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Y a-t-il plus de répression qu’avant, comme on l’entend souvent ?

lundi 19 avril 2010, par Courant Alternatif

Face à l’idée, souvent colportée par la gauche mais fréquente également à l’extrême gauche, d’une répression accrue avec l’ère Sarkozy, précisons d’abord ce qu’on appelle « avant »…


Certes, le recours aux méthodes brutales par le pouvoir a augmenté ces dernières années, comparé aux précédentes. Mais on raisonne là sur une très courte période, car en 1986-1988 par exemple, soit à l’époque du tandem Pasqua-Pandraud à l’Intérieur – avec Chirac comme Premier ministre et Mitterrand comme Président –, entre les innombrables « bavures » policières dans les banlieues, les opérations contre les mouvements corse et basque (en même temps que les GAL, Groupes antiterroristes de libération, assassinaient les réfugiés basques), puis avec le massacre par le GIGN des indépendantistes kanak réfugiés dans la grotte d’Ouvéa, les forces de l’ordre ont beaucoup utilisé la violence ; quant aux épisodes de l’Histoire où il en a été fait usage, de par le monde, contre la classe ouvrière, ils n’ont jamais manqué.
En revanche, on peut dire avec certitude que sous le règne de Mitterrand, et en particulier avec le gouvernement Jospin de la « gauche plurielle » les pratiques contestataires ont quelque peu mollies et l’engagement militant radical s’est réduit (en se cantonnant pour une bonne part à l’« antifascisme » – contre le FN). Dans l’après-68 et jusqu’à la sinistrose et à la « bof génération » des années 80, on se méfiait davantage de la police – les consignes minimales étant de ne pas aller aux manifs avec son carnet d’adresses, de ne pas parler de n’importe quoi n’importe où et à n’importe qui… – et on croyait davantage en un changement possible de société.
Mais si l’idée de révolution est à l’évidence moins ancrée dans les esprits qu’il y a un demi-siècle, il faut là encore relativiser l’explication qui en est couramment proposée, à savoir l’« intégration de la classe ouvrière » – car cet argument était déjà donné… avant Mai 68, où on déplorait que le sentiment d’avoir toujours un petit quelque chose à perdre dissuade cette classe de s’engager dans une démarche révolutionnaire.
Enfin, si la droite aujourd’hui au pouvoir recourt davantage que la gauche aux méthodes musclées, n’ayons garde d’oublier que ladite gauche a largement contribué à lui en donner les moyens. Ainsi la définition de la « délinquance » a-t-elle évolué sous Mitterrand – l’idée se répandant alors qu’il n’y avait plus lieu de s’opposer à l’Etat, de se plaindre ni de parler de lutte des classes puisqu’on était sous un gouvernement socialiste. Les problèmes économiques et sociaux n’ont plus été considérés comme pouvant justifier des actes délictueux et, depuis, nombre de militant-e-s sont taxés de « délinquants ».

De multiples facteurs favorisent l’accroissement de la répression en France :

