lundi 1er juin 2009, par
À l’occasion de la préparation d’un camp international « no border » à Calais fin juin 2009, il a semblé intéressant de refaire circuler ce texte, initialement paru dans le bouquin collectif Politiques migratoires. Grandes et petites manœuvres (éd. carobella, 2005) – suivi par un article précisant le contexte contemporain dans le Calaisis, publié en janvier 2009.
Voir en ligne : No border Calais - juin 2009
Rappelez-vous, un petit village de la côte d’Opale, des milliers de femmes et d’hommes parqués dans un hangar industriel en attente d’un hypothétique passage vers l’Angleterre. Un camp pour étrangers ceinturé de grillages et de barbelés à quelques kilomètres des quais d’embarquement du tunnel sous la Manche. Sangatte, trois ans durant, témoignera de ces zones de relégation dans lesquelles les États retiennent aux frontières de l’Union européenne celles et ceux qui cherchent à les franchir. Quelques années après la fermeture du camp, la condition des 2 à 300 « réfugiés », sans-papiers (1), en errance sur le littoral demeure inchangée.
Dans ce contexte, comment des militants anticapitalistes et libertaires regroupés autour d’un journal local et vivant à 30 km de là pouvaient-ils intervenir ? Quels axes choisir ? Comment réagir à l’évolution d’une situation relativement particulière ? (2)
Les pages qui suivent, largement inspirées de notre publication La Mouette enragée (3), sont le fruit d’un travail collectif entrepris depuis 1999. Elles témoignent du regard porté et de l’action menée en riposte à l’offensive sécuritaire et xénophobe de l’État. Certaines ont été écrites à l’époque des évènements, ou en réponse à des textes ou des situations qui venaient de se dérouler, et sont donc historiquement datées. Dans cette optique, nous avons choisi d’aborder successivement les conditions d’accueil des sans-papiers en Angleterre, la question du travail et les mobilisations sur le littoral. Nous avons tenté de demeurer attentifs aux évolutions politiques en matière de lutte contre l’immigration dite clandestine, tant à l’échelon national et européen qu’en fonction des tenants et aboutissants des phénomènes migratoires dans leur globalité.
Les positions exposées reposent sur des analyses de la situation emblématique du Calaisis, à partir de laquelle nous avons cherché à inscrire nos actions et réactions. Dans la mesure du possible, nous l’avons fait en lien avec une dynamique de lutte et dans une logique d’élargissement : de l’action du Comité de sans-papiers 59 (CSP 59-Lille) aux enjeux posés par les sans-papiers du littoral de la Côte d’Opale. Du camp de Sangatte au centre de rétention administrative (CRA ) de Coquelles, modèle à plus d’un titre (!), des tarmacs de Lesquin ou Roissy au terminal Eurostar de Calais, de la forteresse européenne continentale aux falaises de Douvres, c’est au travers de nos initiatives comme des luttes auxquelles nous nous sommes associés, avec plus ou moins de bonheur, que nous proposons de contribuer au présent ouvrage.
Si vous avez manqué le début : en 1994, Amnesty International attire l’attention sur le cas de « réfugiés »polonais cherchant à gagner la Grande-Bretagne. Dans la foulée, l’association « La Belle Étoile »voit le jour à Calais. Un premier comité de soutien aux « réfugiés »est créé en 1997 et une maison de retraite est réquisitionnée pour héberger des Roms tchèques refoulés. Des négociations franco-britanniques sur un partage de l’accueil de ces « réfugiés »sont entamées.
En octobre 1998, la guerre en Yougoslavie provoque une arrivée massive de « réfugiés » kosovars. En mars-avril 1999, nombre d’entre eux errent dans Calais et ses alentours, les CRS se livrent à leurs premières chasses à l’étranger. À la suite d’un règlement de comptes mortel entre passeurs, la préfecture opère un regroupement des sans-papiers dans un entrepôt appartenant à la chambre de commerce (CCI) (4).
Situé sur le port de Calais, il sera fermé en juin afin, selon le préfet, de ne pas favoriser les contacts entre passeurs et sans-papiers. Suite à cela, quelque 200 personnes se regroupent et s’installent pendant un mois au parc Saint-Pierre, situé face à la mairie, dans des conditions dignes d’un bidonville. En août, leur évacuation par les CRS médiatise l’affaire au-delà du Calaisis.
Le pouvoir décide donc de réinstaller les familles dans un local face à l’hôpital de la ville et de placer les célibataires non expulsés dans un hangar à Sangatte. L’État se garantit le contrôle des sans-papiers par le biais d’un de ses auxiliaires dans le monde associatif : « l’Association de prévention pour une meilleure citoyenneté des jeunes » (APMCJ). Son responsable Gérard d’Andréa, ancien membre des renseignements généraux, illustrera dans une interview accordée au journal Nord - Littoral, la tâche qui est la sienne en reprenant les propos de Rocard sur « la France [qui] ne peut accueillir toute la misère du monde ». Comme le premier entrepôt occupé, ce lieu sera fermé par la préfecture qui entend éviter de « pérenniser la situation ».
Le 16 septembre 1999, le Collectif de soutien d’urgence aux réfugiés (C’sur) (5), qui, deux mois durant, assurera la logistique auprès des sans-papiers : bouffe, aide matérielle..., échoue dans sa tentative de reprendre et occuper le hangar portuaire.
