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SUD éducation :
du syndicalisme radical
au syndicalisme de collaboration de classe

lundi 22 janvier 2024, par Courant Alternatif

La fédération SUD éducation connaît des départs et des scissions révélateurs de son évolution. Nous revenons sur celle-ci pour tenter d’en comprendre les ressorts. Ce texte est issu d’une écriture collaborative avec des camarades de SUD éducation ou ex-SUD éducation. Sont mis en italique notamment les extraits d’un texte « Pourquoi nous quittons SUD éducation » de septembre 2023 rédigé par un petit groupe de militant·es de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) ayant quitté SUD éducation. 


Origine de SUD éducation

Différents syndicats SUD éducation se créent à la suite du mouvement social de 1995 pour former une fédération en 1998 construit autour de principes autogestionnaires et anti-hiérarchiques :

  1. Chaque syndicat est autonome ;
  2. La vie d’un syndicat et ses décisions sont basées sur des assemblées générales des adhérent·es ;
  3. Au niveau fédéral, un Conseil Fédéral (CF) se réunit tous les deux mois. En dehors des Congrès, les CF constituent l’organe fédéral décisionnaire ;
  4. Une commission exécutive (CE) fédérale est élue dont l’unique rôle est d’animer la vie fédérale entre deux CF et n’a donc pas le droit de prendre la moindre décision qui ne respecterait pas les décisions de CF ou de Congrès (réunis tous les 3 ans). Les bases politiques étaient un positionnement lutte de classe radical vis à vis de la hiérarchie avec la volonté d’une culture du consensus militant.

Depuis son origine, SUD éducation a bien évolué. La génération ayant impulsé SUD éducation a en grande partie quitté la vie syndicale pour partir à la retraite ; de nouvelles générations sont arrivées, n’ayant le plus souvent aucun passé militant. La mémoire de la singularité de SUD éducation s’est donc effritée petit à petit.
 

Glissement sociologique et idéologique de SUD éducation

La réforme de la fonction publique en 2003 a entraîné le passage des agents techniques des lycées et collèges aux collectivités territoriales. La plupart des syndicats SUD éducation ont donc décidé de ne plus syndiquer ces catégories de personnel relevant dès lors de SUD Collectivités Territoriales, alors même qu’ils et elles demeuraient les collègues des enseignant·es. Seul le secteur de l’ESR, très minoritaire, continue, au niveau national, à syndiquer des membres du personnel administratif et technique. SUD éducation syndique donc aujourd’hui majoritairement des enseignant·es du second degré.
Le centre de gravité de l’action syndicale correspond en conséquence aux préoccupations de militant·es appartenant le plus souvent à des classes moyennes diplômées et sensibles aux théories intersectionnelle identitaire à la mode (sexisme, racisme, islamophobie, validisme, transphobie, …) . Il faut combattre ces discriminations, mais force est de constater que la propagande massive sur ces questions est devenue la spécificité de SUD éducation sur le marché syndical. La perspective d’un combat commun, lutte des classes, disparaît le plus souvent en dehors d’appels incantatoires ponctuels à la grève générale. 
Lors des derniers Congrès ou dans les publications de SUD éducation, si une orientation envers les AESH et AED existe, les conditions de travail des personnels administratifs et techniques sont laissées de côté. Les nouvelles et nouveaux adhérent·es ne peuvent donc pas être sensibilisé·es à ces préoccupations. Cela est d’autant plus grave qu’ils et elles n’ont le plus souvent aucune culture syndicale. Pour exemple, dans une AG locale de Solidaires sur le bilan du mouvement des retraites, AG dominée par des militant·es de SUD éducation, la discussion a essentiellement tourné autour des propos homophobes ou sexistes apparus durant les manifestations. 
 

