Accueil > Courant Alternatif > *LE MENSUEL : anciens numéros* > Courant Alternatif 2009 > 193 Octobre 2009 > Désobéir à l’école : L’été des punitions.

Désobéir à l’école : L’été des punitions.

vendredi 2 octobre 2009, par Courant Alternatif

Pour les enseignant-es du primaire en lutte contre l’application des réformes Darcos ou en refus du fichage des enfants dans Base élève, les convocations pour sanction se sont multipliées au début de l’été, notamment pour les personnes les plus en vue dans la lutte.


Erwan Redon convoqué le 7 juillet pour insuffisance professionnelle devant une commission disciplinaire à Marseille, Alain Refalo traduit devant une instance similaire à Toulouse le 9 juillet pour : Refus d’obéissance, Manquement au devoir de réserve, Incitation à la désobéissance collective, Attaque publique contre un fonctionnaire de l’Education Nationale…
Dans le même temps, différents tribunaux administratifs déclaraient illégaux les retenues sur salaires pour services non faits à l’égard de ceux ou celles qui avaient refusé la mise en place de l’aide personnalisée telle qu’imposée par Darcos.

Alain Refalo s’est vu infliger un abaissement d’un échelon, soit la sanction qui a le plus de conséquences financières sur son salaire : pour les quatre ans qui viennent une perte d’au moins 7 000 euros.
Erwan Redon a dans un premier temps pu contester la validité de la procédure qu’il subissait, une nouvelle commission disciplinaire fut donc convoquée, et s’est tenue le 17 septembre : une mutation d’office lui sera donc infligée, à l’issue d’une parodie de conseil de discipline qui s’est tenue de 15H00 jusqu’à l’aube du lendemain, empêchant toute expression décente à la défense*. De toute façon les décisions étaient déjà prises, et la sanction s’imposait quelle que soit l’issue de la commission, celle-ci n’ayant qu’une fonction consultative, la décision revenant toujours en dernière instance à l’autorité académique. Notons cependant que cette sanction reçoit l’aval d’au moins 2 représentants du personnel qui se sont abstenus, permettant à l’administration de se dégager une majorité**.

Dans l’Hérault, se sont des directions d’école qui sont retirées par l’Inspection Académique à des militants tels Isabelle Huchard ou Bastien Cazals, qui refusent de renseigner le fichier Base Elèves, à l’instar de Jean-Yves Le Gall déjà démis de ses fonctions dans l’Isère…

Derrière ces quelques cas érigés en symbole, ce sont des dizaines d’enseignantEs du primaire qui font face à la répression, comme en atteste le communiqué du Collectif anti-hiérarchie que nous publions ci dessous, et qui rappelle les enjeux de cette lutte dans l’organisation de l’enseignement en primaire.

Les motivations de ces désobéissanstEs sont très diverses, du refus de l’école capitaliste animé par une volonté de transformation sociale, à la défense d’une école républicaine présentée comme un modèle éducatif que l’on serait en train d’abattre, à l’opportunisme politicien qui consiste à contester à la droite ce que l’on a accepté de la gauche dans le secondaire (heure de remise à niveau, aide individualisée…)….

Cependant, malgré les diversités d’approches, ces désobéisseurs de l’éducation se sont retrouvés pour deux journées de rencontre à Montpellier, les 26 et 27 août dernier. De ces rencontres est sortie une Charte de la résistance pédagogique** qui tente de fédérer les initiatives et d’amplifier le mouvement, et sur des bases qui traduisent une radicalisation des positions et une convergence des différentes luttes engagées dans le primaire. Pourvu que cela dure, et pourquoi pas, s’étende au secondaire…

OCL St-nazaire
19/09/09

* On peut retrouver des interviews d’Erwan Redon dans les émissions de l’Egrégore des 14 et 21 septembre 2009 sur
http://oclibertaire.free.fr/spip.ph... et http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...

** Dans l’Education, les commissions disciplinaires sont des commissions paritaires, comptant le même nombre de personnes de l’administration et d’élus du personnel.
A Marseille le conseil disciplinaire contait 20 personnes, dont 10 élus du personnel ainsi répartis : 7 SNUIPP-FSU, 2 UNSA, 1 FO. Quels sont les deux élus qui ont bien pu s’abstenir et permettre le vote d’une sanction à 10 pour, 8 contre, et 2 abstentions ?

*** le texte est disponible et se signe sur http://resistancepedagogique.org/site/
Pour les non-enseignants du primaire, un texte de solidarité est également en ligne.


 Communiqué des enseignants parisiens sanctionnés pour « abus de liberté pédagogique ».

Pour les 13 enseignants ayant refusé publiquement de mettre en place l’arnaque de la pseudo « aide personnalisée », le rectorat de Paris a procédé à de nouveaux retraits de salaire jusqu’en juin, malgré toutes les irrégularités de la procédure reconnue désormais par les tribunaux administratifs.

A Montpellier comme à Marseille, le juge a ordonné la suspension des retraits de salaire décidés par les IA, retenant comme motif "lorsque l’agent, bien qu’effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s’attachent à sa fonction telles qu’elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l’autorité compétente dans le cadre des lois et règlements ; qu’en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que les modalités des obligations de service... n’ont pas été précisées est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée".

C’est aussi tout un ensemble d’abus illégaux, illégitimes que nous souhaitons soulever par le recours que nous avons déposé au Tribunal Administratif de Paris, et, sur le fond, d’atteintes à la liberté d’opinion inadmissibles, puisque nous l’avons constaté à plusieurs reprises, c’est la liberté de critique de la politique gouvernementale qui devient tout simplement intolérable pour le pouvoir.

