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VOTER SEGO CONTRE SARKO ? ET PUIS QUOI ENCORE !

mercredi 1er novembre 2006, par Courant Alternatif

Après « Chirac plutôt que Le Pen », voici que se profile à l’horizon de la prochaine présidentielle française « Ségolène plutôt que Sarkozy »… Quels que soient les arguments avancés pour nous inciter à ce « bon choix » - ceux fondés sur la « moins pire » des candidatures, pour éviter à tout prix la « pire », étant sans doute les plus courants dans les milieux d’extrême gauche ou même libertaires -, pas question de marcher dans un remake de la combine visant à nous faire défendre la « démocratie » contre le « fascisme » !
Voici plus de six mois que les médias nous bassinent avec le « phénomène Ségolène » ; la popularité de ladite est allée crescendo largement grâce à eux, la mettant dans les sondages au second tour de 2007 en tête devant n’importe quel concurrent. Cela nous promet bien du plaisir pour les semaines à venir* : pas fini de bouffer les Ségo-Sarko qu’on nous sert déjà à la louche, sur tous les terrains et dans toutes les tenues, étant donné qu’ils se suivent à la plage comme à l’étranger ou dans les régions.


Du bon usage de l’antifascisme…

La « bataille » finale entre la PS et le UMP, si elle a lieu, aura sans doute un caractère moins « dramatique » que celle de 2002 entre l’escroc-mais-défenseur-de-nos-institutions Chirac et l’immonde-salaud Le Pen, puisque les deux candidats en lice s’affichent « démocrates ». Mais Le Pen a-t-il jamais prôné ouvertement un changement de régime ; et quelle différence y a-t-il entre Sarkozy et lui, au fond, sinon que la valorisation par le premier du cadre républicain existant et sa place à la tête d’un parti dominant lui permettent de faire passer plus facilement que le second dans la société française les mêmes idées sécuritaires ? Idem pour « Ségolène », allègrement dans le sillage de l’actuel ministre de l’Intérieur sur de telles idées : si son appartenance politique et son sexe sont présentés par ses partisan-e-s comme les garanties d’un avenir meilleur que ne l’est le présent avec lui, la bouffonnerie du propos saute au nez dès qu’on se penche sur la réalité de son « socialisme » et de son « féminisme ». Et on touche là à l’aberration d’un système où des candidat-e-s prétendant vouloir en éliminer un autre pour le danger « fasciste » qu’il représente ne voient rien de plus payant que de reprendre à leur compte ce qui fait son succès…

En effet, ayant tous deux tiré les leçons de la coupure entre les élites et le peuple, rendue criante notamment par le « non » au référendum, Ségo et Sarko s’efforcent d’offrir une triple proximité : langagière, avec le désir d’user d’un vocabulaire compréhensible par l’électorat ; physique, en se mettant en scène au milieu des gens ; thématique, autour de l’autorité ou du pouvoir d’achat. Ce faisant, ils pénètrent dans le camp l’un de l’autre : lui avec la fin de la double peine ou la « discrimination positive », elle avec la nation et la sécurité. Au final, c’est dans l’électorat de Le Pen qu’ils obtiennent leurs meilleurs scores (les propositions de Royal sur la délinquance y sont selon les sondages plébiscités à plus de 80 %).

Certes, à l’approche du scrutin, « Ségolène » met en sourdine et/ou un bémol à certaines de ses positions connues. Ainsi, elle déclarait (Le Monde, 12/5/05) : « Ce n’est être ni homophobe ni réactionnaire que d’estimer que des opinions réservées sur le mariage homosexuel sont légitimes et respectables (…). S’il s’agit d’une confusion des repères et d’une provocation injustifiée des convictions familiales et religieuses, non ». Elle dit à présent préférer juste l’« union » au « mariage » pour ne pas bousculer les repères traditionnels, car « la famille, c’est un père et une mère » (Le Parisien, 23/2/06). Elle a dans le même temps voté au dernier congrès PS la motion Hollande pour le mariage et le droit à l’adoption des couples homos, sans faire de pub autour, autrement qu’auprès des intéressé-e-s.

