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[Equateur] Les mobilisations amérindiennes font reculer le gouvernement

vendredi 7 mai 2010, par OCLibertaire

Les Indigènes ont obtenus ce jeudi 6 mai que le Congrès équatorien reporte le vote d’une loi sur la gestion de l’eau après de nouvelles protestations qui ont été réprimées par la police et ont laissé deux manifestants blessés dont un grièvement atteint.


L’assemblée nationale – de majorité gouvernementale – a décidé de reporter la discussion du projet contre lequel les populations autochtones sont opposées et mobilisées parce qu’elles perdront le contrôle des sources et de la distribution sur leur territoire, en favorisant les sociétés minières et l’industrie de la mise en bouteilles.
« L’assemblée n’a pas réussi à s’entendre, et ça c’est déjà une victoire. Cela nous donne raison en ce qu’il faut changer la loi », a déclaré Luis Andrango, président de la FENOCIN (Federación Nacional de Organizaciones Campesinas, Indígenas y Negras), un mouvement qui rassemble des organisations paysannes, de Noirs et d’Amérindiens.

Suite à cette décision, les Amérindiens se sont retirés dans un parc du centre de la capitale. « La mobilisation continue. Peut être il y aura un soulèvement. Ils défendent les sociétés minières et les embouteilleurs », a déclaré Marlon Santi, président de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE).

Plus tôt, les Indigènes avaient affronté la police qui les empêchait d’encercler le bâtiment du Congrès comme ils l’avaient fait mardi dernier, malgré les avertissements de la gauche au pouvoir de Rafael Correa.
Un chef de file de la manifestation a indiqué qu’un Indigène avait été victime d’une balle tirée par la police, la Croix-Rouge n’a pas pu confirmer la cause de la blessure mais des journalistes ont confirmé avoir vu un manifestant en sang.
Les affrontements ont eu lieu autour de l’Assemblée (dans le centre de la capitale), où était discuté le projet de loi controversée, qui, selon les amérindiens, va privatiser la ressource et va les exclure des organismes qui contrôleront son usage.

Personne ne sait quand les discussions reprendront.

Les Indigènes, qui constituent 35% de la population de l’Equateur de 14,2 millions d’habitants – selon les chiffres de leurs représentants, non confirmés officiellement –, exigent que ce soit une autorité collégiale, où ils auront le doit de vote, qui réglemente l’utilisation de l’eau.

Mais le gouvernement et le parti au pouvoir insistent sur le fait que « l’administration de la ressource et sa politique soient pris en charge par le président et non pas laissé entre les mains d’une organisation », en se référant à la CONAIE (Confédération des organisations indigènes), qui a participé au renversement des présidents Bucaram en 1997 et de Jamil Mahuad en 2000.

Les Indiens disent aussi que le projet maintient un accès illimité à l’eau pour les centrales hydroélectriques, l’exploitation minière, l’embouteillage et les services gestionnaires de l’eau potable, ce qu’ils considèrent comme une forme de privatisation.
Le gouvernement socialiste a appelé jeudi les Indiens à discuter du projet, mais a averti qu’il ne céderait pas aux pressions violentes.

Une mobilisation « en défense de l'eau et de la vie »

Depuis plusieurs jours, plusieurs milliers de manifestants, indigènes et paysans, sont mobilisés dans plusieurs régions du pays contre les décisions gouvernementales concernant la gestion de l’eau.

C’est mardi dernier, que les choses se sont accélérées. Plusieurs centaines de manifestants appartenant aux communautés andines, dont beaucoup sont armés de bâtons, se sont installés autour de l’Assemblée nationale à Quito au moment où les députés ont commencé le second et dernier débat sur le projet de Loi Organique sur les Ressources Hydriques, l’Utilisation et la Gestion de l’Eau.

Mercredi 25 mai, les manifestants avaient décidé de s’emparer du bâtiment de l’Assemblée nationale, après la suspension du débat parlementaire. Par cette action, les manifestants indigènes avaient décidé de « radicaliser » leur protestation, selon leurs termes, laquelle dure depuis plusieurs mois sans résultats malgré qu’une table ronde de dialogue ait été installée l’année dernière avec le gouvernement [1]]. La police chargea les manifestants.
« Il n’existe pas un véritable processus d’incorporation des demandes formulées par les peuples indigènes, paysans, et des autres secteurs sociaux du pays », regrettent les dirigeants nationaux indigènes équatoriens qui sont à la tête de la mobilisation dans différentes régions du pays.

