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QUAND LA GRIPPE AVIAIRE PASSE, LA PETITE PAYSANNERIE TREPASSE.

vendredi 1er décembre 2006, par Courant Alternatif

Un coup de maître de la manipulation politico médiatique mâtinée de sécuritaire aura été l’occasion d’industrialiser d’avantage le secteur avicole : interdiction de la volaille en plein air, élimination des petits producteurs, réapprovisionnement des fermes industrielles avec des poulets génétiquement modifiés sont les réponses du capitalisme à la crise de la grippe aviaire. De plus, cet épisode démontre l’emprise impérialiste qui vise à empêcher que les pays sous domination puissent réaliser leur autosuffisance alimentaire.


Cet article est réalisé à partir de rapports, communiqués de presse et articles du GRAIN datés de février à mai 2006, ainsi que d’une première synthèse signée " L’Alain ", parue dans le " Monde Libertaire " de juin 2006.
L’expansion de la production avicole industrielle et de ses réseaux commerciaux a en effet créé les conditions idéales à l’apparition et à la transmission de virus telle la souche H5N1 de la grippe aviaire. Une fois qu’il a pénétré dans les élevages industriels surpeuplés, ce virus peut rapidement se développer et devenir mortel. L’air vicié par la charge virale est transporté sur des kilomètres à partir des fermes infectées, pendant que les réseaux d’échanges commerciaux intégrés répandent la maladie par les nombreux transports d’oiseaux vivants, de poussins d’un jour, d’œufs à couver ou à consommer, de viande, fientes de poulets ... (Les fientes de poulet et les litières des élevages industriels de volaille sont des ingrédients courants de l’alimentation animale).
Ajoutons que les variétés industrielles de volaille existantes (une petite poignée) ont été créées pour que les individus croissent rapidement. Cette croissance rapide est encore renforcée par l’enfermement dans un espace aussi réduit que possible (voire par l’usage d’hormones), et par le fait que les volailles sont saturées d’antibiotiques (mélangés à la ration alimentaire) en raison de leur faible résistance à l’agression microbienne. La plupart crèveraient par auto empoisonnement si elles n’étaient pas abattues lorsqu’elles ont atteint leur poids commercialement rentable (au bout d’environ 40 jours).

A titre d’exemples : en Malaisie, le taux de mortalité chez les poulets des villages est seulement de 5 %, ce qui indique que le virus a du mal à se propager dans les petits élevages ; les manifestations de H5N1 au Laos - qui est entouré de pays infectés - se sont seulement produites dans des élevages industriels, lesquels sont approvisionnés par des établissements d’incubation thaïlandais. Les seuls cas de grippe aviaire dans la volaille de basse-cour - plus de 90 % de la production du Laos ! - se sont produits à proximité de fermes industrielles…
La raison principale pour laquelle le Laos n’a pas souffert des manifestations généralisées de grippe aviaire comme ses voisins tient à ce qu’il n’y a presque aucun contact entre les élevages à petite échelle, qui produisent l’essentiel de la nourriture destinée à leur volaille, et ses exploitations commerciales, intégrées à des compagnies avicoles étrangères. Le Laos a efficacement enrayé la maladie en fermant la frontière à la volaille de Thaïlande et en éliminant les poulets dans les exploitations commerciales. Cela étant, si les petits paysans laotiens ont été peu concernés par la menace d’une extension de l’épidémie à partir des entreprises infectées, la raison en est que - à la différence de ceux de la Thaïlande et du Viêt-nam - ils ne se fournissent pas auprès des grandes compagnies en poussins d’un jour et en alimentation pour leur volaille. L’expérience du Laos suggère que la clef de la protection de la volaille élevée en basse-cour, et des personnes, contre la grippe aviaire est de les protéger de l’aviculture industrielle et de ses produits dérivés ; ce qui est relativement facile dans un pays comme le Laos où il y a peu de fermes industrielles, peu d’utilisation d’intrants extérieurs et, essentiellement, des systèmes alimentaires locaux.
Au Nigeria, des cas de contamination se sont déclarés au début de cette année ; le foyer d’origine était un élevage industriel éloigné des axes principaux de déplacement des oiseaux migrateurs et appartenant à un membre du Conseil des ministres… bien connu pour importer des œufs à couver hors réglementation. En Inde, les autorités locales ont indiqué que le virus H5N1 est apparu et s’est répandu à partir d’une ferme industrielle, appartenant à la plus grosse compagnie avicole du pays, les couvoirs Venkateshwara.
La transformation de la production de volailles en Asie ces dernières décennies est stupéfiante : en Chine par exemple, la production a triplé pendant les années 90, pour passer à plus de 9 millions de tonnes par an. Pratiquement, toute cette nouvelle production de volaille provient de fermes industrielles concentrées à la périphérie des villes principales et intégrées dans les systèmes de production transnationaux : l’idéal pour la reproduction des souches hautement pathogènes de la grippe aviaire - comme la souche H5N1.
De leur côté, les gouvernements des pays de l’Union Européenne ont répondu à la découverte de migrateurs infectés par des mesures sévères obligeant à l’enfermement des volailles (et, parfois, à la vaccination) parce que quelques experts fortement médiatisés ont déclaré que nous sommes à l’aube d’une pandémie humaine qui pourrait tuer des millions de personnes (créant ainsi une épidémie de psychose à l’encontre des volatiles de toute plume vivant en liberté).
Or, la première et seule manifestation significative en France s’est déclarée dans un gros élevage industriel de dindes de l’Ain, où les 11 000 volatiles étaient bien sûr confinés.