Mais si elle lance encore quelques petites phrases qualifiées par la presse de « provocatrices » - par exemple, après la proposition de supprimer la carte scolaire « pour arrêter les hypocrisies : il n’y a plus de mixité sociale », celle de créer des jurys populaires pour juger les élu-e-s -, elle a jusqu’ici réalisé le parcours presque sans faute de la dame souriante, au-dessus des passions comme des basses attaques puisqu’elle vise à incarner la France. Répugnant visiblement aux confrontations directes (tels les débats internes du PS) qu’elle considère comme autant de pièges, elle cherche en effet toujours à négocier les conditions de s’exprimer posément sans avoir à débattre ; elle a fait le tour des fédérations en usant de ce mode, au grand dam de ses adversaires, et le camp de DSK a dénoncé à juste titre son contournement du vote des militant-e-s pour s’imposer par les sondages et les médias. Cette répugnance explique sans doute sa réaction exceptionnellement agressive contre la jeune militante qui l’interrogeait en réunion publique, cet été, sur sa critique des 35 heures : au lieu de répondre à sa question, elle l’a accusée d’être instrumentalisée par l’homme assis à son côté ! Mais même cette attitude ne lui a pas forcément nui : faire montre d’autorité face à une écervelée, manipulée ou non, n’est pas mal vu à droite… ou même à gauche, et peut passer autant pour un simple accès d’humeur que pour un pétage de plomb révélateur d’une certaine paranoïa.

On pourrait arguer que la politicienne Royal ne fait pas davantage que les autres politicien-ne-s : elle se vend en usant de ses atouts, en calculant au plus rentable ; que le choix du « moins pire » est de toute façon, peut-être ou sans doute, le plus fréquent dans une élection. Mais, d’une part, un certain nombre de nos proches ou prétendu-e-s tel-le-s sont susceptibles de nous refaire bientôt le coup du « fascisme », comme en 2002, en allant mettre un bulletin dans l’urne ou même en appelant à le faire ; d’autre part, la démarche sera pour eux-elles plus facile, ou moins désagréable, que précédemment étant donné que Royal est… une femme, et étiquetée socialiste, donc susceptible de susciter en eux-elles quelques illusions « malgré tout », parce que, entend-on déjà ici ou là, aucune candidate ne s’est encore trouvée en situation de gouverner dans l’hexagone.

… mais plus encore de l’antisexisme

Voilà bien le genre d’illusions à dénoncer : Royal serait mieux « parce que » femme ? Et pourquoi donc ? Depuis quand s’intéresse-t-elle à la condition des femmes, d’ailleurs ? On est passé de ses déclarations genre : « Si l’égalité n’est pas encore acquise, les valeurs féminines n’ont plus honte de s’affirmer. Le désir d’enfant a remplacé l’IVG et la morale du libre choix supplante l’égalitarisme obsessionnel » (Le Monde du 10/3/90), où elle enterrait les féministes ringardes au profit des « femmes battantes », à l’affirmation, par les chantres de son comité de soutien « Femmes d’avenir », de son féminisme à tout crin. Pourtant, de son action précédente au gouvernement, hormis la décision d’autoriser la délivrance de la pilule du lendemain dans les établissements scolaires du second degré, on ne lui connaît guère qu’une mesure de congé parental pour les… pères. Or, aujourd’hui, non seulement elle utilise à fond le mot « femme » comme argument électoral, pour se poser en victime (on l’attaque parce qu’elle est une femme…), mais elle use de sa féminité comme aucune autre candidate à la présidence.

Et ça risque de payer : beaucoup de femmes et même d’hommes, de la gauche à la droite modérées, effrayés par les prises de position virulentes d’un macho « facho », c’est-à-dire ultrasécuritaire, peuvent leur préférer le ferme mais courtois discours d’une sécuritaire se parant de « féminisme ». Pourquoi pas donner sa chance à une femme, pour « changer », nous disent par exemple les frères Cohn-Bendit, appelant à choisir celle-ci afin de lutter « contre le machisme ». On croit rêver !

