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Médiator : profits pour les uns, la mort pour les autres.

mercredi 23 mars 2011, par Courant Alternatif

Le président Sarkozy nous a promis la transparence la plus complète sur la façon dont ce médicament tueur aurait fait entre 500 et… 2000 morts.


Fric, entre coquins et copains.

Comme dans les autres domaines industriels, l’industrie pharmaceutique produit. Ses managers n’ont d’autres objectifs que de capter et garder les marchés de la santé contre la concurrence et de faire fructifier toujours plus leurs profits. Dans l’univers de ces firmes, l’innovation de nouvelles molécules se fait rare. Les trusts pensent médicaments et vaccins comme des marchandises à écouler sur le marché de la santé. Peu de place pour la philanthropie. D’autant plus que les firmes françaises ne pèsent pas lourd face à leurs concurrentes multinationales. Leur stratégie est connue et dénoncée de longue date. Infiltrer et pénétrer tous les lieux de décisions. Des premiers lieux de recherche ou de décision de la mise en vente du médicament, jusqu’au dernier où sera prescrit ce même médicament par notre médecin traitant.
De l’essai clinique, période où se teste le médicament sur des patients volontaires, où la rigueur scientifique devrait être sans concession, en passant par l’AFSSAPS (agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) pour avis sur sa commercialisation pour avoir l’AMM (l’autorisation de mise sur le marché). Et enfin l’HAS (haute autorité de santé) qui contrôle l’amélioration du service médical rendu de ce nouveau médicament par rapport à d’autres existants déjà. Elle identifie l’amélioration recherchée et/ou les effets indésirables et autres contres indications. Elle peut interdire un produit dangereux, modifier son remboursement, décider son déremboursement total par la Sécu. Ces structures institutionnelles sont composées d’experts médicaux que leur éthique devrait préserver de toute suspicion. Or, il n’est plus besoin de démontrer par les scandales qui se suivent que nombre d’experts dans ces structures médicales, ces lieux de veille pour la santé des populations, sont sous influence financière et gangrenés de près, ou de loin par les trusts pharmaceutiques. Derrière une indépendance qui devrait honorer leur éthique médicale se cache les coquinages et les copinages entre ces sommités et les firmes qui les rétribuent grassement, par des salaires ou indirectement sous de multiples formes. L’AFSSAPS elle-même est subventionnée en partie par l’état et en partie par les firmes. On mesure là l’espace d’indépendance de cette structure. D’ailleurs, celle-ci est en relation et en phase avec l’AME (l’agence médicament européen). Or, depuis 2007, une directive européenne du médicament permet de proposer à l’industrie pharmaceutique de s’implanter dans les commissions auprès des professionnels de santé.
Au fil des multiples scandales, on découvre qu’il ne s’agit plus de quelques experts véreux mais d’un système corrompu dans son ensemble et qui de toute évidence sécrétera hélas d’autres scandales au détriment des populations.
Pour parachever cette main mise sur le médicament, les firmes ont étendu leurs tentacules jusqu’aux médecins traitant car prescripteur [1]. Leur quadrillage est fait par un réseau de visiteurs médicaux. Cette industrie injecte 25 000 euros par an et par médecin. Cet investissement a pour but de fidéliser chacun d’entre eux et d’en faire un élément rentable (souvent malgré lui). Par ailleurs comment échapperaient-ils à la pieuvre pharmaceutique quand nous découvrons que la plupart de leur informations médicales sont issues de revues éditées par les labos et que 95% de la formation médicale continue et obligatoire est financée par les firmes et dispensée par d’autres médecins payés par ces mêmes labos. Saluons la revue d’information médicale « Prescrire » qui grâce à son indépendance a pu dénoncer très tôt et mettre en garde contre les méfaits du Médiator.

Un scandale de plus.

