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Réflexions sur le programme du Conseil National de la Résistance

mercredi 16 février 2011, par Courant Alternatif

Depuis ces derniers mois, le Conseil National de la Résistance, CNR, est devenu une référence. Remis au goût du jour pour les besoins d’une gauche en mal de repères idéologiques, son programme serait la référence obligée d’un idéal républicain passé et perdu.


De Gaulle et le PCF : une union patriotique.
1940 : à Londres, sous l’autorité du Général est constitué le Conseil français de la libération nationale qui après le débarquement deviendra le GPRF : gouvernement provisoire pour la république française. Dès le début deux membres du PCF y seront associés. D’ailleurs en janvier 1942 le général De Gaulle délègue à Jean Moulin la tâche d’unifier les différents mouvements de résistance armés contre l’occupant allemand et ses soutiens vichystes.
Le Parti Communiste Français, n’entrera en résistance officiellement qu’après l’invasion de l’URSS par les troupes hitlériennes. Celui qui deviendra le « parti des fusillés » sera hégémonique dans la résistance. Ce qui, au sortir de la guerre, lui permettra d’avoir des ministres au gouvernement De Gaulle et d’être la première force politique française. Aux élections législatives de novembre 1946 il obtiendra 28,2 % des voix et quelques 166 députés.
Très tôt, dès 1941, des contacts sont noués entre « l’homme de Londres » et les dirigeants du PCF. Malgré leurs divergences politico-idéologiques, l’alliance des deux forces sera toujours de mise. Association au sein du Conseil de la résistance, puis plus tard, au sein des premiers gouvernements de la France libérée. Face à Churchill méfiant, et Roosevelt hostile, De Gaulle aura rapidement le soutien de l’URSS qui voit en lui un allié, pouvant servir sa diplomatie et faire contrepoids à l’Ouest aux intérêts anglo-américains pour l’après-guerre. Dès 1942, Staline reconnaîtra officiellement le chef de la France libre. De cette situation découlera la politique du PCF, ses alliances et plus tard ses mésalliances avec le pouvoir gaulliste.

M. Thorez : le retour
Dès son retour de Moscou fin 1944, où il était réfugié sur ordre du parti, le patron du PCF, Maurice Thorez, remet de l’ordre dans le parti et fait rentrer dans le rang la « base » aux velléités révolutionnaires et anti-capitalistes. Dès 1944 les maquisards et résistants sont invités à s’enrôler dans l’armée régulière. Les milices patriotiques (organisation armée de masse et de classe des travailleurs) prêtes à poursuivre le combat seront dissoutes, par décrets du gouvernement provisoire auquel participent des membres du PCF. Leur dissolution est promulguée par le gouvernement de la France libérée. En janvier 1945, M. Thorez déclarera : « …Ces groupes armés ont eu leur raison d’être avant et pendant l’insurrection contre l’occupant et ses complices… Mais la situation est maintenant différente… La sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de police constituées à cet effet… Les gardes civiques et tous les groupes armés irréguliers ne doivent plus être maintenus plus longtemps ». Cette mesure provoquera même des affrontements armés entre camarades. Ce qui permettra d’écarter, voire liquider physiquement, les opposants à la ligne du Parti et de Moscou.
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Nombres de régions se sont libérées sans l’intervention directe des forces alliées et sont sous contrôle de maquis FTP soit par le biais de comités de libération, soit par les milices patriotiques. Là encore l’appareil du Parti saura rependre les rênes très rapidement et mettre un terme aux aspirations d’émancipation sociale. Dans une interview, bien des années après, Charles Tillon (ancien chef des FTP et ancien ministre communiste du gouvernement De Gaulle) dira : « … ni Duclos, ni Frachon, ni moi, n’avons eu un mot pour préparer une telle action. D’accord avec l’URSS, bien sûr, nous étions engagés aux côtés de De Gaulle et des alliés et il n’était pas question de jouer double jeu. D’ailleurs comment pensez vous que Staline, qui ne pensait qu’à Berlin, eût été assez fou pour nous laisser nous emparer de Paris ? »

La grève c’est l’arme des trusts
Sous la direction de son leader, le PCF prend sa part dans la reconstruction du capital national et la restauration de l’Etat bourgeois. En 1945, M. Thorez sera nommé ministre avec cinq autres de ses camarades dans le deuxième gouvernement De Gaulle. Il sera ministre d’état, avec les portefeuilles du travail, de la production et de l’économie. Ses mots d’ordre : produire, encore produire ! Et, contre la classe ouvrière qui rechigne et reprend le chemin de la lutte, il adresse son fameux : « La grève c’est l’arme des trusts ». Ainsi le parti qui portait l’espoir d’émancipation de la classe ouvrière n’a jamais cessé de collaborer avec la bourgeoisie. D’ailleurs à sa mort, De Gaulle saluera sa mémoire : « …M. Thorez a, à mon appel et comme membre du gouvernement, contribué à maintenir l’unité nationale ».

