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interview de Julia Gousseva et Alexei Goussev (juin 2009)

La terreur politique dans la Russie de 2009

Une lettre de Moscou et interview de deux militants russes

lundi 13 juillet 2009, par OCL St Nazaire

Les nouvelles de la répression en Russie sont souvent très factuelles et rarement analysées en fonction de la situation générale du pays. C’est pourquoi nous vous livrons un projet de postface à la réédition de Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression de Victor Serge, composé d’une lettre du centre Praxis de Moscou, d’une introduction d’un camarade, Richard Greeman, à l’interview qu’il a lui même réalisé fin juin 2009 de deux camarades Julia Gousseva, traductrice et militante anarcho-syndicaliste, et de son compagnon Alexei Goussev, historien de l’Opposition de gauche et marxiste, et de l’interview elle-même.


 {{La terreur politique dans la Russie de 2009}}

Au moment de mettre en route une nouvelle édition de Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression de Victor Serge, nous avons reçu de nos camarades de la Bibliothèque Victor Serge et du Centre Praxis de Moscou l’Appel suivant :

« Le 19 janvier 2009 notre camarade Stanislav Markelov, avocat défenseur des droits humains, et la jeune journaliste anti-fasciste Anastasia Barburova furent assassinés en plein jour au centre de Moscou. Notre proche collaborateur Stanislas Markelov, 34 ans, défendait les victimes de la politique du gouvernement russe en Tchéchénie, les anti-fascistes, les militants des syndicats indépendants et des mouvements sociaux. Il participa, en tant que démocrate et socialiste convaincu, à des campagnes pour la justice et la liberté en Russie et au plan international. On se souvient qu’il a présidé le séminaire de Praxis sur la situation dans le Caucase du nord au Forum social de Saint-Petersbourg en 2006. »

« L’assasinat de Markelov et de Baburova est sans conteste possible un acte de terreur politique. Dans l’hypothèse la plus probable, la responsabilité de ce crime revient aux gangsters d’extrême-droite dont l’activité va tous les jours croissant en Russie actuelle. Les attaques violentes sur les "non-blancs" dans les rues de Moscou et d’autres villes sont devenues banales, et récemment on a assassiné plusieurs anti-fascistes bien connus. Parmi les autres victimes du terrorisme politique figurent Anna Plitkovskaya, Magomed Evloev, Mikhail Beketov,. journalistes qui ont critiqué le régime politique actuel de la Russie. »

« La croissance des forces fascisantes en Russie est objectivement encouragée par l’atmosphère politique du pays. Alors que les actes de terreur politique restent pour la plupart impunis, les autorités et leurs média font une propagande effrénée sur les thèmes du "patriotisme", de l’autoritarisme, de l’orgueil de grande-puissance et de la dénonciation des "ennemis" intérieurs et extérieurs. Dans ces conditions, on dépeint comme "héros" les auteurs de crimes contre l’humanité (du passé comme du présent) et comme "traitres", ceux qui résistent. Le dernier article de Markelov, (publié sur le site de Praxis) intitulé Le patriotisme comme diagnostic dénonçait précisément ces idées. Et une heure avant son assassinat, Stanislav avait participé à une conférence de presse pour protester contre la remise en liberté avant terme du Colonel Budanov, criminel de guerre qui avait violé et tué une Tchéchenne. Stanislav, en tant que représentant légal de ses parents, avait reçu des menaces de la part des admirateurs de "l’officier héroïque" Budanov et il fut assassiné quelques jours après sa sortie de prison… »

« Le lien entre la remise en liberté de Budanov et l’assassinat de Markelov, même s’il n’est pas direct, est évident : les deux faits caractérisent la situation réelle dans la Russie actuelle. La société civile internationale ne pourra pas, par ses seules forces arrêter la terreur politique en Russie en ce moment, mais elle pourra faire pression sur les autorités et enfin les discréditer devant l’opinion publique mondiale en dénonçant leur attitude passive et parfois objectivement favorable face à la montée de la violence fasciste . Nous vous demandons donc d’écrire aux ambassades russes dans vos pays pour exprimer votre indignation devant le terrorisme politique en Russie et pour exiger une enquête sérieuse sur l’assassinat de Stanislav Markelov et d’Anastasia Baburova et la punition de ses organisateurs. »

Introduction à l'interview

Ainsi, 90 ans après la défaite de l’Okhrana tsariste dont Victor Serge étudia les archives, 70 ans après l’arrestation de Serge par le régime stalinien, 40 ans après la reconnaissance du Goulag par Khrouchtchev et 20 ans après la glaznost de Gorbatchev, la terreur politique est de retour en Russie.

