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L’EAU, ENJEU MAJEUR DE LA GUERRE QUE MENE ISRAEL CONTRE LE LIBAN

dimanche 1er octobre 2006, par Courant Alternatif

De la guerre que mène Israël contre le Liban actuellement les médias professionnels ne traitent que (et abondamment) du prétexte de débarrasser le pays du Hezbollah sans remarquer que ce pays ne leur a rien demandé à ce sujet d’une part et surtout qu’Israël a mené bien d’autres attaques contre le Liban : " Opération Litani " en mars 1978, opération " Paix en Galilée " en 1982, occupation de la zone dite " de sécurité " jusqu’en mai 2000... avec destructions, bombardements, massacres et cela bien avant l’existence du Hezbollah et à chaque fois sous des prétextes différents, un seul pourtant semble constant : celui de l’eau !


En s’appuyant sur l’historique dressé par Sandrine Mansour (1) sur la question de l’eau en Palestine, on comprend l’enjeu majeur que représente la gestion des ressources hydrauliques dans la région. Dès 1919, Chaïm Weizmann, président de l’organisation Sioniste Mondiale, écrit une lettre au Premier ministre britannique, à propos de la frontière nord de la Palestine : "Tout l’avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau pour l’irrigation et pour la production d’électricité ; et l’alimentation en eau doit essentiellement provenir des pentes du Mont Hermon, des sources du Jourdain et du fleuve Litani (au Liban). Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles (40,2 km environ) en amont du coude, ainsi que les flancs ouest et sud du Mont Hermon." Les frontières proposées englobent non seulement tout Israël, mais aussi Gaza, la Cisjordanie, les hauteurs du Golan, des portions du Liban, de la Syrie et de la Jordanie. La France, puissance mandataire au Liban à l’époque, s’était opposée à ce projet.
En 1923 et en 1927, Elwood Mead, hydrologue grand précurseur du développement hydraulique des Etats-Unis, se rendra sur place ; lors de ses deux voyages il ne visitera que des colonies juives et fera une sorte d’Etat des lieux de la situation de l’eau et des projets futurs à prévoir par les sionistes. Il fait notamment une critique pertinente sur la manière dont les colons venus d’Europe utilisent l’eau en ne tenant pas vraiment compte des réalités du terrain, mais se gardera de les rendre publiques. Elwood Mead donnera des indications notamment pour irriguer le Néguev, aride, en prélevant de l’eau du Jourdain pour alimenter cette partie de la Palestine. Ces propositions de travaux seront confirmées par le Plan Hayes, du nom d’un ingénieur américain qui préconisera " l’irrigation des terres de la vallée du Jourdain, la dérivation des eaux du Jourdain et du Yarmouk pour la création d’énergie hydroélectrique, le détournement des eaux du nord de la Palestine vers le désert du Néguev au sud et l’utilisation de l’eau du Litani au Liban. "
Dès 1953 Israël va mettre en application notamment les directives du plan Hayes et commencer à détourner l’eau du Jourdain, ce qui sera critiqué par les Nations Unies suite à des plaintes notamment de la Syrie. Les conséquences de ce détournement étaient aussi importantes pour La Syrie que pour la Jordanie. Le président des Etats-Unis Eisenhower décide d’envoyer Eric Johnston pour proposer un plan de répartition des ressources hydrauliques.

