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NE PAS SE SATISFAIRE DES CLICHES HABITUELS !

dimanche 1er octobre 2006, par Courant Alternatif

Y aurait-il quasiment aucune intersection entre le mouvement des banlieues de l’automne 2005 et les mobilisations lycéennes et étudiantes du printemps dernier ?


Selon certains analystes, les émeutes de banlieues ont été l’œuvre " des classes dangereuses " (certains utilisent le vocable : "lumpenprolétariat") qui luttent (sans revendication) contre "l’impossibilité de vivre au présent" tandis que le mouvement des scolarisés du printemps 2006 a été assimilé à un "mouvement dans les classes moyennes qui luttent pour un futur qui leur semblent menacé" (1). Certain-e-s y voient même une opposition entre ces deux mouvements. Bien sûr, ces deux mouvements sont nés d’une même évolution du capital qui tend à marginaliser ces populations, je n’y reviendrais pas ! Par contre, il me semble que nous passons à côté de certaines réalités sociologiques, sociales et politiques si nous nous satisfaisons des clichés : jeunes de banlieues révoltés = lumpenprolétariat ; lycéens et étudiants dans la rue = classe moyenne en lutte pour conserver ses acquis.

Des émeutes porteuses de revendications, hier comme aujourd’hui.

La première émeute en France dans un quartier constitué de barres de H.L.M. date de 1979 à Vaulx-en-Velin dans la région lyonnaise. D’autres révoltes ont eu lieu dans cette région en 1981 (Vénissieux, Les Minguettes) où un certain nombre de jeunes, avec l’aide de pasteur et de curé qui jouaient leur rôle de pompier, ont posé leurs exclusions, discriminations sur la place publique. Cela déboucha sur la "marche des beurs" en 2003, puis sur "Convergence 84" un an plus tard. Je ne vais pas revenir sur ces deux moments forts pour une partie de la jeunesse de certaines banlieues mais simplement signaler que nous ne furent que quelques-un-e-s à nous solidariser avec ce mouvement sans en détourner son contenu (2).
Les révoltes ont gagné la région parisienne (Mantes La Jolie, Dammarie-les-Lys) et des quartiers d’autres villes (Toulouse, Lille, Montbéliard, …). Ces émeutes ont quasiment toujours pris naissance après le meurtre d’un jeune issu de l’immigration par la police ou le total mépris de la justice française vis à vis d’un "arabicide". Ces émeutes ont toujours été porteuses de revendications clairement exprimées pour celles et ceux qui veulent bien l’entendre : "Flics hors de nos cités", "Pas de justice, pas de paix" sans oublier les revendications liées à toutes les discriminations vécues au quotidien. Les municipalités ont d’ailleurs bien du mal à effacer des murs de certaines cités les slogans dénonçant la B.A.C. (Brigades Anti-Criminalité), les CRS … D’ailleurs, lorsqu’il n’y pas plus ou pas de résistance dans un quartier, c’est que la drogue dure s’est installée ; drogue dure que l’on trouve plus facilement après une émeute. Est-ce un hasard ? De ces quartiers sont nées des milliers d’associations culturelles et sportives et ont vu émerger un nombre non négligeable de militant-e-s qui, à part ceux et celles qui ont voulu en faire leur business au P.S. ou à Droite, n’ont pas été massivement séduit, c’est le moins que l’on puisse en dire, par l’extrême gauche franco-française. Tous les mouvements qui ont eu lieu ces 25 dernières années, mais aussi et surtout le vécu quotidien ont toujours eu leur propre expression qui passe évidemment par la musique, la danse, les fresques, … mais aussi par de nombreux films et livres (3). Dans les années 80, ce fut, entre autres, l’Agence "Im’média" qui permis l’expression politique des révoltes ; dans les années 1990-2000, ce fut (et c’est encore, dans une moindre mesure) le M.I.B. (Mouvement Immigration Banlieue) et demain, je l’espère, bien d’autres collectifs.
Aujourd’hui, la situation a, bien évidemment, évolué à cause du contexte de désintégration sociale dans lequel nous nous trouvons sans oublier l’ampleur monstrueuse de la répression. D’après le ministère de l’intérieur, la révolte de l’automne a touché 400 quartiers pour une participation de 15 000 personnes (ce dernier chiffre est évidemment bien en dessous de la réalité ; par contre il est significatif qu’il fut repris par nombre d’officines militantes niant ce mouvement social) dont 4750 furent interpellées !

