d’autres se présentant comme ‟amis”). Selon cette histoire absurde, de 1999 à aujourd’hui, l’économie a été gérée dans une brillante stratégie de construction du socialisme, avec attention prioritaire et immédiate aux besoins des dépossédés, l’honnêteté dans la gestion des fonds publics et une participation sociale massive, active et vigilante, à travers les organes de ‟pouvoir populaire” et du ‟contrôle social” ; ainsi, si quelque chose va mal temporairement, c’est le fait d’un complot putchiste des Yankees et leurs laquais locaux, car pour l’essentiel les choses n’ont jamais été mieux et l’avenir de cette voie est absolument prometteur.

Mais, depuis février et avec rudesse, la rue dit autre chose parce que la vérité de l’histoire est toute autre. Dans pratiquement tous les grands centres urbains (et nous sommes dans un pays avec un peu plus de 85 % de la population urbaine) des manifestations de masse ont eu lieu qui, contrairement à ce qui a été dit sur des ‟émeutes de bourgeois et petits-bourgeois”, ont un contenu social transversal où se retrouvent des gens de toutes les conditions ; parce que sinon, comment expliquez-vous le caractère massif et la durée de ce processus ? En outre, si l’économie (crise du capitalisme de la rente pétrolière et de l’extractivisme) est la motivation structurelle des manifestations, il y a une multiplicité des causes pour expliquer que toutes sortes de gens sont sorti, et continuent à sortir dans les rues, pour protester, causes certainement renforcées par l’incapacité patente d’un gouvernement qui n’arrange que les affaires des ‟pistonnés” et maintenant, peut-être de moins de gens encore car la production et les recettes pétrolières diminuent.

Il est important d’insister sur le fait que cette rébellion collective a été essentiellement spontanée, parce que même s’il y en a eu quelques-uns qui ont flairé là la possibilité d’en tirer un bénéfice politique (comme Leopoldo López et son petit parti ou Maria Corina Machado), on peut dire d’eux que, s’ils ont réussi à se montrer au cours des événements, ils ne dirigent pas ce qui s’est déclenché. Même, il y a une rupture nette dans le secteur qui auparavant répondait aux lignes venant de l’opposition électorale et démocratique et de sa Mesa de la Unidad Democrática, comme en témoignent des faits comme la réaction de rejet par la foule d’Henrique Capriles et de ces autres dirigeants-là lors de divers actes publics qui ont eu lieu au cours de ces journées. Nous voyons une certaine corrélation entre cela et ce qui arrive dans le chavisme, où une importante base électorale de Chávez a voté par fidélité pour Maduro il y a un an – engagement qu’une majorité a confirmé en donnant la victoire au parti au pouvoir lors des élections régionales de décembre – et semble maintenant indifférente devant les appels agités pour qu’elle exprime de manière visible son engagement aux côtés du gouvernement, de sorte que les rares actes publics pro-gouvernementaux récemment n’étaient même pas l’ombre de ce qu’ils étaient couramment lorsque Chávez avait coutume de les appeler. Une telle inaction de la masse chaviste (que Maduro a tenté de briser par un appel hystérique à ce qu’elle rejoigne la répression) pose une des questions les plus décisives du moment, car selon qu’elle se maintient ou rompt dans l’un ou l’autre sens, cela pourra devenir déterminant pour ce qui arrivera dans les suites de la situation actuelle.

Une répression démesurée a été la réponse privilégiée et presque unique, jusqu’à ce jour où ces lignes sont écrites, de l’État vénézuélien. Il semble qu’il n’en avait pas d’autres, et pas plus maintenant, au moins pour la remplacer comme option principale. En premier lieu, parce qu’économiquement, l’État vénézuélien est impliqué dans les hauts et les bas du capitalisme pétrolier d’une manière plus évidente que dans toutes les autres conjonctures des 70 dernières années, et qu’il a beaucoup moins de possibilités de gagner en légitimité et en soutien en offrant les miettes de la carotte rentière, et de ce fait, il ne reste plus qu’à distribuer les coups par la Garde Nationale ‟du Peuple” et par des paramilitaires des ‟collectifs” au look à la Che Guevara. Inutile de dire que cette voie a produit des coûts immédiats et des risques futurs : avec les paramilitaires ‟rojos-rojitos” [rouges foncés”], ils ont le même problème qu’avec une boîte pleine de vers de terre ; c’est facile à ouvrir et à les relâcher, les complications viennent pour les récupérer et/ou les contrôler. Quant à la Garde Nationale et l’impression collective qu’a laissé sur son travail ces jours-ci, on peut dire qu’elle a généré au Venezuela la floraison d’une propagande, d’un esprit et d’une conscience antimilitariste qu’il reviendra désormais à l’anarchisme d’impulser – en le portant au-delà de la bipolarité du ‟bon et du mauvais” militaire – parce que nous sommes contre l’existence même des appareils militaires comme organes de contrôle et de coercition sociale.

