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CA 327 Février 2023

Pays Basque : Le feu spéculatif et les pyromanes du marché

mardi 14 février 2023, par Courant Alternatif

Ce texte (1) est paru dans le premier numéro d’un journal trimestriel, Bamba, publié et diffusé essentiellement en Soule (2). Il a été écrit par un militant du Collectif de Soule XEKK contre la spéculation, (Xiberoko Espekulazioaren Kontrako Kolektiboa), et est un point de vue parmi les positions et réflexions échangées et discutées au sein de ce collectif large.


Né en 2022, XEKK a déjà mené plusieurs actions : distribution de tracts dénonçant, à l’aide d’exemples concrets, les prix insensés de maisons à vendre ; rassemblement devant des agences immobilières  ; pose de nombreuses banderoles pendant l’été proclamant que la Soule n’est pas à vendre et que les maisons doivent être lieux de vie, pas d’enrichissement capitaliste ; manifestation dans la ville de Mauléon avec de nombreuses prises de parole  ; invitation de maires et conseiller.e.s de villages souletins à une réunion publique pour qu’ils et elles présentent leurs pratiques et les limites de leurs interventions contre la spéculation immobilière  ; occupation pendant une journée d’une résidence secondaire haut perchée, avec projection d’un documentaire (3) et débat.

*** La propriété, une loi naturelle ?

Il n’est pas rare d’entendre qu’existerait une nature humaine qui voudrait que tout un chacun cherche à vendre son bien le plus cher possible. Il serait donc vain de lutter contre l’envol des prix et inutile de désigner des coupables et des complices. Cette « nature » se pliant évidemment à la règle de l’offre et de la demande, inutile de chercher plus loin des raisons aux comportements les plus individualistes.
Il se trouve que dans ce monde ainsi régi par des lois “naturelles” et économiques (elles aussi supposées originelles et éternelles), des hommes ont tout de même pensé utile de créer des institutions qui sont chargées de tenter de maintenir un équilibre, d’éviter autant que possible l’exacerbation des conflits. Les élus ou techniciens qui les animent ont pour mission d’inventer des mécanismes qui assurent la coexistence pacifique des possédants et des va-nu-pieds. C’est exactement pour cela qu’ont été inventés les gouvernements : réglementer pour pérenniser.
N’est-ce pas là ce qui explique le succès de la grande manifestation du mois de novembre 2021 à Bayonne (Encart 1) ? Tout à coup, tout ce que le Pays Basque contient de politiciens s’est soulevé contre un phénomène qui se révélait soudainement nuisible et tout ce petit monde a réussi à attrouper des milliers de personnes. « C’est toute la diversité du Pays Basque Nord qui est descendue dans la rue » a-t-on pu entendre de la bouche des organisateurs qui tenaient la banderole pour dénoncer une véritable crise et exiger une politique du logement ambitieuse, des mesures courageuses. Exiger auprès de qui ? Le but de la manif : « faire un maximum de bruit afin d’interpeller les décideurs sur l’urgence à garantir le droit de vivre et se loger au pays ». Il y avait pourtant pas mal de ces décideurs dans le cortège. C’est l’art de gueuler contre soi-même afin de se faire oublier. Ce sursaut de colère n’était-il pas surtout l’expression d’un égoïste et prosaïque souci : à force de croissance des loyers, le personnel indispensable au bon fonctionnement de l’économie ainsi que les serviteurs chargés du confort des bourgeois sont dans l’obligation de migrer vers des zones moins chères (s’ils les trouvent). Il devient à un moment urgent de rectifier (un peu, juste ce qu’il faut) le tir.
Voir côte à côte toute cette « diversité » contenant des intérêts divergents peut sans doute émouvoir et laisser croire au souffle spontané d’un esprit collectif mais il ne s’agit aucunement ici de solidarité. Une union des propriétaires et des prolétaires qui doivent consacrer une part toujours croissante de leurs revenus au logement ne peut se faire qu’au détriment des deuxièmes. N’est-il pas utopique de compter sur cette union d’un jour pour régler une injustice séculaire ?

Encart 1
La lutte contre la spéculation immobilière et foncière existe depuis très longtemps au Pays Basque. Dans les années 80, elle était fortement associée à la lutte anti-touristification et à celle de la préservation des terres agricoles contre leur bétonnage et artificialisation. Plus tard, la lutte s’est affaiblie, mais la voilà qui se ranime depuis quelque temps. Diverses structures et organisations ont repris le combat sur ce terrain, d’abord en ordre dispersé, puis aujourd’hui les uns en tentant de regrouper les forces militantes autour d’une plateforme pour faire pression sur les pouvoirs publics, les autres en envisageant des démarches collectives plus autonomes et non légalistes.

Un axe stratégique légaliste :    la demande faite aux pouvoirs publics de "corriger" et de "réguler" le marché libre.