Qui est le dindon de la farce ?

Le développement de cette souche mortelle (pour la volaille ou les oiseaux sauvages, mais très rarement pour les humains : un peu plus de 101 décès à la mi-mars 2006) est essentiellement un problème lié aux pratiques d’élevage des industries avicoles. Son épicentre se trouve dans les fermes d’élevage industriel de Chine et d’Asie du Sud-est, et - alors que les oiseaux migrateurs peuvent éventuellement transporter la maladie, au moins sur de courtes distances - son vecteur principal est l’industrie multinationale avicole, laquelle est extrêmement automatisée et disperse ses produits et les déchets de ses élevages à travers le monde par une multitude de canaux.
Pour aggraver les choses, les gouvernements et les organismes internationaux, suivant des hypothèses erronées sur la manière dont la maladie se répand et s’amplifie, continuent à prendre des mesures pour imposer le confinement et poussent à industrialiser davantage le secteur avicole.
Un incident connu est cité à charge contre les oiseaux sauvages : un cas de contamination massive par le H5N1 parmi des oies sur le lac Quinghai, en Chine du nord. Une théorie a été rapidement construite sur la façon dont le virus a été ensuite transporté par celles-ci vers l’ouest : Kazakhstan, Russie et même Turquie. Mais les organisations de défense des animaux, et notamment la BirdLife International, ont fait remarquer que de nombreux élevages de volaille entourent le lac Quinghai. Elles ont également noté qu’il y a dans le secteur une entreprise piscicole - qui avait bénéficié à sa création d’une aide de la FAO - et que les fientes de poulet sont fréquemment employées comme nourriture et engrais dans les exploitations de pisciculture intégrées chinoises. En outre, la région du lac est desservie par un réseau routier et ferroviaire abondant, qui la relie aux secteurs où la grippe aviaire s’est manifestée, tel celui de Lanzhou (origine de la volaille infectée qui avait déclenché l’apparition du H5N1 au Tibet, à 2 400 km de distance). Cependant, aucun de ces scénarios, différents de la thèse officielle, n’a retenu l’attention de la FAO ou des autres autorités internationales importantes.

La faiblesse principale de la théorie de la responsabilité des oiseaux migrateurs est que la diffusion géographique de la maladie ne correspond pas aux itinéraires ni aux saisons de migration. " Aucune espèce n’émigre de Quinghai, en Chine de l’ouest vers l’Europe de l’est ". Le tracé des cas de contamination suit les itinéraires des routes principales et des voies de chemin de fer, pas les voies aériennes. Si les migrateurs transmettent la maladie, pourquoi la grippe aviaire n’a-t-elle pas frappé la Birmanie, et pourquoi est-elle restée confinée à quelques exploitations commerciales au Laos, quand chacun de ces deux pays est entouré de voisins infestés par le virus ?

Les groupes de défense des oiseaux nous ont aidés à comprendre à quel point les oiseaux sauvages sont les victimes, et non les vecteurs, de la forme fortement pathogène de la grippe aviaire. Si ces populations sauvages ne sont pas exemptes de grippe aviaire, elles ne sont naturellement porteuses que de souches relativement bénignes. Mais, dans des exploitations d’élevage surpeuplées, le virus bénin peut évoluer rapidement vers des formes plus pathogènes et fortement transmissibles, capables de sauter la barrière des espèces et de se propager à son tour chez les oiseaux sauvages, qui sont sans défense contre la nouvelle souche. En ce sens, H5N1 est un virus de volaille domestique susceptible de tuer les oiseaux sauvages… et non le contraire !