Glissement monolithique de SUD éducation

La fédération SUD éducation a non seulement peu à peu épousé les théories intersectionnelles identitaires dominantes, mais ces dernières ne peuvent plus faire l’objet de discussions au niveau fédéral et de même dans nombre de syndicats départementaux. 
La fédération SUD éducation comprend des commissions nationales thématiques qui n’ont théoriquement aucun pouvoir décisionnaire. Dans les faits, certaines commissions nationales, ainsi que la CE, deviennent des autorités politiques interdisant tout débat contradictoire : « Que ce soit sur la crise du COVID, le féminisme, l’antiracisme, la critique du système éducatif, etc, l’expression d’opinions divergentes entraîne très souvent des réactions de rejet catégorique, sans réelles possibilités de débat. Il y a donc une ligne politique plus ou moins explicite, définie par la CE ou les commissions fédérales influentes, et jamais réellement débattue, que l’on pourrait résumer ainsi : « Être dans le camp du Bien, c’est déconstruire les oppressions et faire barrage à l’extrême droite ». Celles et ceux qui osent exprimer un point de vue (même nuancé) non conforme à la ligne s’exposent à toutes sortes de désagréments, allant des regards hostiles sur fond de lourds silences dans certaines AG aux adjectifs carrément insultants sur les listes de discussion/diffusion internes : si vous argumentez contre la doxa, c’est nécessairement que vous êtes complotiste, sexiste, raciste, XXXXphobe, confusionniste, réactionnaire, etc. ».
 

Glissement bureaucratique de SUD éducation

La fédération SUD éducation devient de plus en plus un syndicat comme un autre. A tous les niveaux de la fédération, une verticalisation et une bureaucratie émergent. Une minorité de « chef·fes » s’impose avec l’acceptation de la majorité sous prétexte de l’efficacité. La CE fédérale, des mandaté·es à Solidaires et les responsables de certaines commissions sont ainsi devenu·es des expert·es. Certain·es militant·es, considéré·es incontournables, ont vu leurs décharges dépasser ce que les statuts autorisent : « la CE pilote, de fait, la vie fédérale (CF, Congrès) et se permet très régulièrement des prises de positions politiques, sans recherche du consensus, voire sans aucune discussion. Cela se fait généralement dans l’urgence, puisque la CE estime devoir suivre le rythme de l’actualité médiatique. » 
Dès lors, toute critique est combattue : « [des] camarades sont accusé·es notamment de « collusion avec l’extrême droite » en raison de leur engagement dans les manifs anti-passe ou un collectif de soignant·es. Dans ces cas, la CE se permet d’envoyer à des structures locales (UL Solidaires ou syndicats SUD éducation) des messages de dénigrement ciblant individuellement les camarades, portant des accusations sans preuves et allant jusqu’à exposer leur vie privée, le tout sans information préalable, même pas aux intéressé·es. ».
 

Glissement vers la collaboration de classe de SUD éducation

Les positions fédérales de SUD éducation sont de plus en plus imitatives des syndicats traditionnels, accourant dès qu’on les siffle dans les bureaux ministériels et adoptant des positions politiques de moins en moins clivantes avec les courants syndicaux dominants. Pour exemple, lors de la crise du Covid, la fédération SUD éducation a appelé, sans aucune discussion interne, à la vaccination massive des enfants et a refusé de participer aux manifs « anti-pass » (sous prétexte que ces dernières étaient d’extrême droite). Plus récemment, au niveau de Solidaires, SUD éducation a soutenu la position d’une rencontre bilatérale entre Solidaires et le gouvernement pendant le mouvement de défense des retraites 2023 : en plein mouvement social où l’objectif était de renforcer les luttes à la base, SUD éducation était prêt à discuter en tête à tête avec E. Borne dans les fauteuils de Matignon. 
Derrière un paravent soi-disant radical sur le terrain du féminisme et de l’antiracisme, SUD éducation épouse les orientations politiques des syndicats de collaboration de classe. Durant le mouvement des retraites, le co-porte-parole de Solidaires, Simon Duteil, membre de SUD éducation, a considéré que l’intersyndicale nationale avait fait un « sans-faute ». 
 