Surfant sur une série de mobilisations qui traduisent un regain de la combativité sur les problèmes de l’habitat et de la gestion du territoire, des partis politiques, des syndicats, des associations ont senti l’opportunité de constituer un large front commun.
A la fin de l’été 2021, ce front s’est créé sous la forme d’une coalition de 32 structures. Cette stratégie frontiste s’inscrit dans la logique social-démocrate interclassiste suivie par les dynamiques militantes majoritaires de ces dernières années, dont les acteur-rices cherchent à être en lien avec des élu.e.s et responsables locaux et s’en faire des interlocuteurs privilégiés. Ceci pour aboutir à un capitalisme "contrôlé" sensé en réduire les effets dévastateurs. Ainsi, les politiques des pouvoirs publics et des élu.e.s ne sont pas analysées comme des outils de classe, contribuant à servir les intérêts des possédants et à conforter l’ordre établi, à protéger avant tout la propriété et à entretenir les inégalités sociales, deux des fondements du capitalisme.
Ce large front a produit une plateforme de revendications et de propositions sur le terrain du logement et du foncier et a co-organisé une manifestation le 20 novembre à Bayonne : " Vivre et se loger au pays ! Espekulazioari ez ! (Non à la spéculation !)"
Cette plateforme engagée sur le terrain légaliste et articulant travail institutionnel et "lutte de masse" a continué à vivre. Une manifestation large est ainsi à nouveau appelée pour le 1er avril dans les rues de Bayonne. On voit mal cependant comment elle sera capable de faire suffisamment pression sur les pouvoirs publics pour renverser la vapeur de la logique marchande. A minima, elle obtiendra quelques aménagements à la marge présentés comme limitant la casse.
En tout cas, ce gros moteur frontiste qui a été mis en route assez facilement n’est pas tout seul dans le paysage politique et social, lui qui voudrait malgré tout devenir l’axe principal tout en mettant sa pluralité en avant. Il y a d’autres acteurs.rices aux choix plus tranchants et plus rupturistes qui vont pouvoir ouvrir d’autres perspectives, visions et débats.
Extraits de Courant alternatif de janvier 2022

*** La maison, c’est pour vivre, pas pour s’enrichir

Séculaire, mais pas universelle ! Et pas davantage naturelle. Le problème n’existe que depuis que les maisons sont métamorphosables en capital. Nous savons bien, ici au Pays Basque, que cela n’a pas toujours été le cas. Lorsque l’aîné·e d’une famille restait dans l’etxe (= la maison) (Encart 2), il ou elle n’en devenait pas le propriétaire. Si les frères et sœurs n’avaient même pas idée d’en demander une part, c’était tout simplement parce qu’une maison avec les quelques terres qui l’entourent ne se coupe pas en morceaux. Seule la convertibilité en argent a permis un partage. L’etxe n’était pas de l’argent     ; ce n’était pas d’un capital dont « héritait » l’aîné·e mais d’un lieu de vie. Et l’idée était que ça dure à jamais.

Pas propriétaire donc, mais plutôt possesseur. Celui ou celle qui "continuait la maison" avait une responsabilité et il était autant habité par elle qu’il ou elle l’habitait. Il ou elle    était possédé.e autant qu’il ou elle possédait, et c’est possiblement pour cela aussi que la convertibilité en argent a pu avoir un certain succès. On pouvait désormais refaire sa vie ailleurs, avec un équivalent de la maison en poche. Comment cela est-il advenu, est-ce là un progrès ? C’est un autre débat... Constatons pour l’heure que les choses ne sont donc pas immuables. Les gens non plus. Toujours est-il que l’ancienne coutume rendait impossible l’accumulation de biens, puisque deux aîné.e.s à qui revenait la maison ne pouvaient se marier ensemble (si deux aîné.e.s tombaient amoureux, l’un.e d’eux.elles devait renoncer à "hériter"). Or l’accumulation, c’est le capitalisme... et la privation ou la dépendance pour ceux qui n’accumulent pas. Et on en arrive à une situation où certains sont propriétaires de plusieurs logements quand d’autres dorment dehors ou dans leur bagnole, dans un logement souvent inadapté, parfois insalubre, toujours trop cher.

Encart 2
Historiquement, dans chaque famille, c’est à l’aîné.e, garçon ou fille, que revenaient la maison et ses dépendances.
Celui ou celle-ci devenait le.la gestionnaire du patrimoine familial. Il.elle avait le devoir de le faire prospérer et fructifier, il devait prendre en charge ses parents, ses oncles, tantes, frères et sœurs célibataires demeuré.e.s au foyer. Ce système de droit coutumier, fondé sur la permanence de la résidence transmise en succession unique, est connu au Pays basque depuis plusieurs siècles. Cette tradition de ne pas morceler la propriété garantissait la survie et le maintien au-dessus du minimum nécessaire

Le capitalisme consiste à faire bosser les gens pour produire de la valeur qui augmente par le truchement de la marchandise. La maison est devenue une marchandise et elle permet donc de faire plus d’argent que celui qui a été initialement investi en elle. C’est devenu sa nouvelle fonction. Un cercle vicieux qui ne cesse d’aggraver la situation. On peut l’oublier, au quotidien, mais cette capacité réapparaît à certains moments (transmission, vente...).

