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L’écologie bien comprise : un super plan !

mardi 9 mars 2010, par Courant Alternatif

Depuis quelque temps, l’« écologie » au sens large est devenue un thème à la mode dans la classe dirigeante occidentale. En particulier la dégradation de l’environnement à l’échelle de la planète et ses conséquences pour le genre humain, la hauteur d’un tel enjeu étant très pratique pour évacuer les conflits économiques et sociaux existants, et renforcer le consensus autour des institutions en place. Cerise sur le gâteau, l’argument « écolo » est – autant que la fameuse « grippe de l’année » – également une affaire juteuse à souhait pour le capitalisme…


Aux Etats-Unis comme en France ou en Allemagne, le « réchauffement climatique » a ainsi pris le relais du « trou dans la couche d’ozone » de 1985, les médias nous serinant que c’est « la » question fondamentale (Le Monde consacre par exemple au minimum sa page 4 à la « Planète »).
C’est en tout cas celle qui permet de faire passer au second plan l’idée même de justice sociale, les antagonismes entre les classes devant être surmontés au prétexte fallacieux que tout le monde serait avec ce problème logé à la même enseigne. Que représentent les luttes contre des licenciements ou des restructurations dans telle région ou tel secteur de l’économie, face au réchauffement climatique de la Terre ? nous disent plus ou moins implicitement les gouvernants. Voilà qui est de l’intérêt général.

Parler encore de lutte des classes (une bien vilaine expression) nous est donc présenté non seulement comme le comble de la ringardise, mais encore comme absolument hors sujet vu l’«  urgence » du drame qui se joue. Une fois posé en postulat qu’il n’existe aucune alternative au capitalisme, il s’agirait « juste » de gommer, à défaut de les réduire, les effets pervers que la modernité intangible de nos sociétés entraîne – l’objectif étant de nous convaincre que, si les inégalités sociales sont inhérentes au capitalisme, ce dernier demeure améliorable.

L'ingrédient écologiste à la sauce politicienne…

En France, le succès de la liste verte aux dernières européennes a dopé la « défense » de la nature dans tous les partis institutionnels (à l’exception du Parti communiste, pas friand du thème). X. Bertrand, porte-parole de l’UMP, l’a résumé sur France Inter le 29 septembre : « Oui, l’écologie est un thème d’avenir, et il ne faut pas être aux Verts pour être écologiste. » Le Président Sarkozy, représentant démocratiquement élu par la population française et ayant à charge son bonheur, a ainsi décrété une « taxe carbone » presque salvatrice – mais déjà son « Grenelle de l’environnement » avait donné le ton : le précédent Grenelle n’a-t-il pas été un enterrement de seconde classe pour le mouvement de Mai 68 ?
Les belles envolées « écolos » de la classe politique visent à nous persuader qu’on cherche des solutions pour la « bonne cause ». L’efficacité des mesures prises ou annoncées est une autre histoire – mais quelle importance ? tant qu’on parle de ça, on ne parle pas d’autre chose. La véracité des chiffres fournis sur la fin de telle ou telle réserve naturelle, ou sur l’augmentation de tel ou tel taux de pollution, n’importe pas davantage : avec des prévisions sur les conséquences du « réchauffement climatique » dans notre beau pays pour… 2090, on a de la marge, et de toute façon personne ne sera plus là pour pointer les éventuelles erreurs d’appréciation (1). S’il faudrait, bien sûr, arrêter le gaspillage des ressources terrestres – les dirigeants des pays riches en « recommandant » pour leur part la limitation à seule fin de masquer le pillage des matières premières qu’ils opèrent dans les pays pauvres –, les chiffres avancés seront sans doute revus à la hausse ou à la baisse en fonction de multiples facteurs non connus à ce jour, nul n’étant devin.
Le discours que nous servent les politicien-ne-s au nom du « raisonnable » a donc surtout pour finalité de clouer le bec à la contestation en envoyant au coin les « gauchistes  » – ces énergumènes très infantiles puisqu’ils ou elles « en sont encore là » ! –, qui s’agitent comme d’habitude pour créer du désordre dans le délicieux ordre capitaliste. On ne peut aller contre le progrès, condition sine qua non du bien-être dans la société de consommation ; CQFD : il faut faire avec la fermeture des usines ici et leur réouverture ou l’ouverture d’autres usines ailleurs, si on veut continuer à bien consommer… ici – enfin, « bien » pour une minorité même ici !
Sur le terrain économique, les dirigeants admettent finalement un déterminisme : il est dans la logique des choses que des boîtes multipliant les bénéfices délocalisent parce que leurs actionnaires en veulent davantage encore, et sont décidé-e-s à obtenir ce plus hors la forteresse Occident, là où la misère ambiante place le prolétariat à la merci des multinationales. Certes, il serait infiniment plus aisé d’empêcher de telles pratiques que d’arrêter la fonte du pôle Nord… mais comme il est hors de question de freiner la « dynamique » économique, mieux vaut se pencher sur le triste sort des manchots confrontés au dégel. Oui, vraiment très avantageuses, ces « préoccupations environnementales » qui ne requièrent pas de résultats concrets immédiats ; et s’il suffit pour grimper à l’Audimat de se relooker vert gazon, ça devient même un excellent plan !

