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Guerre d’Algérie. Souvenirs d’un appelé anticolonialiste

mercredi 18 mai 2011, par OCL St Nazaire

Ce texte est une intervention de Jacques Tourtaux, auteur du livre " GUERRE D’ALGERIE. SOUVENIRS D’UN APPELE ANTICOLONIALISTE " au cours d’une commémoration oranisée à BRUAY LA BUSSIERE par le Front Solidaire des 5 Unions Locales CGT d’Auchel-Béthune-Bruay-Isbergues-Lillers dans le cadre de la Commémoration des 140 ans de la Commune de Paris de mars à juin 1871 et du 70ème anniversaire de la Grève des mineurs de mai à juin 1941, contre le patronat des mines et les nazis.


Voir en ligne : le blog de l’auteur

Je n’interviendrai que sur mon vécu de la Guerre d’Algérie.

Il ne faut pas s’attendre à trouver dans mon livre d’extraordinaires histoires de combats héroïques.

Adolescent, je me suis engagé politiquement avec le PCF, c’était en1958. Dans la foulée, en 1959, avec quelques camarades, nous avons créé un cercle de l’Union des Jeunesses Communistes de France (UJCF) dont je devins le Secrétaire. Comme tous les militants communistes de l’époque, nous dénoncions la guerre coloniale menée en Algérie, en notre nom, par De Gaulle.

Cet ouvrage est écrit par un ouvrier, un autodidacte. J’y relate dans le jargon du bidasse un vécu très dur.

Il ne faut pas s’attendre à y voir l’érection d’une statue glorifiant l’armée française.

Mon témoignage est un hommage à la poignée de soldats anticolonialistes qui, malgré les risques encourus, se sont battus clandestinement contre la guerre.

Notre combat clandestin avait pour but de faire prendre conscience aux autres soldats moins politisés, que cette guerre était inutile et sans issue.

Notre travail a fini par payer puisque lors du putsch des généraux félons, en avril 1961, les bidasses n’ont pas suivi les factieux et ont fait échouer la folle aventure de ces généraux et autres hauts gradés carriéristes, grassement payés pour faire tuer des pauvres gus sur l’autel du capitalisme.

Les bidasses tombés sur cette terre lointaine ne sont pas morts pour la France comme on veut le faire croire mais uniquement pour les tenants du fric . Il en est ainsi pour toutes les guerres.

Ce livre dénonce les violences, les sévices subis en notre qualité de militants anticolonialistes, jeunes communistes pour la plupart. Ces sévices, des raclées terribles, étaient perpétrées par des gradés.

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Après 40 années de militantisme au PCF, la mort dans l’âme, j’ai quitté celui-ci. Je suis toujours profondément communiste, envers et contre tout. Je n’accepte pas les graves dérives qui ne correspondent plus à l’idéal pour lequel j’ai donné le meilleur de moi-même.

Bien que n’ayant pas l’esprit cocardier, j’ai assumé d’importantes responsabilités au sein de deux associations d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre (ACVG) mais je n’ai jamais pris la grosse tête pour autant. J’ai toujours refusé que me soit remise la croix du combattant de la Guerre d’Algérie car ce serait accepter un insigne incompatible avec mon idéal communiste.

Je disais donc qu’avec le parti ( PCF) et notre cercle de l’UJCF, nous menions à notre modeste niveau, une lutte acharnée contre la Guerre d’Algérie.

En 1960, à deux reprises, j’ai refusé de répondre aux convocations pour le conseil de révision, à Rethel, puis au chef-lieu du département, Mézières (Ardennes). Peu de temps après, les gendarmes sont venus me trouver sur mon lieu de travail. Après m’être fait traiter de forte tête, promesse me fut faite d’une incorporation directe en unités disciplinaires où j’allais me faire "mater à coups de poings dans la gueule et à coups de pieds au cul".

Le 16 septembre 1960, les gendarmes sont venus me chercher et m’ont emmené menotté et tenu en laisse comme un chien. A la vue de tous, j’ai ainsi traversé la ville pour me rendre à la gare où les gendarmes m’ont emmené faire mes trois jours à Commercy.

Ma lettre de refus d’aller combattre le peuple Algérien était prête. J’en ai parlé à un de mes oncles, militant cheminot à la CGT et au PCF. Celui-ci m’a vivement déconseillé ce refus. Je produis dans mon livre la copie de sa lettre datée du 4 août 1960 dans laquelle il me dit son désaccord. Mon oncle m’écrivait que les actions individuelles n’étaient pas payantes. Les sanctions étant trop fortes pour ce genre d’actions. Mon oncle, militant communiste de longue date, pensait au contraire, qu’il fallait entrainer le plus de jeunes possibles dans l’action contre la Guerre d’Algérie. Militer contre la guerre à l’intérieur de mon unité afin d’aider à une prise de conscience des jeunes appelés qui pour la plupart n’étaient pas politisés comme l’étaient les soldats communistes.

