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Sortir de l’économie - Parution du n°4 de la revue

vendredi 3 août 2012

Parution du n° 4 de la revue Sortir de l’économie (Bulletin critique de la machine-travail planétaire)

Au sommaire :

Editorial : Critique de l’économie et du travail

La marchandise expliquée à mes enfants

Articles

Partie 1. Au delà de l’économie

. Par où la sortie ? Réflexions critiques sur le MAUSS.
. L’anticapitalisme des anarchistes et des anarcho-syndicalistes espagnols dans les années trente
. Au delà de la Centrale de François Partant. Une critique du scénario de l’archipellisation dans un cadre autogestionnaire.
. Vous avez dit monnaie ? De l’origine sociale des monnaies aux formes monétaires contemporaines.
. Pour un archipel de lieux en propriété d’usage

Partie 2. L’émergence de l’économie : anthropologie des fétiches sociaux

. Critique du substantivisme économique de Karl Polanyi. Pour une critique de l’anthropologie économique.
. Qu’est-ce que la production ? Historicité d’un concept.
. Le fétichisme comme inventivité sociale. Ou comment les dieux sont des fétiches en cours de construction (David Graeber).

Notes de lecture

. Denis Baba, Anarchie économique
. Marcello Tari, Autonomie. Italie, les années 1970
. Kenneth Pomeranz, Force de l’Empire

Le numéro est entièrement téléchargeable sur la site de la revue

La version papier sera disponible ultérieurement.
Commande de numéros et correspondance : ici


Quatrième de couverture :

En deçà du brouhaha des phénomènes secondaires qui s’imposent à notre perception immédiate, l’économie est une forme de vie sociale, une façon implicite et généralisée de se lier les uns aux autres. Ses catégories spécifiques se sont déployées progressivement jusqu’à devenir un cadre global dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le travail est la forme d’activité particulière qui, tout à la fois, produit ce lien spécifique et en répartit les fruits de manière automatique. Il désigne une réalité propre à l’économie où tout est jaugé à l’aune d’une totalité décisive constituée par la forme marchande. Le travail est la source de l’attribut universellement attaché aux marchandises – la valeur – et, simultanément, le moyen incontournable pour les acquérir. Ainsi chacun contribue, par ses activités apparemment sensées, à déployer un monde insensé qui le dépasse et l’englobe, sans même (avoir à) y penser. À partir d’un faisceau d’actes sociaux conscients mais séparés, émerge une totalité inconsciente qui en retour conditionne malgré nous le sens à donner à nos actes. Cette dimension, bien qu’irréelle, a des effets concrets sur le monde. C’est ainsi qu’a été décrit le fonctionnement prétendument irrationnel des fétiches dans les sociétés « primitives ».


Editorial

En deçà du brouhaha des phénomènes secondaires qui s’imposent à notre perception immédiate, l’économie est une forme de vie sociale, une façon implicite et généralisée de se lier les uns aux autres.

Ses catégories spécifiques se sont déployées progressivement jusqu’à devenir un cadre global dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le travail est la forme d’activité particulière qui, tout à la fois, produit ce lien spécifique et en répartit les fruits de manière automatique. Il désigne une réalité propre à l’économie où tout est jaugé à l’aune d’une totalité décisive constituée par la forme marchande. Le travail est la source de l’attribut universellement attaché aux marchandises – la valeur – et, simultanément, le moyen incontournable pour les acquérir. Ainsi chacun contribue, par ses activités apparemment sensées, à déployer un monde insensé qui le dépasse et l’englobe, sans même (avoir à) y penser. À partir d’un faisceau d’actes sociaux conscients mais séparés, émerge une totalité inconsciente qui en retour conditionne malgré nous le sens à donner à nos actes. Cette dimension, bien qu’irréelle, a des effets concrets sur le monde. C’est ainsi qu’a été décrit le fonctionnement prétendument irrationnel des fétiches dans les sociétés « primitives ».

