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Inde : les grandes compagnies minières contre les sociétés tribales

dimanche 18 avril 2010, par Administrateur OCL Web

Arundhati Roy est une militante indienne, écrivain, altermondialiste, qui a signé de nombreux articles pertinents et clairs sur la situation en Inde, en particulier contre la politique des Grands barrages. Nous avons traduit le texte qui suit de l’Italien. C’est un extrait d’un texte publié par le « monthly review » aux Etats-Unis (http://mrzine.monthlyreview.org/201...). (en marchant avec des camarades)
Peu de choses paraissent sur l’Inde, c’est pourquoi, sans avoir réellement les moyens d’approuver ou de critiquer sa position, il nous a paru intéressant de la faire connaître, tant les relations que la grande presse fait ces derniers temps de la « guerilla maoiste » en Inde nous paraît superficielle et propagandiste.


Commençons par ce qui se passe dans les forêts indiennes. Qu’est-ce que cette guerre que l’Inde mène contre la population la plus pauvres, désignée comme « tribale », « indigène », « Adivasi » ? Qui sont les maoïstes ? Qu’est-ce qui se passe là-bas ?

Arundhati Roy : C’est une histoire qui dure depuis longtemps. Il y a un lien avec ce qui se passe en Afghanistan, au Waziristan, dans les États du nord-est de l’Inde et dans la ceinture minière qui va du Bengale occidental à travers le Jharkhand et l’Orissa jusqu’auau Chhattisgarh : Ce qu’en Inde on appelle le Corridor Rouge. Il est intéressant de noter que tout est étiqueté comme « révolte tribale ». De toute évidence, en Afghanistan, cela a pris la forme d’un soulèvement islamique radical alors qu’en Inde c’est une révolte d’extrême gauche qui s’est constituée. Mais il s’agit juste de différentes formes de résistance à la même attaque contre les populations locales. 

Si vous regardez une carte de l’Inde, ce qu’on appelle le « corridor rouge » coïncide avec la région où il y a des populations tribales, des forêts et des ressources minérales. Au cours des cinq dernières années, les gouvernements de ces Etats ont signé des accords de plusieurs milliards de dollars avec de grandes compagnies minières. Il est intéressant de noter que bon nombre de ces accords ont été signés en 2005. A cette époque, le gouvernement actuel venait d’accéder au pouvoir, et le Premier ministre, Manmohan Singh, avait déclaré que les maoïstes représentaient "la plus grave menace pour la sécurité intérieure de l’Inde". Il était très étrange que ces déclarations furent faites à cette période, alors que les maoïstes venaient d’être décimés dans l’État de l’Andhra Pradesh : Je crois que 1.600 environ furent tués. Mais dès qu’il a prononcé ces paroles, les actions des sociétés minières ont augmenté en valeur, car, bien sûr, c’était un signal que le gouvernement était prêt à régler la question. Et c’est ainsi que commença l’assaut contre ces populations tribales, qui a pris forme avec l’« opération battue de chasse », pour laquelle des dizaines de milliers de troupes paramilitaires se sont déplacés dans les zones tribales. 

Même avant cela, le gouvernement avait armé une sorte de milice tribale, envoyée dans les forêts de Chhattisgarh, pour brûler les villages les uns après les autres avec l’aide de la police : environ 640 villages ont été ainsi dépeuplés. Ce plan applique les tactiques militaires expérimentées par les Américains au Vietnam et par les Britanniques en Malaisie et se basent sur l’évacuation des villages en forçant les gens à se déplacer dans des lieux où ils peuvent être contrôlés de manière à rendre les forêts accessibles aux grandes entreprises. Et c’est qui s’est passé dans la zone du Chhattisgarh, qui était habité par 350 000 personnes, et dont environ 50 000 ont été transférés dans des camps. Certains par la force, d’autres volontairement. D’autres ont tout simplement disparu du champ de contrôle gouvernemental en allant travailler dans d’autres états comme immigrants. Mais beaucoup ont continué à se cacher dans la forêt, sans pouvoir rentrer rentrer dans leurs foyers, mais avec le désir de ne pas abandonner leurs terres. 

Le fait est que, dans ces régions, il y a les maoïstes depuis trente ans qui travaillent avec les populations locales. Ce n’est pas une résistance qui a été mise au point pour s’opposer aux compagnies minières, elle est née beaucoup plus tôt, raison pour laquelle elle est radic alisée.
L’ « opération battue de chasse » a été décidée parce que cette milice, appelée « Salwa Judum », a échoué. Elle a élevé le niveau de confrontation par le fait que l’attente d’accord faisait traîner les choses, et que les grandes sociétés minières ne sont pas habitués à attendre. Il y a beaucoup d’argent qui, lui aussi, est en attente. 

