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CA 328 mars 2023

Vertement écolo 328

jeudi 23 mars 2023, par Courant Alternatif


*** À l’ombre des centrales en fleur

La décision de Macron (septembre 2022) et des nucléocrates de profiter de la crise énergétique pour relancer un vaste programme nucléaire est basée sur de « nouveaux » EPR, les EPR 2. Ces réacteurs seront « optimisés ».(1)
Comment ? En supprimant un bonne partie des dispositifs de sécurité : double enceinte de confinement, piscine de récupération du cœur en cas de fusion, valves de sécurité performantes… Les nucléocrates doivent penser que le souvenir de Fukushima s’estompant, on peut y aller à donf pour faire un maximum d’économies.
Ils seront aussi plus « simples à construire » par paires en utilisant des modules préfabriqués. Nombre de paires : 3 réparties entre Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) avec mise en concurrence des sites de Bugey (Ain) et Tricastin (Drôme). Pour info, le site de Tricastin est situé sur une zone d’activité sismique (séisme du Teil en 2019) et en contrebas (6 m) d’une digue de terre fragilisée. Fukushima sur Rhône, c’est pour quand ?
Puissance de chaque réacteur : 1600 Mégawatts (c’est cette puissance qui est responsable du vieillissement accéléré des réacteurs actuels fissurés et corrodés). Coût estimé : 46 ou 51 milliards... pour le moment. Date prévue de mise en service : 2035.
Flamanville (un réacteur EPR 1) étant passé de 4 milliards à plus de 20 et accusant 13 années de retard, l’optimisation va être brutale.

*** ASAP (As Soon As Possible) pour eux et contre tous !

Il faut donc aller vite, toujours plus vite pour l’indépendance énergétique de la fRance.
Ça tombe bien, des lois toutes plus radioactives et dégueulasses les unes que les autres sont utilisées.
Ainsi le projet de « loi d’accélération du nucléaire » du 27 septembre 2022 prévoit de classer les nouvelles constructions sur des sites déjà existants « raisons d’intérêt public majeur. Ce classement permet au gouvernement d’échapper à certaines dispositions du code de l’environnement… » comme à la loi Littoral (contournant ainsi l’impossibilité de construire à Penly).(2)
Elle permet pour les sites déjà existants de réduire d’une part l’enquête d’utilité publique et d’autre part de construire sans attendre la fin de cette enquête pour « des bâtiments qui n’abriteront pas de matière radioactive ». Efficace, non ?
En cas de recours, « c’est le conseil d’État qui serait appelé à statuer en première et en dernière instance, ce qui évite en partie la justice administrative ». Un article de la « loi d’accélération des Énergies Renouvelables » a emballé le tout grâce à l’Union Européenne qui a intégré le gaz et le nucléaire dans sa « taxonomie verte ».
Malheureusement cette guerre-éclair atomique s’est fait provisoirement retoquer le 27 octobre. Le Conseil d’État n’a pas vu où était « l’intérêt public majeur » du projet AVANT la fin des débats publics de la CNDP (Commission Nationale du Débat Public dont les travaux commençaient le 27 octobre). Il a aussi imposé le retour à de vraies enquêtes d’utilité publiques.(3)

*** Stockage pour l’éternité du débat public sur la relance du nucléaire

Le débat public organisé par la CNDP (27 octobre 2022-27 février 2023) « Nouveaux réacteurs nucléaires et projet Penly » a été un modèle de foutage de gueule.
Greenpeace et le Réseau Sortir du nucléaire (RSN) avaient prévu d’y participer en traînant les pieds, mais bon ce sont des ONG responsables. Elles ont rapidement dénoncé une « publicité officielle pour promouvoir la participation au débat faible voire inexistante... une capacité très réduite des salles mises à disposition... [avec le] constat unanime de la surreprésentation écrasante de personnes liées à l’industrie nucléaire » dans les salles.(4)
Ainsi à Lyon, la rencontre du 2 février se tenait dans un centre social au fin fond d’une impasse entre la salle des sports et un parking dans un arrondissement excentré. Invisibilité maximale.
Les opposants (Verts, RSN, Observatoire des Armements, individus) étaient bien plus nombreux (une centaine !) que les inscrits. Le président de la commission et ses acolytes tentaient de racoler les manifestants pour participer à cette clownerie malgré le récent boycott de Greenpeace et du RSN.