En second lieu, après l’expérience de 2002, Chávez était obsédé par ce qui était pour lui le principal risque d’être chassé du pouvoir, la voie du coup d’État, et en conséquence, il a préparé des mécanismes pour répondre à cela. L’accent mis sur l’armement, l’entraînement et la coordination des paramilitaires vient de là, et également l’insistance de la propagande ; d’abord en parlant de ‟putch économique”, puis d’un ‟putch en cours”, maintenant de ‟putch lent”, tout cela démenti par le ridicule paradoxal quand, au beau milieu de ces soi-disant putchs, ce gouvernement-victime étend la durée des jours fériés du Carnaval et appelle à sa célébration. En outre, ce scénario si bien écrit et appris exigeait de présenter sans équivoque l’éventuel adversaire comme des fascistes face aux majorités populaires, ce qui d’un côté aurait galvanisé un soutien explicite en faveur du régime de la part de larges secteurs de la collectivité, tandis que, de l’autre, il aurait gagné un soutien important sur le plan international. Mais à la fin, les faits, leur séquence et – non moins importantes – les actions maladroites de Nicolás Maduro et de sa troupe de faire-valoir, ont fait que l’aspect répressif est celui qui s’est particulièrement remarqué, avec une détérioration conséquente de la crédibilité politique du régime, qui continue d’invoquer le Grand Méchant Loup pour un coup d’État militaire que personne ne voit, ne sent ou ne ressent. Des jours et des semaines se sont passés sans que l’on voie la moindre preuve ou évidence incontestable, exceptés les ragots et les rumeurs, d’une action armée et inconstitutionnelle de grande envergure visant à le chasser du pouvoir (parce que c’est un coup d’État !), tandis que des adjectifs comme ‟fasciste” et l’annonce de prochaines ‟agressions impérialistes” faisaient rapidement rougir de honte les maduristes les plus timides ou les plus discrets, tandis que le reste des gens les ont pris comme prétexte pour de nouvelles blagues.

Alors, ce qui est clair : aucun coup d’État n’est à l’ordre du jour dans l’immédiat, coup qui signifierait une rupture décisive avec cette élite bénéficiaire du régime telle que listée plus haut, dans le premier paragraphe : il serait absurde qu’ils s’exécutent eux-mêmes. Malgré toutes les difficultés et la gestion obtuse de l’équipe dirigeante, il reste des marges pour que, à l’intérieur du capitalisme et en appliquant des mesures capitalistes d’ajustement, sur lesquelles tous ceux qui exercent ou concourent pour le pouvoir d’État s’accordent, les héritiers de Chavez – avec ou sans Maduro – puissent retrouver la pleine gouvernabilité. Peut-être que le baratin sur le ‟socialisme”, le ‟pouvoir communal” et le ‟pouvoir populaire” pourra continuer à être utilisé ou non (détail mineur), mais en aucun cas il faut croire que les bolibourgeois et les ‟pistonnés” au pouvoir vont prendre une autre voie que celle qui leur accorde des garanties et l’impunité. Maintenant, plus que sous la direction de Chavez, tout indique que cette voie passe par des accords politiques avec l’opposition, et au Venezuela, cela signifie donner un plus large accès à la manne pétrolière. Ils l’ont fait avec Lorenzo Mendoza et avec ce secteur de la bourgeoisie qui, au cours de ces dernières années, a oublié de se risquer dans la production pour vivre maintenant des mamelles prodigues de la CADIVI et de la spéculation sur les taux de change monétaire. Il y a également les accords conclus avec les agents financiers internationaux et les coûteux Chinois qui aideraient à sortir du bourbier, mais en imposant leurs conditions.