• La nécessité pour le capitalisme d’une expansion. Afin d’augmenter ses profits, il recherche sans cesse de nouveaux marchés, mais aussi de nouveaux lieux de production, et la mise en compétition des travailleur-se-s au niveau international, notamment avec les délocalisations, entraîne un durcissement des rapports de classe et de la conflictualité dans la société française comme ailleurs en Occident.
• La volonté de la droite dure décomplexée qui est au gouvernement de stigmatiser les militant-e-s, et d’imposer agressivement son ordre social, en réprimant toute contestation globale de la société. Sont visées toutes les personnes qui ne sont pas encore intégrées ou qui refusent de l’être (une certaine jeunesse…), mais aussi celles qui sont rejetées par le système parce que devenues inutiles pour lui (ouvrier-ère-s au chômage du fait des délocalisations…).
• Le désir qu’a le pouvoir d’obtenir par la politique sécuritaire un consensus sur le dos des catégories sociales criminalisées car il doit toujours avoir un ennemi pour renforcer son emprise sur la société. Les tenants du capitalisme n’ayant plus le « communisme » de l’Est à désigner comme tel, ils pointent depuis des années un autre ennemi, l’islamisme, sur le plan international et national, mais aussi, à l’intérieur des frontières, ces catégories sociales criminalisées. La coercition qui s’exerce a donc pour objet de maintenir et renforcer une certaine cohésion autour de l’Etat, par un effet dissuasif sur les acteurs et actrices des mouvements sociaux mais aussi plus largement, en incitant le reste de la société à ne pas bouger et à se contenter du « consensus mou » qui va de pair avec l’intégration et la consommation ou l’aspiration à celle-ci. Il s’agit de figer la vie sociale en désignant à la communauté un bouc émissaire de tous les malheurs et problèmes apparaissant (par exemple, les sans-papiers qui viennent manger le pain des Français en cette difficile période économique). La « crise » aide ainsi à faire accepter davantage de répression.
• L’extrême latitude laissée à la police pour sévir. Il y a une militarisation des forces de l’ordre, et elles savent que le pouvoir est d’accord avec les interpellations et autres opérations de choc, les tirs au flashball, gardes à vue ou montages de faux dossiers. Dans le même temps, tout un arsenal juridique permet au gouvernement de s’appuyer sur la loi pour agir à sa guise – le refus de prélèvement d’ADN étant une arme de plus. La politique sécuritaire a été testée au moment des révoltes des banlieues, mais les lois sécuritaires ont été élaborées à la fois par la gauche et la droite – contre les « sauvageons » de Chevènement au départ… –, et la gauche s’est seulement abstenue, lors du vote sur le couvre-feu dans les banlieues en 2005. Les prostitué-e-s comme les jeunes font les frais de cette politique depuis des années.
• Le rôle des différentes institutions – notamment la justice et l’école – et des médias, qui appuient le discours sécuritaire en le justifiant le plus souvent, et en l’intégrant dans leur campagne de « victimisation » pour infantiliser les gens et les transformer en assisté-e-s (avec le « soutien d’experts » face au moindre « choc psychologique »…). De même que la météo nationale incite à rester terré chez soi à l’annonce d’une perturbation, il faut convaincre les populations de tout déléguer à « leurs » dirigeant-e-s, les rendre de plus en plus dépendantes par rapport à eux ; alors, on leur donne des jouets à acheter pour les occuper afin qu’elles s’en remettent aveuglément au pouvoir en ce qui concerne la gestion des « affaires publiques ».
• L’intégration renforcée des centrales syndicales, qui participent largement au « consensus mou » en planifiant quelques Journées d’action bidons pour désamorcer la révolte sociale, et ne se soucient guère aujourd’hui que d’être reconnues comme partenaires à part entière des gouvernants à l’échelle européenne. A la base, inversement, on voit toujours plus de gens en réaction contre elles subir les foudres du pouvoir.
• Tandis que les anciennes générations militantes sortent peu à peu de leur amnésie à l’égard des pratiques coercitives exerçables par tout pouvoir, l’absence d’expérience des jeunes générations face à la violence les laisse facilement démunies (en grande partie sans doute parce que le passage de relais intergénérationnel s’est trop peu fait). En dehors des cités, beaucoup de jeunes ne sont habitué-e-s qu’à une violence virtuelle, mise en spectacle dans les jeux vidéo, les films… Et même cette violence-là est fréquemment critiquée dans la société consensuelle, le discours dominant étant qu’il ne faut ni troubles ni dérapages, mais du « soft » partout, pour que chacun-e dans sa bulle puisse consommer en paix. On s’emploie en tous lieux à nous convaincre que le « bonheur » doit être recherché au niveau individuel, dans la famille ou le couple, ainsi que par le biais de petites retouches de la société existante pour l’« améliorer ».
• Enfin, la forte diffusion de la peur face à la répression – peur qui découle de tous les facteurs énoncés ci-dessus et est l’objet du présent dossier. Elle tend à faire ou fait naître l’envie de ne plus bouger. Familles, avocats, amis multiplient les conseils de prudence à l’attention des militant-e-s : Attention, si vous faites quoi que ce soit, vous allez attirer la répression sur vous et provoquer son aggravation de façon générale. Regardez, le port de cagoules en manifestation a entraîné le vote d’une loi anti-cagoule ; la sortie de mineurs le soir malgré le couvre-feu imposé dans quelques villes, son extension au pays… Bref, se répand l’idée que si l’on ne cède pas aux injonctions de l’ordre établi on risque d’avoir à en subir un encore plus dur. Cela va donc dans le sens de ce que recherche l’Etat – même si souvent le discours tenu par les proches n’est pas de ne rien faire, plutôt d’essayer de trouver quelque chose d’autre à faire, de moins dangereux.


Mais les mauvais jours finiront !

Ces diverses raisons mêlées font qu’aujourd’hui il n’y a plus guère de tolérance à l’égard de ceux et celles qui troublent la paix sociale en manifestant par des actes leur volonté de la modifier – même si c’est pour s’y intégrer, comme les sans-papiers le plus souvent, alors qu’on ne veut pas leur faire la place.
Il ne faut pourtant jamais oublier que le changement est une question de rapport de forces et que la situation présente demeure modifiable par nous. Dans le contexte économique actuel, ce rapport de forces est favorable aux tenants du capitalisme, qui s’emploient à maintenir dans la population une soif de plaisir individuel, une quête hédoniste très égoïste empêchant l’extension des luttes existantes et la constitution de solidarités entre elles. Ils ne peuvent pourtant dissimuler que les rapports de classes sont de plus en plus antagoniques – avec la paupérisation et la précarisation accélérée des classes moyennes et ouvrières ainsi que l’enrichissement constant des très riches – et que, face à cette réalité, les explosions sociales sont appelées à se multiplier. C’est pourquoi, quel que soit le degré de répression, mettons tout en œuvre pour favoriser les résistances et tisser des liens entre les luttes menées contre l’ordre établi, partout où c’est possible !

Vanina

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