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CA 233 octobre 2013

la lutte contre l’enfouissement des déchets radioactifs à la fin des années 1980

+ festival contre la grosse poubelle nucléaire de bure

mardi 15 octobre 2013, par admi2


Retour sur la lutte contre l'enfouissement des déchets radioactifs à la fin des années 1980

A l’occasion du débat public sur le projet d’enfouissement de déchets radioactifs Cigéo, la lutte antinucléaire refait parler un peu d’elle. Ce projet est prévu à Bure, petite commune située à la limite entre la Meuse et la Haute-Marne. A priori, cette région faiblement peuplée et irriguée financièrement depuis vingt ans par le nucléaire ne semble pas être un terreau bien fertile pour la lutte contre la grosse poubelle nucléaire. Si l’Andra1 s’y est installée, c’est d’ailleurs justement pour ça. Parce qu’elle sentait bien qu’ici, elle risquait peu de se heurter à une forte résistance.

En 1989, un rapport de l’administrateur du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) disait ceci : « Il apparaît de plus en plus que la contrainte principale dans ce domaine [l’enfouissement des déchets radioactifs] est la capacité de la population locale à accepter le principe de stockage, beaucoup plus que les avantages techniques relatifs des différents types de sols (granit, schiste, argile, sel). Dans ces conditions, il semble indispensable que le choix du site soit fait rapidement par les pouvoirs publics pour éviter toute cristallisation de l’opinion publique sur des projets dont trois sur quatre seront en tout état de cause abandonnés. Pour ce choix, le souci d’éviter un phénomène de rejet relayé au niveau national, comme ce fut le cas en son temps pour le projet de centrale nucléaire à Plogoff, doit être un critère majeur. » Si le CEA fait une telle analyse en 1989, c’est que l’enfouissement des déchets radioactifs a déjà été l’objet d’une importante mobilisation à la fin des années 1980.

La première solution industrielle promue par les nucléocrates pour se débarrasser de leur déchets consistait à les déverser dans les océans. Dans les années 1970, des traités internationaux viennent fortement limiter l’utilisation de cette technique. Dès lors, l’enfouissement à plusieurs centaines de mètre en profondeur des déchets radioactifs devient la seule « solution » que propose l’industrie nucléaire pour « évacuer » les déchets qu’elle produit. Il lui faut alors absolument mettre en place ce projet. En effet, il est inimaginable pour l’industrie nucléaire de continuer à se développer sans pouvoir affirmer qu’elle maîtrise la gestion de ses déchets.

1987, annonce des projets et premières mobilisations

Le 18 mars 1987, quatre régions sont sélectionnées par l’Andra pour étudier la possibilité d’y implanter un dépôt géologique de déchets radioactifs. Ces quatre sites se trouvent au-dessus de formations géologiques différentes. Il s’agit de l’argile dans l’Aisne, du sel dans l’Ain, du schiste dans le Maine et Loire et du granit dans les Deux-Sèvres. Au Bourg d’Iré, dans le Maine et Loire, et à Neuvy-Bouin, dans les Deux-Sèvres, une lutte importante contre le projet de l’Andra eu lieu de 1987 à 19902. Celle-ci prend de nombreuses formes. De la mobilisation des élu.e.s à l’affrontement avec les forces de l’ordre. Des manifestations au sabotage des forages. De la signature de pétition aux barricades.

Au lendemain de l’annonce du choix des sites, des groupes anti-déchets se forment. Et en mai 1987 a lieu la première coordination entre des collectifs constitués dans les quatre régions choisies par l’Andra. Plusieurs manifestations regroupant plus d’un millier de personnes ont lieu à Segré dans le Maine et Loire. Durant l’été, de nombreux conseils municipaux se prononcent contre le projet d’enfouissement. Les premières prospections sont perturbées pendant plusieurs jours. Dans les Deux-Sèvres, l’Andra installe des locaux à La Chapelle Saint Laurent. Le maire met alors à disposition des opposant.e.s le terrain situé en face de celui de l’Andra. Une caravane y est installée depuis laquelle les allés et venues des employé.e.s de l’agence ainsi que les visites qu’elle reçoit sont observés. En août, les locaux de l’Andra sont visités et l’ensemble des documents qui s’y trouvent subtilisés. Cinquante tonnes de granit dont l’Andra vante tant les mérites sont déposés devant ses portes.