Le dirigeant communiste Etienne Fajon disait : "Résolument opposé à la guerre injuste d’Algérie, notre parti, qui comprend le drame de conscience de chaque jeune communiste, n’a jamais considéré la désertion comme un moyen d’action susceptible de mettre un terme au conflit. Il est toujours demeuré fidèle au contraire, au principe éprouvé défini par Lénine : le soldat communiste part à toute guerre même si elle est réactionnaire, pour y poursuivre la lutte."

Selon Jean Brugié, dans son livre "Officier et communiste dans les guerres coloniales", les consignes nationales du PCF étaient : "Les communistes se doivent d’être présents sur tous les terrains de combat de classe"... "Ils doivent être les meilleurs."

Le 30 novembre 1960, Maurice Thorez, Secrétaire général du parti, prononce un discours dans lequel il déclare notamment : "Non, la voie n’est pas à l’insoumission, la voie reste celle que nous a inculquée Lénine...
C’est le travail de masse mené à l’armée, surtout à l’armée, pour combattre la guerre... Déserter, quitter l’armée, cela signifie laisser la masse des soldats...... aux mains des officiers parfois fascistes, aux mains des ultras...
Le devoir, c’est de travailler, c’est de faire le travail difficile, le travail pénible, le travail qui exige des sacrifices, qui coûte parfois des années de prison aux jeunes soldats"... ce travail de l’ombre comporte de véritables risques."

Durant toute la durée de mon service militaire, j’ai pu constater que peu nombreux furent les jeunes communistes qui se sont risqués à militer à l’intérieur de leur unité, en Algérie, où il y avait la guerre, ne l’oublions pas.
Nous ne serions pas 300 à s’y être engagés sur l’ensemble de tous les conscrits incorporés, qui se sont succédés en Algérie du 1er novembre 1954 au 3 juillet 1962 J’ajoute et c’est tout à leur honneur, qu’il y a eu aussi des officiers de carrière qui étaient communistes, qui se battirent à leur façon, sur des positions de classe mais ils furent peu nombreux lors de la Guerre coloniale menée par la France, en notre nom, en Algérie.

J’ai donc été incorporé direct en Algérie dans une compagnie disciplinaire pour y effectuer mon CI (Centre d’Instruction). Ce fut un CI très dur.
A l’intérieur du camp de Oued-Smar, une prison interarmes qui était un bagne militaire où les soldats internés y subissaient des sévices graves tels les tabassages, certains entrainant parfois l’hospitalisation. Les soldats détenus dans "La Villa", c’est ainsi qu’on l’appelait, étaient pour la plupart des gars du contingent. J’ajoute qu’il y avait promiscuité entre les soldats appelés internés politiques et les appelés de droit commun. ll faut savoir qu’un gus pouvait se trouver interné pour un simple défaut de cravate.
Pour ma part, j’ai été interné dans ce bagne une semaine durant. J’ajoute que le bidasse qui y a été détenu, ne serait-ce qu’une seule journée, en est marqué de manière indélébile pour toute sa vie.

L’an dernier, un de mes lecteurs, ancien de la Section de Protection (SP), voisine de la prison-bagne, qui y a été interné une journée, m’a téléphoné. Je fus frappé des "détails" dont il se souvient, bien qu’il n’ai séjourné qu’une journée au bagne de Oued-Smar.

Nous terminions nos classes et allions être mutés dans nos unités respectives lorsque dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, éclata le putsch des généraux factieux. Je voudrais rappeler que nous n’avons pas attendu après De Gaulle pour réagir.
Lorsque celui-ci s’est exprimé à la télévision, nous étions déjà en refus d’obéissance.
Le fer de lance du putsch des généraux félons en était le 1er Régiment Etranger de Parachutistes (1er REP), celui-là même qui, alors qu’il était en fuite, le 26 avril 1961, entre Maison-Blanche et Mouzaïaville, vit ces hommes ouvrir le feu à l’arme automatique sur d’autres soldats de l’armée française.
Les soldats qui se firent allumer par ces mercenaires étaient des gus du contingent dont je faisais partie ; nous étions moins d’une quinzaine. Les "courageux" soldats d’élite du 1er REP fuyaient lâchement. La débandade !

Je fus muté dans un secteur chaud de la Mitidja, près des gorges de la Chiffa, que connaissait bien le camarade Henri Alleg. Dans son ouvrage "Prisonnier de guerre", Henri Alleg écrit ... la traversée des gorges de la Chiffa où les attaques de l’ALN sont quotidiennes ..."

