mercredi 1er novembre 2006, par
Depuis plusieurs années, les « médecins étrangers », multiplient leurs actions pour dénoncer la ségrégation et la précarité de leurs situations. L’INPADHUE (Inter syndicale Nationale des Praticiens à Diplômes hors Union européenne) a relancé par des actions, dont une grève, en Juillet 2006 le désir d’en finir avec la situation de ségrégation et de précarité qu’ils ou elles subissent.
Officialiser leur statut.
Quelques 6 000 médecins étrangers sont recensés par la DHOS (Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins). Recensement qui pourrait s’élargir car, comme le précise le vice président de leur association : « …ce chiffre est approximatif car beaucoup d’hôpitaux ne déclarent pas leurs médecins étrangers ». Précaires, incertains sur leur devenir, ceux-ci sont pourtant indispensables pour la bonne continuité des soins dans les hôpitaux publics.
Ces milliers de médecins titulaires de diplômes acquis hors Union Européenne, exercent dans les hôpitaux sans avoir une autorisation de pratiquer la médecine. Situation vécue par certains depuis de nombreuses années alors qu’ils ont fondé une famille, résident en France et ont acquis la nationalité française. Leur mouvement de cet été n’est qu’une tentative de plus pour faire cesser leur situation de ségrégation et de précarité.
C’est dans les années 90 que la France fera massivement appel à eux pour compenser le manque de personnel médical. Sont considérés comme personnels médicaux : les chirurgiens, les médecins les anesthésistes, … les autres personnels de l’hôpital, infirmières, aides soignantes, kinés… sont classés comme non médicaux. Face aux effets négatifs du « numerus clausus » qui limite le nombre d’étudiants en médecine et donc de futurs praticiens, ils seront donc recrutés de façon dérogatoire au Maghreb, en Afrique ou Moyen Orient. Ils seront ainsi embauchés sous contrats mais rémunérés entre 30% à 50% de moins que leurs confrères français. Ils pallient aux médecins dans les disciplines sinistrées ou dans les hôpitaux périphériques peu attractifs, voire dans des zones géographiques désertées par leurs homologues français. Il s’agit ni plus ni moins d’une immigration choisie, haut de gamme, déjà appliquée, avant sa remise au goût du jour par le candidat Sarkozy.
Ces médecins, sur la base d’un diplôme non reconnu en France, exercent donc sans avoir d’autorisation officielle d’exercer. Ils pratiquent leur art dans les hôpitaux, depuis de nombreuses années, en toute illégalité selon la loi et pour certains en travailleurs clandestins, au su et vu de tous, mais non déclarés administrativement . Ils ne peuvent donc ni s’installer dans le secteur libéral, ni dans le secteur privé, ni ne peuvent s’inscrire au conseil de l’ordre des médecins français. Pourtant, parmi eux, nombre ont la nationalité française, se sont mariés ou ont des enfants nés en France…
Le ministère les chiffre à 7000 officiellement ; 4000 seraient en formation et devraient rentrer dans leurs pays à la fin de leur cursus. Restent 3000 qui exercent en tant « qu’attachés » associés ou « assistants » associés sans bénéficier du statut de praticien adjoint contractuel.
Or si depuis 1995, 10 000 médecins étrangers ont été régularisés par l’obtention d’un concours, leur nombre ne faiblit pas année après année, alors qu’une loi de 1999 sur la CMU (Couverture Maladie Universelle de la SECU) interdit aux directeurs d’hôpitaux d’en recruter.
En 2005, le gouvernement a organisé une nouvelle procédure d’autorisation, à savoir un concours ouvert aux médecins diplômés hors Union Européenne. Cette procédure a été dénoncée par l’INPADHUE qui remet en cause la notion de concours et préfère : « l’instauration d’une voie spécifique sur la base de la validation des acquis de l’expérience ».
Une règle : 20 ans d’Hypocrisie.
Le gouvernement justifie cette application d’un « concours » comme une exigence de qualité de soins. Une hypocrisie si l’on sait que depuis de nombreuses années, nombre d’attachés ou d’assistants sont partie-prenante d’équipes médicales, couverts par les patrons de services de soins. Ce concours répond plus aux blocages et réactions corporatistes du corps médical français, via leur ordre des médecins, leurs syndicats : l’INPH (Inter syndicale nationale des praticiens hospitaliers) ou encore la CMH (Coordination des médecins hospitaliers) qui s’opposent à leur régularisation sans concours. Pourtant, ce même gouvernement reconnaît que la modalité proposée « …n’est pas adaptée dans sa forme aux médecins ayant des années d’expérience professionnelle ».
Pourtant, tout ce beau monde s’accommode fort bien de cette main d’œuvre « haut de gamme » indispensable qui assume les gardes naturellement sous payées que les praticiens français dédaignent ( week-end ou périodes d’été) et qui maintient la continuité des soins sur tout le territoire.. Main d’œuvre étrangère sans laquelle des secteurs de soins hospitaliers, voire des hôpitaux périphériques ne pourraient pas fonctionner et auraient mis la clef sous la porte. Ce que résume le président de la fédération des praticiens régularisés : « Si la démographie médicale avait été bien faite dans les années 80, moi venant de l’étranger, je n’aurais pas pu travailler. Si certains n’ont toujours pas d’autorisation d’exercice, c’est aussi parce qu’ils ne coûtent pas cher. Il faut faire cesser cette hypocrisie ».
Et pour cause, payés à moindre coût que leurs collègues français, ils sont nommés par leur chef de service et par la direction de l’hôpital. Leur diplôme est reconnu scientifiquement équivalent à celui de leurs confrères nationaux. Ils exercent depuis deux, cinq, voir plus de quinze ans en France souvent dans des spécialités. Ils occupent des responsabilités cliniques. Ils encadrent et forment les internes français. Ont effectué plus de cinquante millions d’actes de médecin ( diagnostiques, traitements, interventions…) facturés par les hôpitaux comme pour les autres praticiens.
Cette situation inique dont les pouvoirs publics portent la responsabilité perdure depuis 25 ans. Depuis ces décennies, l’état a organisé et géré la ségrégation, et l’exploitation de cette immigration haut de gamme extra européenne. Depuis ces années il bafoue ses propres valeurs républicaines d’égalité. Le gouvernement, son administration et le conseil de l’ordre ont la responsabilité de cette discrimination, de ce non état de droit. Mais, ils ne font que perpétuer la pratique de leurs prédécesseurs.
Souvenons-nous qu’en décembre 2000, c’est sous la régence de la gauche plurielle, où E. Guigou et B. Kouchner siégeaient aux ministère et secrétariat de la Santé et de la Solidarité, que ces médecins étrangers dénonçaient déjà, par un mouvement de grève de la faim, leur situation. C’est aussi, en février 2000 que « d’obscurs fonctionnaires » du ministère de la Santé prenaient la décision de réduire leurs primes de garde d’un tiers. Mesure qui frappait les diplômés hors communauté européenne mais ne concernait ni les Canadiens, ni les Autrichiens pour ne citer que ceux-là.(Arrêté du 27 01 2000. Arrêté xénophobe vite retiré ).
Epoque où B. Debré, chef de service à l’hôpital Cochin et grand ami de la Chiraquie, fustigeait la gauche au gouvernement et la ministre GUIGOU, dans une lettre de solidarité aux médecins étrangers, alors en grève de la faim, adressée à ses confrères nationaux.. N’oublions pas que quelques années auparavant, campagne électorale oblige, L. Jospin lui-même s’était engagé lors de la présidentielle de 1995 à « redonner la plénitude des droits à ces médecins et à reconnaître officiellement leur travail ».