 {{1988, la lutte continue }}

Début mars 1988, la Coordination anti-déchets de l’Anjou édite le premier numéro de « L’Anti-Déchets ». Ce journal est tiré à 16 000 exemplaires qui sont distribués dans toutes les boites aux lettres du secteur. Plusieurs numéros suivent avec des tirages encore supérieurs. Des réunions d’information se tiennent régulièrement. Le 19 mars, pour l’anniversaire de l’annonce du projet, huit tonnes de déchets ménagers sont déversés devant les locaux de l’Andra gardés par des gendarmes mobiles armés de grenades lacrymogènes et de FAMAS. Des rencontres entre les collectifs des quatre régions françaises où l’Andra tente d’enfouir des déchets ont lieu régulièrement lors de réunions de coordination ou de grandes fêtes. Des échanges ont également lieu avec des groupes espagnols confrontés au même problème. En 1988, l’Andra acquiert quatre hectares de terre à la Gâtine près de Neuvy-Bouin. Quelques jours plus tard, quatre cent personnes s’y retrouvent pour les remettre en culture.

 {{1989, la bataille se durcit }}

Au printemps 1989, c’est au Bourg d’Iré que l’Andra achète des terres. Comme à la Gâtine, la remise en culture est l’occasion d’un grand rassemblement de plusieurs milliers de personnes durant l’été 1989. Le 3 septembre, on compte 15 000 personnes rassemblées à Neuvy Bouin et le 17 septembre 10 000 à la grande fête de l’Anjou sans déchets radioactifs à coté de Segré. Le 12 décembre, un escadron de gendarmes mobiles accompagné de blindés arrive à proximité de Neuvy-Boin. Repérés par les rondes de surveillance en place depuis un moment, les gendarmes mobiles sont attendus sur la route par 500 personnes. Le face à face dure un petit moment et finalement les forces de l’ordre rebroussent chemin. Le préfet qui a ordonné aux gendarmes de faire demi-tour est démis de ses fonctions quelques jours seulement après avoir été nommé. Dans les Deux-Sèvres, ni l’armée ni l’Andra n’arriveront jamais jusqu’au terrain convoité.

Le lendemain, 250 gardes mobiles arrivent au Bourg d’Iré et occupent le terrain de la Gibaudière. Rapidement, 400 opposant.e.s se regroupent et s’affrontent aux gendarmes. Cinq d’entre eux sont blessés. Le soir même, le local de l’Andra à Segré est mis à sac par une cinquantaine de personnes.
Le 14 décembre, la route de la Gibaudière est bloquée par des voitures, de vieux engins agricoles et de la paille. Les barricades sont enflammées. Par ailleurs, le terrain de l’Andra est grillagé et un fossé est creusé tout autour. Le 15 décembre, trois véhicules d’une entreprises sous-traitante de l’Andra sont incendiés. Des affrontements ont lieu toute la journée. Le samedi 16 décembre a lieu une « manifestation de la honte pour le respect de la démocratie » qui rassemble plusieurs milliers de personnes sous une pluie battante. 800 gendarmes mobiles sont présents. Un agriculteur est gravement blessé au visage par un tir tendu de grenade lacrymogène. La préfecture dénombre l’utilisation de 1500 grenades lacrymogènes à la Gibaudière pendant cette semaine dont la moitié en une seule heure le 16 décembre.

