Par Paroles d’Athènes
La grève actuelle des Aciéries est sans doute l’une des plus importantes dans l’histoire du mouvement syndical Grec. Tout a commencé le 31 Octobre dernier, quand les ouvriers d’une usine ont décidé de faire grève en réponse aux 50 licenciements et réductions des salaires que la Direction de l’usine voulait leur imposer.
A la présente date, cela faisait 138 jours que la grève avait commencé, et elle va encore continuer. Dans leur lutte, ils ont l’appui d’autres grévistes, comme le syndicat de la chaîne de télévision ALTER et le syndicat du journal Eleftherotypia.
De nombreuses actions de solidarité visent à organiser l’aide financière des grévistes des Aciéries. Ainsi, des concerts, des événements, des manifestations à travers la Grèce ont été organisés par des Conseils de quartiers d’Athènes et d’autres villes grecques. La grève a, par ailleurs, suscité un intérêt international. Pour preuve, presque chaque semaine, des actions de solidarité sont organisées en faveur des grévistes dans des pays européens.
Mais, le mois dernier [le 17 février], un mouvement de solidarité a provoqué de nombreuses polémiques. Chryssi Avgi (L’Aube Dorée), une organisation fasciste et d’extrême-droite très connue, a rendu visite aux grévistes de l’usine, en offrant une aide matérielle. Un petit détail : sur toutes les boîtes de conserve, il y avait des autocollants avec le logo de Chryssi Avgi et la phrase « Votez Chryssi Avgi pour décrasser le lieu ».
Les grévistes de leur côté les ont reçus et ont permis au représentant de ce mouvement fasciste de faire un soi-disant discours de soutien.
Le président du syndicat, en effet, a d’ailleurs salué les membres de Chryssi Avgi en disant que « toute la Grèce est avec nous ». Il est intéressant tout de même de noter que la majorité des ouvriers du syndicat de la Métallurgie font partie de PA.M.E. (le Front militant des Travailleurs) ‟Front” syndical du Parti Communiste de Grèce (KKE).
Des informations sur cette visite, accompagnées de photos, ont immédiatement circulé. Les réactions ont été très fortes. Comment est-il possible pour un syndicat, surtout communiste, d’accepter l’aide d’une organisation d’extrême-droite qui originellement était opposée à la grève et soutenait le propriétaire de l’usine ? Enfin, obtenir une telle aide matérielle et financière, sans se soucier de son origine, serait-ce finalement le seul but du combat des grévistes ?
Cette ‟coopération” entre Chrysi Avgi et les métallurgistes est tout de suite devenue le sujet de discussions dans les milieux de lutte en Grèce et en Europe. Plusieurs collectifs ont alors décidé d’arrêter leurs actions de solidarité en soulignant que cet incident ternissait leurs efforts visant à aider et soutenir la lutte des métallurgistes.
Le syndicat de la métallurgie a essayé de se justifier en annonçant que cette action de solidarité de Chryssi Avgi était une provocation. Avant l’annonce officielle, des prétextes divers furent même mis en avant par des grévistes, comme « les ouvriers acceptent l’aide de toutes parts » et l’incroyable phrase « c’était un photomontage »...
www.entasifm.org
parolesdathenes@gmail.com
Tout cela dans un contexte où l’activisme de l’extrême droite ne cesse de croître, entre descentes dans les facs réputées "de gauche", ratonnades et incendies anti-immigrés, appels aux Grecs à créer des milices d’autoprotection (« garde civile patriotique ») contre les « étrangers » qui « occupent » le pays… rejoignant ici la thématique à dominante nationaliste à propos des responsables de la crise ‟grecque”, comme si cette crise n’était pas internationale, comme si ce n’était pas une crise du capital, principalement en Europe, comme si ceux à qui on impose de la payer n’étaient pas d’abord d’"en bas", qu’ils et elles soient en Grèce, en Espagne, n’importe où…
Extrême droite : le spectre des « gardes civiles » hante la Grèce
Traduit par Laurelou Piguet
Aube d’or, Garde civile patriotique, Société nationale... Ces groupes armés de « protection civile » s’épanouissent en Grèce sur le terreau de la crise économique et de la faillite de l’État, réveillant des peurs que l’on croyait enterrées. L’enquête de To Vima.
