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Extrait de Courant alternatif n° 252 (été 2015)

Lutte des migrants sur fond de réforme du droit d’asile

samedi 15 août 2015, par ocl-lyon

L’évacuation du campement de migrants de La Chapelle à Paris, le 2 juin dernier a mis en lumière la situation du droit d’asile en France. La lutte qui s’en suit permet de reparler de nouveau de la situation particulière que vivent en France et en Europe des milliers de réfugiés contraints de fuir leur pays en raison de guerres ou de régimes oppressifs. Pendant ce temps le parlement finalise l’adoption d’une réforme du droit d’asile qui promet la multiplication des procédures expéditives d’examen des demandes d’asile.


Depuis plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années, la situation des réfugiés en région parisienne est relativement explosive - Dans les autres régions, elle n’est guère brillante non plus. Plusieurs facteurs se cumulent pour rendre la question de l’hébergement très tendue. Les hébergements d’urgence de droit commun de type Samu Social sont saturés, le dispositif d’hébergement spécifique pour demandeur d’asile est également engorgé, et à cela s’ajoute des délais de procédures administratives proches de 2 années. L’Etat est d’ailleurs en mauvaise posture sur ce sujet car les directives européennes lui imposent d’enregistrer dans les deux premières semaines les demandes d’asile - dans la réalité il faut plusieurs mois. Elles lui imposent également de fournir immédiatement des conditions matérielles d’accueil aux candidats réfugiés, leur permettant de subvenir à leur besoin vitaux (hébergement, nourriture, habillement), car la législation créé une catégorie de demandeurs d’asile, à part de la population et exclu du droit commun concernant le travail, l’accès au HLM, au RSA, aux prestations familiale, etc. Au fil des ans de nombreuses condamnations des tribunaux administratifs à l’égard du gouvernement ont émaillé la dégradation des conditions d’accueil, sans malheureusement pouvoir faire infléchir la tendance.
Résultat, des campements sauvages ont fini par se créer au fil des mois dans la capitale. Les migrants concernés se regroupent dans des endroits plus ou moins protégés se fournissent en tentes Quechua 2’’ (pub gratuite pour Décathlon !). Au cours de l’hiver, les campements les plus importants s’installent sous le métro aérien près de la station La Chapelle et sous les ponts près d’Austerlitz au niveau de la très branchée Cité de la mode. Ils regroupent essentiellement des réfugiés de la Corne de l’Afrique (Erythrée, Soudan, …). Ces regroupements affinitaires leur permettent ainsi de bénéficier d’un peu de chaleur humaine, de solidarité et de sécurité. A son apogée, le campement de La Chapelle recensait environ 380 personnes et ceux d’Austerlitz environ 200 personnes, dans des conditions sanitaires certes précaires, mais maîtrisées par les migrants eux-mêmes qui organisent nettoyage, distribution de nourriture, de vêtements, avec l’aide matérielle de quelques associations.
Seulement voilà, la ville lumière ne peut guère tolérer de tels campements de gueux dans son enceinte. N’oublions pas que Paris est lancée dans la compétition mondiale des mégapoles et que l’objectif numéro 1 de la municipalité est d’attirer les élites de la planète. Les 22 millions d’euros investis uniquement dans le dossier de candidature aux JO sont là pour rappeler où sont les priorités. Politique de prestige et de rayonnement international ne s’accommode guère avec la misère visible. Cachons cette pauvreté que nous ne saurions voir, d’autant plus que l’Etat coupable ne respecte pas ces obligations légales.

