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Edito 201 juin 2010

jeudi 17 juin 2010, par Courant Alternatif


Le slogan provocateur illustrant notre couverture ne semble pas du tout « politiquement correct ». Évidemment, au moment où les conditions de départ en retraite et les montants espérés de revenus sont fortement remis en cause, prétendre que l’on veut vivre sans travail et par conséquent sans cotiser pour ses vieux jours, c’est proférer une énormité. La grande majorité des centaines de milliers de personnes qui ont manifesté le 27 mai l’ont fait pour des raisons exactement inverses de ce qui est énoncé sur cette banderole : elles souhaitent un travail stable, correctement rémunéré jusqu’à un âge leur permettant de profiter d’une retraite en bonne santé pendant le plus longtemps possible.
Cet idéal d’un capitalisme humain redistribuant une partie de ses profits pour maintenir la paix sociale qui a régné pendant quelques décennies dans les pays riches n’est pas du tout ce qui convient aujourd’hui à ceux qui mènent les affaires du monde. Ils en sont revenus aux bases de l’exploitation capitaliste : payer la force de travail le moins possible, précariser les emplois, diminuer les charges sociales, augmenter les profits par la spéculation financière. Tant pis si demain la plupart des prolétaires n’auront pas de quoi obtenir une retraite à taux plein : inemployables avant 25 ans (sauf les apprenti-e-s qui ne coûtent quasiment rien et les stagiaires gratuits), jetables à 50, comment pourraient-ils justifier de 43 ans de cotisations même en repoussant l’âge légal de la retraite ?
Pour maximiser les profits, il est même très intéressant de supprimer le salariat : les auto- entrepreneurs-euses sont les nouveaux dindons de la farce. Soumis aux donneurs d’ordre dans des rapports de type commerciaux, ils-elles seront obligés de travailler plus pour gagner le minimum (cf l’article de Christophe). Leur situation ressemble bigrement à celle des tâcherons ou journaliers du 19e siècle.

Leur « crise » n’est pas la nôtre, mais nous la subissons pourtant de plus en plus. Non seulement le nombre d’emplois salariés stables diminue dans les pays occidentaux (au profit d’emplois moins coûteux dans les pays « émergents », de contrats précaires et de statuts en toc) mais en plus les banques, sauvées il y a peu par les Etats des faillites dues à leurs spéculations hasardeuses, imposent aujourd’hui des mesures draconiennes de réduction des dépenses publiques (cf l’article de Sylvie). Nous travaillerons plus pour gagner moins, nous serons (et sommes déjà en partie) soumis au lois du marché pour d’anciens services publics (transports, énergie, télécommunications...) et par dessus le marché, l’Etat ne nous offrira plus la même qualité de service pour ce qu’il aura gardé ou confié aux collectivités locales (enseignement, santé...).
Il n’y a guère que la police et les divers outils de contrôle social qui ne risquent pas trop de voir leurs moyens diminuer, tellement il est nécessaire en temps de crise d’assurer le maintien de l’ordre et de faire plier les révoltés. Il est plus que jamais nécessaire de manifester notre solidarité avec les victimes de la répression policière et judiciaire, mais également de dénoncer et s’opposer en pratique aux nouveaux moyens de flicage des populations. (cf dossier solidarité et Big Brother)

Mais si nous vivons des temps difficiles, c’est aussi l’occasion pour nous de reposer des questions fondamentales. Le slogan « on ne veut pas bosser du tout » nous renvoie à la place fondamentale du travail dans les relations sociales. Le refus qui est proclamé est bien celui du rapport de sujétion qu’implique le travail salarié et qu’implique tout autant le rapport commercial de l’auto-entrepreneur. Évidemment, il ne s’agit pas de vivre aux dépens des autres comme le font les capitalistes. Il s’agit que ce que chacun-e produit et consomme soit pensé dans le cadre d’autres rapports sociaux. basés sur la coopération, le respect des autres et de nos biens communs (notre planète).
Même si nous vivons dans une société où les rapports humains sont aux antipodes de ce que nous souhaitons établir, il est nécessaire dès maintenant de penser des rapports sociaux différents, ce que Alfredo Gómez Muller appelle “Le vivre éthique de l’anarchie”. La société capitaliste est basée sur le cloisonnement et l’exploitation. Déjà, en n’exploitant personne et en luttant collectivement pour des conditions de vie meilleures, on peut parvenir à déserrer un peu l’étau de la machine. Si en plus on pense ses rapports aux autres dans une logique de l’avec -en gardant toute notre force d’être singulier- plutôt que du contre, on peut franchir un grand pas.
Brecht a exprimé quelque chose de très proche dans Les arts et la révolution : “Aussi longtemps que nous ne pourrons vivre qu’en recherchant la bonne affaire, aussi longtemps que l’on dira “toi ou moi” et non “toi et moi”, aussi longtemps qu’il s’agira non de progresser mais de devancer les autres, aussi longtemps il y aura la guerre. Aussi longtemps que le capitalisme existera, aussi logtemps la guerre existera.”
Nous vivons toujours dans cette situationde guerre permanente ; même si les conflits armés se sont éloignés territorialement de l’Europe, elle en est toujours partie prenante. Nous sommes toujours en situation de guerre économique ; c’est ce que l’on nomme “crise”. Enfin nous sommes également toujours en situation de guerre idéologique, l’ennemi “rouge” étant remplacé par “le musulman” ou le migrant “sans-papiers”. Il est important de réaffirmer et de montrer par des solidarités concrêtes que leurs guerres en sont pas les nôtres, que tous les exploités sont nos égaux et tous les exploiteurs nos ennemis communs.

Limoges 27 mai 2010

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