De notre côté, avant qu’elles ne s’imposent, nous avons mis en avant un rejet clair des mesures d’austérité à venir, où une fois de plus ceux d’en bas, ceux de toujours, vont payer les pots cassés, comme c’est la coutume dans le capitalisme néolibéral ou dans ce capitalisme d’État. Nous continuerons à lutter pour renforcer des alternatives réelles d’autonomie pour les majorités, celles qui d’une certaine manière se sont annoncées dans la vigueur, l’enthousiasme et l’ingéniosité qui se sont été exprimés sous tant de formes dans ces manifestations. Une partie de ce travail a été d’accompagner ces événements, de présenter les preuves et les dénonciations (plaintes) de la brutalité répressive de l’État ainsi que de faire connaître ce qui est à notre portée pour comprendre et analyser ce qu’ont été ces événements. Mais le plus important est de continuer à œuvrer pour faire en sorte que le plus grand nombre de personnes, partout où nous avons une présence et une incidence, commencent ensemble à concevoir et à construire des solutions aux problèmes qui les touchent, des solutions qui viennent d’eux et pas de dirigeants dont la principale priorité est leurs propres bénéfices et ceux de leurs plus proches copains.

Autonomie, Autogestion, Action directe et Solidarité !

Venezuela, 6 mars 2014

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Source : ici

Traduction : OCLibertaire


Complément

Un élément qui ajoute au ridicule et au dangereux crétinisme politique de la campagne hystérique contre le ‟putch” impérialiste des Yankees, des paramilitaires colombiens et des ‟fascistes”, ce court extrait d’un texte de Simón Rodríguez Porras, membre du PSL (Partido Socialismo y Libertad, trotskiste), dans l’opposition de gauche au régime.

Le gouvernement a recours à l’expédient de se faire passer pour la victime d’un coup d’État en cours d’exécution et de comparer la situation actuelle avec celle d’avril 2002. Il est toutefois impossible de soutenir rationnellement une telle comparaison. On n’enregistre en effet aucune déclaration contre le gouvernement ni aucune défection au sein des forces armées, dont la hiérarchie – officiers généraux et officiers supérieurs – est complètement alignée sur le gouvernement et sur la fraction de la bourgeoise qui dirige l’État. Cette dernière est principalement constituée par un secteur de nouveaux riches mieux connus par la population sous le sobriquet de “bolibourgeoisie”, et dont beaucoup sont d’ailleurs eux-mêmes militaires.

La plupart des dirigeants de la MUD ne partagent pas le mot d’ordre de “démission” impulsé par VP [le parti de la droite dure Voluntad Popular de Leopoldo López] et polémiquent publiquement avec Leopoldo López. L’organisation patronale Fedecámaras n’appelle nullement à la grève, pas plus que la bureaucratie syndicale liée à la MUD. En plein milieu de la crise, le plus puissant capitaliste du pays, Gustavo Cisneros, a annoncé son soutien au gouvernement, tandis que la transnationale Repsol vient de signer un accord de financement de PDVSA de 1,2 milliard de dollars. La hiérarchie de l’Église catholique s’abstient de jeter de l’huile sur le feu et soutient plutôt les plans de « pacification » du gouvernement. (‟¿Qué está pasando en Venezuela ?”, laclase.info, 23 février 2014)

En cas de véritable ”golpe” en cours, beaucoup de ces leviers (patronat, bureaucratie syndicale de la droite très présente dans le secteur du pétrole, la plupart des partis, la hiérarchie catholique, une partie de l’appareil d’État et des forces armées...) auraient été actionnés pour déstabiliser la situation. Il n’en a rien été.


Épisodes précédent et informations complémentaires

Venezuela - Situation et mises jour au 25/02/2014

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    paru dans CQFD n°120 (mars 2014), par Oscar Ratito, illustré par Rémy Cattelain

    mis en ligne le 17/03/2014
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    « La présentation des faits est si souvent mêlée à la propagande des factions en présence qu’il est difficile de prendre une position critique », observe Simon Rodriguez Porras [1] dans un texte sévère sur la responsabilité du régime post-Chávez dans les récentes manifestations du mois de février. Dans ce contexte de guerre médiatique et de bipolarisation extrême, nous avons essayé de recueillir quelques clefs d’analyse auprès de plusieurs observateurs vénézuéliens pour mieux comprendre ces signes d’érosion du chavisme.