J’ai donc tenu à ce que cette réédition fasse une place à ce qui se passe dans la Russie actuelle, où la ’démocratie" a eu comme résultat le retour d’une répression de type stalinien pour protéger un régime capitaliste d’État mafieux contre la nouvelle gauche russe.

La gauche occidentale a tendance à ignorer le problème des droits humains dans les pays ex-communistes, honteuse d’avoir si longtemps soutenu le "socialisme réellement existant" de Staline et de ses successeurs. On se solidarise (comme il se doit) avec les Palestiniens, par exemple, mais on ignore à peu près tout de la lutte courageuse des syndicalistes, socialistes, libertaires, démocrates, anti-impérialistes, et défenseurs des droits humains qui sont tous persécutés en Russie.

L’ironie de l’histoire veut que ce soit le personnage de Victor Serge qui fasse le trait d’union entre cette nouvelle gauche russe et la révolution libératrice de 1917, ainsi qu’entre ces militants russes et nous. C’est en 1994 à Moscou où j’étudiais les manuscrits de Serge saisis par le Guépéou lors de son expulsion de Russie en 1936, que j’ai fait la connaissance de la traductrice et militante anarcho-syndicaliste Julia Gousseva et de son compagnon Alexei Goussev, historien de l’Opposition de gauche et marxiste.

Tous les deux grands admirateurs de Serge, ils se sont engagés à nous aider (moi et le fils de Serge, Vlady Kibaltchiche) dans cette recherche. Constatant que la gauche russe avait été coupée pendant 70 ans de l’évolution du marxisme occidental ainsi que de l’anarchisme, du féminisme, du mouvement syndical ou anti-impérialiste, de l’histoire des luttes de classe, etc. nous avons imaginé de créer à Moscou une bibliothèque qui mettrait à la disposition des militants et chercheurs russes des livres et documents en plusieurs langues sur ces sujets.

La Bibliothèque Victor Serge ouvrit ses portes le ler mai 1997 avec une réunion publique sur la Révolution espagnole de 1936. Elle comporte plus de 6000 documents dans son catalogue informatisé. Sur cette base nous avons créé le Centre de Recherche et d’Éducation Praxis , qui depuis 1999 publie en traduction russe des ouvrages socialistes anti-totalitaires jusqu’ici inconnus en Russie [1]

Tous les ans, Praxis organise une conférence internationale sur le thème du socialisme anti-totalitaire, et les contributions sont publiées. Anarchistes, syndicalistes, marxistes et démocrates radicaux se regroupent autour de Praxis et de l’exemple de Serge, qui conjuguait toutes ces tendances. Très engagés, ils publient une feuille d’opposition « Pensée radicale, » défendent les droits humains, et organisent la solidarité avec les réfugiés Tchétchènes. Aujourd’hui, ces activités sont de plus en plus durement réprimées, comme en témoigne l’assassinat, en janvier 2009, en pleine rue à Moscou de notre camarade Markelov, "disciple" moderne de Victor Serge. J’ai donc demandé à Alexei et Julie de faire le point sur la répression politique en Russie aujourd’hui.

INTERVIEW du 26 juin 2009

Richard Greeman : Vous faites partie depuis longtemps de la nouvelle gauche anti-stalinienne en Russie, assez mal connue en Occident. Voudriez-vous nous parler de vos itinéraires politiques ?

Julia Gousseva : J’ai commencé à militer dans une association écologique de quartier en 1988. En 1991, j’ai adhéré à la Confédération des anarcho-syndicalistes (y demeurant jusqu’à la dissolution de son organisation moscovite). En 1991-1992 j’ai travaillé comme secrétaire internationale au centre d’information du mouvement ouvrier « KAS-KOR ».
En 1995, j’ai été parmi les fondateurs de la Confédération des Anarcho-syndicalistes Révolutionnaires, devenue en 1996 section de l’Association Internationale des Travailleurs. Depuis 1997 et jusqu’à ce jour, je suis bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Victor Serge et depuis 1999, membre du Centre d’Etudes et de Recherches « Praxis ».

