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CA 337 février 2024

« Comprendre le capitalisme pour en sortir »

Recension du livre de Jean-Luc Dupriez (L’Harmattan, avril 2023)

mardi 20 février 2024, par Courant Alternatif


Jean-Luc Dupriez (alias Jacques Dubart) est Communiste libertaire. Il a été militant à l’UTCL à partir de 1979, puis membre d’Alternative Libertaire. Il participe à la création de l’UCL qu’il quitte après le 1er Congrès car en opposition avec la nouvelle ligne qui rompait avec le plateformisme et la centralité de la lutte des classes. Il milite maintenant au sein de la Plate-forme Communiste Libertaire.

Ce livre se veut un outil militant pour comprendre le monde actuel, le capitalisme contemporain, afin de mieux le combattre. L’auteur cherche, d’un point de vue matérialiste, à positionner « l’humain relativement aux fondamentaux de l’homo sapiens » pour comprendre les ressorts des oppressions et les dépasser. En cela, il rejoint l’ambition de B. Lahire dans son ouvrage « Les Structures fondamentales des sociétés humaines » dont nous ferons une critique dans un prochain numéro de Courant Alternatif. Ces deux livres ont cependant des objectifs très différents. Le livre de J.L. Dupriez est écrit de façon didactique et accessible, destiné à des personnes ne maitrisant pas tous les concepts politiques propres aux courants révolutionnaires. Cela en fait un ouvrage que l’on peut facilement conseiller à des personnes peu politisées… mais avec quelques réserves.

Le livre est formé de six parties thématiques. La première partie est une bonne synthèse de ce qu’est le capitalisme, sa dynamique et sa forme actuelle. Dans la partie suivante l’auteur s’appuie sur les recherches récentes en éthologie, anthropologie et archéologie pour dénoncer le racisme, le sexisme,… L’auteur explique comment le racisme est en grande partie une construction sociale issue de choix politiques des classes dirigeantes. De même, sur le sexisme, il rapporte de façon simple et claire comment l’oppression des femmes actuelle est inscrite dans le cadre social du capitalisme et montre comment la lutte contre le patriarcat a existé en tout temps et en tout lieu à l’époque moderne. La troisième partie sur les classe sociales se veut pédagogique. S’appuyant sur des travaux sociologiques, il caractérise de façon illustrée la matérialité et la violence des rapports de classe du monde actuel, contredisant de façon convaincante tous les discours qui affirment que les classes sociales et la lutte de classe ont disparu. L’avant dernière partie, sur la crise écologique, est très intéressante car elle donne différents arguments pour contrer deux idées : 1/ chacun·e serait à son échelle individuelle responsable du réchauffement climatique ; 2/ le capitalisme peut s’adapter pour éviter la catastrophe écologique… avec une critique politique pertinente du véganisme. Il montre que la crise écologique est bien inscrite dans le développement du capitalisme et qu’il faut donc associer luttes sociales et luttes écologiques. Une dernière partie, très courte, discute des religions dans une perspective athée révolutionnaire.

Cependant, tous ces développements font appel à la Science et nous pouvons avoir quelques réserves à ce sujet. Dans l’introduction de cet ouvrage, l’auteur a une démarche scientifique qui se veut opposée au scientisme (qui considère que la science détient la vérité), elle ne donne qu’« une représentation de la réalité... la plus cohérente possible avec les faits connus à un instant donné ». Si ces précautions sont ainsi prises en introduction, il ressort néanmoins une forme d’adhésion parfois sans recul à certaines théories scientifiques contemporaines sur des sujets où les consensus n’existent pas. Le manque d’une bibliographie en fin d’ouvrage ne facilite pas l’accès aux sources citées.

L’ouvrage s’appuie ainsi, dans la longue partie sur le sexisme et le racisme, sur les primates (bonobos, chimpanzés) pour comprendre l’humain ; il y a donc des raccourcis critiquables (voir en contre-point le livre de B. Lahire). Il reprend par ailleurs, sur l’oppression des femmes, la thèse que celle-ci n’est apparue qu’avec l’émergence des classes sociales (néolithique). Il semble cependant de plus en plus consensuel que l’homme ait dominé la femme même au paléolithique, ce qui ne veut pas dire que ce fait soit génétiquement ou biologiquement déterminé [1]. Par ailleurs, si l’auteur a raison de ne pas séparer le biologique du culturel, il a tendance à donner une lecture trop biologique des comportements humains dans les premiers chapitres (sociabilité, hostilité et violence envers les étrangers,…) et donc émergent des contradictions entre certaines parties. L’auteur affirme que « la culture va moduler ce comportement, jusqu’à pouvoir quasiment l’annihiler » mais les développements associés ne permettent en rien de comprendre comment la culture pourrait modifier ce qui semble inéluctable biologiquement. Il ressort en effet, dans les premiers chapitres, l’impression générale que la biologie surdomine l’humain. Or, les choses sont bien plus complexes comme le montre par exemple B. Lahire.

Ces réserves étant posées, in fine, l’ouvrage se positionne clairement dans une perspective communiste libertaire. Il montre que les oppressions de classe, sexistes, racistes et le capitalocène ne sont pas indépassables. Il se positionne contre le courant dominant postmoderniste / intersectionnel qui entraine une multitude de luttes séparées : les rapports de classes sont centraux et ils traversent tous les autres systèmes de domination. Il milite clairement pour un universalisme de façon politique et donc critique de son usage par la classe dominante. Pour dépasser le capitalisme, cela nécessite un combat politique… objet d’un second ouvrage à paraitre qui cherchera à apporter des réponses à la question : « comment organiser le combat pour transformer le monde ». Nous attendons donc avec impatience ce second ouvrage car émerge en substance, très ponctuellement dans ce premier livre, un focus sur le syndicalisme qui pourrait être critiquable.

RV

Notes

[1Voir entre autres « L’oppression des femmes, hier et aujourd’hui : pour en finir demain !  » accessible sur le blog « La hutte des classes » de C. Darmangeat

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