Vous avez dit " classe moyenne " ?

Cette année, mais ce chiffre n’a guère évolué depuis 5 ans, 70,4% des jeunes de leur génération passait un Bac. 63,8 % l’ont d’ailleurs obtenu. En chiffres cela représente 522000 jeunes qui ont réussi cet examen qui n’est qu’un passeport pour l’enseignement supérieur, certaines formations dans le social par exemple et certains emplois bien souvent précaires et flexibles dans le commerce, le bâtiment, ... 637 800 jeunes l’ont passé. Certains de mes détracteurs me diront qu’il y a Bac et Bac. Mais 54% de ces bacheliers ont obtenu un bac général, 27% un bac technologique et 19 % un Bac professionnel. Si nous comparons ces chiffres avec ceux de 1986 (date importante dans les luttes de scolarisés) nous sommes passés de 29,4% d’une classe d’âge qui obtenait le Bac à 52 % aujourd’hui car nous devons retirer le chiffre des Bacs professionnels qui n’existaient pas voici 20 ans.
Il y a aujourd’hui 4052 lycées en France. Pour information, les lycées sont de plus en plus polyvalents ; en effet, les lycées strictement généraux, technologiques et même professionnels sont de moins en moins nombreux, même si les dominantes demeurent.
Il y a donc massification indéniable au niveau du secondaire qui date d’une quinzaine d’années.
Cette massification … se retrouve aussi, dans une certaine mesure, dans l’enseignement supérieur où le nombre d’étudiants est passé de 500 000 en 1968 à 2,2 millions en 1999. Depuis cette date, il y a effectivement un net ralentissement de cette augmentation (6,2% sur 6 ans).
Ces chiffres officiels devraient nous interroger sur la réalité sociale des scolarisés aujourd’hui. Nombre de lycéens et d’étudiants ont un ou plusieurs emplois de galère. La bouffe rapide et plus généralement le commerce emploient des centaines de milliers de jeunes. C’est ainsi que l’ouverture des commerces le week-end (en particulier les supermarchés le dimanche matin)
Ces boulots de merde, payés au SMIC, à des heures pas possibles, ne sont pas forcément précaires au niveau statutaire car pour beaucoup d’entreprises de discount, de bouffe rapide, un CDI coûte moins cher qu’un CDD. En effet, l’entreprise mise sur les départs volontaires et les fautes dites professionnelles comme l’absentéisme. Nous sommes loin de la période où la majorité des étudiants issus des classes moyennes ou prolétaire continuaient leurs études grâce à un emploi de " pion " dans l’Education Nationale.
Cette massification voulue par le système répond évidemment aux besoins du capital. Cela ne change strictement rien quant à la reproduction des classes sociales par le système scolaire. Seul le bac professionnel peut donner directement un emploi très spécialisé et peu payé dans un certain nombre de secteurs (comme le bâtiment). Les bacs technologiques ont pour fonction de donner l’accès à des formations spécialisées où le SMIC (quand ce n’est pas le chômage) attend le jeune diplômé à Bac + 2, bientôt à Bac + 3 ou 4. Dans leur immense majorité, ces bacheliers seront des prolétaires. Quant aux bacs généraux, ils mènent d’autant plus à tout que les parents peuvent financer les études plus ou moins longues de leurs enfants. Néanmoins, une forte proportion d’entre eux se retrouvera dans des formations communes avec ceux et celles venant de la filière technologique. Bien sûr, il y a des exceptions … qui confirment ces règles, comme ces quelques jeunes issus de banlieues qui accèdent à une grande école et qu’on montre dans les médias.
Mais, la réalité est là, les bacheliers et les étudiants qui sont nés et vivent dans les quartiers populaires sont de plus en plus nombreux. Je devrais d’ailleurs féminiser ma phrase précédente car c’est bien chez les filles que ce phénomène est le plus spectaculaire, y compris dans les filières générales. Mais la plupart du temps, cela ne change rien car les discriminations au niveau de l’emploi et du logement interviennent en aval et cela les jeunes des cités le savent pertinemment.


