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Le bio à gogo !

Bonbon à bobos, babas et autres gogos…

regard paysan !

mardi 9 mars 2010, par Courant Alternatif

Les milieux du développement agricole « alternatif » et de l’agriculture biologique ont le vent en poupe ces temps-ci. Les classes moyennes et supérieures, sensibilisées par la propagande écologiste bien-pensante et médiatique (OGM, pesticides, vache folle…) se ruent sur les nouveaux concepts tels que les achats responsables, le commerce équitable, la consomm’action, les p’tits gestes bio-malins etc. Le monde des petits paysans, mis en péril par plusieurs décennies de réformes progressistes (industrialisation, agrandissements, désertification, mécanisation forcenée, grande distribution…) profite alors de ce regain d’intérêt pour se fourvoyer dans un développement qui peine à remettre en question le modèle de société dans lequel il espère bien prendre sa place. Il est indispensable d’y porter un regard critique pour ne pas céder aveuglément au credo de la bio, de l’agriculture paysanne ou de l’agro-écologie… et pour construire un mouvement pertinemment écologiste, social et humain.


Le bio : bonbon à bobos, babas et autres gogos…

L’agriculture biologique rentre dans une logique de label qui s’inscrit dans le développement du marketing. Celui-ci est le fruit déjà bien pressé du consumérisme, de la publicité et de la grande distribution. Le bio, ne pouvant pas prétendre remettre en cause ces fondements de la société capitaliste, tente bien souvent de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. En effet, il ne prend en considération que les pratiques de production (il y aurait d’ailleurs beaucoup à redire sur les cahiers des charges de l’AB, de plus en plus laxistes) en passant à la trappe les aspects sociaux (répartition des bénéfices, profits, exploitation humaine, taille des structures de production, système de distribution, lien à l’industrialisation avec mécanisation et investissements outranciers…) et écologiques (énergie, saisonnalité, proximité…). Voici donc l’avènement du marché du bio industriel et capitaliste… qui répond à un besoin de conscience marchandisée et superficielle !
Cette logique de label exige aussi, au grand bonheur de la bureaucratie et de la technocratie agricole, l’asservissement à un système de contrôle. Petits producteurs et agro-managers se donnant souvent la main… au bénéfice de ces derniers. La « société de contrôle » se voit encore une fois honoré, alors qu’il serait plus judicieux de la dénoncer sans compromission ! Par là même, les pratiques paysannes se retrouvent asservies à des critères de traçabilité (paperasserie, identification des produits et des animaux…) et de normes directement parachutés de la technocratie européenne. La logique paysanne, fondée sur un lien vivant à la terre, en prend encore un coup. En effet, dans tout ce qui concerne la normalisation (modes de production, de transformation et de commercialisation), les institutions ne prennent en compte que la grosse cavalerie de l’industrie et de l’agro-business, qui sert de référence. Il serait d’ailleurs vain de penser que les petits producteurs pourraient tirer leur épingle du jeu en quémandant des droits. Seule une contestation du système tout entier leur serait bénéfique.
De plus, le développement du bio va de pair avec un élitisme tant au niveau des producteurs que des consommateurs. C’est d’ailleurs assez grave, pour un mouvement qui rêve d’un « autre monde possible », de se contenter d’une agriculture à plusieurs vitesses. L’une, industrielle, productiviste et polluante, pour alimenter les masses ; l’autre, biologique et minoritaire, pour bien nourrir ceux qui peuvent se le permettre. Il apparaît aussi une fracture entre les zones à fort potentiel (plaines, coteaux mécanisables…) vouées à l’agriculture productiviste bio ou conventionnelle et les zones dites « défavorisées » (montagnes, piémont, régions sèches…) réservées à une petite agriculture de qualité ( ?). Ces dernières, au service du bio-citoyen, sont dès lors contraintes à devenir des « espaces » destinés au tourisme vert, à l’accueil, aux loisirs. Dans ces « espaces », derrière une authenticité de façade manipulée par un traditionalisme nauséabond se cache en fait une standardisation des fermes, des produits et des caractères. C’est aussi à l’intérieur de ces zones que se développent des productions agricoles à forte valeur ajoutée (production/transformation, vente directe…) en permettant ainsi des pratiques paysannes fondées sur une certaine autonomie. Par ailleurs fleurissent aussi des productions nettement plus lucratives de produits non alimentaires. Ces productions, de santé (plantes médicinales, spiruline, gelée royale…) ou de loisir (élevages de chevaux, d’ânes, de lamas…), existent parfois car la demande chic et chère est présente dans notre société. Cela permet quelquefois à certains producteurs d’en tirer bénéfice et d’avoir une vie plus adaptée à notre société du temps libre. Ces conditions permettent à une certaine paysannerie de survivre… ou de bien vivre ! Car, ici aussi, le profit peut exister. Et quand certaines personnes décident de se payer un retour à la terre… avec force moyens financiers et beaux principes, cela amène de l’eau au moulin d’une spéculation effrénée des moyens de production en privant le plus grand nombre de l’accès à la terre. L’accessibilité des moyens de production agricoles (terre, bâtiments, habitation…) est pourtant au centre de la problématique paysanne afin d’engendrer des campagnes vivantes et dynamiques. Il est aussi pitoyable que de nombreux producteurs bio profitent de cette niche économique sans se soucier de l’accessibilité de leur production, ou plus tard de la transmission de leur ferme. Néanmoins, le gros des profits liés à l’agriculture biologique ou conventionnelle se trouve toujours entre les mains des plus gros producteurs, de la distribution ou des intermédiaires.