… avec sa traduction marchande : Eh, y a du blé à se faire !

Jusqu’ici, on n’a parlé que de la démagogie régnant dans une sphère politicarde consciente du bonus électoral fourni par une touche « écolo » médiatiquement mise en relief – l’idée étant de maîtriser le baratin servi sur l’avenir de la planète, à défaut de cet avenir lui-même, afin de maintenir l’ordre social en l’état. Mais l’écologie ne permet pas que de se redorer facilement le blason : elle constitue aussi un moyen de ramasser beaucoup d’argent sur un thème qui est « porteur » (les grandes entrées des films d’Al Gore et d’Arthus-Bertrand le montrent).
Le système marchand a parfaitement saisi les profits à tirer de l’écologie bien maîtrisée – avec au premier chef le « bio ». Tout est vendable et vendu sur ce mot magique, quel qu’en soit le prix, aux gens qui sont en mesure de casquer. Ça rassure les classes moyennes et supérieures, la conviction de manger «  sainement » – en particulier les bobos, car soigner son corps participe d’une éthique très « citoyenne ».
La grande distribution ne fait quant à elle pas de détail entre les classes : elle bombarde indifféremment sa clientèle de spots et affiches sur les sept ou neuf fruits et légumes à consommer au quotidien pour se garder « en bonne santé ». Certes, ces conseils de « nutritionnistes » sont servis en même temps que se généralise la vente de produits OGM au niveau mondial, mais sur l’affirmation (mensongère) que les OGM sont un moyen de remédier à la faim dans le monde, alors...
Les capitalistes ne craignent de toute façon pas les contradictions, et n’importe quelle revendication est à leurs yeux recyclable dès lors qu’on lui a ôté sa dimension de classe et qu’il y a de l’argent à empocher – le système tirant avantage de ce dont il est la cause comme des effets que cette cause a engendrés.

L’arnaque de grande ampleur qui s’est construite autour des ressources naturelles le prouve. Il n’y a pas si longtemps, par exemple, on buvait « sans y penser » dans les pays riches une eau du robinet guère onéreuse et gérée par les services publics ; et puis l’idée s’y est médiatico-magiquement répandue peu à peu qu’il valait mieux l’acheter en bouteilles à la maison, et en fontaines dans les entreprises, selon un éventail de prix autrement plus alléchant pour les multinationales de l’eau (qui sont aussi celles de la biscuiterie et des laitages) – et ce, tandis que dans le reste du monde elle demeurait ou devenait une denrée rare et prohibitive (2).
Le tri sélectif s’est inscrit dans la même logique : grâce à la mafia des sociétés privées qui ont été chargées de collecter les ordures ménagères dans notre beau pays devenu presque propre, les tarifs de leur ramassage ont flambé en quelques années sans que s’opère le plus souvent un vrai tri. Là encore, « paroles, paroles »…
Quant aux concepts écolo-économiques qui fleurent si bon le « politiquement correct », ils constituent autant d’espaces lucratifs à occuper :

  • le « développement durable » ? Avant la modernité tant vantée, les objets étaient en général fabriqués pour durer ; dans les sociétés actuelles, ils sont faits pour être achetés, perdre de leur valeur sitôt après et être remplacés très vite (par d’autres objets forcément plus chers parce que plus performants et donc « mieux »). Mais alors, au bout du compte, le « durable » aurait quelque valeur ?
  • le commerce « équitable » ? Equitable pour qui ? De petits producteurs des pays pauvres y grappillent peut-être quelques centimes « en plus », mais pas mal d’intermédiaires y trouvent une occasion de se sucrer par ce biais-là aussi – et la justice sociale n’est pas au rendez-vous.