    Pour remonter à l’origine du mouvement de contestation actuel, le 4 février dernier, des étudiants de San Cristóbal dans le Táchira – un état frontalier de la Colombie qui connaît des services publiques déficients –, manifestent suite au viol d’une de leurs camarades et subissent la répression de la police qui se solde par 6 arrestations. Un mouvement de solidarité s’étend à d’autres universités du pays et très vite, les protestations débordent le sujet de l’insécurité pour cibler la politique économique du président Nicolás Maduro. Fin janvier, avec le soutien du patronat, Maduro avait annoncé de nouvelles mesures d’austérité, augmenté les impôts et dévalué la monnaie – l’année 2013 ayant enregistré une inflation de 56 %. Le 12 février 2014, les manifestations touchent 18 villes. Leopoldo López ou María Corina Machado, figures de l’opposition de droite ultralibérale, saisissent l’occasion pour se poser en défenseurs des droits de l’homme et réclamer la destitution de Maduro, sans pour autant réussir à fédérer toute la contestation. Le 18 février, Leopoldo López, accusé d’incitation à la délinquance pour la manifestation du 12 février, laquelle a causé la mort de trois personnes, joue la carte de la victimisation et met en scène sa reddition.

    Après un mois de manifestations, on comptait une vingtaine de morts, dont au moins dix tués par les forces de l’ordre et les groupes paramilitaires pro-gouvernement, plusieurs centaines de blessés, parfois par armes à feu, et des cas avérés de traitements dégradants contre des manifestants arrêtés, ainsi que des arrestations arbitraires à l’encontre de journalistes. Deux policiers ont également perdu la vie.

    Dans le pays, on s’accorde à dire que Maduro n’a pas le charisme de Chavez et que, si les classes populaires n’ont pas défilé avec les étudiants, le pouvoir n’a pas non plus obtenu l’appui des masses chavistes, que son prédécesseur aurait immédiatement activé dans pareille situation. A l’extrême gauche, certains observent une droitisation du régime. Simon Rodriguez Porras écrit : « On assiste […] à une utilisation accrue de l’appareil répressif et administratif pour résoudre les conflits sociaux. » Rafael Uzcátegui, membre du journal anarchiste El Libertario, joint par CQFD, nous fait observer que « le peu de manifestations en faveur de Maduro – exclusivement à Caracas – ont mobilisé essentiellement les fonctionnaires publics ».

    D’un autre côté, beaucoup de compagnons de route du « processus bolivarien » gardent en mémoire le « Caracazo » de février 1989, où 3 000 pauvres des barrios avaient été abattus sommairement par la police d’un gouvernement social-démocrate – qui appliquait docilement les mesures du FMI –, mais aussi la tentative de coup d’État contre Chavez en 2002, ressentent une grande inquiétude et un profond malaise face aux événements récents. Ainsi, Emiliano Teran, socioloque et écologiste, contacté par CQFD, déplore à la fois « les regrettables excès » de la Garde nationale bolivarienne – sorte de milice politique – et condamne « la réalité de l’agression fasciste que vit le Venezuela ». Liliane Blaser [2], anthropologue et cinéaste d’origine suisse, résidente vénézuélienne depuis trente ans, nous confie : « La police et l´armée vénézuéliennes ont fait un grand effort pour se former au respect des droits humains, cela ne veut pas dire que c´est acquis une fois pour toutes. » Pour autant, ils partagent l’idée que ces manifestations, dont le caractère de classe – c’est-à-dire rassemblant majoritairement des fractions de la bourgeoisie [3] – leur paraît incontestable, ne sont pas un « soulèvement populaire spontané », nous dit Emiliano Teran. À l’heure où nous écrivons, Maduro cherche la carte de l’apaisement tout en dénonçant un complot international contre le Venezuela.