Bien sûr que certains adversaires de Royal - en particulier au PS, jusqu’à présent - sont capables et font preuve de sexisme en mettant en doute sa compétence voire son intelligence, ou en pointant son autoritarisme et son arrivisme. A la vérité, elle n’est ni plus « incompétente » ou plus bête, ni plus dictatoriale ou plus opportuniste que la plupart de ses collègues. Elle a la formation requise (sciences éco, sciences-po, ENA…) et une pratique d’élue (dans les instances régionales et gouvernementales) ; surtout, comme n’importe quel-le responsable politique, elle possède tout un staff qui planche activement pour elle… et si elle était à l’Elysée elle serait moins encore « perdue », parmi sa foule de conseiller-ère-s ! Le gag, par rapport aux attaques de ce genre dont elle fait l’objet, étant que d’après un sondage (BVA/Les Echos du 10/10/06) elle est jugée plus crédible que ses deux rivaux sur tous les sujets économiques (défense du pouvoir d’achat, création d’emplois…) ! Quant à son caractère, elle a prouvé sans mal qu’elle en avait en traînant son père en justice pour son refus de subvenir aux besoins de sa famille ; et quant à son ambition forcenée, elle avoue paraît-il sans complexe avoir pour modèle de référence… Jeanne d’Arc (Challenge du 12/4/06 - encore un bon point aux yeux de l’extrême droite). Cependant, une forte personnalité et un ego surdimensionné sont les conditions sine qua non pour réussir en politique, on le sait, et lequel de ces messieurs n’a pas les dents qui rayent le parquet pour arriver à ses fins ?

Mais si pareilles critiques ne tiennent pas, la manip médiatique qui fait hurler les concurrents socialistes de Royal n’en demeure pas moins vrai, puisque son actuel succès tient sans doute au moins autant à l’efficacité de sa campagne publicitaire qu’à l’expression de ses convictions en matière économique et politique et en sa capacité à les défendre - donc à la forme plus qu’au fond ; du spectacle et de la « communication », une agitation tout aussi people que celle de… Sarkozy, là aussi.

On l’a dit, Royal a surtout jeté jusqu’ici, en direction (au moins) de la droite, quelques formules propres à lui plaire, mais qui, parce qu’elles hérissaient le poil de pas mal de ses « camarades », ont entraîné une rapide pondération de son compagnon Hollande, au nom du parti, tandis qu’elle-même se mettait en mode silence. Et quand elle ne veut pas répondre à une question, « Ségolène » a plein de ressources, depuis « Chaque chose en son temps » (sur l’immigration), « J’ai besoin de réfléchir à un sujet aussi important » (sur l’international), « Il faut arrêter de parler de ce qui va mal » (sur la Corse), « Mon opinion est celle du peuple français » (sur l’élargissement de l’Europe à la Turquie)… jusqu’à sa « réflexion d’une mère » qui se refuse à instrumentaliser les « questions de société » pour faire « dans le coup » (sur le mariage des couples homos) - et là, elle ne manque vraiment pas d’air, la super-spécialiste de tels sujets ! Enfin, l’ultime recours, quasi imparable en ces temps de parité (de façade) obligatoire : « Poseriez-vous la même question à un homme ? »

Double profit de telles opérations : il en reste toujours quelque chose dans les têtes, et en même temps c’est pas le PS qui l’a dit et puis elle était pas officiellement en campagne, alors…

Toute la panoplie du socialisme « moderne »…

Pour notre part, ce n’est sûrement pas sur l’aptitude de S. Royal à gouverner ni sur son absence de positions qu’on lui portera la critique et la combattra, mais sur sa pensée même. Car des idées solidement ancrées, elle en a dans bien d’autres domaines que la vie quotidienne, et certaines de ces petites phrases que l’on nous présente si facilement comme une « dérive » préélectorale populiste en sont le reflet direct. Les calculs opportunistes qu’il y a évidemment chez la candidate PS résident donc en fait surtout dans sa prudente réserve là où elle sait qu’elle a intérêt à ne pas trop s’avancer pour l’heure : en résumé, son blairisme (voir encadré), mélange de libéralisme sur le plan économique et de conservatisme sur le plan social.