La volaille de basse-cour est une solution, pas le problème !

" Le poulet de basse-cour est le grand problème et le combat contre la grippe aviaire doit se jouer dans les cours des pauvres du monde. " (Louise Fresco, directrice générale adjointe de la FAO.)
L’argument utilisé contre l’élevage de la volaille en basse-cour se présente généralement comme ceci : dans les cours des petites fermes, la volaille vagabonde à l’air libre, entrant en contact fréquent avec les oiseaux sauvages portant le virus et avec les humains vulnérables à la transmission. On dit que ces fermes représentent un bouillon de culture où la maladie circule constamment. Ces élevages sont également frustrants pour les autorités à cause de leur nature même - de petite taille, en plein air, dispersés et informels - caractéristiques qui rendent difficile la mise en application de leurs deux mesures de contrôle principales : l’abattage ou la vaccination.

La FAO, l’OMS et des organismes gouvernementaux désignent comme responsable les basses-cours de fermes, avec des appels à des contrôles plus stricts de leur fonctionnement et à une plus vaste " restructuration " du secteur avicole ! Parallèlement, les grosses compagnies de l’industrie avicole essaient même d’utiliser les cas déclarés de grippe aviaire comme " occasion " d’éliminer ce qui reste de la production de volaille à petite échelle.
L’élevage à la ferme n’est pas un passe-temps futile pour les populations rurales. C’est le nœud de la sécurité alimentaire et des revenus agricoles pour des centaines de millions de pauvres en Asie et ailleurs, fournissant un tiers des protéines consommées à une famille rurale moyenne. La volaille est par conséquent un élément essentiel dans leur mode d’agriculture diversifiée, tout comme la diversité génétique de la volaille des petites ferme est cruciale pour la survie à long terme de l’aviculture en général.


La grippe, arme de destruction massive de la paysannerie.

Derrière l’attaque contre les élevages de poulets de basse-cour, il y a un programme plus sinistre. A la première page de la Stratégie mondiale pour le contrôle progressif de la grippe aviaire de la FAO et de l’OIE (Organisme mondiale pour la santé des animaux), on peut lire : " Il devient de plus en plus évident que beaucoup de réservoirs de l’infection peuvent être trouvés dans le monde en voie de développement, en particulier parmi les animaux d’élevage des zones à faible revenus, c’est-à-dire parmi les ruraux pauvres. Ceci entraîne des risques sérieux pour le secteur des animaux d’élevage, qui est confronté à une demande en expansion rapide de protéines animales alimentaires dans beaucoup de pays en voie de développement, liée à l’urbanisation croissante, à l’augmentation des revenus disponibles, et qui fait passer l’alimentation d’une alimentation à base de féculents à une alimentation à base de protéines. Il y a là des opportunités considérables pour la croissance économique, en particulier dans les zones rurales, à tirer de ce processus, communément appelé révolution de l’élevage. "

Qu’est devenu le soutien apporté de longue date par la FAO à l’aviculture diversifiée ? Cette organisation est soudainement préoccupée par la protection de l’industrialisation de la production de volaille (la " révolution de l’élevage ") contre les risques prétendument venus de l’aviculture à petite échelle. Elle a même commencé à parler ouvertement d’une industrie de la volaille restructurée du futur en Asie, qui aurait :

  • Des marchés plus concentrés, des producteurs moins nombreux et plus importants (moins de petits paysans) ;
  • Des zones de production de volaille où l’infrastructure pourra être concentrée ;
  • Une compartimentation pour les pays d’exportation, organisée de telle manière qu’un cas de contamination mineur d’un compartiment ne puisse guère affecter les exportations ;
  • des marchés de volaille vivante déplacés aux périphéries des villes, avec moins de commerces autorisés, un abattage centralisé et un grand nombre de points de vente dans les supermarchés des grandes villes ;
  • L’obligation d’enfermer toute la volaille dans des endroits clos.

Cette conception signerait la mort des petits élevages asiatiques. Rien que pour le Viêt-nam, la FAO admet que la mise en place de " zones de production " aurait pour conséquence la perte de revenus pour 1 million de petits producteurs commerciaux.

Les usines à produire la maladie.