Avec deux camarades communistes appelés, je militais clandestinement au sein de mon unité contre la guerre. J’ai été dénoncé et immédiatement embarqué en avion pour une destination inconnue, sous escorte armée, comme un gangster. Je fus affecté comme artificier dans une soute à munitions (SMU).
Mon travail y était celui d’un forçat. L’armée m’a toujours gâtée, particulièrement choyée.
A titre d’exemple, j’ai, entre autres, été contraint d’effectuer quatre patrouilles, dont une de nuit, c’était un dimanche de l’hiver 1961, sans munitions dans la MAT 49. Les chargeurs étaient vides. Je vous prie de croire qu’il faut avoir vécu de telles intenses émotions pour en connaître le réel ressenti. La peur est indescriptible.
Je ne vous apprendrai rien si je vous dis que je suis rentré en métropole traumatisé, marqué à tout jamais par cette guerre coloniale que je combattais en tant que jeune communiste et dont je fais encore des cauchemars.

Sur conseils de responsables d’une des deux associations au sein de laquelle je militais, j’ai intenté un procès à l’Etat Français pour blessure et maladies contractées lors de la Guerre d’Algérie. En première instance, j’ai gagné un très gros procès qui aurait pu faire jurisprudence et bénéficier ainsi à des milliers de gus justiciables mais hélas, ma joie fut de courte durée.
Le Secrétaire d’Etat socialiste aux ACVG du gouvernement de la gauche caviar, a fait appel de la décision du Tribunal des Pensions d’Invalidité de guerre qui m’était très nettement favorable.
Ce ministre n’est autre que l’actuel Président du Conseil régional de Lorraine : Jean-Pierre Masseret, membre du parti socialiste.
Je précise que j’ai mené cette bataille face aux juridictions et à l’Etat dans un but revendicatif. Je l’ai écrit dans un courrier daté du 19 juin 1997, adressé au sieur Masseret.

Je suis dans l’impossibilité de me soigner correctement. L’appel assassin du ministre socialiste Jean-Pierre Masseret, me prive de mon droit légitime à me soigner, spolie ainsi également d’autres nombreux anciens bidasses, qui ne peuvent accéder aux soins gratuits que leur aurait permise la pension dont nous a dépossédé ce ministre socialiste.

En 2009, j’ai publié un petit livre qui est un prolongement de "ma" Guerre d’Algérie. Je veux montrer que la justice de classe qui a frappé et persiste toujours à l’encontre des jeunes communistes rebelles de la Guerre d’Algérie notamment, est la même que celle qui frappe les travailleurs qui défendent leurs emplois en se battant sur des positions de classe et sont traînés devant les tribunaux de cette même justice de classe, tel mon camarade et ami Xavier Mathieu.

Jacques Tourtaux
Appelé Anticolonialiste
en Guerre d’Algérie

P.-S.

Pour toute commande, et plus d’information sur le blog référencé.

Sur la répblique coloniale voir également la Brochure OCL : Les belles heures de la République française

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5 Messages

  • J’admire le courage de l’auteur d’autant plus que personnellement, exempté de service militaire, je ne sais pas si appelé j’aurais eu le courage de déserter, donc de passer dans la clandestinité. Mais on aura compris que je ne partage pas son analyse de la politique du PCF vis à vis des appelés.

    Ce qu’il écrit montre d’ailleurs l’échec de cette politique : 300 jeunes communistes, sur des milliers et des milliers qui ont fait la guerre d’Algérie, l’ont appliquée. Ils l’ont fait avec les risques que cela comportait et il est probable qu’un certain nombre sont morts, envoyés par leurs officiers dans des missions suicidaires ou même abattus par leurs "compagnons d’armes". Devant cette faiblesse, on ne peut que douter que cette politique ait pesé lourd dans la révolte du contingent contre le putsch des généraux. D’ailleurs le PCF a appliqué cette politique avec une légèreté criminelle. Pour qu’elle ait un minimum de portée, il aurait au moins fallu créer systématiquement des comités de soutien ou de parrainage des soldats. Il y en a eu, le cas le plus connu est celui d’Alban Liechti. Mais il y en a eu très très peu. Pour qu’ils se multiplient, il aurait fallu que le PCF fasse de la lutte contre la guerre d’Algérie sa priorité, il en a été très loin.

    Si je soulève ce point, c’est surtout parce que depuis de longues années la propagande du PCF fait croire qu’il a été un partisan actif de l’indépendance de l’Algérie. Plus le temps passe, et plus cela passe pour la vérité. En réalité, il s’y est longtemps opposé et ne l’a admise qu’en 1957 et encore du bout des lèvres.

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