Dans la capitale, Quito, de nombreux représentants des communautés sont arrivés, membres des conseils d’irrigation, des conseils de l’eau de consommation [2], des étudiants, des organisations de femmes et de paysans.
Pour les manifestants, les débats du Parlement n’ont pas reflété et pris en compte les points critiques sur lesquels les organisations sociales et le mouvement indigène ont fait des propositions.

Dans un communiqué, les manifestants ont souligné une fois de plus que ce projet de loi « ne garantit pas la déprivatisation, ne se prononce pas sur le droit à la nature, n’établit pas un droit citoyen à un tarif minimal, ne précise pas comment va se faire la gestion de l’administration communautaire avec financement, et à propos de l’autorité unique de l’eau, nous voulons un Conseil Plurinational intégré par tous les secteurs sociaux ».

Ils dénoncent des abus au cours des protestations

« Les droits des manifestants ont été bafoués », a remarqué le même communiqué après avoir mentionné que dans la province de l’Azuay, il y a 5 détenus et 2 disparus.
Parmi les détenus se trouve le dirigeant paysan Carlos Pérez, qui est été traîné dans la rue et traité « comme un vulgaire délinquant », selon ce qu’a dénoncé son épouse Verónica Cevallos.

Les autorités ont déclaré que les détenus ont été transférés à la prison pour hommes.
Pendant ce temps à Quito, les manifestants qui se trouvaient rassemblés de manière pacifique en attendant la réponse des débat sur la Loi, ont été « délogés de manière violente et brutale » des environs de l’Assemblée Nationale.
Il faut préciser que les policiers ont utilisé les grenades lacrymogènes, qui ont été lancées sans discrimination vers un groupe où des femmes protestaient avec ses bébés et des personnes âgées. A ce moment là, quelques manifestants ont été blessés, asphyxiés et un jeune du peuple Cayambi a été arrêté.

Blocage de routes les provinces du sud

Depuis l’après-midi d’hier (mardi 4 mai) le mouvement de blocages de routes s’est renforcé dans la partie sud du pays, dans les zones de San Lucas Sain et de San Vicente, sur la route Cuenca Loja, également dans la zone de La Ramada, dans la province de l’Azuay et dans les zones de Tarqui, de Girón, entre autres.

Dans les provinces de Zamora-Chinchipe, de Cañar et de Chimborazo des assemblées ont eu lieu dans le but de prendre part à des actions et ainsi renforcer la lutte qui se mène à Quito et dans plusieurs provinces du pays.

Au-delà de l'eau, des questions de souveraineté et d'égalité

Dans un communiqué, les manifestants déclaraient il y a quelques jours : « Nous exigeons la mise en oeuvre urgente d’une véritable Révolution Agraire intégrale, qui déplace le modèle privatisateur, accapareur et excluant de l’économie agraire et de la consommation alimentaire. Nous voulons que se construise la souveraineté alimentaire, comme une alternative pour dépasser la crise agricole »
En ce sens, les mouvements indigènes ont inclus dans leurs demandes des thèmes comme la souveraineté alimentaire et la révolution agraire, en plus de la loi sur l’eau qu’ils critiquent depuis son élaboration sur de multiples points fondamentaux.
Le communiqué mentionnait que « dans le débat et l’approbation du projet de Loi sur l’Eau, l’Assemblée Nationale doit assumer de manière décidée la déprivatisation et la redistribution équitable des Ressources Hydriques et instaurer un nouveau type d’institution à partir de la plurinationalité et de la participation démocratique ».

Cette bataille politique entre un Etat qui veut faire de l’eau une ressource économique pour l’industrie et des populations qui se définissent comme les « gardiennes de l’eau », permet de caractériser la politique de l’élite de la gauche au pouvoir dans ce pays. Mais cette « révolution citoyenne », ce capitalisme productiviste “de gauche” ne s’en prend pas qu’aux communauté indigènes des Andes ou de l’Amazonie.