En 2000, après le déclenchement de la deuxième guerre tchétchène, je suis devenue coordinatrice de la Campagne « Solidarité contre la guerre en Tchétchénie ». Depuis 1991, je travaille comme traductrice-interprète pour le russe et le français. J’ai traduit plusieurs livres et articles publiés en Russie, notamment Ville conquise et Mémoires d’un révolutionnaire de Victor Serge. En France et en Suisse, j’ai participé à plusieurs conférences et rencontres internationales en qualité d’interprète simultanée.

Alexei Goussev : J’ai commencé à militer politiquement pendant la « Perestroïka ». En 1989, alors étudiant à la Faculté d’Histoire de l’Université de Moscou, j’ai rejoint l’aile gauche du Front Populaire de Moscou. Leader, au début des années 90, d’un petit groupe trotskiste, l’Union des Travailleurs Socialistes, mes études d’histoire et mon expérience politique m’ont poussé, au milieu des années 90, à abandonner le trotskisme pour le socialisme démocratique.

En 1996, j’ai défendu ma thèse de doctorat sur l’histoire de l’opposition trotskiste en URSS dans les années 20 et 30. A partir de 1994, j’ai organisé une série de recherches internationales et de conférences pratiques sur l’histoire et la théorie de la gauche anti-totalitaire. En 1997, avec Julia, Richard et d’autres camarades, nous avons fondé la Bibliothèque Victor Serge à Moscou, où par la suite le Centre d’Études et de Recherches Praxis a été organisé. Depuis, je suis président de ce centre. J’ai fait partie des instigateurs de la campagne de « Solidarité contre la guerre en Tchétchénie ». Je suis devenu membre au début des années 2000 du comité de rédaction d’un journal démocratique de gauche Chelovechnost (humanisme) puis de « Pensée Radicale ». J’ai écrit des ouvrages académiques et grand public sur l’histoire de la gauche anti totalitaire, les problèmes du marxisme, l’historiographie et les questions politiques contemporaines. Je suis Maître de Conférences à la Faculté d’Histoire de l’Université d’État Lomonosov de Moscou.

Q. Comment voyez-vous l’atmosphère en Russie aujourd’hui ?

R. Aujourd’hui, l’atmosphère politique en Russie est principalement déterminée par l’autoritarisme croissant du régime Poutine /Medvedev. Inhérente à l’autoritarisme, la répression s’accroît aussi. Sur le plan institutionnel, cela s’est traduit par la création de nouveaux organes gouvernementaux de répression tels que « le Département pour la Lutte contre l’Extrémisme » (« Centre E ») du Ministère de l’Intérieur, mis en place à l’automne 2009 [ ?]. Dans les lois adoptées par la Douma, véritable marionnette entièrement contrôlée et manipulée par l’administration du président, le terme "extrémisme" est interprété de façon très extensive ; il comprend non seulement les « flambées de haine sociale », mais englobe aussi les « activités qui menacent les institutions gouvernementales » et les « fausses accusations » à l’encontre des officiels. Ainsi, le « Centre E » et le FSB (qui succède au KGB) ont beaucoup de travail.

Parmi les cas les plus récents de « lutte contre l’extrémisme » il faut citer les arrestations en mai 2009 de l’artiste Artem Loskoutov à Novosibirsk et du militant des droits de l’homme Alexey Sokolov à Ekaterinbourg. Loskoutov avait organisé un « flash-mob », une manifestation de jeunes arborant d’absurdes slogans, interprétée par les autorités comme une insulte « extrémiste » à l’égard du système. Il a été arrêté pour « détention de stupéfiants », les charges pesant contre lui étant, bien sûr, fabriquées. Quant à Sokolov, il s’est trouvé « coupable » d’avoir réalisé un film décrivant la brutalité de la police (il s’est fait arrêter pour des accusations montées elles aussi de toutes pièces). En ce moment se tient le procès de Youri Samodourov, l’ancien directeur du Centre Public Andreï Sakharov à Moscou. Samodourov est accusé d’avoir organisé l’exposition « Art 2000 Interdit », exposition « portant atteinte aux symboles sacrés de la religion chrétienne et de l’État » et « attisant la haine religieuse ». Il est en fait jugé pour « blasphème » comme au temps de l’Inquisition ! En revanche, les membres d’un groupe ultranationaliste, qui ont attaqué le Centre Sakharov et y ont fait un pogrome, ne sont pas mis en prison ; ils sont au contraire considérés comme de « bons patriotes ».