Favorable à la croissance, « Ségolène » a vigoureusement défendu le « oui » au traité constitutionnel européen ; elle estime qu’« il peut y avoir dans la libre concurrence des facteurs de progrès si elle est corrigée énergiquement dans ses effets pervers et régulée pour être mise au service du progrès », et que c’est la « mission de la gauche ». Après quoi, à qui lui parle de la situation économique catastrophique des smicards et autres précaires, elle propose… des « cours particuliers gratuits » pour leurs enfants - rien contre la précarité, le surendettement, la spéculation immobilière, la hausse des impôts locaux ou du prix du gaz…

Par ailleurs, Royal, qui mène comme Sarkozy une campagne « à l’américaine » (grâce à son bras droit Nathalie Restoin, directrice générale du groupe publicitaire Ogilvy qui bosse pour Nestlé and Co.), est plus encore que lui appréciée du gouvernement Bush : c’est la candidate à défendre, pour son fervent atlantisme. Voir, pendant l’intervention d’Israël au Liban cet été, sa réflexion qualifiée à tort de « bévue » sur Clinton, à qui on devrait faire appel pour « renouer le fil du dialogue ». Voir aussi sa faible participation aux grandes manœuvres du PS pour s’attacher la communauté arménienne, à propos de l’élargissement européen à la Turquie - un élargissement souhaité par les Etats-Unis pour rapprocher l’Union européenne de l’OTAN.

Bien sûr, lorsqu’on pense à Sarko, on peut éprouver quelque jouissance à l’idée qu’il se prenne une grosse claque, même juste électorale… Mais qui, parmi les gens s’affirmant révolutionnaires, pourrait se satisfaire également d’avoir contribué, par son vote, à la victoire d’une concurrente défendant le même programme sécuritaire et libéral, à l’enrobage près ? Se consoler vraiment avec cet enrobage plus soft, ce « politiquement correct » de la candidature Royal qui favorise l’absorption de l’amère pilule proposée dessous ? Le bouquet, c’est que « Ségolène » base son « autre façon de faire de la politique » (?) sur sa seule appartenance sexuelle (il est vrai que Chirac avait en 2002 promis de « faire du social » : tout est permis…) ; Mme Thatcher a pourtant montré en son temps ce qu’est capable de faire une femme, tout-comme-un-homme, en matière de répression…

Mais, au fait, quand a-t-on entendu « Ségolène » se positionner autrement qu’en défenseuse de valeurs réacs ? Sur la famille, l’éducation, l’emploi ou la sécurité, les relents poujadistes de ses « messages aux citoyens experts » ne doivent pas trop la gêner.

TRAVAIL :« Il est temps de redonner de la valeur au travail », « Il faut donner aux jeunes le sens de l’effort et de la réussite. » Si elle est comme les autres socialistes pour une hausse du SMIC, Royal ajoute que personne « ne doit être payé à ne rien faire ». Elle considère que le CDI n’est plus la norme (sur la question, les motions Hollande, Fabius et Aubry se rejoignent au PS : il faut que les jeunes commencent avec un CDD et une formation en alternance, situation qui peut durer jusqu’à cinq ans pour les emplois-jeunes, et ensuite on doit (?) leur faire un CDI). « Ségolène » n’a pas participé à la mobilisation contre le CPE : non seulement elle n’a jamais manifesté, à l’inverse d’autres leaders du PS, mais de plus elle était pour la suspension, pas pour le retrait du CPE. Et quand elle parle de « concilier performance économique et justice sociale » pour rompre le « déséquilibre ravageur » entre le capital et le travail, elle avoue qu’il s’agit là plus d’une « méthode » que d’un catalogue de propositions.