Glissement autoritaire de SUD éducation

Des militant·es ont essayé de mener une lutte interne pour contrer les glissements précédemment exposés, mais elle a reçu peu d’écho. La très grande majorité des adhérent·es n’est pas informée de la vie fédérale, les AG locales rassemblent peu de monde et la plus grande part de l’activité militante est effectuée par une minorité de déchargé·es. 
En réaction à ces critiques, la fédération, au travers notamment de la CE, a mené une chasse aux sorcières. Le syndicat de la Corrèze s’est fait exclure au Congrès de Caen (mai 2022) par un procès digne des pires staliniens, sous des prétextes fallacieux de « porosité avec l’extrême droite » de « sexisme ». En juin 2022, c’était le tour du syndicat de l’académie de Grenoble sur des motifs statutaires discutables recoupant en réalité bien d’autres clivages. 
D’autres tentatives critiques ont émergé qui ont toutes été un échec : « Toutes les tentatives récentes d’initier une discussion de fond sur les problèmes ci-dessus, à divers niveaux de la fédération, ont été balayées. Le regroupement PIF-PAAAF (Pour un Idéal Fédérateur – Perpétuer l’Anti-Autoritarisme et l’Autogestion au sein de la Fédé) a demandé sa reconnaissance comme minorité (conformément à l’article 12 des statuts fédéraux), ainsi qu’un droit de diffusion auprès des syndicats locaux : droits refusés par le CF de septembre 2022. SUD éducation 76-27 a proposé un texte demandant l’ouverture d’un chantier de réflexion sur la démocratie interne : demande rejetée par le CF de décembre 2022. SUD éducation 47 a proposé un point de discussion sur les problèmes potentiellement posés par la création d’une « cellule de veille antisexiste » fédérale : point supprimé de l’ordre du jour lors de la séance du CF de juin 2023. On constate donc qu’une majorité de mandaté·es des syndicats locaux est prête à faire corps avec la CE/bureau politique pour tenir sa ligne contre toute critique interne. ».
 

"SUD éducation" est devenue une marque commerciale

Depuis un an et demi, différents syndicats (académie de Grenoble, Corrèze, Oise, Aquitaine) se sont fédérés en une nouvelle Union syndicale à laquelle se greffe des membres d’autres syndicats ayant quitté SUD éducation (Guyane, Sarthe, Nord, Pas-de-Calais…). Par ailleurs, des piliers du travail militant de l’ESR ont collectivement quitté SUD éducation en septembre 2023, certain·es créant un syndicat SUD ESR en dehors de Solidaires. Au passage, signalons que ces scissions concernent essentiellement des militant·es de longue date et représentent un nombre relativement faible d’adhérent·es comparé au nombre fédéral total qui est en croissance.
Lors de scissions syndicales, il est usuel que la fraction qui scissionne reprenne en partie le nom d’où elle vient : CGTU (scission de la CGT en 1921), CGT-FO (scission de la CGT en 1947), CNT-SO (scission de la CNT en 2012). Quand SUD éducation Corrèze et SUD éducation Grenoble ont été exclus (2022), ils ont créé SUD Lutte de classe éducation ; de même SUD ESR a été créé.
SUD éducation à fait interdire en novembre 2022, via le ministère, la présentation de listes SUD Lutte de classe éducation aux élections professionnelles et paie depuis lors un cabinet d’avocat spécialisé en droit commercial pour un recours juridique sur le nom de la marque « SUD ». La jurisprudence récente considère que, dès lors qu’un syndicat recueille des cotisations, il rentre dans le cadre du droit commercial (les adhérent·es paieraient un service… commercial !). 
Plusieurs milliers d’euros des cotisations des adhérent·es de SUD éducation servent ainsi à faire interdire à un autre syndicat d’utiliser un nom (SUD) sous prétexte de la propriété "commerciale" de ce nom. A notre connaissance, seuls la CFDT et l’UNSA avaient osé s’appuyer sur le droit commercial bourgeois pour contrer des syndicats dissidents. 
 