Le cas d’Alexeï Bichine, jeune antifasciste de Saint-Pétersbourg, présente une situation semblable. Attaqué par un groupe de nazis, il a, en état de légitime défense, blessé deux d’entre eux. Il est actuellement en prison cependant que les fascistes qui l’ont agressé sont laissés en liberté et poursuivent impunément leurs funestes actions. On peut parler de véritable terreur fasciste dans la Russie d’aujourd’hui. Rien qu’au printemps 2009, après le meurtre de Stanislav Markelov, 68 personnes ont été victimes de gangs nazis et 14 ont été tuées. Les activités de l’extrême-droite sont en fait encouragées par la propagande officielle qui joue du puissant levier du nationalisme russe, de l’impérialisme et de la haine des ennemis exterieurs et intérieurs, thèmes auxquels l’agression contre la Géorgie en août 2008 a donné une nouvelle vigueur. Il n’est guère surprenant que dans de telles conditions les antifascistes deviennent l’objet de persécution de la part des autorités. Le cas de Bichine n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Tandis qu’il combat les prétendus « extrémistes » (mais pas les vrais fascistes), le régime russe actuel use de la répression pour renforcer son contrôle sur les divers aspets de la vie publique, et notamment la vie intellectuelle.. C’est ainsi que Boris Sokolov, professeur d’histoire, a perdu son poste au Département des Humanités de l’Université de Moscou après avoir écrit un article « erroné » et « antipatriotique » sur la « guerre d’août » russo-géorgienne. En mai 2009, le Président Medvedev a formé une commission d’État spéciale « afin de combattre les falsifications historiques nuisibles aux intérêts nationaux de la Russie ». Comme les investigateurs de la commission l’ont fait clairement comprendre, par « falsification », ils entendent les dénonciations des crimes du régime stalinien en politique étrangère et intérieure. Pis encore, les députés de la Douma sont en train de préparer une loi prévoyant des poursuites criminelles contre les prétendus « falsificateurs ». Si cette loi est adoptée, on pourrait être incriminé, par exemple, pour avoir dit que les États Baltes furent occupés par l’URSS, que Staline est comparable à Hitler et ainsi de suite.

Toutes les tendances ci-dessus mentionnées ne peuvent aller qu’en s’amplifiant. La la répression va s’aggraver.

Q. Une répression croissante est généralement le signal que le pouvoir craint la révolte par en bas. Par exemple, depuis le Crash de 2008 aux EU, la CIA considère le "désordre civil" comme plus dangereux pour la sécurité que le terrorisme étranger. Quels sont les différents mouvements (et populations) oppositionnels dans la Russie actuelle ? Comment les conditions de la répression politique les affectent ? En quoi sont-ils atteints par la répression ? Que craint le régime ? Autrement dit, quelles sont les sources potentielles de révolte contre le système ?

R. La répression croissante peut s’expliquer à la fois par la logique interne du développement du régime Poutine/Medvedev et par sa crainte d’une révolte venant d’en bas. Une telle crainte existe pour le moins depuis 2004, lorsque l’élite dirigeante redouta que la « Révolution orange » ukrainienne ne devienne un exemple à suivre pour le peuple russe. Maintenant, avec la crise économique planétaire qui touche la Russie de plein fouet, ses dirigeants ont encore bien plus de raisons de redouter une tentative de révolte. C’est ce que démontrent les récents évènements de Pikaliovo [2], où des milliers de chômeurs et leurs familles ont bloqué les lignes ferroviaires fédérales. Poutine, aussitôt, s’est rendu en personne sur les lieux et a accompli une sorte de performance de « résolution des problèmes des travailleurs » en ordonnant aux capitalistes de rouvrir les usines fermées. Mais des centaines de villes en Russie sont en proie à une situation similaire, source potentielle de contestations massives.