Concernant les 35 heures, elle n’exclut pas de nouveaux assouplissements de la loi (Les Echos du 22/5/06) ; si les médias lui ont prêté une « critique de gauche » de la grande création socialiste, parce qu’elle a dit défendre les gens qui « ont souffert des 35 heures » en pointant « un spectaculaire assouplissement du temps de travail (…) et une flexibilité accrue » au bas de l’échelle des qualifications et des statuts, elle est en fait surtout pour que « ceux qui veulent travailler plus puissent le faire », comme cela arrange le patronat. Enfin, favorable à un syndicalisme de masse, elle propose de le créer par une « adhésion obligatoire au syndicat de son choix » qui laisse les Thibaud pantois (Les Echos du 18/5/06).

FAMILLE : La lutte contre la précarité doit permettre de mieux se consacrer à la famille et d’« éduquer correctement les enfants ». La ministre déléguée (de 1997 à 2000) à l’Enseignement scolaire Royal a fait campagne pour durcir les sanctions contre les pédophiles (en renforçant l’obligation de signalement et imposant que les fonctionnaires mis en examen soient suspendus et non simplement mutés) ; elle a lancé à la rentrée 1998 une expérimentation, qui a tourné court, d’internats à la campagne pour ados des villes perturbateurs ; elle a intimé aux juges d’« écouter la parole des enfants » pendant l’affaire Outreau. Elle dit, le 31 mai à Bondy, vouloir « recadrer » les délinquants et « remettre au carré » les familles par une « reprise en main lourde », avec placement d’office, au niveau du collège, des élèves « qui font la loi et pourrissent la totalité d’un établissement scolaire » dans des « internats-relais » ; puis, à partir de 16 ans, dans « des établissements à encadrement militaire » au premier acte de délinquance, pour compenser l’« erreur » d’avoir supprimé le service militaire. Elle se vante d’avoir fait intégrer dans le projet PS pour 2007, pour la première fois dans un texte socialiste, la mise sous tutelle des allocations familiales, décidée par les juges quand les jeunes ne remplissent pas leurs « obligations scolaires ».

En 1998 et 2001, Act-Up a dénoncé les préjugés puritains de la ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance Royal, sous la présidence Jospin, et la censure qu’elle a exercée contre des campagnes de prévention du sida dans les écoles et collèges, sous prétexte que la présentation trop crue des diverses sexualités incitait à la débauche.

PATRIE : Sur les thèmes de la nation et de la République, Royal s’est montrée le 29 septembre aussi inspirée que Sarkozy. « Plus les insécurités quotidiennes et sociales et les précarités gagnent du terrain, plus les Français ont mal à la France ; et plus ils s’inquiètent de la pérennité de la nation, moins ils sont portés à la vouloir généreuse avec les siens et hospitalière avec les autres. (…) Le drapeau tricolore et la Sécurité sociale, l’emblème de la République et les outils de solidarité, voilà ce qui cimente en premier lieu l’appartenance commune », etc.

… et presque autant d’habits que dans la garde-robe de Barbie !

Pour faire passer le « renouveau de la politique », la candidate socialiste privilégie, dans son jeu de cartes, celle de la dame, et l’utilise comme si elle était l’unique femme à être en lice. Et ses partisan-e-s ainsi qu’une bonne part des médias s’ingénient à nous convaincre qu’il n’y a en effet qu’elle, alors que de plus en plus de femmes sont désireuses de s’essayer aux plus « hautes fonctions » partout dans le monde et que la France ne fait pas exception. Sur tout l’éventail partidaire, on trouve des figures féminines briguant la présidence de la République - même si c’est un gros morceau, pas évident à faire digérer par l’électorat français. Mais si, pour 2007, les candidates ne manquent pas - M.-G. Buffet, A. Laguiller, D. Voynet… M. Alliot-Marie -, aucune ne se sert de son sexe d’une façon aussi limite putassière que « Ségolène » (à noter d’ailleurs que si elle a porté plainte avec une rare promptitude après s’être fait entarter, elle a laissé tomber les poursuites contre VSD ou Le Parisien pour leur publication de photos « non autorisées » la montrant en maillot de bain l’été dernier). Elle la joue femme-femme, sourire Gibbs scotché au visage, à la recherche de compliments sur sa silhouette comme sur son look… revu pour l’occasion, puisqu’elle a délaissé sa tenue catho intégriste de naguère au profit d’un style bourge classique avec un rien de fantaisie décontractée. Le BCBG de gôche. Et elle nous le sert avec un sacré numéro d’actrice, puisqu’elle réussit à mélanger plusieurs registres, et à apparaître tour à tour en femme séduisante et séductrice presque à la portée de tout le monde, en dirigeante à l’allure de patronne, en mère de famille tellement préoccupée par « ceux qui souffrent » ou en militante socialiste authentique.