Conclusion

SUD éducation n’obtient que de faibles résultats aux élections professionnelles. SUD éducation essaie donc d’imiter les grands syndicats pour avoir la reconnaissance institutionnelle, espérant ainsi gagner des voix à ces élections. Ainsi, lors des mouvements sociaux récents, SUD éducation n’a jamais essayé de développer une critique de l’intersyndicale, cherchant à coller au plus près de la CGT. Ce glissement politique s’associe à un glissement organisationnel. En 30 ans, l’évolution générationnelle et la domination des idées postmodernes ont fait glisser SUD éducation d’un positionnement autogestionnaire radical à un syndicalisme bureaucratisé et intégré à la collaboration de classe.
SUD éducation est loin d’être la seule organisation connaissant des scissions suite à l’autoritarisme monolithique des courants intersectionnels identitaires. Cependant, l’évolution de cette fédération pose des questions sur l’action syndicale de militant·es révolutionnaires et sur le leurre de pouvoir constituer actuellement un syndicalisme révolutionnaire à l’image de la Charte d’Amiens (CGT, 1906). Militer syndicalement est un moyen d’essayer de constituer où l’on travaille des collectifs de résistance face à l’agressivité du capitalisme [1], ce qui est nécessaire et peut être un levier politique. Mais militer pour la transformation révolutionnaire de notre société nécessite de dépasser l’action purement syndicale, assez stérile in fine aujourd’hui, et de s’investir dans les luttes et structures qui émergent au-delà du monde du travail car la lutte de classe déborde depuis des années le monde du travail (GJ, Sainte-Soline,…).

RV

Notes

[1Pour l’intérêt des syndicats, voir CA 335, décembre 2023 : « États-Unis : les raisons de la colère »

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2 Messages

  • Salut Camarades,

    Sans vouloir rentrer plus directement dans la polémique concernant le caractère "collaborationniste de classe ou non" de la fédération Sud éducation (elle même adhérente à l’Union Syndicale Solidaires... ce que l’article omet plus ou moins à dessein), je constate que l’auteur.e de l’article ne s’identifie pas clairement, aussi bien dans sa fonction sociale (prof ? universitaire ? agent technique ?) que dans ses liens avec la Fédération Sud éducation ou à sa caricature néo-bolchevique et anti-féministe dite SUD Lutte de Classe.

    A contrario, je me présente comme un simple prof de collège, rompu aux ZEP, ZUP, etc... mais également militant syndical et anarchiste ("tendance" communiste libertaire), enseignant concrètement dans les "quartiers" depuis plus de 20 ans... compagnon de lutte aussi bien de No Pasaran, la Fédération Anarchiste, la CGA et l’UCL pour qui aime les blasons.

    Dans tous les cas, je réclame un droit de réponse depuis le syndicat Sud éducation 07/26 envers les agissements sectaires et outranciers de Sud dit "Lutte de Classe" dont vous vous faites de facto les publicitaires.

    Ayant connu, même si cela remonte à une 20aine d’années (notamment autours de Tours et de Nantes), une OCL beaucoup moins avide de sensationnalisme ou de ragots complotistes, j’espère que vous accéderez à ma demande.

    Salutations syndicales et anarchistes,
    Samuel Effray

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    • L’auteur (moi-même) de l’article incriminé n’est pas à SUD LDC. J’ai omis que SUD éduc est dans Solidaires, non "à dessein", mais en 6000 signe je ne pouvais pas tout mettre. Et je fais remarquer que l’image issu de SUD LDC n’est pas de mon fait, mais du maquettiste 😉.

      Je suis lié personnellement à SUD LDC car je connais bien ces camarades, mais je suis critique de leurs orientations très anarcho-syndicaliste et leur matériel de propagande me parait décalé et peu performant.

      Ceci dit, je pense que c’est le fond politique qui te chagrine car SUD LDC n’est en rien "bolchevique" ni "anti-féministe" ni "sectaire" (mais aigri pour un certain nb de camarades de SUD LDC envers SUD éduc). Je pense que c’est la critique de l’orientation post-moderniste de SUD éducation qui te dérange. A ceci de mon regard s’ajoute un glissement organisationnel et politique décrit dans mon texte.

      Fondamentalement, après 13 ans à SUD éducation et très impliqué dans la vie syndicale fédérale et locale, j’ai quitté SUD éducation en septembre 2023 avec d’autres camarades pour les raisons évoquées dans le texte que j’ai produit (texte revu et corrigé par d’autres camarades tjs à SUD éducation ou l’ayant quitté avant ou en même temps que moi)... sans rejoindre pour ma part SUD LDC.

      Fraternellement,
      RV

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