Par Dimitris Galanis
Ces derniers jours en Grèce, différentes organisations ont connu une forte couverture médiatique. Pourquoi ? Elles appellent à la création de « gardes civiles » pour, selon elles, protéger les citoyens que l’État a laissés à la merci des malfaiteurs. Via leurs pages Internet, ces groupes appellent les Grecs à venir rejoindre leurs rangs et à prendre part à des formations mises en place pour les préparer à affronter un chaos qui serait imminent.
Pour le ministre de la Protection du citoyen, c’est une dérive inquiétante. Interrogé sur ces initiatives de « garde citoyenne », il a répondu que la sécurité des citoyens était du ressort de la police et des services compétents, comme le prévoit la Constitution. « Personne d’autre n’est autorisé, ni à se servir d’arme, ni à se faire justice soi-même », a-t-il rappelé. Le procureur de première instance Nikos Antonarakos a ordonné jeudi dernier en urgence une enquête préliminaire sur l’action et le fonctionnement de ces groupes.
Toute cette affaire a un parfum qui rappelle d’autres époques : beaucoup estiment en effet que ces phénomènes font penser à l’apparition de groupes similaires en Allemagne dans les années 1930. D’autres soulignent que les périodes de crise favorisent naturellement la montée de la xénophobie et de l’extrême droite, qui en est son mode d’expression. D’autres enfin soulignent que quand l’État est absent, il n’est pas étonnant que se forment des États dans l’État.
« Protéger les citoyens contre les non-Grecs et les anti-Grecs »
L’un de ces groupes crie haut et fort qu’il va « protéger les citoyens à la merci des malfaiteurs ». Il se fait appeler « Garde civile patriotique » et est la cible des enquêtes actuelles. Son représentant, Yorgos Anestopoulos, signe de son surnom : « Faucon de l’Egée ». « La Garde civile patriotique est l’une des centaines d’unités, présentes dans toute la Grèce, composées de réservistes qui, d’une façon ou d’une autre, continuent leur entraînement militaire même dans leur vie civile. » Il explique que l’ambition de l’organisation consiste, en temps de guerre, à « laisser derrière elle une unité de garde de citoyens composée de civils et de femmes qui pourront ainsi contribuer à la protection de la population civile sans armes contre les armées étrangères ennemies ».
Les thèses de Yorgos Anestopoulos ont un fort relent de théories conspirationnistes. Il affirme qu’il n’a « aucune envie de jouer le rôle du sauveur autoproclamé mais que – si le besoin s’en fait sentir – nous préférons être prêts au moment crucial pour protéger nos familles, notre population, contre la guerre que certains "non-Grecs" ou "anti-Grecs" s’apprêtent à lancer contre notre peuple (...) ».
Concernant la formation dont ses membres peuvent bénéficier, il explique qu’il s’agit du Basic Soldiering. « Bien sûr, cela a l’air d’une réplique miniature d’un vrai camp militaire. Chacun et chacune selon sa spécialité et ses capacités apporte ce qu’il sait faire le mieux. Les plus capables et le mieux entraînés constituent le Groupe des forces spéciales ». Pour M. Anestopoulos, la plus grande menace, ce sont les immigrés clandestins.
Récemment, le président du parti ultra-conservateur LAOS, Yorgos Karatzaféris, avait proposé que les Grecs aient le droit d’être armés pour lutter contre la hausse de la criminalité. Sur cette question, voici la réponse du responsable de la Garde civile patriotique : « Évidemment, mais sous conditions : si quelqu’un souffre de dysfonctionnement psychique, il ne faut pas qu’il porte une arme, et cela peut être diagnostiqué. Il faut naturellement que les citoyens soient formés avec un soin extrême à l’utilisation d’une arme avant d’être autorisés à en porter librement pour leur propre défense ». On lui fait remarquer que, peut-être, si ce sont les citoyens qui prennent en main la loi, on risque d’en arriver à un chaos aux conséquences incontrôlées. Il répond : « Malheureusement, quand l’État montre son incapacité à protéger le citoyen et ses biens, de telles conséquences sont inévitables ».
