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CA 227 février 2013

LA LUTTE NO TAV ARRIVE À LYON

jeudi 7 février 2013, par Courant Alternatif


LA LUTTE NO TAV ARRIVE À LYON

La lutte contre le TVG entre Turin et Lyon (TAV en italien, pour « Treno Alta Velocità »), a commencé il y a une vingtaine d’année du côté italien dans une vallée des Alpes devenue aujourd’hui célèbre pour ce combat : la vallée de Suse (Val Susa en italien). En France la mobilisation est restée faible et très ponctuelle durant des années. Mais l’envie de plus en plus forte de s’investir dans ce combat de notre côté des Alpes s’est concrétisée par plusieurs jours d’action culminant en une manifestation franco-italienne le lundi 3 décembre à Lyon.

La réalisation de la ligne TGV Lyon-Turin a été décidée au début des années 1990 par l’Europe, avec un grand nombre d’autres lignes à grande vitesse (LGV) dans le but de réaliser une interconnexion des grandes villes européennes. Le Lyon-Turin faisait partie à l’époque d’un projet de LGV reliant Lisbonne à Kiev, autant dire que le maillage ferroviaire « grande vitesse » de l’Europe programmé à ce moment était plutôt ambitieux... Suite aux différentes crises de ces dernières années, la plupart de ces grands projets ont semble-t-il été abandonnés ou mis en sommeil, mais la ligne TGV entre Lyon et Turin est toujours d’actualité et des travaux préliminaires sont en cours ou ont été réalisés.

EN ITALIE : 20 ANS DE LUTTE

En Italie, une opposition à la ligne ferroviaire se forme dès le départ. Alliant information, actions, discussions et sabotages, elle est restée « minoritaire » pendant de nombreuses années avant de se développer en un mouvement populaire implanté dans les diverses localités du Val Susa. Au tournant des années 1990-2000, la répression fut particulièrement dure contre les no-tav, avec des montages policiers et l’assassinat par l’Etat de deux anarchistes en détention. Mais toute cette brutalité ne réussit pas à détruire la lutte, et celle-ci se développa pour devenir plus massive et toujours aussi déterminée. L’enracinement populaire se fera notamment par la construction, par les gens en lutte, des désormais célèbres « presidio », ces bâtiments autogérés qui servent de lieu de rencontre, réunion, débats à toutes les personnes impliquées dans le combat contre le TAV. La lutte continua de plus belle. En décembre 2005 eut lieu une grande victoire du mouvement qui réussit à reprendre le presidio de Venaus que les flics gardaient après en avoir expulsé les occupants. Depuis de nombreuses années, l’Etat italien et les entreprises de travaux public intervenant sur le chantier essayent d’effectuer des sondages et des travaux préliminaires, mais le mouvement fait tout pour les en empêcher, notamment en s’affrontant régulièrement aux forces policières qui occupent le terrain. Par ailleurs, la répression est permanente, tant par la brutalité policière, les arrestations massives dans la vallée ou dans les manifs, que par des accusations souvent lourdes portées devant les tribunaux. Aujourd’hui plus de 50 personnes sont en détention préventive et attendent leur procès.

EN FRANCE DES DÉBUTS
DIFFICILES

En France, les choses ont été bien plus tranquilles pour le pouvoir. Les écologistes d’Etat dès le départ font la promotion du Lyon-Turin pour ses aspects « environnementaux », arguant de la possibilité de faire du transport de fret (du ferroutage notamment) la nuit lorsque les TGV ne circulent pas. En effet dans les années 90 il est question d’un fort développement des échanges entre la France et l’Italie, et la voie ferrée est alors vue comme plus « écologique » et plus sûre qu’une autoroute supplémentaire qui permettrait de transporter toujours plus de poids lourds. Ceci pourrait éventuellement rentabiliser cette LGV pour laquelle même la SNCF était réticente (il y aurait trop peu de voyageurs entre Lyon et Turin, et les TGV vont probablement rouler à perte sur une voie ferrée très chère). Cependant, des actions de solidarité pour la lutte dans le Val Susa ont eu lieu, notamment contre la répression : par exemple l’occupation du consulat italien de Lyon en 1999 en soutien à des personnes arrêtées. Malgré cela, la lutte ne prends pas en Rhône-alpes. En janvier 2006, une manifestation contre le TAV est organisée côté français, à Chambéry. Elle est un succès car les personnes présentes sont plus de 5000. Mais on compte 90% d’italiens parmi celles-ci...