Enfin, le monde du bio se vante souvent d’un certain modèle de militance ou d’engagement qu’il est nécessaire d’interroger.
En premier lieu, c’est l’écolo-citoyennisme qui sert de pilier à bon nombre de structures dans la mouvance bio : FNAB, Biocoop, Nature et Progrès, Nef, Terre de Liens… Si ces dernières remettent en cause certains critères du monde dans lequel nous vivons (dégâts écologiques, hypermarchandisation…), elles ne remettent jamais en cause les fondements du système capitaliste, à savoir la recherche de profit, le pouvoir des uns sur les autres, le pouvoir de l’argent… Pire, elles refusent la confrontation directe avec les institutions qui représentent ce système et apparaissent alors comme ce qu’elles sont : le lubrifiant vert qui permet le graissage des rouages de la machine ! L’actionnariat est aussi souvent mis en valeur par le truchement d’une certaine éthique ( !?!), alors qu’il porte en son germe le pouvoir de l’argent et qu’il engendre des profits, ne serait-ce qu’en avantages fiscaux. Il serait plus pertinent de remettre en cause la logique profondément inégalitaire qui permet à certaines personnes de pouvoir investir consciencieusement (?), alors que d’autres triment comme des galériens… Aussi la société de consommation, soi-disant remise en cause, est finalement sournoisement consolidée par le mouvement hétéroclite de la consomm’action. En effet, si nous étions désormais réduits à n’agir que par nos achats, ce serait politiquement démobilisateur tout en permettant à ceux qui peuvent se le permettre de s’acheter une conscience ! Le problème n’est pas, par exemple, de ne pas alimenter les caisses des supermarchés, mais bien de penser que là résiderait notre salut. Il est cependant désolant de s’apercevoir que beaucoup de personnes préfèrent dépenser un peu de leur « pouvoir d’achat » dans les loisirs, la voiture ou autre gadget à la mode plutôt que de faire le choix d’un mode d’alimentation socialement et écologiquement plus pertinent. Néanmoins, quelle cruelle époque que celle où l’on nous bassine à longueur de temps avec des foutaises telles que l’éthique, le durable, le vert, alors que l’on a affaire à un système très bien huilé, cynique, oppressant et révoltant mais dans le fond guère contesté… Le pire étant qu’il y a toujours des gogos qui s’y retrouvent, tout en alimentant un marché dynamique et florissant… d’un beau vert chiasse !
Il est intéressant de mettre en parallèle la sphère de la bio drapée de superficialités aguichantes et un mouvement souhaitable et plus profond qui prendrait le mal à la racine. Il paraît alors illusoire de se réfugier derrière l’individualisme des petits gestes qui soignent la planète (je trie, tu décrois, ils profitent…) ou derrière son petit panier bio. Alors qu’une remise en cause des modes de vie individuels est certes nécessaire, elle n’est pas suffisante et ne peut être prioritaire. En effet, la culpabilité individuelle permet aux réels responsables des dégâts écologiques (Etats, entreprises…) de continuer leur chemin, tout en leur évitant de faire face à une contestation profonde, radicale et populaire.
La superficialité et l’individualisme sont exacerbés lorsque les problèmes de santé sont mis en avant afin de dénoncer les dérives des productions industrielles énergétiques (nucléaire), alimentaires (OGM, engrais et pesticides…) ou de communication (ondes électromagnétiques). Tout d’abord, il est important de prendre de la distance avec la tyrannie moderne du bien-être et du plaisir qui donne une si grande place à la santé. Ensuite, il est choquant de constater que plus les personnes montent dans les classes sociales, plus la santé est prise en considération. Laissons les riches crever, et mieux vivre les pauvres ! La crainte des problèmes sanitaires liés aux productions agricoles s’inscrit aussi dans la logique infernale de nos Temps modernes où tout fait peur, et où le flicage (ici : labels, primes et contrôles…) apparaît comme salutaire. Enfin et surtout, la santé joue le rôle de l’arbre qui cache la forêt. En effet, se focaliser sur cet aspect rend aveugle à des enjeux beaucoup plus cruciaux et profonds.

