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Edito 163 Novembre 2006

mercredi 1er novembre 2006, par Courant Alternatif


ON SE BAT À OAXACA…

Au sud du Mexique côté Pacifique, dans la ville et l’Etat d’Oaxaca, un mouvement social, lancé depuis le 15 mai dernier par un rassemblement d’instituteurs contre la vie chère et pour des moyens, s’est transformé le 14 juin face à une répression, sanglante et sournoise, en une mobilisation permanente de toutes les composantes populaires de l’Etat. Ainsi s’est instaurée une Assemblée Populaire du Peuple d’Oaxaca (APPO), qui court-circuite les institutions et demande la destitution du gouverneur.

Contre Ulises Ruiz , gouverneur P.R.I. (1), contre la police, les paramilitaires et les notables, l’APPO réussit à administrer de fait les affaires publiques, malgré d’incessantes manœuvres de déstabilisation (2). Si les médias internationaux ont surtout évoqué l’élection présidentielle de l’Etat fédéral mexicain, le 2 juillet, puis les mobilisations populaires dans la capitale Mexico contre les irrégularités d’un scrutin donnant la victoire par 0,6 % des voix au candidat de droite du PAN, ces mêmes médias - le Monde en tête - ont simplement ignoré ou vaguement évoqué un corporatisme enseignant rétrograde et démagogue qui, au moyen d’une grève irresponsable et d’un campement permanent sur la place centrale, le zocallo, mettait en danger l’essor du tourisme de luxe dans la ville d’Oaxaca … Le PRD, la gauche mexicaine et ses intellectuels, mobilisés derrière Obrador pour la course au pouvoir fédéral, ont été à la hauteur de ce que leurs homologues français seraient capables, dans une telle situation (voir p.7 les intentions de S. Royal, probable candidate de la gauche française aux prochaines élections). Le PRD s’était déjà illustré contre le mouvement zapatiste, dans l’État voisin du Chiapas, et avait voté pour la contre-réforme indigène niant les accords de San Andres… La Commune d’Oaxaca a lancé un appel à la population mexicaine pour venir la soutenir contre l’encerclement militaire et policier, ainsi qu’une marche vers Mexico pour obtenir l’audience et le soutien populaires extérieurs.

Maintenant la crise se noue : reprise du travail des enseignants après la satisfaction de toutes leurs revendications et un vote disputé (à 60 % pour la reprise) le 26 octobre ; division interne à l’APPO entre la « gauche » traditionnelle -partis, syndicats, associations - et la base de la population qui ne veut pas d’un retour à « la normale » ; préparatifs militaires du pouvoir fédéral qui refuse toujours la destitution du gouverneur Ruiz ; raids meurtriers de paramilitaires (3)… L’APPO organise son congrés constituant les 10, 11,12 novembre avec des commissions thématiques préparatoires pour un nouveau contrat social… Comment le pouvoir fédéral, qui va introniser le nouveau président le 30 novembre, peut-il tolérer une telle divagation d’une partie de son territoire, à 500 kms de la capitale, avec un siège gouvernemental et des commissariats vides, des institutions squattées par des commissions populaires.. ? Pour amener le peuple à la raison, il faut plus qu’un simple encerclement ( voir La grande expérience p.14 sur les Palestiniens de Gaza).

Tout comme la Commune coréenne de Kwangju (Courant Alternatif 162 d’octobre dernier) en 1980, la Commune d’Oaxaca est inconciliable avec l’Etat central qui a d’autres projets pour le sud du Mexique. Et pas des moindres !

Le plan Puebla Panama pour l’isthme de Tehuantepec - alternative au canal de Panama, saturé, par la création d’un couloir d’autoroutes, oléoducs, gazoducs et de voies ferrées reliant le Pacifique et le Golfe du Mexique - intéresse les capitaux mexicain et internationaux. Des gisements de pétrole ont été décelés dans plusieurs pays de l’Amérique Centrale, les ressources minières sous les forêts du sud mexicain et guatemaltèque seraient considérables, cette région constituerait un véritable pactole potentiel... Tout comme en Irak et en Islande (voir dans ce CA p.18 la législation irakienne pour briser la paysannerie et p.21 le barrage pharaonique de Karhanjukar), le Capital va projeter sur une région du globe jusque là ignorée - par lui ! - ses capacités de destruction de l’existant et ses objectifs de rendement financier. Seul détail les communautés indigènes, qui vivent encore sur le territoire des états du sud mexicain, fonctionnent depuis toujours sur un autre mode collectif et politique que celui prôné par la Couronne espagnole, puis par l’Etat fédéral (la population d’Oaxaca est indienne à 70 %, ce qui explique un peu cette capacité politique d’auto organisation qui n’apparaît pas du néant…). Difficile de leur acheter leurs terres, incarnant pour elles un mode d’existence collective inaliénable. Militairement l’Etat a les moyens de balayer ces gêneurs vivant là depuis plus de mille ans ; et les troubles d’Oaxaca pourraient motiver l’utilisation de la manière forte, l’instauration de l’état d’urgence…

Mais politiquement, le consensus minimum nécessaire peut-il être obtenu ? La violence politique, très courante au Mexique, peut-elle être utilisée à grande échelle sans être contre-productive, et inaugurer en retour une instabilité inattendue et prolongée, néfaste au business ?

La gauche mexicaine, accrochée au « credo du développement », fut-il durable, et à la gestion des institutions, est probablement prête à collaborer au sale boulot au nom des intérêts supérieurs de la Nation, si sa clientèle électorale ne renâcle pas trop. Les débats qui ont lieu dans l’APPO, et l’échec électoral du PRD mi-octobre dans le Tabasco (Etat voisin,sur le golfe du Mexique) inciteront peut-être la « société civile », éternel godillot des politiciens de gauche, à refuser la logique capitaliste du développement et à joindre ses forces à la base de la population, avançant sans faiblir d’autres perspectives. Il est plus probable que le recours, s’il y a, viendra des populations pauvres des Etats voisins. Les prochaines semaines Oaxaca sera peut-être la ville où un autre futur s’esquissera. Par contre celui-ci ne sortira pas des urnes, ni en mai ni plus tard


Nantes le 28/10/06

1)Le Parti Révolutionnaire Institutionnel domine la vie politique mexicaine depuis 80 ans. Son monopole est contesté par le PAN - Parti d’Action Nationale -, nouveau parti de droite dont fait partie Vincente Fox ( actuel président du Mexique qui intronisera son successeur Calderon du PAN le 30 novembre) et par le PRD - Parti de la Révolution Démocratique - , principal parti de gauche ( ?), dont le candidat à la présidentielle de 2006 et ancien maire de Mexico Manuel Lopez Obrador refuse toujours sa défaite.

2)Le journal CQFD dans ses n° 37 et 38, de septembre et octobre derniers, rend compte de façon détaillée de ce processus. Les sites internet Acrimed et surtout RISAL (http://risal.collectif.net) ont mis en ligne, en reprenant certaines traductions, de nombreux textes.

3)Des blessés et des morts - dont un membre d’Indymédia USA - vendredi 27 octobre après plusieurs attaques contre des lieux occupés : voir Indymédia Paris

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