1ère tentative d'expulsion du métro La Chapelle

Tout d’abord, l’Etat applique la méthode habituelle : on envoie les flics au petit matin du 2 juin, on ajoute une pincée d’associations dociles (FTDA et Emmaüs) pour maintenir l’image d’une « évacuation humanitaire » et on berne les migrants en leur annonçant des hébergements pérennes alors que pour une bonne partie d’entre eux il ne s’agit que de quelques nuitées d’hôtel. Et même pire, certains se font seulement convoyer pendant quelques centaines de mètres en bus, avant d’être largués dans un autre quartier de la capitale. Bref, le mépris coutumier des pouvoirs publics vis-à-vis des exilés - voir ce qui se passe régulièrement à Calais depuis tant d’années. Le hic est que les choses n’en restent pas là. Les jours suivants les migrants reviennent dans le quartier et, ne pouvant plus retourner sous le métro désormais bouclé et surveillé, tentent de trouver un autre lieu d’accueil avec l’aide des sympathisants et militants. S’en suit une pérégrination de plusieurs jours au cours desquels la police s’acharne à les déloger systématiquement de manière violente et à placer une quarantaine de personnes en centre de rétention, qui seront finalement toutes libérées quelques jours plus tard.
Au fil du temps, le rapport de force commence à évoluer. Les soutiens se font de plus en plus nombreux, notamment parmi les habitants du quartier. Le 11 juin, une première occupation d’une ancienne caserne de pompier permet pour la première fois d’engager des négociations entre les autorités et les migrants eux-mêmes. Le soir, les occupants quittent les lieux sur la proposition de 110 places d’hébergement, sans limite de durée.
Il reste une trentaine de personnes qui n’était pas dans l’occupation. Elles se réfugient dans le jardin d’Eole, au milieu des quartiers populaires du Nord de Paris, en pleine rénovation urbaine. Rapidement leur nombre grossit à près de 200, attirant des personnes isolées et surtout les nouveaux arrivants en provenance d’Italie. Le campement s’organise de mieux en mieux, notamment avec l’aide de soutiens locaux, militants : mise en place de repas, distribution de vêtements, installation de toilettes sèches, création de commissions juridique, action, médias, etc. Tous les soirs une assemblée générale mêlant « soutiens » et « migrants » est organisée, tout en préservant les décisions prises par les migrants eux même lors de leur propres réunions. Le 16 juin, une manifestation de 2 000 personnes part du jardin d’Eole en direction de République, encadrée par un inédit cordon de garde mobile, sur les nerfs dans la crainte d’une nouvelle occupation d’un bâtiment.
Pendant ce temps le gouvernement s’inquiète de plus en plus de la situation dans la crainte qu’une « jungle » à la Calaisienne ne s’instaure au cœur de Paris ! Le 17 juin, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, annonce son plan d’action : Une dose d’humanitaire avec près de 10 000 places d’hébergement - à vérifier si elles se concrétisent vraiment ; une dose de répression avec le renforcement des retours dit volontaires et l’optimisation des places dans les centres de rétention administrative (CRA).
Sur place, dans le jardin d’Eole, la situation évolue également rapidement, tandis que les campements d’Austerlitz, moins visibles et attirants moins de mobilisation, sont tranquillement ignorés.

2ème évacuation : changement de méthode

Dans la matinée du 19 juin, 48h après l’annonce de Cazeneuve, le très médiatique directeur de l’OFPRA (1) se présente en personne au jardin d’Eole et s’adresse directement aux migrants pour leur annoncer que 227 places d’hébergement sont prévus pour eux. Le climat est à la méfiance, au vu des épisodes précédents. Il leur garantie - de sa personne ?! - que ce seront des places pérennes, sans conditions de situation administrative : demandeurs d’asile, ex retenus en CRA avec obligation de quitter le territoire, personne en réadmission « Dublin » vers un autre Etat européen, réfugiés ayant l’intention de poursuivre leur route ailleurs en Europe, etc.
Pour l’occasion, l’Etat réouvre 6 centres d’hébergement d’urgence fermés pour l’été. On découvre au passage l’existence de places vides une partie de l’année, maintenues en l’état dans quel but ? Pourquoi en chasser les SDF à la fin du plan hivernal si c’est pour les laisser inoccupées après ? La prise en charge des sans domicile à Paris répond toujours à une même forme de logique punitive. Afin d’éviter les hypothermies sur les trottoirs de la ville au moment des grands froids, on crée des structures d’hébergement pas trop confortables d’où il faut en général partir au petit matin pour ne revenir que le soir. Et dès que les températures deviennent plus clémentes on claque la porte et on continue à entretenir à vide les chambres disponibles. L’idée est de ne jamais permettre aux pauvres de s’installer dans la durée et de s’imaginer habiter un logement normal.
Même si les migrants sont pressés par le directeur de l’OFPRA de prendre une décision immédiate - un dispositif policier discret stationne à quelques rues du jardin - on peut noter un très net changement d’attitude dans la promesse qui semble à ce jour tenue de ne remettre personne à la rue et d’accueillir toutes les personnes quelques soient leur intention : demander l’asile en France ou continuer le voyage pour un autre pays plus accueillant. L’organisation des migrants, la mobilisation qui s’est créée autour d’eux ont indéniablement infléchi le rapport de force. Reste encore de nombreuses inconnues : comment seront traitées les demandes d’asile ? Il semble d’ors et déjà que l’OFPRA assouplisse fortement sa doctrine vis-à-vis des Erythréens et des Soudanais. Comment seront traités les « dublinés » qui devraient en principe repartir en Italie, ou d’autres pays d’Europe ? Qu’adviendra-t-il des nouveaux migrants débarquant chaque jour à la Chapelle, du campement d’Austerlitz ?...