Nous ne manquerons pas d’attaquer la confusion entre « service non fait » et « désobéissance hiérarchique » qui permet à l’IA de sanctionner financièrement le fait d’organiser autrement les 60 heures.

Ainsi que l’a déjà jugé le Conseil Constitutionnel, une sanction disciplinaire ne saurait être assimilée à une sanction financière.

Mais pour engager une procédure disciplinaire il faut un constat. Et un constat qui atteste d’un manquement par rapport à la définition de l’aide personnalisée, et de la non exécution d’un service défini. Or le problème c’est que justement l’aide personnalisée n’a pas de définition précise et que son cadre est l’objet de caractérisations les plus floues et contradictoires ! C’est d’un côté du « temps d’enseignement » et d’un autre côté ça n’est pas compris dans les 24 heures « d’enseignement » !

C’est du « temps scolaire » et à la fois « périscolaire » ! Est-ce du « soutien », de l’aide, de l’aide « spécialisée », du renforcement, de l’étayage… Et de quelle « difficulté » parle t-on ? Puisque c’est bien là le cœur de l’amalgame et de la confusion qui vise à réduire la complexité d’un problème qui dépasse l’école à la « solution » simpliste énoncée par Darcos :

"…Nous voulons que les professeurs consacrent deux heures aux élèves en grande difficulté, repérés grâce aux évaluations. Ces enfants … on va les aider à faire leurs exercices. Pour ceux-là, le fait de réussir les exercices mécaniques est beaucoup plus rassurant que toute autre méthode." (Débat avec J.Lang)

D’où découle ce qu’annonçait Luc Ferry : "Les deux heures pour les élèves en difficulté… les deux heures de soutien cela permet de supprimer ce que l’on appelle les RASED, c’est-à-dire les réseaux d’aide, de soutien dans les départements et cela fait économiser 8 000 postes."

Quand on parle de "difficulté", on renvoie à l’élève ce qui relève d’une inadéquation, on attribue à l’élève ce qui tient à la nature de la relation ! Mais désormais, la difficulté relève d’un traitement unique.
La question de la recherche de la modalité de l’aide disparaît pour celle de simple reprise de ce qui est déjà fait. Bien plus, elle signifie directement aux enseignants qu’ils seront de désormais seuls face aux difficultés, là où justement ils réclament de l’aide et du soutien pour des actions de prévention, médiation. Ne reste plus que la perspective du "renforcement" pour ceux qui n’obtiennent pas "les bons résultats", c’est-à-dire au fond en exerçant une violence inutile, on produit très exactement l’inverse du résultat escompté.

On voit très clairement que ce dispositif est le pendant de la refonte d’un programme scolaire redéfini par l’extension hégémonique et contraignante de l’évaluation.

Ce choix des deux heures de soutien est aussi la conséquence logique de la mise en place des "nouveaux programmes" et la façon dont ils définissent de manière caricaturale la transmission et les contenus, le modèle mythique du maître qui dispense un savoir et de l’élève qui reçoit, déjà dénoncé en son temps par Montaigne dans ces mêmes termes.

Les "nouveaux programmes" imposés par le ministre sont fondés sur un retour à ce schéma simple (excluant la réalité de l’apprentissage comme expérience existentielle, activité de construction, d’élaboration, de mise en relation, de confrontation, de changement de soi, de transformation globale de celui qui le mène) qui pour être vérifié doit opérer un ensemble de restrictions, de simplifications, des contenus et des méthodes. L’essentiel se résumerait à : la norme, la règle déterminent et permettent l’usage et il suffit de commencer par les plus simples pour aller ensuite au complexe !

D’où la confusion entre enseigner et apprendre, qui va permettre à la fois de sélectionner ceux qui sont en adéquation et les inadaptés, et induit un rapport de pouvoir où se transmettent des contenus fragmentés dont il suffit de contrôler la bonne acquisition, de mesurer le résultat, pour juger de la réussite ou de l’échec.

Le slogan "retour aux fondamentaux" opère une confusion entre ce qui est fondamental dans un apprentissage et cette vieille croyance qu’il y aurait des composants élémentaires de la connaissance, qui de plus constitueraient des préalables à maîtriser, à connaître, avant de savoir !

Et c’est bien sûr tout autre chose que cette mécanique simpliste qui vise à réduire les dimensions relationnelles constituantes du sujet en apprentissage, à isoler ce qui constituerait un processus endogène d’acquisition, de ses conditions, contraintes, de ses liaisons, contextualisations sociales, subjectives que nous tentons de mettre en œuvre dans nos pratiques.

"Cela étant dit," le caractère politique de la répression des « désobéisseurs » n’aura échappé à personne.
Au moment même où les opposants aux contre-réformes sont sanctionnés, d’autres sinistres réactionnaires attachés aux méthodes archaïques simplistes et indigentes, des adeptes de cette "pédagogie de l’abrutissement" dont nous parle J. Rancière dans son ouvrage sur Jacotot, le maître émancipateur, sont récompensés de la Légion d’honneur !
Alors qu’eux sont des « désobéisseurs » notoires qui se sont vantés de ne pas appliquer les programmes officiels sans jamais être inquiétés !

Notre opposition aux contre-réformes Darcos sur la question des programmes, des évaluations, de base-élèves, des EPEP doit emprunter de nouveaux chemins collectifs qui puissent rassembler tous les collègues qui se sont retrouvés sur la plateforme de l’AG nationale.

Nous appelons nos collègues à se retrouver en AG locales pour repenser les modalités de la lutte.

Collectif Anti-Hiérarchie
www.abasleschefs.org
e-mail : contact(a)abasleschefs.org

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette