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CA 340 mai 2024

La militarisation du nucléaire civil !

mercredi 8 mai 2024, par Courant Alternatif

Les deux derniers réacteurs nucléaires de 1450 mégawatts mis en service en 1997 et 1999, voici plus de 25 ans, à Civaux dans le département de la Vienne, vont devenir le chaînon manquant à la force nucléaire de dissuasion française en produisant du tritium.


Notre force de dissuasion bientôt en carafe !

La bombe H (aussi appelée bombe à fusion ou bombe thermonucléaire) est une bombe dont l’énergie principale provient de la fusion de noyaux légers. Plus puissante et plus complexe qu’une bombe à fission nucléaire, dite « bombe A », une bombe H est divisée en deux étages :

  • Le fonctionnement du premier étage est celui d’une bombe atomique à fission « classique » au plutonium.
  • Le deuxième étage est constitué des combustibles de fusion, les isotopes de l’hydrogène que sont le deutérium et le tritium. Si le deutérium existe dans la nature (sous forme d’eau lourde extraite de l’eau de mer), le tritium est extrêmement rare, et est un résidu de la production d’électricité d’origine nucléaire rejeté dans les airs. Radioactif, la moitié du stock de tritium disparaît en une douzaine d’années, ce qui implique périodiquement son remplacement dans les bombes H.

Le tritium était produit dans deux réacteurs nucléaires militaires du Commissariat à l’Énergie Atomique (Célestin 1 et 2) arrêtés en 2009. A terme, les bombes françaises deviendraient inutilisables… Pourvu que les Russes n’en profitent pas…    A moins que le CEA ne reconstruise de nouvelles structures de production... ce qui coûterait la « peau du cul » et serait très certainement hors délai ! A noter que la production du tritium par le CEA s’est arrêtée depuis au moins 15 ans. En conséquence, l’armée française a des bombes H qui ont perdu au moins 60% du gaz tritium qu’elles contenaient ! 

Mais il existe une autre méthode pour obtenir du tritium : utiliser du lithium en le bombardant avec des neutrons. De tels neutrons sont abondamment produits dans les réacteurs nucléaires, quant au lithium, les projets se mettent place (géothermal en Alsace, mines en Allier) pour faire de notre pays un producteur. Autrement dit, la France pourrait être capable dans un avenir proche de produire in situ le tritium qui va faire défaut à notre arsenal nucléaire.

L'armée fait appel à EDF

Le ministre des Armées s’est rendu le 18 mars sur le site du centre nucléaire de production d’électricité de Civaux. D’après le communiqué de presse du ministère : « le ministre a expliqué la collaboration qui se met en place entre EDF et la Défense consistant à installer un service d’irradiation de matériaux sur le site. Il s’agit d’exploiter la puissance des 2 réacteurs de Civaux pour, en marge d’une production d’électricité inchangée, irradier dans le cœur des réacteurs des matériaux particuliers contenant du lithium. Une fois irradiés, ces derniers seront transférés vers un site du CEA afin de produire du tritium, un gaz rare indispensable aux armes de dissuasion. » Dans ce communiqué, on apprend plus loin que « cette collaboration était à l’étude depuis les années 1990 et fait partie d’une planification de longue date, habituelle des outils industriels de la Défense. » A noter qu’aux États-Unis, l’opérateur Tennessee Valley Authority met un de ses réacteurs à disposition du Pentagone pour la force de frappe depuis une vingtaine d’années.

Le nouveau processus industriel ne sera pas lancé avant 2025, le temps d’obtenir les autorisations. Notamment celle de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui sera appuyée par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Ils doivent étudier le dossier à partir de septembre afin qu’un premier test puisse être réalisé lors de l’arrêt de production de l’un des réacteurs en 2025. D’après Jean Marie Brom, physicien, directeur de recherches au CNRS, « il est faux de dire que cette militarisation n’aura aucun effet sur la production de Civaux, puisqu’il faudra installer du lithium dans le réacteur, et extraire périodiquement le tritium, avant de l’envoyer au CEA. L’impact sera plus important encore pour les employés et sous-traitants de la centrale de Civaux, à qui on ne demandera pas s’ils sont pour ou contre participer à la confection d’engins de mort au lieu de produire de l’énergie –même nucléaire - pour leurs concitoyens, et qui risquent bien de passer sous un régime de "confidentiel défense"… »

On comprend mieux ainsi le démantèlement de l’IRSN qui fusionnera avec l’ASN sous la coupe du CEA qui sera effective le 1er janvier 2025, dont la mission est avant tout militaire. Cette nouvelle structure portera le nom d’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR). On comprend aussi mieux la nationalisation à 100% d’EDF effective depuis le 8 juin 2023. J’ai eu une pensée de révolte en repensant aux discours du Parti Communiste Français et de la CGT dans les années 70-80 disant qu’il ne fallait pas confondre le nucléaire civil fournissant de l’électricité et le nucléaire militaire qu’il fallait combattre « pour la Paix » lorsque celui-ci était aux mains des américains !       

Denis – OCL-Reims le 30 mars 2024

Sources : Le Monde, Médiapart

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