Ce n’est pas d’hier qu’Israël convoite ces sources d’eau rappelle Kim Murphy du Los Angeles Times (le 10 juillet 2006, sur cet aspect méconnu du conflit). Rappelant que Chaim Weizman, le leader sioniste qui devait devenir le premier président de l’État hébreu avait déjà inclus en 1919 le fleuve Litani parmi "les exigences essentielles à la mise sur pied d’un État juif". David Ben-Gurion, premier à occuper le poste de premier ministre israélien, a lui aussi à la fin des années quarante, à l’aube de la création de l’État juif, proposé d’y inclure le fleuve Litani. Dans les années cinquante, ce fut au tour de Moshe Dayan, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, de se dire en faveur d’occuper et d’éventuellement annexer le Sud-Liban jusqu’au fleuve Litani. En 1963, Israël bombarde au Liban les travaux destinés à l’exploitation du fleuve Wazzani. Plus tard la guerre de 1967 sera bien une guerre pour le contrôle des sources du Jourdain. Il faut noter que les fermes de Chebaa, occupées par Israël depuis 1967, surplombent un important réservoir d’eau estimé à 1,5 milliard de mètres cubes.
La Guerre des Six Jours sera suivie d’une politique de colonisation, cette colonisation permettant de contrôler directement sur le terrain le niveau d’utilisation de l’eau par les populations locales palestiniennes. En effet dès cette date Israël impose des interdictions notamment pour l’agriculture, le forage de puits, etc.
Le Golan sera même annexé et la majorité de sa population expulsée afin de diminuer la consommation locale (100 000 personnes) et permettre à Israël de contrôler en amont du Jourdain les ressources hydrauliques vitales. Les eaux souterraines ont été surexploitées. Depuis l’occupation en Cisjordanie et à Gaza, 70 à 80% des villes et villages palestiniens ne reçoivent que quelques heures d’eau par semaine, obligeant la population à faire des réserves dans des bidons et ce, dans des conditions d’hygiène précaires. Tandis que les postes militaires israéliens et les colonies sont alimentées 24 heures sur 24. Ces populations vivent comme si elles étaient dans un pays européen, alors que la population palestinienne a toujours géré son eau en connaissant l’aridité de la région. De plus le développement agricole israélien se fait aussi en contradiction avec les ressources en eau disponibles. Les Palestiniens n’ont pas le doit de forer des puits, alors que les colons le peuvent et sur de grandes profondeurs (300 à 500 mètres).
Israël occupe toute la Cisjordanie, Gaza et les hauteurs du Golan, lui donnant accès ainsi par son occupation aux ressources en eau. En 1978, il occupera le Sud Liban pour achever en quelque sorte cet approvisionnement, avec notamment l’usage et le détournement d’une partie du fleuve Litani par un système de pompage … ; le Sud Liban qu’il ne libérera qu’en 2000, chassé de la région par la résistance du Hezbollah.

"Sans accord sur l’eau, il n’y aura pas d’accord […] car pour Israël, l’eau est plus importante que la paix." Yitzhak Rabin

Depuis les années 70, les Israéliens ont pris l’habitude de pomper les eaux du Litani et cela pendant les années de guerre, les invasions à répétition de la région du Sud-Liban par l’Etat hébreu.
Pendant des années, ingénieurs, enquêteurs et même soldats des casques bleus de l’ONU ont livré des rapports concernant des cas de pompage des eaux du Litani par les Israéliens.
C’est ce que rapporte Gilles Labarthe (2).
Il parle du sabotage systématique autour du barrage de Qaraoun, dont la construction remonte à 1959. A l’origine, il était "destiné à la production d’électricité et à fournir de l’eau d’irrigation aux grandes étendues cultivées de la Bekaa". Mais ces objectifs n’ont pu être atteints pendant de nombreuses années, à cause de la guerre civile (1975-91) et de l’occupation par Israël du Sud-Liban. Bon nombre d’infrastructures ont en effet été détruites pendant la guerre. Certaines sous les bombardements israéliens de 1982. L’armée israélienne aurait aussi mené des opérations de sabotage systématique des canalisations.
Ariel Sharon a menacé le pays en octobre 2002 quand le Gouvernement libanais a inauguré une nouvelle station de pompage des eaux du Wazzani. "Pour Israël, cela valait déjà le casus belli."

C’est un joli ruisseau à truites qui jaillit de la colline pierreuse. Le Wazzani serpente au creux de la vallée avant de s’éclipser

