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Ukraine : Les arbres qui cachent la forêt

vendredi 7 mars 2014

par Richard Greeman
(ancien membre de Socialisme ou Barbarie, co-fondateur du groupe « Praxis » de Moscou, traducteur et éditeur de Victor Serge en anglais)

On reçoit de toute part des nouvelles inquiétantes sur les menaces qui pèsent sur le mouvement démocratique populaire qui vient de renverser la dictature corrompue du néo-libéral Ianoukovitch en Ukraine. Et voilà qu’aujourd’hui un coup d’état pro-Russe et très bien organisé, bien protégé se prononce en Crimée. La forte présence de militants nationalistes d’extrême droite (heureusement désunis entre eux) dans les forces d’auto-défense des occupants est toujours menaçante. Vous trouverez ci-dessous le lien d’un récent témoignage, direct et digne de foi, qui tout en soulignant le caractère populaire, multi-ethnique, démocratique de la masse des manifestant, constate aussi la force (et les faiblesses) des éléments nationalistes ( voir ici ).

Mais il ne faut pas laisser l’ombre de ces arbres cacher la beauté de la forêt ! C’est aussi le moment d’admirer, de comprendre et de se solidariser avec ce miracle qui vient de se produire encore une fois devant nos yeux : l’auto-organisation autonome de grandes masses qui réalisent une insurrection, chassent un tyran et ouvrent la porte vers un avenir autre. Il faut être optimiste, solidaire, surtout à l’écoute. Et enfin qui sait l’avenir ? Si elles restent unies, si elles posent la question sociale en refusant d’assumer les dettes que le tyran et ses associés corrompus ont fait chez les banquiers européens, si elles commencent à socialiser les richesse de ce pays richissime en ‟crise économique” fictive, si leur exemple inspire d’autres mouvements en Belorus, en Turquie, en Bosnie, en Russie....???

Ce sont là les espoirs de mes camarades de l’ancien espace soviétique ( Centre Praxis de Moscou ), militants qui on vécu le totalitarisme stalinien et qui vivent encore en semi-dictature. De leur point de vue, le soulèvement en masse de la société civile en Ukraine a atteint une signification historique. Un mouvement multi-classes pour le pouvoir populaire a réussi à neutraliser l’appareil répressif de l’État en pratiquant la désobéissance civile de masse, renforcée par la menace d’une insurrection armée.

Cette étonnante victoire tactique résulte de l’expérience acquise par les manifestants au cours de trois mois de vie commune en un « Occupy » hivernal et assiégé, qui a su faire face à tous les problèmes de subsistance, d’hygiène, etc. et de constitution d’un arsenal défensif.
Disciplinés, auto-organisés, les occupants ont remporté la victoire en pratiquant une version musclée de la classique non violence de masse, tout en se donnant les moyens d’une auto-défense armée.

Ainsi, un mouvement spontané de masse a su, par sa pratique, dépasser la fausse opposition entre la tactique gandhienne de la désobéissance civile non violente de masse et la doctrine marxiste de l’auto-défense armée. Solution que Rosa Luxemburg et le Trotsky de 1905 auraient sûrement appréciée.

Rien d’étonnant à ce que les paltoquets de la prétendue « Opposition » parlementaire soient si embarrassés pour former un gouvernement et élaborer un programme : ils savent très bien que le pouvoir est dans la rue. Rien d’étonnant non plus à ce que l’UE se montre si hésitante à soutenir le régime révolutionnaire en train de naître à Kiev ou à lui prêter quelques milliards d’Euros.

Sans un gouvernement fort à Kiev pour faire appliquer les mesures d’austérité draconiennes du FMI, rien de garantirait que cet argent - et ses intérêts monumentaux- soient jamais remboursés. Le titre du New York Times est d’un tact délicieux : « Non sans hésitations, l’Union Européenne explore l’option d’un soutien à la nouvelle Ukraine. » (N-Y-T. du 26 février). De même la porte-parole de l’UE, Ms Ashton, insiste sur « la force des liens entre l’Ukraine et la Russie et sur l’importance de les préserver. » Même aujourd’hui, je ne vois pas l’OTAN ni les Européens se mobiliser pour “mourir pour Sébastopol”. Et dans le New York Times du 27 février, un porte-parole du Trésor s’inquiète : « Il faut bien que quelqu’un paie pour ces autruches », faisant allusion au zoo découvert dans le domaine de Ianoukovitch. Beau slogan pour les foules de Maidan : « Nous ne paierons pas pour ses autruches ! »

De tels propos donnent de l’eau au moulin de la théorie du complot soutenue par des théoriciens d’extrême gauche qui considèrent le soulèvement démocratique du peuple ukrainien avec les lunettes de la guerre froide, c’est-à-dire comme un coup d’État de droite soutenu par l’Occident. Or, il est certain que les capitalistes ne veulent pas avoir à faire à un soulèvement armée qui risquerait fort d’annuler la dette du régime précédent et de nationaliser les biens des oligarques.

Pour qu’un tel développement ait chance de se produire, il faudrait maintenant que la classe ouvrière mette à profit les libertés démocratiques récemment acquises pour mettre en avant son propre programme et ses propres revendications sociales et politiques. En attendant, en Bosnie, Natacha Lennard décrit « les farouches mouvements de protestation anti-gouvernementaux de ce mois-ci » qui « manifestent une conscience de classe » qui « n’apparaît pas dans les récits de la révolte ukrainienne. » (voir ici )

Une partie de la Gauche occidentale avide de conspirations de droite prône la ‟théorie” du ‟coup d’État fasciste”, faisant le relais de la propagande officielle russe, pourtant ouvertement anti-sémite (voir la lettre de Moscou d’Alexei Goussev, Président de Praxis diffusée récemment ici. On voit ces choses autrement dans ces pays dont le Stalinisme reste une mémoire vivante (plus de trois millions morts de faim dans une famine infligée à l’Ukraine par Staline) et la semi dictature une réalité quotidienne.

Pour eux, comme pour nous, le vrai “danger fasciste” vient du national bolchevisme qui inspire Poutine et son État policier mafieux assis sur le grand capital oligarchique. Lui aussi se pose la question : « Et si le soulèvement démocratique ukrainien se propageait alentour ? S’il s’unissait autour de revendications économiques et sociales ? »

Et si, et si, et si ??? C’est ce “si” qui donne la frousse à Poutine et qui devrait susciter la solidarité de tous les révolutionnaires !

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