Quand on parle de "guerre génocidaire", ce n’est pas une façon légère ou rhétorique de parler. J’ai voyagé dans cette région et ce que j’ai vu ce sont des personnes les plus pauvres de cette nation, exclus de tous les services de l’Etat, sans hôpitaux ni écoles, sans rien. Et maintenant il y a une sorte de siège qui fait que ces gens ne peuvent pas quitter les villages pour acheter quelque chose, parce que les marchés sont pleins d’informateurs susceptibles de dénoncer que telle ou telle personne appartient à la résistance. Il n’y a pas de médecins ou de dispositifs médicaux. Les gens sont affamés et souffrent de malnutrition. Il ne s’agit donc pas seulement de tuer des gens ou de brûler les villages mais d’assiéger une population très vulnérable, coupée de ses ressources et de la maintenir sous une terrible menace. L’Inde est une démocratie, alors comment voulez-vous évacuer des territoires au profit des entreprises dans une démocratie ? Vous ne pouvez pas y aller et seulement tuer des gens. Il faut créer une situation où les gens s’en vont ou meurent de faim.

Anjali Kamat : Dans votre reportage vous décrivez les gens avec qui vous avez voyagé, les guerilleros armés, comme des « Gandhi avec des fusils ». Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez ainsi et que pensez-vous de la violence perpétrée par les maoïstes ?

Arundhati Roy : Il s’agit d’un débat très vif en Inde. Même les principaux intellectuels de gauche et les libéraux sont très méfiants vis-à-vis des maoïstes. Comme tout le monde devrait l’être d’ailleurs, parce qu’ils ont un lourd passé et qu’il y a beaucoup de choses dans leur idéologie qui donnent des frissons dans le dos.
Mais quand j’y suis allé, je dois dire, j’ai été étonné par ce que j’ai vu parce que je pense qu’au cours des trente dernières années, ils ont changé quelque chose de radical. Et en Inde, les gens voient cette différence. Ils disent qu’il y a les maoïstes et qu’il y a des indigènes. En fait, les maoïstes sont des autochtones, et les indigènes eux-mêmes ont une histoire de résistance, qui précède Mao de plusieurs siècles. Je pense que c’est juste un nom, dans un sens. « Maoïstes » c’est juste un nom, et que sans cette organisation les indigènes n’auraient pu organiser une résistance. C’est une chose compliquée. 

Quand j’étais là, j’ai vécu et marché avec eux très longtemps, alors je peux dire que l’armée maoïste est plus Gandhiste que les Gandhistes eux mêmes, elle laisse une empreinte plus légère que n’importe quel écologiste radical. Même leurs techniques de sabotage sont gandhiennes : pas de déchets, vivre de rien. 

Les médias racontent des mensonges à leur sujet depuis un paquet d’années. Bon nombre des incidents violents signalés n’ont jamais eu lieu, comme je l’ai découvert, et il y avait toujours eu une raison pour ceux qui se sont produits. 
Dans le passé, par exemple, je croyais que les femmes des tribus avaient été victimes de la lutte armée. Mais quand j’y suis allé, j’ai découvert que c’était le contraire : 50 pour cent de leurs troupes sont des femmes qui ont fait ce choix parce que depuis trente ans, les maoïstes ont travaillé avec des femmes. L’organisation féminine du Parti maoïste dispose de 90 000 membres et est probablement la plus grande organisation de femmes en Inde. Toutes ces 90 000 femmes sont certainement maoïstes et le gouvernement a donné l’ordre de tirer à vue sur les maoïstes : mais tireront-ils sur ces 90 000 personnes ?

AMY GOODMAN : Arundhati Roy, le chef des maoïstes vous demande de vous faire médiateur entre eux et le gouvernement indien. Quelle est votre réaction ?

Arundhati Roy : Je ne serais pas un bon médiateur. Ce n’est pas dans mes capacités. Je pense que quelqu’un devrait le faire, mais je ne pense pas que ça pourrait être moi, parce que je n’ai aucune idée de comment faire une médiation. Je pense que nous ne devrions pas nous jeter dans des choses qu’on ne connaît pas. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont désigné ainsi, mais je pense qu’il y a des gens en Inde qui ont la capacité de le faire, car il est très, très urgent que cette opération « battue de chasse » soit interrompue. Très, très urgent, mais vous voyez, il serait stupide que quelqu’un comme moi essaye ça, parce que je crois que je suis trop impatiente, je suis trop franc-tireur, je n’ai pas ces capacités.

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