Au nord, la terre est nue, sèche et stérile : c’est le Liban. Au sud, de la verdure, des vergers : c’est Israël. Plus de deux ans après le départ de l’armée israélienne, qui occupait la région depuis 1978, le sud du Liban peine à revenir à la vie. La région reste menacée par le contentieux frontalier autour de la zone des fermes de Chebaa, un peu plus à l’Est, témoigne en 2003, Christophe AYAD (3).
Le président du Parlement, Nabih Berri a eu une idée de génie : financer la construction d’une station de pompage sur le Wazzani afin d’alimenter les villages alentours dont les habitants sont contraints d’acheter l’eau potable, amenée par camions-citernes au prix prohibitif d’un Euro le m3. Depuis, le Wazzani est devenu le point le plus chaud du Liban : dès l’annonce du projet, Israël a menacé de détruire les installations, faisant de l’épineuse question de l’eau un casus belli dans la mesure où il prive Israël de quelques millions de mètres cubes d’eau par an, puisque le Wazzani se jette dans le Hasbani... qui se jette dans le Jourdain.
Israël est tout proche. On distingue à quelques kilomètres les premières maisons du village israélien d’en face, Ghajjar, sur le plateau du Golan syrien annexé par Israël. Un petit tube en caoutchouc noir relie le Wazzani à Ghajjar. Une fois par mois, des techniciens israéliens, déguisés en fonctionnaires de l’ONU (et avec son accord), viennent vérifier l’installation qui remonte à l’époque de l’occupation israélienne. Côté libanais, l’eau pompée est acheminée vers des citernes, à 2,5 kilomètres, pour être redistribuée dans les villages alentours (120 000 habitants et 16 000 hectares de terre cultivable), toujours par des conduites souterraines dont le creusement a donné quelques sueurs froides aux diplomates. A Kfar Killa, juste avant la "porte de Fatima", les tuyaux passent à moins de cinq mètres de la frontière avec Israël, matérialisée par un grillage électrifié. "La nuit, quand on travaillait, ils diffusaient des sons horribles par haut-parleur, comme des hurlements de chiens, se souvient un ouvrier. Un jour, un soldat est venu nous narguer. Il disait : "Sharon détruira ce que vous êtes en train de faire.""
Malgré la mise en service de la station de pompage, Israël, à l’époque, n’a pas mis ses menaces à exécution. D’abord parce que le Liban est encore loin de pouvoir pomper le volume maximal annoncé, soit 4,9 millions de mètres cubes. Mais aussi parce que la question du Wazzani inaugure de nouvelles règles du jeu dans une région hautement inflammable. Tout au long de l’automne 2003, les délégations de diplomates et d’experts en hydrologie et en droit international se sont succédé à Beyrouth pour tenter de trouver une issue au conflit d’intérêts entre le Liban et Israël. Le risque de conflit est réel : en 1965, Israël avait déjà bombardé une première pompe dont la carcasse gît à quelques mètres des actuels réservoirs.
En 2004, le gouvernement de Sharon semblait moins obsédé par l’accès au fleuve Litani, tout en maintenant, à une vingtaine de kilomètres seulement au sud-est du lac Qaraoun, une présence israélienne sur les eaux de la rivière Wazzani et le fleuve Hasbani, situé en bonne partie sur le territoire libanais en amont du Jourdain. C’est dans cette région du Mont-Hermon, fief du Hezbollah, que de violents accrochages militaires ont lieu.

Initialement, l’objectif déclaré d’Israël en frappant le Sud-Liban était de mettre fin au tir de roquettes du Hezbollah et de créer un zone tampon.