Le CNR : un instrument au service de la bourgeoisie et des staliniens
C’est en mai 1943 sous l’autorité du Général et du comité de libération nationale, que prend forme le CNR. Son objectif : réunifier en France l’ensemble des mouvements de résistances armés contre l’occupant et ses soutiens vichystes. Groupes et mouvements divers, sans liens entre eux pour certains sont dispersés sur tout le territoire. Le CNR sera composé de représentants des grands mouvements de résistance, mais aussi de représentants des deux syndicats CGT et CFTC, ainsi que des représentants des principaux partis politiques ralliés au Général : l’Alliance démocratique (droite modérée et laïque), la Fédération Républicaine (conservatrice et catholique), les démocrates chrétiens, les Radicaux, la SFIO et le PCF.
Jean Moulin sera le premier responsable du CNR. À sa mort, lui succédera G. Bidault : chrétien démocrate, qui sera bien plus tard banni de France pour s’être opposé à De Gaulle en prenant fait et cause pour l’Algérie française et l’OAS. Il est à noter que pour réussir cette réunification de l’ensemble des mouvements de résistance, la stratégie de De Gaulle fut de convaincre Jean Moulin de rallier puis d’unifier, auprès des anglo-américains, les groupes de résistance déjà acquis au Général : l’Armée secrète, les réseaux non communistes et les FFI. Cette réunification sera ensuite étendue aux réseaux communistes, FTPF ou ceux sous son influence, le Front patriotique. Ce n’est qu’une fois cette tâche achevée en France mais aussi dans les colonies -qui se rallièrent à lui- que De Gaulle put s’affirmer comme unique représentant de la France « libre et indépendante ». Il a dû s’imposer face à Roosevelt et à Churchill. Son nationalisme et sa vision de la France future : grande puissance indépendante, ne peut admettre qu’une fois libérée, celle-ci ne devienne une enclave américanisée. Cette vision d’indépendance nationale sera appuyée par les dirigeants du PCF car bien appréciée à Moscou. Vision dans laquelle Staline trouve en De Gaulle, un allié objectif contre l’impérialisme anglo-américain.
C’est dans cet esprit, que se fera le programme du CNR, dès mars 1944, alors que le débarquement en Normandie se prépare. Ses premières mesures seront d’ordre militaire. Elles s’adressent à l’ensemble de la résistance unifiée, mais aussi au peuple de France.

Le programme du CNR
C’est dans le cadre de cette indépendance nationale à venir, que le CNR fixe les tâches et les structures étatiques qui se mettront en place, au fur et à mesure que les régions seront libérées. Les comités de libération se mettront en place rapidement, pour restaurer le pouvoir d’état, dans l’incertitude de la période et face à une classe ouvrière encore armée.
Évidemment, les choses seront complexes sur le terrain en fonction des zones de résistance, de leur histoire et de leur force. Nombre de chefs charismatiques, communistes ou communisants n’admettent pas, après des années de lutte armée, ces directives, ce nouvel ordre social et politique, ordonné ailleurs sans eux et contre leur idéal de classe. Avec ces mesures de restauration de l’Etat, le programme du CNR fixe aussi le cadre prospectif du redressement économique de la France d’après-guerre afin qu’elle retrouve le plus rapidement possible sa place parmi les grandes nations. Ce redressement se fera au nom de l’union nationale entre les gaullistes et le Parti communiste. Ces réformes essentielles, qui redonneront force au capital français, seront la planification et le mouvement des grandes nationalisations de tous les secteurs-clefs de l’économie : mines, transports, assurances, banques etc. Bref tout secteur indispensable et vital à la France pour qu’elle redevienne concurrente et conquérante sur le plan international.
À ces mesures économiques s’ajouteront les volets : garantie des libertés démocratiques, liberté de la presse, de penser et de conscience etc.
Et bien sûr, rapport de force oblige, l’ensemble des lois sociales sera renforcé et étendu à chacun : retraites, sécurité sociale… : « Un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ». De fait le programme du CNR n’est que la résultante du compromis entre une bourgeoisie républicaine, nationaliste et catholique et les forces de gauche (où, rappelons le, le PCF est hégémonique) contre les travailleurs et paysans en armes mêlant à la liesse de la libération des revendications sociales et politiques. Compromis d’un rassemblement du peuple français dans l’unité, derrière la patrie et sous la houlette du chef historique.
Une union nationale où tout particularisme et division ne serviraient que l’ennemi de la France. La classe ouvrière n’est donc plus qu’une composante de ce peuple français. Si les travailleurs y trouvent une place, la main mise du parti stalinien a rayé toute notion et référence à un quelconque projet anti-capitaliste entretenu avant guerre et durant les années de maquis. La participation annoncée des travailleurs dans le programme du CNR s’est traduite par l’association des bureaucraties syndicales dans nombre d’organismes consultatifs sociaux et par la présence de ministres communistes dans les gouvernements d’après guerre jusqu’en 1947.
Dans cette alliance capital/travail, l’Etat restauré devient le garant de l’indépendance nationale, et le protecteur du peuple français. Notons enfin, l’unanimité sans faille entre tous ces démocrates et républicains, qui prévaudra contre les peuples des colonies. Massacre à Sétif et Guelma dès le 8 mai 1945 (jour de l’armistice) ou plus tard à Madagascar en 1947 (1). Pourtant une des dispositions du CNR prévoyait l’extension des droits politiques sociaux et économiques aux populations coloniales…

MZ Caen le 24 01 2011

(1) voir CA n° 205 ou la brochure : les belles heures de la république française.

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