Sur sa page Internet, la Garde civile se dit à la disposition de la Société nationale, si cette dernière fait appel à elle. Mais qu’est-ce que la Société nationale ? Son responsable de la communication, M. Argyripoulos, répond : « C’est une société civile, sans but lucratif. Elle a pour but de protéger les droits des citoyens grecs, que personne ne protège. » Cette société a fait connaître son action le 12 mars dernier lors d’une manifestation au musée de la guerre à Athènes. « La Société nationale n’est pas un parti, c’est une ligne de défense contre l’arbitraire de l’État qui blesse cruellement les Grecs, contre tous ceux qui blessent nos concitoyens, lois, décisions ministérielles, arbitraire des systèmes étatiques et de leurs employés. » Sur la Garde civile, M. Argyropoulos pense que « c’est un élément très important pour la protection des droits des Grecs. Ils donnent des leçons de premier secours et de défense du citoyen dans différentes situations de nécessité ». Mais au sujet des armes, il se positionne contre « ceux qui appellent à l’armement des citoyens. Nous considérons, nous, que l’État grec doit, au contraire, veiller à récupérer les armes en circulation qui sont aux mains de malfaiteurs. »
« Des rondes pour traquer les malfaiteurs »
À une autre échelle, on trouve l’action du Centre grec de contrôle des armes qui appelle à l’organisation de ce qu’il appelle « Surveillance de voisinage » (neighborhood watch). Selon Théodoros Liolios, directeur du centre, professeur de physique nucléaire et des équipements militaires à l’École militaire, la criminalité a pris des dimensions inquiétantes. C’est pourquoi il est nécessaire d’organiser « des groupes de citoyens qui feront des rondes dans les quartiers et contrôleront la criminalité dans leur zone avec l’aide de la police. Les personnes âgées ou handicapées pourront se mettre communication avec eux dans le cas où elles seraient victimes ou témoins d’activités criminelles ; ainsi, le groupe de garde prendra immédiatement contact avec la police ou frappera à la porte de la personne concernée pour faire fuir les criminels ».
M. Liolios insiste sur le fait que les membres de ces groupes ne pourront pas être armés ni se voir impliqués dans des attaques contre des malfaiteurs ; leur présence devra avant tout avoir un rôle dissuasif. Il ajoute que ces groupes pourront accepter en leur sein « des immigrés qui ont de bons contacts avec leurs compatriotes et une meilleure perception de leur culture ». Il appelle même les organisations de gauche à participer à leurs actions. Il soutient également que des mouvements similaires pourraient être organisés dans les écoles.
Si l’apparition de ces groupes de protection civile soulève des interrogations et réveille des peurs, l’action de l’« Aube d’or » divise les habitants des quartiers où elle a une présence visible. Ses représentants déclarent n’avoir « aucun lien avec les groupes de protection civile ». Ils disent former un groupe politique avec une organisation, des positions et des actions claires. Ils se distinguent donc clairement des groupes de « protection civile », mais des habitants parlent, eux, de « rondes » menées par ses membres dans le quartier athénien d’Aghios Panteleimonas.
« Si nous étions le gouvernement, nous réinstallerions des champs de mines entre nos frontières et la Turquie »
Au cœur de leurs actions, les rues du quartier d’Aghios Panteleimonas et de la place Attiki, qui se sont ces dernières années transformées en champ de bataille entre des forces de l’extrême droite et des groupes appartenant au champ assez large de la gauche et des organisations de défense des droits des immigrés. En 2010, l’Aube d’or a gagné un siège au conseil municipal d’Athènes, vraisemblablement grâce surtout au vote d’habitants du quartier. Elias Kasidiaris, membre du conseil politique de cette organisation et candidat à la députation pour l’Attique, explique que ces dernières années, la perception des gens sur l’Aurore dorée a changé : « Nous, nous n’avons pas changé, mais le monde a changé en face de nous. La crise a réveillé de nombreux Grecs. La baisse des revenus a commencé à faire prendre conscience ce dont ils n’avaient pas eu conscience pendant longtemps, que le système est corrompu et qu’il fonctionne à l’encontre de la nation et du peuple ». Il attribue le changement de position des citoyens envers l’Aube d’or au « travail social » de fond mené par l’organisation : « Nous avons fondé l’année dernière le Mouvement de solidarité des Grecs à travers lequel nous récoltons des dons de citoyens grecs que nous redistribuons à des familles grecques en difficulté. Cela ne concerne que des Grecs, et non les étrangers. C’est sur ce point que nous nous distinguons d’actions similaires menées par d’autres mouvements ».