Nouvelle réforme, nouvelle usine à gaz

Pendant ce temps le parlement finalise les derniers détails d’une profonde réforme du droit d’asile. Nous avions détaillée dans un précédant Courant Alternatif (n°242, été 2014, disponible sur notre site) le contenu de la loi en préparation. Depuis, le projet a suivi une longue pérégrination et a été substantiellement amendé par les députés. Les aspects les plus coercitifs pour contraindre les demandeurs d’asile à être hébergés dans des CADA (centres d’accueil pour demandeurs d’asile) et à y rester ont été atténués. Les fonctionnaires de Bercy ont-ils peut-être refroidi les ardeurs du ministère de l’intérieur : pour assigner les gens à leur lieu d’hébergement, encore faut-il avoir les capacités de créer suffisamment de place pour les y maintenir !
Reste cependant un aspect très inquiétant concernant la possibilité de « classer » en procédure accélérée certains demandeurs d’asile. Comme à l’accoutumé, l’Etat aime bien multiplier les catégories de personne à gérer, selon deux vieux principes :
1. Diviser pour mieux régner ;
2. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.
La loi a donc prévu une dizaine de situations dans lesquelles les demandeurs verront leur dossier traité beaucoup plus rapidement par l’OFPRA, et, en cas de rejet, par la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). De manière arbitraire, l’administration (préfecture ou OFPRA) pourra considérer, de prime abord et sans entretien, que la demande d’asile présentée par telle personne, ne semble pas sérieuse et la traiter selon cette procédure. Tel sera le cas également des personnes s’adressant tardivement à la préfecture, ou les ressortissants de pays considérés comme sûrs (2), ou les personnes dissimulant leur itinéraire avant d’arriver en France, etc. Pour ces requérants la plus grosse conséquence sera que leur recours devant la CNDA sera examiné en 5 semaines, au lieu de 5 mois, par un juge unique, au lieu d’une formation de jugement de 3 personnes. L’expérience de ce type de procédure juridictionnelle exceptionnelle a amplement démontré que les décisions prises étaient non seulement plus arbitraires en raison du juge unique, mais également plus sévères en raison du délai très brefs pour argumenter et compléter le recours.
Il est fort probable que ces procédures accélérées seront abondamment utilisées par l’administration pour « déstocker » les dossiers plus rapidement en fonction de la conjoncture de l’asile. Accélération de la procédure est ainsi le maître mot de cette réforme. Tout doit tenir dans un délai global de 9 mois afin de faire fonctionner à plein régime le dispositif d’hébergement, qui devrait comporter environ 40-50 000 places à terme, et afin d’éviter que les demandeurs ne créent des liens en France, rendant plus difficile leur expulsion en cas de rejet !
Avec le recul, cette obsession du traitement rapide des demandes d’asile fait doucement rigoler. C’était également l’objectif de toutes les précédentes réformes en 1989-90 et en 2003-2004. Sauf que les crâne d’œuf qui nous gouvernent n’ont toujours pas compris - ou font semblant de ne pas comprendre ? — que les arrivées de réfugiés en Europe ne peuvent se réguler à coup de règlements et de lois alors qu’elles sont indissociablement liées aux soubresauts que connait la planète. Ils ne peuvent également s’empêcher d’imaginer des procédures administratives d’une complexité inouïe, censée décourager les demandeurs d’asile, mais qui au final, ralentissent et paralysent également les institutions chargées de les mettre en application, selon le principe de l’arroseur arrosé ! Sur ce point, les décrets en préparation pour l’application de la future loi laissent présager une jolie usine à gaz : il est question d’ajouter une étape supplémentaire à la procédure de demande d’asile qui imposerait de s’adresser d’abord à une plateforme associative chargée ensuite de prendre un rendez-vous avec la préfecture, qui permettra après quelques tribulations de saisir finalement l’OFPRA. Cela fait donc au moins 3 interlocuteurs différents pour l’examen du dossier, ce qu’il faut bien en convenir, n’est pas le chemin le plus logique pour simplifier et accélérer le processus. Il y a fort à parier que la lutte des migrants à Paris ne soit qu’un premier épisode d’autres mouvements à venir.

Tonio, Paris le 30 juin 2015

(1) Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides, administration sous tutelle du ministère de l’intérieur, chargée d’examiner les demandes d’asile.

(2) La liste des pays d’origine « sûr » est établie par le Conseil d’administration de l’OFPRA selon des critères de stabilité politique et de démocratie. On y trouve actuellement, l’Albanie, l’Arménie, le Bénin, la Bosnie, la Géorgie, l’Inde, la Macédoine, la Moldavie, la Mongolie, le Sénégal, la Serbie, etc.

Les chiffres de l'asile

Environ 60 millions de personnes réfugiés et déplacés internes sont recensées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Ceux-ci se trouvent principalement dans les régions limitrophes des zones de conflit. Par exemple, le Liban accueille 1,1 million de syriens et la Turquie 8000 00. En France le nombre de réfugiés ayant obtenu une réponse favorable au cours des années précédentes est de 193 000. En 2014, 45 000 demandeurs d’asile adulte ont sollicité une protection à la France, mais seulement 14 000 l’ont obtenu, soit moins de 30%, avec cependant de très fortes disparités selon les nationalités : Syrie, Erythrée, Afghanistan ont des « taux d’accord » très élevés. En revanche le Congo RDC, le Bangladesh, l’Albanie … ont des taux très faibles.

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