    Mais l’enjeu du conflit réside dans la gestion de la rente pétrolière, véritable cas d’école en économie, comme nous l’explique Emiliano Teran Mantovani : « Au Venezuela, on assiste à un affrontement idéologique clair depuis la mort de Chávez : tout tourne autour du contrôle de la rente pétrolière, du maintien ou du démantèlement du système de captation de cette rente, à la fois par les élites locales et par des puissances étrangères. Il faut être ingénu pour ne pas y voir, par-dessus tout, un affrontement géopolitique où les USA jouent un rôle-clé. » En effet, l’interventionnisme US en son pré carré latino fait du risque de golpe (coup d’état) autre chose qu’un simple fantasme paranoïaque ou qu’une grosse ficelle politicarde pour faire silence dans les rangs.

    Toutefois, Rafael Uzcátegui rappelle que « la vraie ambassade des États-Unis au Venezuela se nomme Chevron [deuxième compagnie pétrolière yankee – ndlr], dont le responsable pour l’Amérique latine, Alí Moshiri, a déclaré à de multiples reprises n’avoir aucun type de problèmes pour faire des affaires avec le gouvernement bolivarien ». Rafael souligne les failles structurelles d’un système rentier qui n’a pas réussi à répondre aux besoins économiques les plus élémentaires de sa population : « Le Venezuela vend son énergie au monde entier et importe 80 % des produits qui se consomment dans le pays. Comme jamais auparavant, l’économie dépend du dollar, qui profite à une bourgeoisie parasite étatique, dont l’activité principale est de spéculer sur les importations au marché noir. »

    Quelle est alors la responsabilité de l’État chaviste dans la corruption et la pénurie auxquelles le pays fait face ? « Chávez avait lui-même qualifié son projet de “socialisme pétrolier”, souligne Rafael Uzcátegui, qui précise que « l’argent du pétrole a corrompu jusqu’aux mouvements sociaux qui ont abandonné leur autonomie pour goûter au produit de la rente pétrolière. Pour résumer à l’extrême, depuis les quinze dernières années, la bipolarité politique du Venezuela est le produit de l’affrontement de deux bourgeoisies, l’une libérale, l’autre bureaucratique, pour le contrôle de la rente pétrolière ».

    Pourtant, la décennie d’Hugo Chavez a été une période de la lutte contre les inégalités montrée comme exemplaire sur le continent sud-américain avec un recul de la proportion de pauvres passant de 48,6% à 27,8%, soit encore neuf millions de personnes. Les réformes sociales sont-elles toujours à l’agenda du gouvernement Maduro ? «  [Le processus bolivarien] a fait plus qu’aucun gouvernement antérieur en matière d’alimentation, d’éducation, de santé, et d’habitat, appuie Liliane Blaser. Cependant il y reste encore une grande “dette sociale” [vis-à-vis des plus pauvres]. » L’analyse matérialiste de Rafael Uzcátegui est plus sèche : « Grâce à la hausse des prix pétroliers sur le marché international de 2004 à 2009, le gouvernement Chávez a disposé des plus grandes recettes étatiques de l’histoire vénézuélienne de ces trente dernières années. À partir du 2005, on a effectivement promu des politiques sociales compensatoires, qui ont indéniablement eu un impact positif sur le niveau de vie des plus pauvres, grâce à une augmentation du pouvoir d’achat. Cependant, ces programmes étaient dépendants du prix mondial du pétrole et ils ont laissé de côté les réformes structurelles nécessaires à la résorption des causes profondes de la pauvreté dans le pays. Depuis deux ans, ces programmes sont stagnants voire en baisse. L’état désastreux du réseau d’hôpitaux publics dans le pays en est un exemple. Cela permet de soulever encore un paradoxe au sein de ce gouvernement autoproclamé socialiste : tous les employés de l’État ont recours à des assurances dans les cliniques du secteur privé. »

    Simon Rodriguez Porras se montre sans concessions sur la situation sociale du pays : « Près des trois quarts des travailleurs du secteur public gagnent des salaires inférieurs au coût du panier alimentaire, qui s’élève à plus de deux fois le montant du salaire minimum. C’est seulement chez les militaires que les augmentations de salaires sont supérieures à l’inflation. »

    En effet, aujourd’hui, l’armée contrôle de larges secteurs de l’administration publique et des affaires, légales ou non. Plus encore que le soutien populaire dont bénéficiait feu Chávez, l’armée est aujourd’hui la véritable épine dorsale du système et peut-être l’ultime bénéficiaire du post-chavisme.
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    http://cqfd-journal.org/Crise-au-pa...

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