Cependant depuis quelques années un regain d’intérêt se manifeste pour cette lutte de l’autre côté des alpes. Notamment lors de la grande manifestation de février 2012 qui rassemble 75 000 personnes dans la vallée, avec une présence française non négligeable. Des actions de solidarité ont eu lieu peu après, en soutien au mouvement et particulièrement par rapport au compagnon victime de ce qu’il faut bien appeler une tentative de meurtre : il a été électrocuté et est tombé d’un pylône électrique après qu’une personne ait remis l’électricité en sachant très bien qu’il y avait quelqu’un perché en haut du pylône...

LA MOBILISATION FIN 2012
À LYON

Le 3 décembre 2012, le président du conseil Italien Mario Monti est venu à Lyon pour y rencontrer François Hollande afin de discuter notamment du TGV Lyon-Turin, et réaffirmer l’engagement des deux Etats à construire la ligne à grande vitesse. Depuis plusieurs mois, une opposition avait commencé à se mettre en place dans la région, portée par divers collectifs et individus. Pour ce sommet franco-italien, une semaine d’actions, de concerts et débats fut organisée, finissant le lundi 3 par une manifestation dans le centre ville de Lyon. De nombreuses personnes avaient prévu de venir du Val Susa pour participer à cette manifestation, mais comme nous allons le voir la répression fut très massive pour empêcher au maximum la mobilisation.

Pour la rencontre entre Monti et Hollande, à la préfecture de Lyon, tout le quartier alentour fut fermé et déclaré « zone rouge », occupé par toutes sortes de bétail en uniforme (flics, gendarmes, RAID, GIPN). Un rassemblement fut déclaré quelques semaines à l’avance sur la place d’où devait éventuellement partir une manifestation, mais cette place se trouvant dans la zone rouge, il fallut trouver un autre endroit.
Le rassemblement a donc été appelé place des Brotteaux, où siège l’ancienne gare du même nom et qui se trouve à proximité de la gare de la Part-Dieu (plus grande gare de province). Ce lieu, ni trop près ni trop loin, permettait à la fois de rassembler de nombreuses personnes, discuter avec les passants, et partir éventuellement en cortège pour se promener un peu. Mais l’énorme dispositif policier ne le permit pas.

UNE RÉPRESSION TRÉS LARGE
ET TRÉS FERME

Les premiers italiens venant participer aux mobilisations étaient attendus le samedi, soit deux jours avant la manifestation, notamment pour animer un débat sur la lutte des femmes dans le mouvement No-Tav. Mais dès le jeudi soir, les CRS et gardes mobiles avaient mis en place des contrôles à la frontière qui ont été renforcés pendant le week-end. Les accords Shengen furent suspendus pendant plusieurs jours entre la France et l’Italie, de façon à permettre à l’Etat français de refouler un maximum d’Italiens à leur arrivée en France (sous le prétexte d’avoir par exemple déjà participé à une manif No-TAV...). Ainsi une bonne partie des italien-ne-s attendu-e-s durant le week-end ne put pas venir en France, empêchés ainsi de participer ou d’animer les débats prévus. Les flics français, outre leur propre fichier « d’indésirables », ont visiblement utilisé une liste de militant-e-s fournie par le gouvernement italien pour refouler des individus à la frontière, preuve de la bonne collaboration des polices des deux pays (collaboration qui fut saluée par Hollande et Monti au cours du sommet !)

Sur la ville de Lyon, les services de l’Etat ne chôment pas durant ce week-end précédant la manif, alors que les dispositifs de sécurité se mettent en place, des militants se font suivre et/ou contrôler, et les squats qui vont accueillir des italien-ne-s sont mis sous forte surveillance policière (prises de photos, rondes de flics, « recensement » des habitants, etc). Le jour de la manifestation des personnes en voiture seront même arrêtées par le GIPN et des civils portant un écusson « RAID » !