Or, précise Jean-Pierre Cloutier(4), Kaveh L Afrasiabi, dans le Asia Times, avance une autre théorie sur les motifs du présent conflit : l’enjeu de l’agression israélienne serait l’annexion pure et simple du Sud-Liban pour avoir accès à l’eau de la rivière Litani. Afrasiabi écrit qu’au fur et à mesure qu’Israël élargit la zone qu’il juge nécessaire pour assurer sa sécurité, et que la dite zone rejoint maintenant la rivière Litani à 70 kilomètres au nord de la frontière, ses motifs deviennent de plus en plus clairs. L’accès par Israël à la rivière Litani se traduirait par une augmentation des ressources hydriques de 800 millions de mètres cubes annuellement selon Afrasiabi.
Israël a bombardé des canaux d’irrigation ouverts et souterrains qui distribuent de l’eau à partir du fleuve Litani sur plus de 20 000 m2 et à 23 villages du Sud-Liban et de la vallée de la Bekaa. On ne peut ainsi s’empêcher de penser qu’Israël cherche à s’approprier les riches bassins des versants libanais, accusations qu’Israël nie formellement.(Kim Murphy du Los Angeles Times) Une bonne partie du débit du Litani est dirigé vers une série de barrages hydro-électriques, ce qui laisse peu pour l’irrigation, mais le gouvernement libanais prévoyait (avant le début de l’agression) un projet d’une valeur de 200 millions de dollars pour optimiser l’irrigation et l’étendre à d’autres zones de la région.
Outre le Litani, d’autres sources sont convoitées. Le 26 juillet dernier, le site israélien Debka spécialisé en questions militaires et de renseignement annonçait déjà que "Peut-être le gain le plus important de cette crise pour Israël est la récupération d’une de ses principales sources d’eau, les sources de Wazzani dans le village de Ghajjar. Ceci s’est accompli dans les premières heures de l’offensive des forces armées vers l’est. Israël ne sera pas empressé de céder cet acquis."(Jean-Pierre Cloutier)
Israël veut-il d’un Liban souverain ? s’interroge Vénus Khoury Ghata (5), selon elle, le motif annoncé n’est qu’un prétexte peu convaincant : cette agression militaire n’est pas une réponse légitime à la capture de deux soldats par le Hezbollah ; il s’agit en fait de mettre la main sur l’eau du Liban, enjeu majeur de la survie d’Israël. Les conséquences de cette guerre servent d’autres objectifs comme ceux de pousser la population du Liban-Sud à un exode forcé vers le nord du pays, dans le but de modifier la démographie et en vue de les remplacer par les 500 000 réfugiés palestiniens auxquels Israël oppose le refus de retourner dans leur pays en application de la résolution 194 de l’ONU.
Des massacres à Cana, Srifa, Marwahine, etc. Des cadavres jonchant les routes du Liban-Sud, des familles décimées, un peuple sur les chemins de l’exode, des dizaines de milliers de logements démolis, des ponts éventrés, des routes labourées, des usines détruites, des voitures et camions disloqués, des champs et des arbres incendiés, du fuel sur le littoral du Liban. La liste est longue.
Tout ceci se déroule avec la bénédiction de George W. Bush et dans l’indifférence totale de plusieurs dirigeants de ce beau monde. Israël se sent au-dessus de toutes les lois.

Chantal, OCL, Toulouse.

Cet article a été composé à partir des sites www.france-palestine.org /www.libanvision.com/ www.ism-france.org, entre autres.

1-Sandrine Mansour, La question de l’eau en Palestine-Israël, Nantes, publié le jeudi 7 août 2003.
Ses sources :
*Maghfour El Hassane, L’eau du Bassin du Jourdain, in Revue d’Etudes Palestiniennes n*18, hiver 1999.
*Jocelyne Grange, Guillemette de Véricourt , Questions sur les Palestiniens, Les essentiels Milan, Janvier 2002. *An American in Palestine : Elwood Mead and Zionist water resource planning, 1923-1936, in Arab Studies Quarterly, Winter 2000, Volume 22.
*Jeffrey D. Dillman, Le pillage de l’eau dans les territoires occupés, in REP n*35, printemps 1990.
*La question de l’eau au Moyen-Orient. Discours et réalités. Monde arabe. Maghreb-Machrek. N*138, octobre-décembre 1992.
*Philippe Le marchand et Lamia Radi, Israël/Palestine demain. Atlas prospectif., Editions Complexe. 1996.

2- Gilles Labarthe, L’eau du Liban, source de toutes les convoitises, de retour du Liban / Le Courrier, 25 mai 2004.

3- Christophe AYAD, Le Wazzani, source de conflit au Liban , QUOTIDIEN : Mardi 18 février 2003 - Wazzani (sud du Liban) envoyé spécial - Internet.

4-Jean-Pierre Cloutier - le blogue - cyberie.qc.ca/jpc, Israël/Liban, une guerre de l’eau ? faisant référence au site extremis notamment la section "Guerre de l’eau" du dossier "Planète ravagée" qui portait sur l’eau en territoires palestiniens, puis le dossier "Désobéir" dont une partie importante portait sur Tsahal.

5-Venus Khoury Ghata, romancière et poétesse, née au Liban, texte publié le 10 août 2006.

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