Or, parce que M.-G. Buffet remarque à juste titre : « La bonne question à se poser pour savoir si c’est une bonne candidate n’est pas celle de son sexe, mais quel projet elle défend », ou que M. Aubry souligne que la présidence de la République n’est pas affaire de mensurations, les deux vilaines se font traiter de « sexistes » par les pro-Ségo. On re-croit rêver !

« Ségolène » montre une parfaite maîtrise du Net, avec son « forum participatif » - autant que des médias, c’est dire. Image de la femme moderne s’adressant aux internautes forcément aussi modernes, à travers sa campagne « Désirs d’avenir ». Car il y a l’enjeu des 60 000 nouveaux adhérents au PS : d’après un questionnaire qu’a envoyé ce parti par Internet, ce sont surtout des hommes, quadras, avec pour moitié un bac + 3, donc bien la clientèle classes moyennes, consommatrices et communiquantes à se laisser attirer par son chant. Ils-elles n’avaient, à 90 %, jamais adhéré à un parti ; l’ont fait, aux deux tiers, pour « peser sur le choix du candidat PS » ; se positionnent en supporteur-rice-s désireux-ses de nouveauté bien plus qu’en militant-e-s… et raisonnent semble-t-il souvent en politique comme des tambours, à coups de slogans publicitaires. Ces nouveaux arrivants ont créé beaucoup d’animation au sein du parti, où on les a fortement incités à se faire vite connaître d’une fédération afin de pouvoir choisir le-la candidat-e à la présidentielle en novembre, tout en appréhendant ce qui va sortir de leurs chapeaux.

Mais S. Royal, qui a de nombreuses cordes à son arc, tient aussi le discours de la ménagère recommandant une réduction du train de vie de l’Etat, notamment par une « vraie décentralisation », contre le gaspillage ; de la mère soutenant sa famille et le peuple contre les politiciens (!), en accusant ces derniers de pratiquer la langue de bois - comme si elle-même faisait plus concret et clair avec ses formules attrape-tout et jargonnantes type « expertise citoyenne ». Elle a tout un vocabulaire moralisateur (ce qui est « bon » et « bien ») sur la politique, la défense du citoyen… et elle a récemment volé au secours des opprimés avec un « ordre juste » qui constitue le thème central de l’encyclique de Benoït XVI diffusée voici quelques semaines.

Enfin, tout en se démarquant sans cesse de son parti (là encore comme Sarkozy), elle se présente en militante socialiste quand ça l’arrange. L’appareil du PS la gêne, mais elle ne peut s’en passer. Alors, aux débats internes qui se déroulent, elle force le trait de son discours à gauche, contre les « capitalistes » et les « banques », pour essayer de séduire la vieille garde et le camp du « non » au référendum - sans revenir en quoi que ce soit sur les idées sécuritaires et le « refus de l’assistanat » formulés à l’intention de la frange des classes moyennes qui connaît ou craint aujourd’hui un déclassement économique et culturel.

En conclusion, quelles que soient les forces en présence, on ne se laissera pas piéger par une alternative se résumant à élire « la » femme plutôt que n’importe quel homme, la « gauche » plutôt que la droite. Rien à fiche d’avoir pour « Président » une « Présidente » dans ce système capitaliste et patriarcal ! Et tant pis si, en ne votant ni « Ségo » ni « Sarko », les uns se feront traiter de « machos » et les autres de « traîtresses » : nous ne sommes pas du même monde et nous ne voulons pas du leur.