Une certaine idée de la paysannerie à l'encontre d'une biosociété…

Face aux modèles de développement agricole qui priment dans notre société, il est important de prendre en considération certains aspects des fondamentaux de la paysannerie, non négociables si cette dernière ne veut pas rendre son âme. Cependant, la problématique de production de nourriture humaine concerne tout le monde, et la remettre en cause débouche inévitablement sur des questions sociales et sociétales : Qui produit ? Quoi ? Pour qui ? Comment ? Où ? Suivant quelle répartition ?...

Le modèle du biodéveloppement n’est pas pertinent pour proposer de réelles ruptures avec nos modes de fonctionnement. Par contre, une paysannerie qui remet en cause les principes de gain, de profit et de temps peut paraître intéressante. Cela étant, dans nos sociétés citadines bien souvent déconnectées du lien à la terre persiste un certain attrait pour la paysannerie, qui apparaît souvent comme un rempart à l’agro-industrie. Mais nos modes de vie centrés – si ce n’est sur les profits ou la consommation – sur les temps libres et le refus de l’effort non sportif laissent-ils encore la possibilité à un autre modèle d’exister ?

Parmi les éléments en lien avec l’environnement, l’idée d’autonomie est importante. Il est donc nécessaire de remettre en cause le système de primes et de subventions. Cela permettrait, outre plus d’égalité entre paysans du monde entier, de déconstruire les modèles basés sur une spécialisation des fermes. Les primes agro-environnementales poussent aussi l’imaginaire collectif à appréhender les agriculteurs comme des façonneurs de paysage ou des producteurs de biodiversité. Et, si cela est certes vrai naturellement, mettre des euros derrière tout cela est significatif de la marchandisation du monde et de la toute-puissance du modèle dominant, polluant, dévastateur et productiviste. Et si, là aussi, la conscience ne devrait pas s’acheter, certains paysans se laissent enfermer dans un rôle de fonctionnaires du bien-être où leur rôle de producteurs de nourriture passe parfois au second plan. Enfin, primes et subventions permettent aux décideurs d’avoir un outil de contrôle qui rabaisse les marges de manœuvre offertes aux paysans. Ces derniers, tenus par une bureaucratie, sont alors souvent contraints à remplir des formulaires infantilisants et irréels.

De la même façon, il faut dénoncer la dichotomie bio/conventionnel qui, finalement, ne représente pas grand-chose : il existe des produits bio plus pourris que certains conventionnels ! De plus, les certifications bio, payantes et désormais plus que remboursées par l’Etat (à la grande fierté des biopoliticiens), laissent surtout la part belle à tous les profiteurs de l’agrobusiness, bio ou polluant : distribution, agromanagers, semenciers, financiers, fabricants de matériel, organismes de contrôle… Là encore, plutôt que de faire payer l’addition écologique aux responsables et de les faire cesser de nuire, l’Etat triche en passant pour le gentil défenseur du bio, tout en continuant d’arroser de subventions les gros agriculteurs productivistes et polluants.

Enfin, il est intéressant de finir sur la mise en valeur de ces modes de vie différents et généralisés à l’ensemble du globe. Ces paysans, qui à l’échelle du monde sont le plus souvent des paysannes, et dont l’humilité tranche avec l’arrogance « révolutionnaire » de certains milieux bio occidentaux, proposent avec simplicité et actions, des manières vivantes, variées, riches et intimes de produire de la nourriture, du savoir, de la culture, des rapports à soi, aux autres et à la terre.
Et, surtout, ces façons d’être, rebelles par nature aux valeurs de la société actuelle, sont autant de grains de sable dans la machine capitaliste, industrielle et marchandisée. Ce dont cette dernière a plus besoin que d’un lubrifiant bio compatible ! Mais pour cela, encore faut-il permettre au plus grand nombre d’accéder non à la propriété mais tout simplement à la terre… C’est donc autour de la question sociale que devra se jouer la bataille !

Manu Allard,
paysan en Ariège

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