Si ce n’était par le nombre de morts provoqué par ce médicament, l’affaire du Médiator n’aurait été qu’un scandale de plus défrayant la chronique médiatique. Un scandale de plus depuis l’affaire du sang contaminé illustrant les accointances entre politiques via le ministère de la santé et les trusts pharmaceutiques.
On redécouvre une fois encore hélas le pouvoir néfaste de leurs puissants lobbies, infiltrés de longue date dans notre système de santé. Soudoyant des experts médicaux à la fois juges et partis, largement rétribués pour ne rien refuser aux firmes, faisant passer la défense des intérêts financiers de celles-ci avant la santé des populations. Comme après le scandale du « sang contaminé » conclu par « Responsable mais pas coupable », les gouvernements de tous bords, de B. Kouchner en 1998 à M. Aubry en 1999, de X. Bertrand en 2006 (ancien et nouveau ministre de la santé) à R. Bachelot, chacun se dédouane et entonne la même rengaine affirmant les uns après les autres ne pas avoir été informés, ne pas savoir.
C’est en 1974 que le laboratoire Servier obtient l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de son nouveau médicament « Médiator ». Nouveau médicament ? Sa molécule est proche d’une autre molécule, « l’Isoméride », coupe faim retiré de la vente en 1997, produit également par ce même laboratoire Servier. Proche mais différent, clame-t-il, annonçant des effets secondaires moindres. Autorisé en 1976, il est initialement prescrit pour faire baisser le taux de graisse dans le sang. En 1990, il est autorisé comme adjuvant pour soigner le diabète. Il sera largement prescrit comme coupe faim, majoritairement à des femmes. Il sera remboursé à un taux maximum par la Sécu.
En 1995, une première alerte est donnée. Il est utilisé dans les préparations magistrales d’anorexigènes : les coupes faim. Le ministre de l’époque, PH. Douste Blazy en interdit cet usage. Les années passant, les alertes et mises en garde restent sans effet, permettant de vendre 145 millions de boites durant ces trente années. En juin 2010 va paraître l’ouvrage de la pneumologue de Brest, I. Frachon : « Médiator 150gr combien de morts ? ». Branle bas de combat tant dans la firme incriminée, qu’au ministère de la santé. La première ne pouvant bloquer la sortie du livre obtient la suppression du bandeau qui l’accompagne faisant allusion au nombre de morts. Tandis qu’au ministère, quelques mois plus tôt, en novembre 2009, informée et obligée R Bachelot retirait le médicament de la vente et en minimisait les conséquences.
Le médiator n’aurait fait que moins de cinq cent morts. Le journal « le Figaro » évoquait 1000 à 2000 décès.

Transparence ou indépendance ?

Depuis l’affaire du Médiator et suivant son maître de l’Elysée, notre ministre de la santé (qui occupait déjà ce poste en 2006) a promis toute la transparence. Mais quelle transparence ? A quoi sert celle-ci si il n’y a pas d’indépendance nécessaire dans ces commissions de veille sanitaires ? Qu’est-ce qui changera de savoir si tel ou tel expert siégeant dans ces organismes est appointé ou pas, si l’ensemble reste sous influence des puissantes firmes et qu’il demeure juge et parti dans toutes les décisions de mise sur le marché d’un médicament ? Restreinte, reste la marge de manœuvre et l’indépendance du médecin prescripteur dans un tel système gangrené par les labos. Hypocrisie que cette transparence quand on découvre que les ministres eux-mêmes, adhèrent et favorisent ce système. Souvenons nous de la grippe A avec son virus H1N1 [2]. Le gouvernement d’alors prenait en charge l’organisation de la lutte sanitaire contre ce fléau qui nous menaçait. A peine son plan de bataille mis en place le scandale éclata, révélant les accointances entre le ministère, ses experts et les trusts. 94 millions de doses de vaccins achetées par l’état à quatre industriels pharmaceutiques. L’essai clinique du vaccin n’a pris que de douze semaines sous la pression des labos pour le mettre dans le circuit alors que cet essai s’étend habituellement sur un à deux ans. Résultats truqués, car transmis partiellement, conclusions orientées pour en précipiter l’usage rapidement. Ce que révélera, peu après, le problème de l’adjuvant (accompagnant le vaccin) comme une source de complication pour les enfants et femmes enceintes… Tout cela faisant fi de critiques et objections de nombreux lanceurs d’alerte. Au nom du principe de précaution sanitaire, l’Etat mettait en place un quadrillage médiatico-militaire qui a surtout permis de remplir les tiroirs caisse des trusts avec les deniers publics. Aux commandes de l’opération la ministre R. Bachelot. Ancienne pharmacienne, elle avait omis de noter dans son CV ministériel qu’elle avait été quelques années visiteuse médicale, durant ses études. Comme toujours l’affaire dévoila encore une fois nombre d’experts conseillers de la ministre appointés par les labos, et que la campagne étatique de vaccination se faisait en partenariat avec les labos Sanofi-Aventis dont le PDG est membre de l’UMP et donc ami avec notre président.