En réponse, la préfecture ouvre un lieu, cette fois sous la tutelle de la Croix-Rouge française, et financé par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité, à Sangatte. (6)
Malgré les divergences avérées au sein du collectif – coup médiatique en direction de la préfecture ou véritable réquisition mais sans suivi –, l’initiative de la réquisition est maintenue. C’était sans compter avec les exigences du timing de France 3 et de la détermination de la CCI à récupérer les clés du hangar. L’imbroglio sur les lieux – où, soulignons-le, les « réfugiés » étaient eux-mêmes absents – s’est au final piètrement soldé par une rencontre à la sous-préfecture entre cathos-LDH-Verts et le représentant de l’État. Le lendemain, on apprenait la promesse d’une réouverture d’un local et la négation (déjà) par le sous-préfet des exactions policières. Silence radio de la mairie PCF de Calais.
Retour à la case Sangatte, qui devient pour deux ans le fameux camp pour sans- papiers. Loin de l’appel d’air pour migrants tant décrié, le hangar se révélera pour les Kosovars, Albanais, Kurdes, Irakiens, Chinois, Sri-Lankais, Soudanais... une véritable souricière.
Le site aménagé (douches, W.-C., buanderie avec machine à laver, etc.) est prévu à l’origine pour accueillir 800 personnes. Les sans-papiers étaient en réalité ... le double. On note la présence d’une infirmerie, mais le personnel soignant manque. Des repas chauds seront distribués trois fois par jour. Si les sans-papiers étaient libres d’aller et venir dans l’enceinte ainsi qu’à l’extérieur du camp, pour faire bonne mesure le village-vacances voisin de Blériot-Plage a été transformé en caserne de CRS. Toute personne arrêtée avec des sans-papiers dans sa voiture est passible d’être considérée comme passeur. Les médias locaux se font l’écho des bagarres entre communautés et le personnel de la Croix-Rouge prétexte des raisons sanitaires pour écarter les curieux, le tout contribuant à isoler et marginaliser les résidents du camp vis-à-vis de la population locale.
Le système sécuritaire mis en place sur le Calaisis est impressionnant, en quelques mois les interpellations se comptent par milliers. De l’autre côté du Channel, les contrôles sont également renforcés au titre de la collaboration entre les services de l’immigration des deux pays. Malgré cela, le quadrillage semble toujours plus difficile à effectuer. Et si, quelque temps auparavant, le préfet déclarait encore : « Il est hors de question de favoriser les départs vers l’Angleterre, au contraire nous les encourageons à repartir chez eux », on est assuré que l’État français a trouvé son intérêt à fermer les yeux et se délester outre-Manche de ces indésirables, tant il semble évident que c’était encore le moyen le plus facile, mais aussi le moins coûteux d’envisager la question à ce moment précis.
Les enjeux n’étaient alors pas des moindres. Rappelons que la vocation de ce camp était d’assurer un réceptacle afin d’« accueillir », canaliser et concentrer les candidats afghans, kurdes, irakiens au passage en Angleterre, souvent périlleux, mortel à plusieurs reprises. Si le parquage des sans-papiers dans cette impasse était une aberration, les motivations qui animaient les partisans de sa fermeture s’exprimaient sur des registres des plus variés allant jusqu’à la contradiction.
Tous néanmoins, à dessein ou non, faisaient le jeu de la société marchande. D’abord les États français et britannique, malgré leur opposition formelle sur la question, participaient au « t héâtre des opérations guerrières », notamment en Afghanistan, qui dévastaient les régions précisément fuies par les sans-papiers. Les « réseaux de passeurs », marchands eux aussi, offraient le prétexte à la casse du droit d’asile et à la fermeture des frontières. Les sociétés de transport, la SNCF et Eurotunnel, ont pu arguer de l’atteinte à la circulation des marchandises et des voyageurs agréés et rentables. Enfin, les regroupements xénophobes hétéroclites ont pu s’engouffrer dans la brèche en jouant sur le malaise de la population locale, confrontée aux situations problématiques générées par les conditions d’accueil des sans-papiers en surnombre coincés dans un état de survie patent. Dans cette situation, le hangar de Sangatte ne pouvait à terme qu’être fermé pour les autorités. À la suite de quoi, le sort des sans-papiers présents et à venir n’était pas trop difficile à prévoir.
Sangatte constituait désormais une étape obligée pour un passage clandestin en Angleterre.
(la suite sur la brochure a télécharger, 44 pages format A5, pré-maquettée en pdf, ci joint
La Mouette enragée – BP 403 – 62206 Boulogne/Mer cedex
<lamouette.enragee>
1 –« Réfugiés », « clandestins », « immigrés », « demandeurs d’asile », ces mots qui appartiennent à la terminologie utilisée par les associations sont ceux dont se sert l’État pour faire le tri entre vrais et faux, bons et mauvais... Quant à nous, nous préférons parler des sans-papiers du Calaisis et avons choisi de mettre réfugiés entre guillemets.
2 – Voir Plein droit(la revue du GISTI), n°58 (« Des camps pour étrangers »), décembre 2003, <http://www.gisti.org/doc/plein-droi...> . Le camp de Sangatte n’est pas le premier camp de ce type créé en France.
3 – La Mouette enragée, c’est une poignée de militants appartenant ou pas à différentes organisations libertaires. Le groupe produit depuis 1992 un journal éponyme distribué dans les principaux kiosques de Boulogne-sur-Mer et Calais.
4 – La CCI de Calais est entre autres en charge de la gestion du port de Calais, point de passage quasi obligé pour l’Angleterre, 4e port français pour les marchandises et premier pour les passagers.
5 – Le collectif C’sur comprend : la LDH, la Belle Étoile, Emmaüs, la mission étudiante, la pastorale des migrants, Artisans du monde, l’Action catholique ouvrière, ainsi que AC ! et les Verts – <http://csur62.free.fr/> .
6 – Sur l’histoire de Sangatte, voir la carte de An Architekturpubliée ci-après.
44 p. A5, recto-verso - format pdf