Les oppositions au capitalisme ont cherché obstinément un pôle positif dans les catégories de l’économie, multipliant ainsi les fausses pistes. Cela fut le cas pour les analyses faisant du travail un invariant de l’histoire humaine qui serait aliéné par les régimes de propriété, reflets de dominations plus ou moins explicites. De même pour les illusions sur une autonomie de la sphère politique, alors que celle-ci a pour unique levier la redistribution des « richesses » produites par l’économie. Cette dépendance est la garantie la plus sûre que la politique ne mettra jamais en danger l’économie, quelles que soient les impasses qui se profilent. Sans parler de tous ceux qui rêvent de se réapproprier – et même de prolonger – un appareil productif dont le fonctionnement est calqué sur les structures impersonnelles et automatiques que seule l’économie a pu faire émerger. Si notre subsistance dépend grandement aujourd’hui du système industriel, une perspective radicale et émancipatrice doit mettre en lumière qu’il ne s’agit pas d’un état irréversible.

Nous pouvons aujourd’hui puiser dans des sources variées pour constituer des réponses critiques à ces positions qui prétendent s’appuyer sur une facette du capitalisme pour le dépasser. Ainsi ont été successivement mobilisées la critique anti-industrielle, la critique des illusions politiques et la critique de la valeur, entre autres. Chacune permet, sous un angle spécifique, de dévoiler le peu de pertinence des espoirs déposés dans une « solution de continuité ». Chaque fois qu’une catégorie du capitalisme – que ce soit le travail, l’État ou la machine – a été désignée comme place forte à partir de laquelle entamer le démantèlement de ses nuisances, les désillusions ont été au rendez-vous. Pourtant, on ne peut simplement blâmer le manque de clairvoyance des générations passées. Les phénomènes auxquels elles étaient confrontées présentaient suffisamment de lisibilité et de cohérence pour en faire des théories opératoires en apparence. La confusion introduite aujourd’hui par l’emballement de ces phénomènes (et notamment les crises systémiques, financières ou environnementales, par exemple) constitue paradoxalement la condition préalable pour réintroduire le soupçon sur certaines évidences.

À ce jour, nos soupçons sont clairement alimentés par les réflexions menées dans deux domaines que nous proposons d’exposer – et peut-être de croiser de manière féconde – dans le présent numéro. Il y a tout d’abord une « socio-histoire » de la synthèse sociale spécifique qui s’opère dans l’économie (ou le capitalisme, qui en est maintenant pour nous le synonyme). Nous partons pour cela des analyses largement amorcées par Marx en gardant à l’esprit que son œuvre est intrinsèquement contradictoire et qu’il ne s’agit pas de se battre sur le terrain de son interprétation ultime. De façon complémentaire, nous nous penchons sur une anthropologie des formes non capitalistes de vie qui dénaturalise notre vision du monde social tout en évitant l’apologie des formes passées et qui permet en quelque sorte de tracer une histoire des fétichismes.

Si le contenu des bulletins précédents nous a amenés à ces positions, il reste que ce numéro marque une évolution certaine des thèmes abordés. Jusqu’alors, la plupart de nos textes s’intéressaient plus particulièrement à ce qu’il est possible de faire à l’échelle de petits collectifs de personnes, pour maintenir un écart partiel avec la domination capitaliste. Assez naturellement, le présupposé d’une telle perspective est qu’il faut tendre à la fois vers la réappropriation de certaines techniques et la construction de petits collectifs capables d’agir en ce sens. En auto-produisant ainsi tout ou partie de la subsistance nécessaire aux groupes, ceux-ci peuvent se maintenir à distance des médiations marchandes et du travail. Une telle position doit cependant être nuancée voire amendée. À l’évidence, il nous semble qu’une sortie de l’économie pose d’autres problèmes que celui de l’auto-organisation matérielle de petits collectifs. L’élaboration de ce numéro s’est faite en vue d’affiner théoriquement ces problèmes, de clarifier la critique du capitalisme et du travail. Sa taille conséquente s’explique en partie par la difficulté de la tâche et la variété des directions possibles. Cela n’invalide pas pour autant les efforts que nous faisons tous pour nous maintenir à distance du travail, collectivement ou non, et nous activer autrement.