Confusion entre mouvement réel et sa représentation

Etant donné les origines sociales de la jeunesse scolarisée, leurs luttes ne peuvent être dans un premier temps qu’inter-classiste.
Par contre, les jeunes qui représenteront la lutte devant les caméras ou dans les réunions intersyndicales seront effectivement bien souvent issus de milieu favorisé, surtout au niveau culturel. C’est ce qui s’est encore passé lors du dernier mouvement du printemps. Les médias cherchaient toujours les représentants syndicaux de l’UNEF pour les étudiants, de l’UNL ou de la FIDL pour les lycéens afin d’écrire leur papier ou traiter leur sujet au micro ou à l’antenne. A noter, pour ceux et celles qui l’ignorent, si l’UNEF ne représente pas grand chose chez les étudiants, l’UNL et la FIDL ne représentent quasiment rien chez les lycéens.
La représentation qu’ils en ont donné pouvait faire penser aux classes moyennes qui luttent pour garder des acquis d’autant plus que ce mouvement a eu du mal à démarrer, qu’il a été porté au départ par des jeunes du M.J.S., que ce mouvement a effectivement démarré dans des facs où les classes moyennes semblaient (à vérifier !) sur-représentées. Mais ensuite, lorsque les lycées sont entrés dans la danse, personne n’est allé voir ce qui se passait dans les lycées des quartiers populaires. Personne n’a relayé la lutte de ces lycéens et lycéennes, personne n’a enquêté sur le terrain pour savoir si certains d’entre eux avaient participé d’une manière ou d’une autre au mouvement de révolte des banlieues ! Et pourtant, dans nombre de villes, ce sont les lycées les plus populaires qui ont été porteur de la lutte ; ce qui est somme toute logique lorsqu’on se bat contre une mesure impliquant encore une plus grande précarité.


Un éventail de condamnés bien similaire

Au total, pour ces deux mouvements, plus de 9000 personnes ont été interpellées. La répression judiciaire contre le mouvement des banlieues a été beaucoup plus sévère : Sans entrer dans les détails il y a eu beaucoup plus de comparutions immédiates et surtout plus de condamnations à de la prion ferme que pour le mouvement du printemps (4). Néanmoins, globalement, la répression est aujourd’hui sans aucune mesure bien plus importante qu’il y a seulement une douzaine d’années (mouvement contre les C.I.P.) alors que la solidarité concrète a tendance à baisser quel que soit le mouvement (y compris contre la loi Fillon du printemps 2005).

Il n’existe pas (à ma connaissance) de statistiques officielles concernant la fonction sociale des personnes interpellées. Néanmoins, nous pouvons éplucher certains dossiers de personnes traduites devant les tribunaux. Et là, j’ai été très surpris ! Les étudiants-lycéens sont peut-être en proportion plus importante pour le mouvement du printemps dernier mais sont aussi largement représentés dans le mouvement des banlieues. Deuxième constat, et pas des moindres : Les catégories des salariés, chômeurs, rmistes, SDF … c’est à dire des non-scolarisées sont aussi largement représentées dans le mouvement du printemps 2006 ! Alors ?

Nous ne pouvons pas nous contenter du journal Le Monde et d’Internet pour décrypter un mouvement social, même si nous y participons à la base. Nous devons œuvrer pour que se mettent en branle les outils de contre-information et de libre expression présents sur le maximum de terrains de lutte et d’affrontement contre l’Etat et le capital.


Denis, fin août 06

(1) Citations extraites du bulletin n°116 au réseau "Echanges et mouvement", B.P. 241, 75866 Paris cedex 18. Nous retrouvons ce type d’analyse dans le dernier numéro de C.A., dans l’interview dans le journal Le Monde du sociologue François Dubet, etc.
(2) Voir à ce propos les nombreux articles, interviews parus dans la première édition de C.A. de 1984 à 1987.
(3) A propos de la révolte de l’automne 2005, un livre est à lire : "C’EST DE LA RACAILLE ? EH BIEN, J’EN SUIS !" D’Alèssi Dell’Umbria, 7 €, 95 pages, paru aux éditions l’échappée, 130 rue Saint-Maur, 75011 Paris.
(4) Vous pouvez avoir bien d’autres infos concernant la répression contre le mouvement de novembre sur le site :
atouteslesvictimes.samizdat.net. Quant au mouvement du printemps un rapport a été édité par un collectif constitué d’élèves avocats et est disponible sur le site : http://repression2006.blogspot.com/

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