Ils savaient dès 2006.

« Les experts savaient dès 2006 que le Médiator était un tueur » (révélait le canard enchaîné). Il avait été interdit aux Etats-Unis dès 1997, retiré de la vente en Espagne en 2003, puis en Italie ensuite. En France grâce aux 62 experts « indépendants » en lien avec les laboratoires Servier, il continuera de rester sur le marché et à semer la mort. En 2009 le président Sarkozy ne décorait-il pas le patron des labos Servier. « Une publicité vivante pour le médicament », dira-t-il. Sans doute le remerciait-il ainsi du soutien financier de sa campagne électorale. Cette intimité entre politiques et patrons, conduira la secrétaire d’état à la santé N. Berra, à venir au secours du patron de la firme lorsque éclate le scandale. Et pour cause, elle aussi fut durant dix ans appointée par l’industrie pharmaceutique.
Ainsi, au-delà de ce médicament tueur, c’est tout le système en place qui l’a autorisé à tuer. En faisant peu de cas des médecins prescripteurs d’abord. Ceux-ci ont l’obligation de déclarer les effets indésirables de médicaments sur les patients. Nous ne nous poserons même pas la question du devenir de leur « remontées » individuelles une fois dans les mains des commissions aux experts sous influences. Quand certains osent passer outre, chantages, diffamations et pressions diverses s’abattent sur ces lanceurs d’alertes. Tel fut le sort du docteur I. Frachon de Brest qui lasse d’alerter, décide d’informer directement le public en publiant son livre dénonçant le Médiator tueur. Des échanges entre l’AFSSAPS et le labo Servier, attesteraient de l’alliance pour la faire taire et l’empêcher de nuire à leur complicité commune. Pressé par l’enquête en cours, le ministre X Bertrand convient que dix sept alertes ont été classées sans suite et ne seraient pas parvenues au ministère.
Cette machine à tuer pour le fric et les intérêts de privilégiés au mépris des populations ne se limite pas hélas au seul domaine de la santé. Il est étendu à toutes les sphères qui nourrissent le Capital. L’industrie de l’amiante, avec ses 100 000 morts à venir, que patrons, politiques et experts médicaux appointés ont laissé agir en liberté durant des décennies alors que tous savaient les dégâts causés. Mais là encore que valait la vie des travailleurs face aux profits engrangés. Et que dire de l’agro-alimentaire, du nucléaire et bien d’autres encore.
Par ailleurs, les accointances entre industriels, politiques et décideurs de santé, ne se limitent pas à nos instances sanitaires nationales. La même logique de profits les anime avec les mêmes stratégies de domination pour le marché mondial du médicament et de la santé. Infiltration par le biais de sommités médicales, d’experts et de conseillers au sein de l’OMS (organisation mondiale de la santé), assauts continus de leur puissants lobbies lors de réunions internationales : OMC (organisation mondiale du commerce) etc. Une étude projette que le marché de l’industrie pharmaceutique s’élèvera à plus de 1300 milliards de dollars en 2020. Marché où nos industriels du médicament ont à redouter et affronter la concurrence chinoise et indienne.

Monsieur Propre.

Nous pouvons donc bien croire N. Sarkozy qui nous promet toute la transparence, et, X. Bertrand notre ministre de la santé qui nous annonce un grand nettoyage dans ce domaine. Nous pouvons faire confiance à ce monsieur propre lorsqu’on sait qu’il a occupé ce même poste ministériel en 2006 et avait décidé en toute connaissance de cause de maintenir le remboursement du médicament à 65% par la Sécu donc sur notre dos de cotisants. Acculé par l’affaire et ses échos médiatiques, il se dit prêt à « prendre des mesures radicales et rapides…et à aller très loin ». Ainsi ministres et députés confirment : « nous sommes dans l’obligation de restaurer la confiance ».
Nous ne doutons pas à la veille d’échéances électorales, dont la présidentielle de 2012, que la bourgeoisie se préoccupera une fois encore de notre bien être, de notre santé pour être aux petits soins des électeurs et électrices.

MZ Caen le 18 02 2011

Notes

[1Voir sur le site OCL, CA N° 197 : H1 N1 et firmes pharmaceutiques : un financement à clarifier.

[2Voir sur le site OCL, CA N°195 : Grippe A : manip et fric.

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