*** Fête du slip radioactif au Sénat

Deux évènements ont conduit ces associations à claquer la porte. La loi était en discussion au Sénat. Le « 17 janvier 2023, la Ministre de la Transition énergétique a donné un avis favorable à un amendement qui propose la suppression de l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique à horizon 2035 » (5)
Les rubiconds gardiens de la démocratie y ont rajouté ces petits plus qui font tout leur charme : suppression de l’inspection quinquennale des vieux réacteurs et doublement des peines pour les militants qui s’introduiraient dans les centrales !
Même la CNDP, courroie de transmission du rêve participatif, a considéré que cela revenait « à considérer comme sans intérêt pour définir la stratégie énergétique les interrogations, les remarques et les propositions faites lors du débat public en cours. »(6). Et elle a annulé les dernières réunions prévues.

*** Insécurité nucléaire partout !

Il restait un dernier obstacle à éliminer pour que l’atome fleurisse et pourrisse nos villes, campagnes et vies : la sécurité nucléaire.
Celle-ci est assurée par deux organismes indépendants l’un de l’autre mais complémentaires :    L’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) et l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire).
L’IRSN mène de façon indépendante les études et recherches scientifiques pour le compte de l’ASN qui les utilise pour prendre ses décisions. Citons : la « corrosion sous contrainte » de la tuyauterie nucléaire, les malfaçons du béton, des soudures, des pièces d’acier, les dossiers falsifiés de l’EPR de Flamanville. Ces respectables ingénieurs et chercheurs font perdre un temps précieux et surtout de l’argent pour le parc nucléaire. Qu’on s’en débarrasse !
C’est chose faite depuis le 8 février : l’IRSN doit être démantelé (c’est bien la seule chose que les nucléocrates auront réussi à démanteler), pardon fusionné. La sûreté passe à l’ASN, la recherche au CEA (c’est-à-dire aux mains des ultras du nucléaire civil et militaire) et l’expertise de défense au « Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense » dépendant exclusivement du ministère des Armées.
Le blabla habituel justifie cette reprise en main civile et militaire décidée lors du premier « Conseil de politique nucléaire » réuni le 3 février. L’ASN grande gagnante s’en réjouit « Elle permettra de consolider le dispositif français de contrôle et de fluidifier le processus de décision de l’ASN, tout en conservant, en interne, une phase d’expertise réalisée par les services… »(7)
Cette reprise en main n’a qu’un seul but : permettre de lancer les études et chantiers des EPR 2, des SMR (Small Modular Reactor) ainsi que celui de la prolongation d’exploitation de nos très vieilles centrales, vite, sans opposition ou critique.
Le passage de la recherche au CEA avec ses pratiques opaques souvent couvertes par le secret-défense assurera le silence dans les rangs et permettra de fournir de « bonnes » expertises pour les gendarmes de St Tropez du nucléaire.
L’IRSN avait été créé en 2004 comme organisme indépendant. Il était le lointain descendant du SCPRI (Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants) dirigé par le professeur Pellerin, négationniste acharné des conséquences sanitaires des accidents de Saint-Laurent des Eaux et de… Tchernobyl.
Le cercle est bouclé : l’autoritarisme new look macronien retrouve les vieux réflexes de la Vème République. Circulez, il n’y a plus rien à voir ! l’État, les technocrates et l’armée veillent sur vous !
Les personnels de l’IRSN eux, ont décidé de se mettre en grève dès le 20 février.
Et même Cédric Villani les soutient !

Freux et Eugene the Jeep

Notes
1. Que sont les EPR 2, ces nouveaux réacteurs nucléaires annoncés par Emmanuel Macron ? Le Monde du 11/02/23
2. Nucléaire : le gouvernement veut accélérer sur les EPR 2, quitte à contourner le code de l’environnement. G. Lacalot. France Info du 27/09/22
3. Communiqué de Greenpeace publié le 04/11/22
4. Lettre du Réseau "Sortir du nucléaire" et de Greenpeace France aux membres de la Commission Particulière du Débat Public, 21/11/22
5. Débat public sur le nucléaire : le Réseau "Sortir du nucléaire" et Greenpeace France claquent la porte. Communiqué du 24/01/23
6. Communiqué : "Le nucléaire, la loi et la Constitution". CNDP du 18/01/23
7. Le gouvernement lance la fusion des organismes de sûreté nucléaire. Reporterre du 09/02/23

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