Vanina

* Si par quelque hasard extraordinaire, vu la tournure des événements, Mme Royal n’obtenait pas l’investiture du PS, ce texte aurait au moins servi de défouloir contre la ségolémania galopante.

Du blairisme au « budget participatif » en Poitou-Charentes
S. Royal reprend dans une large mesure les idées préconisées par un courant politique allant de Clinton à Blair. Le blairisme a selon elle été « caricaturé en France », et elle loue les mesures prises par le Premier ministre anglais concernant l’emploi des jeunes, qui sont fondées sur une flexibilité accrue. Rappelons que, pour Blair, la lutte des classes est dépassée, et il s’agit de ramener la social-démocratie à la réalité du présent : le citoyen doit être désormais à même de décider de sa vie en société et d’assumer ses responsabilités grâce à un nouveau « partenariat » avec l’Etat, chargé d’apporter des garanties et non plus de chercher à régler tous les problèmes, selon les vieux préceptes de la social-démocratie. Cette life politics propose d’« élaborer la politique ensemble », en partant des problèmes du quotidien et en brisant - symboliquement - la distance entre celui qui sait et celui qui doit savoir, sur l’argument que chaque citoyen est porteur d’une vérité, d’un fragment d’expérience et de savoir. Elle rejoint par là la philosophie des blogs, où la connaissance de chacun-e est communiquée aux autres… et elle a débouché en Grande-Bretagne sur une concentration du pouvoir sans précédent entre les mains de Blair.
En France, on a vu « Ségolène » (prétendre) confier aux internautes de son site « Désirs d’avenir » le soin de lui rédiger un programme. Elle pratique aussi dans sa campagne une technique politique appelée « triangulation politique », mise en œuvre par Clinton avant d’être reprise par Blair, et selon laquelle la droite étant politiquement et sociologiquement plus forte que la gauche sur certains sujets, la gauche ne peut arriver au pouvoir en ignorant ou attaquant frontalement les valeurs de cette droite ; mieux vaut donc s’approprier certaines de ses thématiques, et conquérir à droite un espace auquel on donnera une allure de gauche. D’où les recettes ségoliennes contre l’insécurité et autres…
Quant à la « démocratie participative », si branchée puisque lancée via Internet, si on nous la présente souvent comme émanant de Porto Alegre, on en retrouve également trace dans le blairisme. S. Royal se vante de l’appliquer en Poitou-Charentes pour « concerter » élèves et professeurs sur le budget des lycées. En vérité, on fait croire à ceux-ci qu’ils ont un pouvoir de décision alors que c’est la présidente de région, surnommée Zapaterreur ou Egolène pour ses évidentes dispositions à déléguer un tel pouvoir, qui tranche sur tout. Elle n’en propose pas moins, comme « remède à la crise du politique », de généraliser cette « démocratie » à travers la décentralisation dans les régions, où les « citoyens experts » seraient consultés au niveau local - et non national - sans pouvoir davantage décider de quoi que ce soit.
Dans le Poitou-Charentes, Royal a donné priorité à l’environnement et à l’éducation ; cependant, la droite a beau jeu de dire que ces deux secteurs bénéficiaient d’un financement équivalent avant sa présidence. Quant à ses autres innovations, elles se réduisent fréquemment à des effets d’annonce. La « gratuité des livres scolaires » se traduit par des chèques-livres de 70 euros, alors qu’ils valent près du double et que le département de l’Indre voisine, de droite, les offre réellement depuis des années ; la paire de charentaises qui devait être fournie aux internes en début d’année pour relancer cette industrie n’a toujours pas atteint leurs orteils ; le « ter à 1 euro » a duré le temps de la pub faite dessus. En revanche, si les plans de licenciement qui se multiplient dans les entreprises de la région (lingerie Aubade, surgelés Marie…), et auxquels « Ségolène » déclare s’opposer, seront peut-être suspendus quelques mois en raison de leur malencontreuse coïncidence avec la présidentielle, le personnel menacé ne se fait guère d’illusions sur leur caractère effectif.

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