L'écologie en sandwich entre citoyennisme et sécuritaire

Le « politiquement correct » participe, en matière d’écologie comme sur d’autres plans, au renforcement du consensus autour du système capitaliste et de ses institutions « démocratiques » – parce qu’il implique à la fois une exigence de citoyennisme et une acceptation du sécuritaire. Tout bénéf pour le pouvoir qui, après avoir joué sur la peur pour faire accepter le contrôle social – noircir l’horizon incitant toujours les moutons à se serrer autour du berger –, voit ainsi enrober de quelques manières « civiles » fondées sur des arguments moraux et des sentences moralisatrices la contrainte exercée sur le corps social.
Le bon citoyen, celui qui gère son inquiétude des lendemains par des gestes du même tonneau, contribue de façon active et volontaire à l’amélioration de la planète tout en s’en remettant à l’Etat pour le « reste ». L’engouement que suscite chez d’aucun-e-s le tri sélectif en est une illustration : en opérant dans les règles de l’art un tel acte, ils et elles sont convaincu-e-s de faire leur BA, et se sentent valorisé-e-s d’agir par ce biais dans l’intérêt de l’espèce humaine, à leur petite échelle d’individu-dans-son-cocon… Bien mieux que de se lancer de façon inconsidérée avec d’autres dans quelque projet d’envergure ! Depuis sa cuisine tout-électrique, et pourquoi pas climatisée (mais attention, pas de gaspillage d’énergie à dénoncer ici, puisque c’est pour son confort), on change (presque) tout ; et ce sentiment si gratifiant naît d’une simple mise en sacs-joliment-colorés-et-adéquats (3) – merveilleux !
A l’inverse, est mauvais citoyen celui ou celle qui ne se contente pas d’un tel « engagement », et se montre suffisamment malpoli pour oser revendiquer plus que ce qui lui est octroyé – une attitude très incorrecte, pour laquelle il n’y a qu’une réponse : la répression ! Les raisonnements tenus au xixe siècle, particulièrement aux Etats-Unis, tant par les ligues de tempérance (avec leurs préoccupations hygiénistes) que par le patronat (avec son impératif de stabilité sociale) sur les « classes dangereuses » trouvent là une occasion de se revivifier. Les pauvres sont décidément des êtres sales et incultes (n’achètent-ils ou elles pas des voitures polluantes « simplement » parce que celles-ci sont moins chères ?), alors que les classes moyennes et supérieures tellement civilisées se préoccupent de l’état du monde sans s’arrêter à de tels détails – meilleure preuve qu’elles seules sont à même de bien gouverner. Il faut faire la morale, sinon punir ces pauvres pour leur attitude négative – voire les enfermer pour leur bien dans quelque prison aseptisée (l’idéal devant être l’isolement sensoriel, une zone assurément nickel chrome).
Le capitalisme, comme n’importe quel système à prétention totalitaire – hors lui rien ne doit exister –, a besoin d’un adversaire désigné ; et la lutte contre la pollution se révèle bien plus commode pour ses tenants que celle d’antan, contre le « communisme » type bloc de l’Est, même si la course au profit est pour une très grande part responsable de ladite pollution.
On le constate à travers la croyance largement répandue, grâce à la propagande tous azimuts des nucléocrates, que le nucléaire est l’« énergie » propre par excellence – alors qu’il est la pire, par son caractère irrémédiable et surtout non maîtrisable : on peut nettoyer une rivière de ses déchets industriels, on ne peut retraiter les déchets nucléaires ni rendre de nouveau habitables les zones autour de Tchernobyl. On le voit encore à travers les projets anti-« réchauffement planétaire » que nous proposent les apprentis sorciers technocrates – comme d’ensemencer les océans en fer : malgré les conséquences désastreuses que leur concrétisation entraînerait pour la planète, ce genre d’annonce suscite fort peu de réactions…

La « crise écologique » sert donc d’abord à dissimuler la crise sociale derrière l’épaisse poudre aux yeux du discours idéologique dominant qui la décrète prioritaire ; et, de ce point de vue, l’écologie a la même utilité pour les gouvernants que le féminisme réduit à son plus simple appareil (avec comme finalité la parité, par exemple). L’un et l’autre ne peuvent en effet être facteurs de changement social radical et profond s’ils ne possèdent également une dimension de classe ; en l’absence de cette donnée fondamentale, ils sont tous deux récupérables par les mêmes – les Blancs friqués des deux sexes. Autrement dit, ceux et celles qui sont en mesure de s’offrir une résidence dans quelque village privé, avec vigiles et vidéosurveillance, sur un site non pollué (sinon ces propriétés pour milliardaires dans des îles paradisiaques), donc à l’abri des « nuisances » de tous ordres : usines, trafic… Et là, nul besoin de recourir à la science-fiction : les scénarios où l’élite vit au sommet cossu d’immenses tours tandis que la « racaille » s’entasse dans leurs sous-sols pourris, l’extérieur étant déserté du fait de la pollution, c’est déjà demain ici et là.
En abordant le problème écologique comme elle le fait, la classe politique évite évidemment de susciter un questionnement sur ses origines. Y réfléchir serait susceptible d’entraîner un rejet de la logique économique en cours, en incitant à se demander : Quel développement et pourquoi ? C’est-à-dire : Quelle doit être la finalité d’une société – le bonheur (ou ce qui s’en approche) pour une minorité au nom de la liberté ou pour une majorité au nom de l’égalité ? L’« utilité sociale » étant une clé pour envisager la reconversion d’industries, la relocalisation de productions et la réorganisation de territoires…

Vanina
- Poitou

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