*** Un combat, tout de même

Lors des manifestations du collectif XEKK, les prises de paroles expriment plus les positions de ceux et celles qui causent dans le micro qu’une doxa définitive. C’est un choix conscient du groupe. Ainsi peut-on y entendre aussi bien espoir dans les élus (voire les agents immobiliers) afin qu’ils agissent raisonnablement que critique de fond des fondements de la République que sont la propriété privée et la libre entreprise.

Encart 3
Sur le pouvoir supposé des élus et la force du collectif
Lors de la réunion publique du collectif qui a donné la parole à des maires, en novembre 2022, ont été décrites les initiatives qui pouvaient être prises par les municipalités afin de faciliter l’accès au logement. En dehors de la possibilité de déclarer tout ou parties d’une commune en Zone d’Aménagement Différé sur lesquelles les élus peuvent préempter, il s’agit essentiellement d’aides pour des projets d’aménagement de bâtisses afin d’y créer des logements sociaux. Quand les maires sont volontaires, ils.elles peuvent donc agir dans une certaine mesure. Mais rien ici qui puisse infléchir l’augmentation généralisée des loyers et des prix de ventes. Rien donc qui soit susceptible d’enrayer la confiscation des lieux de vie par une classe riche. Une autre question : les quelques moyens institutionnels mis entre les mains des élu.e.s par l’Etat sont-ils les seuls leviers à leur disposition ? En n’agissant que dans ce seul domaine, ne négligent-ils.elles pas la force politique d’une possible réponse populaire ? Voire, ne l’entravent-ils.elles pas ? Le 3 décembre, XEKK lançait l’invitation à occuper une maison secondaire sur les hauteurs entre Lakarri (Lacarry) et Lexantzü (Lichans) , au-dessus d’Arhane (Arhan) (en Haute Soule) où peu de maisons restent habitées. Une bonne soixantaine de personnes y participèrent au mépris des bonnes manières citoyennes. Si on a osé pénétrer sur une propriété privée légalement acquise, c’est que le devenir d’un lieu de vie n’est pas que l’affaire de son propriétaire légal mais celle des habitant.e.s de son voisinage.

Puisqu’il est avant tout urgent de stopper la montée des prix, la lutte du Collectif consiste, pour le moment, en une campagne de pression dissuasive en direction des vendeurs et des acheteurs. Les intermédiaires (agents immobiliers...) sont particulièrement visés puisqu’ils s’engraissent au passage. C’est là le consensus au sein du groupe militant et des personnes qui le soutiennent. C’était déjà le cas en 2004 quand est né le dernier collectif anti-spéculation en Soule. A cette époque, les élus étaient sourds et aucun ne participait au combat. Il y en a quelques-un.es cette fois. Une évolution susceptible de donner raison à ceux et celles qui mettent de l’espoir dans des avancées législatives. Mais les quelques maires et conseiller.e.s municipaux qui participent aujourd’hui à la lutte se sentent aussi désarmé.e.s que les autres (cf. encart 3). Etre élu c’est prendre part bon gré mal gré au fonctionnement de l’Etat et il serait dommage de l’oublier. Or, ce dernier a d’abord pour fonction de rendre possible le développement capitaliste en le faisant passer pour l’intérêt général.
Pour le collectif, éteindre le feu spéculatif paraît un objectif atteignable si la question est suffisamment partagée au sein de la société au point que ceux qui profitent des prix hauts sentent une réprobation insoutenable peser sur eux. Mais la question s’imposera à nous tant que les maisons seront des biens marchandables. Inévitablement, dans les discussions au sein du collectif, des questions dans ce sens sont soulevées. Le tout est de pouvoir continuer durablement à le faire.

Notes     :
1 - Titre inspiré par un passage du tract du mois de juin 2022 de XEKK (Xiberoko Espekulazioaren Kontrako Kolektiboa), le collectif de Soule contre la spéculation : « ...nous croyons qu’il est possible d’organiser localement une dissuasion générale, de manière à éteindre le feu spéculatif allumé par les pyromanes du marche (vendeurs, agents, notaires). »
2 – La Soule est la province située au sud-est du Pays Basque Nord (du côté de l’Etat français)
3 - Pied de biche, de Mathieu Quillet. Ce film militant sur les mouvements d’occupation autour de Dijon sera à nouveau projeté dans un village de Haute Soule

Vivi, 19 décembre 2022

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