Parmi les pistes explorées, un premier groupe de contributions[1] s’attachent à rappeler l’autonomie du fait social et institutionnel vis-à-vis des nécessités matérielles et des relations qu’une société entretient avec le monde pour subsister. L’activité productive comme moyen de satisfaire des « besoins » n’est pas un invariant à partir duquel nous pourrions expliquer comment des rapports entre les humains émergent de conditions matérielles données. Cette vision du social constitue une rétroprojection des catégories de nos sociétés capitalistes sur celles qui les ont précédées. C’est uniquement dans le capitalisme que le travail joue le rôle de médiation sociale « par-dessus nos têtes », en reconstituant ad nauseam les conditions de son propre déploiement. Il domine alors les autres formes sociales tout en étant considéré à part, c’est-à-dire non pas comme une forme sociale mais comme un socle naturel et objectif au-dessus duquel la société doit s’organiser. Par ailleurs, si la thèse qui fait de la satisfaction des besoins le fondement des sociétés pré-capitalistes est contestable, elle l’est aussi concernant nos sociétés capitalistes[2]. Le travail ne relève en effet pas de la catégorie de l’action rationnelle orientée vers un but. Le produit du travail est en réalité un moyen, et non le but de la production. L’objectivation du travail et de ses produits ne relève pas d’un objectif porté explicitement par notre société, mais représente le support abstrait au travers duquel le travail se constitue comme une totalité sociale. Le capitalisme n’est donc pas un simple mode de distribution des produits du travail. S’en tenir à la circulation des choses ne permet pas d’affronter réellement cette totalité. Cela explique l’échec d’une sortie du capitalisme menée à partir de l’activité fondamentalement inchangée des travailleurs, comme cela a été le cas lors de l’expérience autogestionnaire de la CNT espagnole des années 1930[3]. Inversement, les usages de la monnaie ne relèvent pas intrinsèquement des sociétés capitalistes et il peut être utile de mieux appréhender ce qui était en jeu dans les moyens de paiement au sein des sociétés pré-capitalistes[4].

L’article de David Graeber[5], traduit par nos soins, nous a semblé intéressant parce qu’il prolonge les réflexions marxiennes sur le fétichisme de la marchandise en proposant de caractériser les sociétés par le fétiche qui leur est propre. La spécificité du fétiche marchand est qu’il annule la possibilité de le reconnaître comme tel, en raison de l’effet dynamique et totalisant qu’il produit. Les sociétés africaines pré-capitalistes que Graeber évoque possédaient un rapport tout autre à leurs fétiches. Ce rapport est apparu incompréhensible et irrationnel aux yeux des marchands occidentaux qui abordaient les côtes du Golfe de Guinée à partir du XVIe siècle, car ceux-ci avaient déjà perdu de vue le caractère arbitraire de la notion de valeur économique sur laquelle il fondait leurs propres interactions. Il pourrait donc être opportun de poursuivre ces réflexions sur les formes d’institutions qui permettent de reproduire une société en évitant les deux principaux écueils que sont respectivement la domination par la dynamique automate d’un fétiche refoulé, et la tentation cybernétique du pilotage intégral. Une autre piste de réflexion, sans doute à relier à ce qui précède, concerne les formes de circulations non marchandes qui offrent malgré tout certaines des garanties existentielles que seules les sociétés capitalistes semblent pouvoir fournir aujourd’hui. Ainsi en est-il des formes de propriété[6] et de mises en commun qui donneraient aux personnes la capacité de quitter un ancrage local pour se « refaire ailleurs », sans que cela ne nécessite préalablement de contribuer à la totalité abstraite des travaux « consommés » par l’économie. Dans des sociétés post-capitalistes, quelles seraient les modalités de l’obligation sociale et des moyens de s’en libérer ? Quels seraient les objectifs que pourraient se donner ces sociétés, capables d’engendrer des formes de synthèse sociale non structurées par le travail et de dépasser dialectiquement l’opposition entre l’enracinement communautaire et la liberté individuelle ?

La rédaction de Sortir de l’économie

Juillet 2012

[1] « Qu’est-ce que la ‘‘production’’ ? » et « Critique du substantivisme de Karl Polanyi. A la recherche du reflet (à jamais) perdu de l’économie ».
[2] « Par où la sortie ? Réflexion critique sur le MAUSS ».
[3] « De la ‘‘lucha por Barcelona’’ à ‘‘ el elogio por el trabajo’’. L’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols des années trente ».
[4] « Vous avez dit ‘‘monnaie’’ ? De l’origine sociale des monnaies aux formes contemporaines monétaires ».
[5] « Le fétichisme comme inventivité sociale ».
[6] « Pour un archipel de lieux en propriété d’usage ».

Voir en ligne : Sortir de l’économie

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