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Dette publique de la Grèce, ou comment encore une fois la crise nourrit la finance

mardi 9 mars 2010, par Courant Alternatif

Gros titres dans les médias : l’Etat grec au bord de la faillite, la Grèce va-t-elle entraîner la zone euro dans la tourmente, et j’en passe... Evidemment, dans les esprits, le rapprochement se fait immédiatement avec le mouvement social grec. Qu’en est-il réellement ?


Un peu de vocabulaire

Essayons d’abord de nous y retrouver. Le « déficit de la Grèce » dont il s’agit est celui de son Etat, de même que la dette.
La Commission Européenne prévoit un déficit public d’un peu plus de 12% pour les trois prochaines années, c’est-à-dire que les dépenses de l’Etat grec dépasseront ses recettes de 12%. C’est un peu moins que l’Irlande, à peine plus que l’Espagne, et un peu moins du double du déficit prévu pour la zone euro (environ 6%). En période de crise, les déficits publics augmentent toujours : les impôts diminuent lorsque les revenus diminuent, alors que ce n’est pas exactement le moment de diminuer les dépenses sociales et de licencier des fonctionnaires. Les Etats ont admis depuis Keynes et la crise des années 30 qu’il valait mieux un peu de déficit censé se résorber ensuite quand la croissance reviendra et les impôts avec, que d’aggraver encore la récession en visant l’équilibre. Problème supplémentaire : le traité de Maastricht. Il prévoit que les Etats adhérant à la zone euro s’engagent à ne jamais dépasser 3% de déficit. Aucun pays de la zone euro ne respecte le traité en ce moment, mais suivant les pays les écarts sont plus ou moins grands. Et il semblerait qu’au moment de son entrée dans la zone euro, la Grèce ait un peu maquillé ses comptes pour pouvoir rentrer dans les critères. Il n’est pas certain du tout que ce soit le seul Etat à l’avoir fait, et d’autres scandales du même type pourraient survenir ultérieurement.

Comment font les Etats qui ont un déficit ? Comme tout le monde, ils empruntent. En fait, il y a d’autres possiblités pour eux, qui reviennent globalement à fabriquer la monnaie dont ils ont besoin, c’est un peu plus complexe à expliquer, mais de toutes façons ce n’est pas possible pour les pays de la zone euro, puisque la monnaie est gérée par la Banque Centrale Européenne. C’est un des reproches (justifié) faits par les souverainistes, le traité de Maastricht interdit aux Etats d’avoir ce qu’on appelle une politique monétaire. Ceci limite considérablement leur liberté d’action, notamment au niveau social. C’était d’ailleurs probablement le but.
Qu’est-ce que la dette d’un pays ? C’est le montant global de ce qu’il doit. Non, je ne me moque pas de vous. Je voudrais seulement que vous réalisiez que ce n’est pas ce qu’il doit payer dans l’année. Prenons un couple qui gagne à deux 3000 euros par mois et qui achète une maison de 108.000 euros, il a une dette de 3 ans de salaires, autant dire de 300% de sa richesse. Ca ne veut pas dire que sa situation est catastrophique. L’endettement de l’Etat grec est estimé à 113% de sa richesse, 135% prévus pour 2011. Maastricht prévoyait de limiter l’endettement à 60% du PIB (évaluation de la richesse monétaire créée dans un pays dans l’année), seuls l’Espagne et les Pays-Bas respectent encore ce critère, mais pas pour longtemps.

Un peu de bon sens

Est-ce grave docteur ? Ben, ça dépend, essentiellement des raisons qui expliquent le déficit et la dette.
Tout d’abord, il y a une part conjoncturelle : on l’a vu, en période de crise, mécaniquement, le déficit augmente, et tout aussi mécaniquement, il baissera avec la reprise.
Ensuite, le déficit peut être lié à des dépenses courantes trop importantes. Un peu comme un particulier qui vit à découvert. Ca finit généralement mal. Dans ces dépenses courantes, il y a deux catégories :