Suite à ces difficultés, on commence à s’attendre au pire pour la journée du lundi. Et ce fut avec raison. La douzaine de cars d’italiens atteignit tôt le matin la frontière avec la France pour arriver vers midi au rassemblement prévu. Mais les flics et gendarmes ont bloqué les cars pendant de nombreuses heures, afin de contrôler et fouiller minutieusement leurs occupants. Un car sera même refoulé à la frontière. Au final, les italiens arrivèrent vers 15h30, alors qu’on pensait partager avec eux un bol de soupe chaude au déjeuner. Entre-temps la place s’était remplie de monde depuis la fin de matinée, et les flics et gendarmes avaient commencé à mettre en place un dispositif démesuré d’encerclement.
A l’arrivée des cars italiens en milieu d’après-midi, la nasse se resserre et plus personne ne peut rentrer ou sortir du lieu de rassemblement. Cela n’empêche pas les prises de paroles, les slogans, chants, etc, mais toute tentative d’avancer en cortège ou de secouer les grilles se solde par des coups de matraque et des jets de gaz lacrymogènes. Un hélicoptère tourne en permanence au-dessus du rassemblement, et de nombreux policiers sont dans les rues autour pour contrôler les alentours de la place. Le spectre de la prison Bellecour vient à tout les esprits [1], et les individus pris au piège restent dans l’expectative. Mais là, il ne s’agit apparemment pas pour le pouvoir d’arrêter ou de contrôler un maximum de monde, mais plutôt d’empêcher toute prise d’initiative et de bloquer complètement les manifestants sur la place. En effet, les italiens doivent bien rentrer chez eux à un moment ou un autre, et même si la police a prévu de la place dans les commissariats en cas d’arrestations massives, il lui serait très difficile d’embarquer le millier de personnes présentes. La police pousse donc les italiens à monter dans les cars, puis les cars à quitter la place, tout en empêchant les autres manifestants de se faufiler en profitant du mouvement, chargeant à l’occasion celles et ceux qui se glissent entre deux cars quittant la place. Les italiens cherchent alors à rester sur place par solidarité avec les français, mais les flics font pression sur les chauffeurs pour qu’ils dégagent. Un car sera même conduit temporairement par un policier français le temps de quitter la place ! Les cars sont conduit un peu plus loin, et fouillés à la recherche de français qui essaieraient de sortir de cette prison à ciel ouvert. Les cars sont ensuite escortés par les dizaines de fourgons et de motards, dans la ville et sur l’autoroute, et ce jusqu’à L’Isle d’Abeau à une trentaine de kilomètres de Lyon. Les autres manifestants commencent à sortir vers 19h par petits groupes, avec ou sans contrôle d’identité. De façon aléatoire, les sorties se ferment parfois brutalement sans que l’on sache trop pourquoi, si ce n’est peut-être pour empêcher une jonction avec des petits groupes qui commencent à se former à l’extérieur en soutien aux « emprisonnés ». A 21h tout le monde est dehors et le dispositif est en grande partie replié, et on compte deux arrestations. D’autres personnes furent interpellées, pour être simplement (re)mises dans la nasse et ressortir en fin de soirée après un contrôle d’identité.

UN BILAN EN DEMI-TEINTE

Mais la répression ne s’est limite pas au rassemblement, puisqu’une trentaine d’arrestations avaient déjà eu lieu dans la matinée. En particulier, une grosse vingtaine d’individus sortant d’un squat se font entourés par une douzaine de véhicules de police pour être arrêtés et emmenés dans différents commissariats. Toutes ces personnes y passeront la journée, certaines sortirons le lendemain voir même le surlendemain ! Mais grâce à leur détermination collective, la majeure partie des interpellés ressortent sans avoir donné leur identité et en refusant tout les fichages (photo, empreintes et ADN). Ainsi la conclusion semble être que tout le déploiement policier (au total 1300 serviteurs de l’Etat pour un millier de manifestants) avait pour but faire une démonstration de force brute et empêcher qu’il puisse se passer quoi que ce soit durant la journée. Au final une seule personne se retrouve avec une convocation pour violence sur agent (très probablement pour « couvrir » les flics qui l’ont frappée violemment). Les No-TAV sont donc plutôt satisfaits de la mobilisation, sans précédent à Lyon contre le projet, mais nous n’avons pas trouvé de parade face au blocage total opéré par la police. Ceci dit, cette méthode d’enfermement commence à susciter des réactions de la part de divers collectifs et individus, dans la suite de ce qui se fait depuis la « prison Bellecour » du mouvement des retraites à Lyon, et la réflexion se poursuit pour ne plus se laisser piéger la prochaine fois.

En attendant, en Italie, la répression ne faiblit pas : une cinquantaine de personnes, parfois en détention préventive depuis des mois, doivent passer en procès en Février après de nombreux reports d’audience. Il est à noter que les procès vont se dérouler à Turin dans une salle spéciale dénommée « bunker » à la prison de la Valette. Ce « bunker » avait été ouvert pour les grands procès contre les formations armées (Brigades rouges, Prima Linea, etc). En faisant dans cette salle le procès des No-TAV, l’Etat italien veut assimiler le mouvement à une sorte d’extrémisme « terroriste ». Cela n’augure rien de bon pour la suite...

Un no-TAV parmi d’autres

1] Voir l’article « Prison Bellecour » CA n°224 de Novembre 2012

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