Il serait impossible d’apaiser sans violence des protestations à grande échelle, et le Ministère de l’Intérieur s’est déjà préparé à prendre des mesures radicales à l’égard des manifestants. Dès septembre 2002, ses hauts responsables ont secrètement autorisé les policiers à tuer les participants aux « émeutes de masse » et à les mettre dans des « camps de filtration ». La police a usé pour la première fois de cette autorisation en avril 2006, faisant feu contre des manifestants lors d’un rassemblement protestataire au Daghestan. Une personne a été tuée, plusieurs blessées. Personne n’a été puni pour ce crime. Actuellement, le régime au pouvoir dispose de détachements spéciaux qui n’hésiteraient pas à utiliser les armes contre les civils – particulièrement ces milliers de policiers qui ont participé aux guerres de Tchétchénie et ont déjà du sang sur les mains.

Cependant, je n’exagèrerais pas le potentiel des contestations de masse dans la Russie d’aujourd’hui. Emeutes spontanées et actions de masse ne pourraient mener à la révolution qu’avec le concours de forces politiques et sociales à même de les organiser et leur donner un caractère conscient. Le problème est que de telles forces sont actuellement très faibles et disséminées dans notre pays. Et bien entendu, elles font partie des cibles élémentaires de la répression d’État. Je veux parler des groupes d’opposition démocratique radicale, des ONG des droits de l’homme et des syndicats libres. Sous la législation draconienne actuelle issue de la Douma de Poutine, n’importe quelle ONG peut être dissoute par les autorités si elles décrètent que ses activités « contredisent les intérêts de l’État » (même si de tels intérêts ne sont ni mentionnés ni décrits dans les documents officiels). Un bon nombre d’ONG ont déjà été dissoutes, la première étant « la Société de l’Amitié Russo-Tchétchène » dont le Président, Stanislav Dmitrievski a été traduit devant les tribunaux, soi-disant pour « extrémisme ».

Les syndicats libres subissent aussi la pression continuelle de l’État et des capitalistes. Il existe des cas de répression contre leurs militants. A titre d’exemple, à l’automne 2008, Valentin Ourousov, qui avait créé un syndicat indépendant au sein des entreprises de la Société Alrosa à Yakoutia, fut arrêté sous l’accusation fausse de « vente de stupéfiants ». Une campagne internationale active de soutien à son égard a abouti à sa libération en mai 2009, mais les charges qui pèsent contre lui n’ont pas été levées jusqu’à présent.

A l’heure actuelle, les diverses organisations et groupes civils, très petits, ne constituent pas une menace directe pour le système politique existant, mais leur développement, leur renforcement et leur rassemblement seraient pour lui un danger potentiel, d’où la répression croissante à leur égard.

Q. En quoi la répression actuelle sous le régime FSB-Mafia diffère-t-elle de la répression stalinienne ?

R. La répression sous Staline et sous Poutine diffèrent évidemment en importance et en intensité. Aujourd’hui, fort heureusement, nous n’avons pas un régime totalitaire qui userait massivement et systématiquement de la terreur , et enverrait des millions d’âmes au goulag. Il existe cependant quelques similitudes avec l’époque de Brejnev. Par exemple, les tentatives d’utilisation de la psychiatrie comme arme à l’encontre des dissidents. Citons le cas de Rybinsk, interné en hôpital psychiatrique en 2007 puis relâché grâce à une vaste campagne publique .

Q. Comment ce retour de la répression affecte-t-elle les activités de la Bibliothèque Victor Serge et votre travail de militants du Centre Praxis ?