Hélas, les gouvernements ont prorogé ces statuts spéciaux comme les examens et concours. Système de barrières, d’embûches et véritable course d’obstacles afin d’empêcher la mise à égalité de ces médecins avec leurs homologues français. Statuts spéciaux en contradiction avec l’article 372 du code de la santé. L’état français refuse d’appliquer la jurisprudence européenne (Haîm/ hocsman) qui oblige un gouvernement ou un pays à prendre en compte tous les diplômes, l’expérience, hors ou dans l’espace européen et à faire la comparaison avec les exigences de compétence pour l’exercice des autres médecins dans le pays d’accueil. Certes, Jospin n’a pas été élu ! Jospin et la gauche ont été virés. Chirac et l’UMP ont pris la relève et, B. Debré est sans doute retourné dans son service d’urologie de l’hôpital Cochin, laissant ainsi ses amis au pouvoir proroger encore, pour des raisons économiques et de nécessités politiques, la situation de ségrégation, de précarité et d’exploitation de ces médecins à diplômes étrangers.
Peu après ce mouvement, le 13 juillet 06 X. Bertrand, ministre de la santé, promettait qu’une « solution législative » serait apportée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le mode d’emploi de ces médecins extra-communautaire préfigure-t-il ce que sera le schéma d’une immigration choisie annoncée par le présidentiable SARKOZY ? L’on voit déjà l’usage d’une immigration « des élites » diplômée, jetable, utilisée comme variable économique dans le cadre de l’offensive libérale du capital, pour restructurer à moindre coût le secteur de l’hôpital public. La solution « législative » apportée par le ministre (quelques régularisations de plus car nécessaires) devra s’inscrire dans l’ensemble des mesures d’économies à faire dans ce domaine. Comme pour les autres luttes de l’immigration, la réponse apportée sera à hauteur du rapport de force de leur mouvement, de la lutte menée et des solidarités trouvées parmi leurs confrères par les contradictions soulevées dans ce milieu.
Les hôpitaux sont dans la course aux économies : fermetures des petites structures, de lits et, diminution de l’offre de soins, emplois précaires grandissants, sous-traitance et privatisations de service. Par ailleurs, c’est la mise en place de la nouvelle gouvernance, des budgets fixés sur la tarification des actes effectués…etc. bref, l’hôpital devient une entreprise à gérer comme toutes les autres. Dans ce contexte, les personnels médicaux et non médicaux ( 70% de la masse salariale) deviennent la variable d’ajustement en utilisant les premiers à moindre coût et en sabrant dans les effectifs des seconds, mais en exploitant tout le monde. A cela, ajoutons l’insuffisance du nombre de médecin libéraux : 4 422 communes sont concernées et menacées. La densité médicale chutera de 335 médecins pour 100 000 habitants en 2002 à 283 vers les années 2020. D’autant qu’est posé dans le même temps le problème de l’inégale répartition géographique de ces mêmes médecins libéraux. Aucun doute qu’une telle situation favorisera une solution « législative » pour cette main d’œuvre précaire et sous payée qui convient aux besoins des managers du capital.
Mais la solution à leur problème dépend aussi de l’équilibre trouvé aux contradictions posées dans la classe dominante elle même. Les managers les plus libéraux prônent l’officialisation et la plénitude du droit des médecins extra-communautaires d’exercer à l’égal de leurs confrères français et, la réserve, voire le refus d’une autre partie de praticiens français corporatistes craignant pour leur statut et autres privilèges.
Les différentes régulations obéissent à cet équilibre menacé aujourd’hui par un afflux de médecins diplômés de l’Est de l’Union Européenne, tels les médecins hongrois qui à diplômes équivalents gagnent dix fois plus à l’Ouest que dans leur pays, qu’ils désertent laissant derrière eux les mêmes problèmes de pénurie de praticiens.
MZ. Caen le 15 10 2006
D’où viennent -ils ?
30,7 % du Maghreb
13,7 % d’Europe (hors U.E)
12,3 % d’Afrique
6,9 % d’Asie
5,1 % d’Amérique du Sud
19 % divers pays