  • les dépenses de fonctionnement de l’Etat : salaires des fonctionnaires, des flics aux généraux en passant par les profs et les balayeurs, loyers, maintenance du matériel informatique (de plus en plus élevée pour cause de fichage)...
  • les dépenses sociales : chômage, santé, retraite, allocations familiales... En France, ces dépenses ne font pas partie du budget de l’Etat, mais l’Europe dans ses calculs les réintègre dans la dette et le déficit publics, car la législation est différente d’un pays à l’autre.
    Il semblerait que dans le cas particulier de la Grèce il faille ajouter à ces deux catégories un montant important pour la corruption et les détournements, mais là encore, il n’est pas certain que son cas soit unique en Europe.
    Enfin, le déficit peut être lié à des dépenses stratégiques, des investissements : on emprunte pour construire des hôpitaux, des routes, des écoles, mais aussi des casernes, des avions de guerre, etc.. Dans ce cas, le fameux discours du type « on laisse une dette à nos enfants » ne tient pas : avec la dette, ils bénéficieront du patrimoine qui l’accompagne.
    A noter que dans ces deux catégories de dépenses, rentrent aussi bien sûr les aides à l’industrie automobile, les subventions en tous genres pour les entreprises, etc...
    En fait, il y a quand même une grande différence entre un Etat déficitaire et un quidam à découvert. Le quidam ne peut pas augmenter son salaire. L’Etat, lui, peut augmenter les impôts. Si nous vivions en démocratie, le débat ne porterait pas sur le montant des déficits. Il porterait sur la question de savoir quelles dépenses sont utiles, quel sacrifice financier une société est prête à consentir sur ces sujets, et qui doit payer. On retombe toujours sur la même chose : l’Etat n’est pas un outil neutre au service de la gestion d’une société, c’est un instrument de domination.

     Un déficit qui rapporte

Les déficits des Etats se traduisent donc par des emprunts. Bien sûr, ils ne vont pas demander un rendez-vous au conseiller financier du bureau de poste de leur quartier. Surtout que ce sont quand même des sommes qui se comptent en milliards d’euros.
En fait, ils émettent des obligations particulières qu’on appelle bons du Trésor. C’est quoi ? Comme les sommes à emprunter sont très importantes, le montant de l’emprunt est divisé en une multiplicité de parts, qu’on appelle des obligations. Si on émet 100.000 obligations à 1.000 euros remboursables dans 15 ans à 3,5%, c’est comme si on faisait un emprunt de 100 millions d’euros à 3,5% remboursable dans 15 ans. Chaque obligation rapporte à son heureux propriétaire 35 euros par an pendant 15 ans avant qu’elle ne soit remboursée. Et les obligations émises par un Etat s’appellent des bons du Trésor (à cause de « trésor public »).
Où ça s’achète ? En bourse. Qui l’achète ? Plein de monde, surtout des banques, des fonds de pension, bref des spéculateurs. Pourquoi est-ce très demandé ? Parce qu’on considère que les Etats sont sûrs, qu’ils vont forcément rembourser. C’est donc une des valeurs les plus sûres des bourses mondiales. Evidemment, tous ces « investisseurs institutionnels » n’achètent pas des bons du Trésor pour toucher X fois 35 euros par an. Ils les achètent pour pouvoir les revendre plus cher. Bref, on retombe ici sur le fonctionnement des marchés financiers, qu’il serait bien trop long d’expliquer ici. Mais bon, pour faire bref, vous avez tous entendu parler de la santé insolente des banques en ce moment. Ben une des explications, c’est que pour les sauver, les Etats ont emprunté, et qui a acheté ? Les banques entre autres....
Les emprunts des Etats sont donc des valeurs spéculatives d’une grande importance pour les marchés financiers. Par exemple, à la Bourse de Paris, les bons du Trésor émis en 2008 représentaient le quart des nouvelles valeurs émises sur le marché cette année là. Ce sont des valeurs qui sont suivies au niveau mondial : en France, les 2/3 des titres émis par l’Etat sont détenus par des « non-résidents ». La question du déficit public n’est donc pas en fait une question d’impôts, de dettes laissées aux générations futures, etc..., c’est une question de finance mondiale. C’est pourquoi c’est une affaire sérieuse.

 Et la Grèce dans tout ça ?