R. Mon expérience personnelle de la répression d’État remonte aux années 80. Des groupes démocratiques, opposés à la domination du Parti communiste, commençaient à organiser leurs premiers rassemblements et manifestations. La police tenta de les réprimer. Je fus interpellé et emmené plusieurs fois au poste de police pour avoir participé à ces événements, puis relâché au bout de quelques heures. Toutefois, les années Gorbatchev et le début des années Ieltsine furent dans l’ensemble bien plus libérales que les temps que nous vivons à l’heure actuelle. En 1990, l’opposition pouvait normalement tenir des manifestations et des piquets de grève dans le centre de Moscou. Une fois, en 1991, notre groupe parvint même à organiser un rassemblement sur la Place Rouge ! Différentes organisations politiques pouvaient agir librement et coopérer avec les députés élus au niveau de la section et de la ville. On pouvait imprimer et distribuer des journaux ou des tracts sans aucun problème. Mais lorsque la nouvelle élite dirigeante « postcommuniste » a consolidé son pouvoir, la situation a changé. La répression a commencé à refaire surface, particulièrement lorsque Poutine a pris le pouvoir et déclenché la seconde guerre tchétchène en 1999. A ce moment-là, notre bibliothèque Victor Serge, où une campagne de « Solidarité contre la guerre » se mettait en place, occupait des locaux dans une bibliothèque municipale de quartier. Les « Tchékistes », comme ils se font encore appeler, ont rendu visite aux responsables de la bibliothèque et les ont mis en garde contre les activités « suspectes » de Praxis. Bien entendu, nous avons été rapidement contraints de quitter ces locaux et avons dû en chercher d’autres. Mais au bout d’un an, l’administration du district où nous avons trouvé de nouveaux locaux a elle aussi considéré nos activités « suspectes » ! Et nous avons dû à nouveau changer de lieu !

Notre journal « la Pensée Radicale » a connu un sort similaire. En 2005, après une nouvelle montée de répression liée à la « révolution orange » en Ukraine, une grande imprimerie, qui imprimait auparavant nos livres et journaux, a soudain refusé de continuer à le faire sous prétexte que nos écrits « contenaient des éléments anti Poutine ». Nous avons dû faire appel à une petite imprimerie, mais ultérieurement, même de telles petites entreprises ont fini elles aussi par avoir peur d’imprimer la presse d’opposition. Après la mise sous contrôle étatique de la plupart des journaux, de la télévision et de la radio, Internet est aujourd’hui en Russie le seul media libre.

En été 2006, le régime de Poutine a exécuté sa première « opération de masse » contre les dissidents. Cela s’est produit avant le Forum Social Russe qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg et coïncidait avec la rencontre du G-7 organisée elle aussi là-bas. Des douzaines de participants au forum ont été arrêtés comme « extrémistes » potentiels, des personnes bien plus nombreuses encore ont été interpelées par la police à des fins d’interrogatoires « préventifs » (consistant habituellement en menaces), d’autres – dont nous étions – ont reçu la visite de policiers à leur domicile. Par la suite, c’est à partir de telles tactiques d’intimidation que s’est structuré le dispositif de lutte contre les opposants au régime.

R.G. Je m’en souviens très bien. Et c’est là où j’ai rencontré Stanislas Markelov, martyr de la répression, qui avait présidé la réunion sur la situation dans les Caucases.

P.-S.

Le Centre d’éducation et de recherches “Praxis” (109443, Moscou, B.P. 7) est une organisation non gouvernementale créée par un groupe de savants et de militants des mouvements sociaux et civils en 1998 qui s’organise autour de la Bibliothèque publique Victor Serge.

Les objectifs du CER « Praxis » :

<http://www.praxiscenter.ru>

►études des idées sociales et politiques de la gauche (anti-totalitaire), de l’expérience historique des mouvements pour l’émancipation ;

►diffusion et développement des idées humanistes, internationalistes, socio-démocratiques et libertaires ;

►concours aux mouvements sociaux qui luttent pour les droits et les libertés de l’homme, la justice sociale et l’autogestion.

Notes

[1entre autres La Révolution inconnue de Voline (sur le mouvement Makhnoviste en Ukraine), Marx critique du Marxisme de Maximilien Rubel, les analyses du Stalinisme de Tony Cliff et de Raya Dunayevskaya, une anthologie de la Gauche communiste en Russie, et bien sûr Les Mémoires d’un révolutionnaire et d’autres ouvrages de Victor Serge. (voir notre site en quatre langues www.praxiscenter.ru)

[2ville de la région de Saint-Pétersbourg

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