Dans la Bresse le 19 décembre, 30 000 litres de lisier sont épandus sur le terrain acheté par l’Andra. Les routes d’accès sont barrées par des peupliers et cinq camions de laiterie. Une affiche est imprimée à 5000 exemplaires avec pour message « Déchets nucléaire = démocratie bafouée ». Le 21 décembre, de légers affrontements ont lieu à la Gibaudière. Des sacs de souffre sont enflammés autour du terrain pour enfumer les militaires qui l’occupent. Le 22 décembre, un semi-remorque de l’entreprise sous-traitante de l’Andra, Hervé, brûle. Le 23 décembre, 350 opposant.e.s organisent une action péage gratuit entre Nantes et Angers. Le 26 décembre, 200 personnes barrent trois routes et un chemin autour du site de la Gibaudière. Sur une des barricades, on peut voir un panneau « Attention explosif ». Une tranchée est creusée dans la route et une dizaine de poteaux électrique sont couchés en travers. Le 27 décembre, un camion de 38 tonnes de l’entreprise Hervé est incendié. Le 29, celle-ci annonce qu’elle renonce à travailler pour l’Andra et qu’elle désire quitter la région. La préfecture réquisitionne son matériel de forage. Alors que les petits commerces refusent d’approvisionner les gendarmes qui occupent la zone, des pressions sont faites sur les supermarchés pour qu’eux aussi arrêtent de ravitailler les militaires. Le 30 décembre, 10 tonnes de fumier sont déversés devant une grande surface qui vend de la nourriture aux gendarmes mobiles. Ce même jour, la ligne TGV voisine est occupée pendant quelques heures.

1990, moratoire et arrêt des travaux

Le 1er janvier 1990, 2500 personnes se regroupent à la Gibaudière. Le 6, 300 opposant.e.s investissent un train pour aller manifester devant le ministère de l’industrie à Paris. Il.le.s sont accueilli.e.s par 300 policiers qui les empêchent de sortir de la gare et les remettent dans un train pour Angers où il.le.s sont accueillis par 200 personnes. Tout le monde part en manifestation. Le 11 janvier, des affrontements ont lieu à Segré autour d’un convoi de matériel de forage escorté par des gendarmes. Dans la soirée, des boulons et des pavés sont lancés contre la sous-préfecture et les gendarmes qui protègent le bâtiment qui répondent à coups de lacrymogène. Le 17 janvier, un transport de cailloux et les gendarmes qui l’accompagnent sont attaqués par une centaine de manifestant.e.s au Bourg d’Iré. Le 20, 15 000 manifestants défilent à Angers. Toutes les mairies du Segréen affrètent des cars pour aller à la manifestation. Finalement, les travaux de forage sont suspendus le 23 janvier sur les quatre sites. Le 4 février, 10 000 personnes se rassemblent à la Gibaudière et un moratoire sur les prospections pour un stockage géologique est décidé le 9.

Aujourd’hui, le récit de cette lutte oubliée résonne avec celle qui se mène à Notre Dame des Landes. Diversité des moyens d’action, détermination sans faille et une certaine radicalité dans l’action directe. Assurément la lutte contre l’enfouissement des déchets radioactifs de la fin des années 1980 est une victoire. Certes pas définitive puisque l’Andra envisage aujourd’hui d’enfouir ses déchets mortifères dans le sous-sol de Bure. Mais une victoire tout de même. Ainsi, afin d’éviter un élargissement de cette lutte vers une remise en question du nucléaire, l’État a utilisé des moyens colossaux en arrosant de millions d’euros la Meuse et la Haute-Marnes depuis plus de quinze ans. Et aujourd’hui, c’est contre un projet implanté dans une région dont l’économie dépend des perfusions financières du nucléaire qu’il nous faut lutter. Peut-être trouverons-nous dans le souvenir de la lutte de la fin des années 1980 de quoi nous inspirer...

All Nucleocrats Are Bastards !

ENCART

Le petit festival contre la grosse poubelle nucléaire de bure, du 30/31 août au 1° septembre 2013

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Vue d’ensemble du festival

Il s’est déroulé sur le champ d’un opposant de la commune de Bonnet (55), concernée par le projet CIGEO (Centre industriel de stockage géologique), et dans laquelle le conseil municipal est opposé. Tout se passa dans une ambiance plutôt bonne et festive, avec des bouff’ et boissons à prix libre, un camping, une organisation certes pas tout le temps carrée mais qui fonctionne au final assez bien même si elle repose sur peu de personnes, et des liens qui se tissent ou se renforcent localement mais aussi avec des personnes venues de l’assemblée générale (AG) dite du Grand Ouest.

Sont venus peu de gens habitants les environs directs du futur projet. Cela peut être expliqué car ceux-ci, peu nombreux1, vivent dans une zone sinistrée par l’agriculture industrielle (intensive), avec beaucoup de produits chimiques épandus dans la nature – si on peut l’appeler encore ainsi car il y a des endroits où l’on peut voir des champs de cailloux tellement la terre est travaillée intensivement, sans relâche – ; les agriculteurs qui saccagent leur territoire ne sont en effet pas réputés pour être des révolutionnaires.