Que s’est-il passé en Grèce ? Du point de vue du déficit et de la dette, pas grand chose. L’Etat grec est devenu un peu plus déficitaire et un peu plus endetté qu’avant, comme tout le monde en ce moment, sauf qu’il partait d’un endettement et d’un déficit plus fort que la moyenne. En fait, ce qui s’est passé, c’est que sa note a baissé.
Eh oui, les Etats sont notés, au même titre que les banques, les assurances et les très grandes entreprises. Il existe en effet des agences de notation mondiales, vous savez celles qui avaient jugé que Lehman Brothers était très sûre, etc... Qu’est-ce que c’est ? Comprendre les marchés financiers et suivre leurs fluctuations est devenu très compliqué, pas seulement pour le lecteur de « Courant Alternatif », mais aussi pour les « experts ». Or les investisseurs veulent connaître les risques qu’ils prennent. Les grandes banques ont donc créé des agences de notation qui notent régulièrement tous ceux qui émettent des valeurs en bourse en fonction du risque de non remboursement. La note la plus top c’est AAA (c’est d’ailleurs la note de la dette de l’Etat français). La note de la dette de l’Etat grec est passée de A à A- (qualité moyenne supérieure quand même). Il faut dire que les agences de notation en question étaient bien placées pour connaître la situation de la dette, puisque ce sont des filiales des mêmes sociétés qui ont conseillé la Grèce pour la présentation de ses comptes...
On peut peut-être au passage voir dans cette baisse de notation un effet du mouvement social. Il est très rare qu’un Etat n’honore pas sa dette, et au besoin on y remédie par une intervention militaire. Par exemple, ce fut un des motifs des invasions américaines d’Haïti, ce fut aussi un motif d’intervention militaire française au Maroc avant la 1ère guerre mondiale. La dette on le sait est un outil de domination impérialiste. Mais il est un cas de non remboursement resté célèbre : « l’emprunt russe ». L’Etat tzariste avait emprunté pour financer les préparatifs de guerre, et les révolutionnaires russes ont estimé qu’ils n’avaient pas à payer pour une guerre à laquelle ils s’étaient opposés. Le « risque politique » est un des facteurs de notation de la dette. Et la Grèce a sans doute semblé aux agences de notation être un « maillon faible » en Europe.
Qu’est-ce que ça change pour la Grèce, son peuple, son Etat, que sa note aie baissé ? Une chose : l’Etat grec devra payer ses emprunts plus cher. Actuellement, les intérêts des obligations grecques nouvellement émises se font à un taux d’intérêt de pas loin de 5% contre un peu moins de 3% pour l’Allemagne. Et ce taux est en hausse depuis début 2009. Bref, comme la dette grecque devient plus risquée, elle devient plus rentable. Vous avez entendu parler dans ce même journal des subprimes ? C’est un peu le même scenario.
La situation est un peu plus ennuyeuse que cela quand même. Nous vivons dans un monde libéral, mais qui sait réglementer quand il s’agit de protéger les intérêts financiers. Parmi les financeurs de la dette grecque, il y a des banques centrales et des fonds de pension. Ils ont l’obligation dans leurs statuts de placer leurs fonds dans des titres notés « AAA ». La Grèce risque donc de perdre une partie de ses financeurs. D’où ses demandes institutionnelles aux autres gouvernements de la zone euro. Qui ne manquent pas d’en profiter pour poser leurs conditions politiques (privatisations, dégradation du service public, etc...). Où l’on retrouve le mouvement social et la dette comme instrument de domination.

 Panique à bord ?

De fait, ce qui s’est passé suite à cette baisse de notation est assez classique : la Grèce et donc la zone euro a subi une attaque spéculative qui continue d’ailleurs toujours. Le prix des bons du Trésor grecs risque de baisser, donc les financiers les revendent donc ils baissent. Comme il s’agit de montants très importants, la banque centrale grecque, qui justement manque de moyens en ce moment, ne peut pas lutter contre. D’où ses demandes à la Banque Centrale Européenne de racheter à sa place pour enrayer la baisse. Et dans les statuts de cette dernière, elle doit acheter des titres « AAA ». Et par ailleurs, les spéculateurs n’ont pas intérêt à calmer une panique qui rapporte tant.
Quand les financiers revendent, c’est pour placer ailleurs. Or, l’histoire de la Grèce peut toucher d’autres pays de la zone euro : l’Italie est plus endettée que la Grèce, la Belgique n’est pas loin, l’Irlande part d’une dette plus basse, mais elle ne cesse d’augmenter... Bref, ce qui arrive à la Grèce pourrait arriver à d’autres pays de la zone euro.
Donc, ce que les spéculateurs revendent en même temps que des titres grecs, c’est de l’euro, ce qui a tendance à le faire baisser. C’est très ennuyeux pour les places financières européennes. C’est plutôt une bonne nouvelle pour les industriels exportateurs européens (ils vont pouvoir vendre moins cher à l’étranger). C’est plutôt une mauvaise nouvelle pour les consommateurs (les prix des produits importés, bref de l’essentiel de ce que nous achetons, vont augmenter). Mais en tous les cas, ça préoccuppe une Banque Centrale Européenne qui a posé la défense de la monnaie au coeur de ses statuts. Mais ça, c’est une autre histoire (bien qu’un peu la même quand même)...

Votre conseiller financier favori,
le 20 février 2010

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