Le 30 avril dernier, à Quito, une manifestation pacifique de lycéens contre la hausse des prix du pain, du lait et du gaz, et de manière générale contre le coût de la vie, a été violemment réprimée par la police (à pied et motorisée). Le but était clairement et simplement de dissoudre la manifestation. Le bilan est de 5 lycéens blessés par des tirs tendus de grenades lacrymogènes, dont un, Xavier Gallardo, grièvement touché à la tête, a perdu l’œil gauche. Le lycée a été fermé par l’administration pour empêcher les assemblées de se dérouler mais les manifestations lycéennes ont repris quand même le mardi 4 mai avec de nouvelles charges de police. Les élèves de l’Institut National Mejia d’où est partie la contestation, ont rejoint ensuite les manifestants amérindiens qui assiégeaient l’assemblée nationale et se sont affrontés ensemble à la police aux cris de “El agua no se vende, el agua se defiende” et “No hay arroz, no hay maíz es por culpa de Alianza PAIS” (“On ne vend pas l’eau, on la défend” et “Il n’y a plus de riz, il n’y a plus de maïs, c’est la faute d’Alianza PAIS” [le parti de Rafael Correa au pouvoir]).

Dernière minute Le président Correa propose d'organiser des manifestations contre les mouvements amérindiens !

Le quotidien El Mercurio rapporte l’information suivante :
Sans donner de noms précis, la président Rafael Correa a dénoncé jeudi 6 mai que des « fondations étrangères » financent le secteur indigène qui s’oppose avec ténacité au projet de loi sur l’Eau et contre lequel il a proposé d’organiser une marche contre la radicalisation de la protestation telle qu’elle s’est manifestée hier à Quito.
Correa a exprimé cette réaction lors d’une visite à la communauté autochtone de Colta, où les indigènes de cette ville lui ont exprimé leur soutien et à qui ont été livrés 680 logements.
« Regardez combien ils sont, 1.500 sur les millions d’Indiens qu’il y a, et la faible mobilisation qu’ils font. Faites de recherches, c’est financé par des fondations étrangères », a-t-il dit, faisant allusion à des associations des États-Unis et de France.
Alors que le Président finissait son déplacement, les Indiens regroupé dans la CONAIE, malgré le cordon policier et d’autres forces de sécurité placés autour de l’Assemblée nationale, faisaient sentir leur présence et cela alors même que les forces de police ont empêché plusieurs bus transportant plus de personnes d’arriver à Quito pour rejoindre la mobilisation.
Ces mesures ont eu pour conséquences que pendant plusieurs heures, les routes d’accès à la capitale ont été fermées à la circulation automobile, tandis que dans la ville, il y avait des affrontements violents qui ont provoqués plusieurs blessés autochtones et parmi les policiers.
A l’Assemblée, après deux débats, le vote sur le projet de loi, a finalement été reporté, surtout parce qu’au texte initial va s’incorporer des modifications de forme et de fond.
La nuit dernière, le président de la CONAIE, Marlon Santi, a annoncé la radicalisation de la lutte et a confirmé le blocage des routes.
(El Mercurio du 7 mai 2010)
Dans d’autres médias, l’information est confirmée. Correa continue, comme il le fait depuis longtemps, de critiquer les organisations indigènes, en opposant les “bons” qui soutiennent son gouvernement des “mauvais” qui “mentent”, soutenus par l’étranger.
« Qu’ils aillent faire des menaces chez eux, à moi, ils ne me font pas peur (…) Ici, on va respecter le Constitution avec une autorité unique de l’eau qui doit être représentée par le gouvernement légitimement élu » a-t-il tenu à réaffirmer selon l’agence de presse EFE.

Sur de telles bases, il est assez clair que le conflit est loin d’être terminé.

Le 7 mai 2010.

Notes

[1Nous avions abordé la précédente phase de mobilisation des communauté amérindiennes dans l’article “ [Equateur : mobilisations amérindiennes contre développement capitaliste” http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...

[2Ces conseils, les « juntas de regantes » (irrigation), « juntas de agua de consumo » (eau courante) sont des organismes autonomes dédiés à la gestion de l’eau dans les régions où les systèmes de captage, de distribution et d’irrigation ont été construits et installés par les communautés elles-mêmes (voir l’article “ Equateur : la guerre pour les biens communs s’aggrave” http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...

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