Sur les débats, et projections

Généralement, je trouve que trop de place fut laissée à des experts, et à l’expertise2, qui évoquaient des détails qui n’ont pas grande importance pour une lutte ou pour ouvrir celle-ci. Quant au reste de ce qu’ils disaient, des copains et copines ayant beaucoup de renseignements, comme certaines personnes de Bure Zone Libre (BZL), par exemple, auraient pu s’en charger. Mais il fallait se donner une certaine image, celle de la soi-disante crédibilité scientifique.

Globalement il y avait aussi une ambiance un peu publicitaire comme avec la vision édulcorée et fausse qu’est donnée de la maison de la résistance (BZL) par le film A Bure pour l’éternité et où l’on peut voir le joli monde parfait de l’autogestion et de l’alternative vécue dans l’harmonie la plus parfaite. Ce film pose d’ailleurs d’autres problèmes car touts les points de vue antinucléaire ou, à minima, contre la poubelle, s’y valent. En effet, la phrase « Être antinucléaire en France, c’est être contre l’état » suit une intervention de Corinne Lepage, députée écolo européenne, puis celle d’un évêque en tant que membre de l’église catholique...par rapport à la présence de ce dernier, on peut s’étonner que des personnes3 donnent encore du crédit à l’église juste après l’opposition nauséabonde menée notamment par elle contre le mariage pour tous et toutes. Et, pour couronner le tout, exemple nous est donné, dans le film, du Luxembourg, pays réputé pour sa pauvreté et son système D, comme possibilité de sortir du nucléaire avec ses éoliennes industrielles, et ses grosses thunes. – Sortir du nucléaire oui, mais du capitalisme, surtout pas. –

Contexte de l’AG du dimanche à Bure

Dans l’après Fukushima la lutte contre la ligne Très Haute Tension Cotentin-Maine et antinucléaire dans la Manche4 a menée à l’ouverture d’un lieu pour s’organiser5, la grange de Montabot6. Celle-ci fut inaugurée du 17 au 20 mai 2013 et le week-end fut clôturé par une AG. Lors de celle-ci, il avait été décidé, en collaboration avec quelques personnes investies à Bure, qu’une des AG suivantes se ferait lors du prochain petit festival contre la grosse poubelle nucléaire, notamment pour essayer d’y continuer les débats qui eurent lieu lors de l’inauguration de la grange.

La série de pseudos débats publics autour de la question de l’enfouissement de déchets nucléaires à Bure allait être bientôt lancée. Les AG à Montabot œuvrèrent elles aussi afin de les bloquer ; c’est de cette manière, ainsi que par la peur provoquée par les blocages des débats à Bure et à Bar-le-Duc, que la date prévue dans la Manche, à Cherbourg, le 27 juin, par la Commission Particulière des Débats Publics (CPDP) fut tout simplement annulée quelques jours avant.

L’ AG

Un des intérêts de celle-ci était de porter un mode d’organisation assembléiste afin de contribuer à sortir de l’isolement les habituels opposants à la futur poubelle et pour permettre une appropriation de cette lutte par d’autres personnes géographiquement proches du projet ; de côté-ci, ce fut plutôt une réussite au vu du nombre de gens présents, si on excepte ceux s’organisant dans la Manche ; environ 150 personnes en tout étaient présentes. Ce constat reste quand même à nuancer car, même s’il s’avère que nous sommes tous des riverains de tous les projets en matière de nucléaire7, beaucoup de gens venaient d’un peu plus loin que la Lorraine.

Un des objectifs de cette assemblée était de poursuivre des discussions entamées à Montabot. Ce ne fut pas le cas car il était clair que la plupart des personnes présentes y étaient venues afin de discuter de la lutte contre le projet et du blocage du pseudo débat public et ses suites. Des perspectives ont été évoquées et une date pour une prochaine AG a été dégagée vers les 9/10/11 novembre 2013.

Pour une première AG, menée quelques années avant le début des chantiers, on peut globalement en dire que ce fut plutôt fructueux.

« Mobilise-toi en Meuse, si tu veux pas que ça creuse. »

23 09 2013, CSH

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