Les poulets élevés en plein air sont plus sains parce qu’ils peuvent courir partout. Je fais attention à eux et je sais quand ils tombent malades. Dans l’usine, personne ne fait attention, et c’est difficile de savoir quand un animal est malade. (Mme Thanh, agricultrice, Viêt-nam.)
En septembre 2004, les autorités cambodgiennes ont rapporté un autre cas de grippe aviaire dans l’une des quelques exploitations commerciales du pays. Cette fois, elles ont identifié la source de la contamination : des poussins d’un jour fournis à la ferme par Charoen Pokphand (CP), la compagnie thaïlandaise qui est le plus grand producteur de volaille et d’aliments pour volaille en Asie.
Les manifestations de la grippe aviaire au Cambodge n’ont en général touché que les exploitations commerciales. Et celles-ci y sont liées, d’une manière ou d’une autre, à CP, soit par contrat, soit par achats d’intrants, tels les poussins d’un jour et l’alimentation que CP importe de Thaïlande .
Il a nié les accusations cambodgiennes, alors même qu’au Laos les cas de grippe aviaire n’ont guère affectés que les élevages de volaille ayant importé les aliments et les poussins de Thaïlande. Ce qui semble aussi le cas en Birmanie, où il a été rapporté un cas de contamination d’une ferme industrielle approvisionnée en poussins par Charoen Pokphand.

Quant au commerce mondial de l’aliment pour la volaille, un autre facteur de cette pagaille généralisée, il est dominé par les mêmes compagnies celles qui produisent industriellement le poussin d’un jour, l’œuf ou le poulet de chair, directement ou par contrat d’intégration verticale. Un des ingrédients ordinaires dans l’alimentation industrielle des poulets est réalisé à partir des " déchets de volaille "..., un euphémisme pour désigner tout ce qu’on trouve sur le sol des élevages industriels : matières fécales, plumes, litières, etc. La viande de poulet, sous l’étiquette " farine de sous-produits animaux ", entre également dans l’alimentation industrielle des poulets. Or, l’OMS déclare que la grippe aviaire peut survivre dans les fèces des volatiles jusqu’à 35 jours et, dans une mise à jour récente de sa fiche d’information sur la grippe aviaire, elle mentionne l’alimentation comme milieu possible pour la diffusion de la grippe aviaire entre les fermes.

Ne faudrait-il pas commencer à prendre la grippe aviaire au sérieux ?

La grippe aviaire n’est qu’un scandale de plus parmi ceux qui ont éclaté dans d’autres secteurs de l’industrie alimentaire multinationale, de la maladie de la vache folle au maïs Star Link. Il est tout simplement honteux que l’industrie avicole essaye de jouer sur la gravité de cette épidémie pour en faire une occasion supplémentaire d’accroître ses profits sur le dos des petits paysans.
Ce n’est pas une petite affaire. Le virus H5N1 est une réalité, et les inquiétudes quant à une pandémie humaine le sont aussi. Cependant, si nous acceptions la théorie de la responsabilité des oiseaux sauvages et des basses-cours et ignorions le rôle de l’industrie avicole multinationale, nous ouvrons grand la porte à une pandémie de ce type. La stratégie de maîtrise du virus H5N1 par la destruction des basses-cours génétiquement diversifiées et par le développement d’exploitations bien plus intensives de volaille, augmentera paradoxalement la possibilité - ou probabilité, comme certains le pensent - d’une pandémie mortelle en provenance des élevages industriels à grande échelle, cœur de la production et du commerce globalisés du poulet aujourd’hui.
" Il est possible que les oiseaux sauvages puissent présenter le virus, mais c’est par les activités humaines de commerce et d’échanges que la maladie se propage ", a indiqué Juan Lubroth en janvier 2006. Mais rien de suffisant n’est fait pour s’attaquer à, ou simplement identifier, ces " activités humaines " à l’origine de la crise de la grippe aviaire. Si l’épidémie actuelle de grippe aviaire est aussi sérieuse que l’OMS le prétend, si des millions de personnes pourraient mourir d’une pandémie de H5N1, alors comment se fait-il que cette industrie continue à fonctionner avec si peu de surveillance et tellement d’impunité et de soutien de la part des gouvernements ?
L’ironie est qu’une réorientation totale vers un élevage industriel, ramène directement la " solution " proposée à l’origine du problème.

Extrais notamment de GRAIN, " Qui est le dindon de la farce ? Le rôle central de l’industrie de la volaille dans la crise de la grippe aviaire " Février 2006, traduit de l’anglais par Christine Domerc (BEDE)
http://www.grain.org/briefings/?id=195
GRAIN est une ONG dont le but est de promouvoir la gestion et l’utilisation durables de la biodiversité agricole, fondées sur le contrôle exercé par les populations sur les ressources génétiques et les connaissances locales.

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