Selon lui, le système politique est « plus dangereux que les immigrés clandestins. Si le pays était dirigé par de vrais Grecs, nous n’aurions pas de problèmes avec les immigrés clandestins. Il n’y en aurait même pas un seul dans tout le pays. Nous ferions appliquer les lois et les clandestins seraient renvoyés au-delà de nos frontières. » Et de compléter : « Si nous étions le gouvernement, nous réinstallerions des champs de mines entre nos frontières et la Turquie, ces mines qu’ils ont supprimées ». Le fait qu’une campagne mondiale contre les mines antipersonnelles soit menée ne semble pas le perturber le moins du monde.
« La nuit, on a peur de sortir »
Les opinions sur l’Aube d’or divergent cependant chez ceux qui vivent dans les quartiers alentour. Certains, Grecs et immigrés, ainsi que des organisations de gauche, dénoncent l’action des membres de l’organisation qui font, selon eux, régner une forme de terreur en particulier sur ceux qui ont le malheur d’avoir la peau noire et de se trouver sur leur passage. Yannis G., qui travaille dans un bar du quartier, raconte qu’ils « se promènent en bandes et procèdent à des contrôles sans que la police intervienne. En particulier à la tombée de la nuit, on les voit tourner dans leurs blousons noirs à faire des patrouilles. Très souvent, on les entend insulter des immigrés, qui n’osent pas circuler le soir. »
Saïd est un Irakien qui vit depuis huit ans dans le coin et travaille dans un snack. « La nuit, on a peur de sortir dans la rue. Je connais beaucoup d’immigrés qui se sont fait sauvagement passer à tabac par des membres de l’organisation. » Pourquoi ne sont-ils pas aller se plaindre à la police ? demande-t-on. Il répond que s’ils l’avaient fait, ils auraient vraisemblablement été expulsés, puisqu’ils se trouvent ici en situation irrégulière.
Maria G., commerçante elle aussi dans le quartier, constate que la présence de l’organisation a changé l’équilibre des forces. « Il y a quelque temps, c’était les Grecs qui n’osaient pas sortir dans les rues. Si vous n’avez pas vécu ici, vous ne pouvez pas comprendre. Avant, je tremblais que d’un moment à l’autre, ils entrent pour me voler, maintenant, je me sens plus en sécurité », explique-t-elle. À la question de savoir si l’appartenance de l’Aube d’or à l’extrême-droite ne l’inquiète pas, elle répond : « Leur position politique ne m’intéresse pas. Que la gauche vienne ici pour chasser les étrangers si ça lui chante ! Alors, je voterai pour elle, de même que, aux dernières élections municipales, j’ai voté pour l’Aube d’or ».
Tout cela sur fond de xénophobie institutionnelle, où l’État grec veut construire un mur sur les 206 kilomètres de sa frontière avec la Turquie (encouragé par plusieurs États européens dont la France ; voir les déclarations d’Arno Klarsfeld qui, en matière de murs, s’y connait…) sur le modèle de celui de la frontière des États-Unis avec le Mexique.
Une xénophobie d’"en haut" aussi quand l’UE prévoit de financer la création de 30 centres de rétentions (« centres d’accueil fermés ») dans d’anciennes casernes ou terrains militaires avec la perspective de pouvoir incarcérer jusqu’à 30 000 sans papiers en 2014, soit en moyenne 1000 par centre. Le premier, à Kosani (nord du pays) d’une surface de 14 hectares, pourra enfermer jusqu’à 3 000 "clandestins" : camp qui sera surveillé à l’extérieur par la police, mais où l’administration intérieure sera confiée à une société privée de surveillance. Aussitôt cette création annoncée le 18 mars dernier, la police d’Athènes a lancé une grande opération le 29 mars au cours de laquelle, selon un bilan officiel des autorités, 1023 personnes ont été contrôlées, dont 740 étrangers, et 415 placées en garde-à-vue, dont 380 étrangers.
Voir à ce sujet.
Le nationalisme, c’est déjà pas très ragoutant en temps "normal"... mais en période de crise, ça devient un poison mortel ! Si la gestion de la crise prend effectivement un caractère impérial (la Troïka imposant des conditions budgétaires drastiques à l’Etat grec), la crise capitaliste elle-même ne peut être pensée et analysée selon ces catégories de la nation et de l’occupation, mais par celles de la crise de reproduction (de valorisation) inhérente au capitalisme dont on sait qu’il n’a, comme les prolétaires, pas de patrie mais une utilisation des Etats et des différences nationales pour assoir sa domination.