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De l’idéologie sécuritaire

lundi 1er janvier 2007, par Courant Alternatif

La loi dite " sur la prévention de la délinquance ", qui devrait être votée courant janvier, est l’aboutissement de dix ans de propagande sécuritaire qui a aboutit à la formation d’une idéologie dans le sens où elle est un système possédant sa logique propre de représentation (images, mythes, idées ou concepts) et qu’elle joue un rôle spécifique dans la société.


Après avoir préparé les esprits par un investissement total de l’espace public, le discours sécuritaire peut imposer la vision unilatérale d’une société menacée de l’intérieur. Cependant un rapide examen de celui ci laisse apparaître sa véritable fonction : la conservation et la justification de l’ordre social dominant. Or dans les différents débats que nous avons pu avoir à l’intérieur des comités anti-délation la dimension politique de cette loi semble ne pas faire recette et les revendications semblent restées parfois corporatistes. En effet, de notre point de vue, cette gestion pénale de la pauvreté accompagne les mutations du capitalisme. Celui-ci, avec le passage à la " nouvelle économie de service " caractérisé par la précarité et la flexibilité de son salariat, a de plus en plus besoins de petites mains. Les classes populaires fournissent cette armée de travailleurs pauvres, encore faut-il les forcer à accepter ces emplois. L’idéologie sécuritaire par son discours et ses pratiques se donnent les moyens d’y parvenir. Décryptage...


la sécurité devient " une valeur de gauche "

L’idéologie sécuritaire c’est d’abord un discours psalmodié et orchestré par différents acteurs du pouvoir, médias, pseudo experts qui ont souvent des intérêts privés dans l’histoire(1), scientifiques et politiciens. La circulation permanente de cette parole entre ces différents agents transforme celle ci en une vérité incontestable dont les preuves chiffrées, rapports, études scientifiques noient leur auditoire et marginalisent la critique, lui reprochant de ne pas tenir compte de la réalité.
Il faut noter le rôle primordial de la " gauche " gouvernementale dans le matraquage sécuritaire, ayant abandonné depuis longtemps toute transformation de la société (si elle en avait déjà eu l’ambition). Elle défend désormais farouchement les exploiteurs et elle opte maintenant pour une gestion pénale de la pauvreté. Ainsi dès 1995 Gérard Le Gall, chargé au parti socialiste des études sur l’état de l’opinion, publie plusieurs documents appelant à durcir son discours sur " l’immigration et l’insécurité ", en juin 1997 dans son discours d’orientation générale Jospin affirme que la sécurité sera la seconde priorité de son gouvernement après l’emploi, le colloque de Villepinte en octobre 1997 voit la confirmation de cette dynamique, la sécurité devient " une valeur de gauche " enfin en avril 1998 les députés socialistes Christine Lazerges et Jean Pierre Balduyck publient un rapport parlementaire sur les mineurs délinquants ; ils proposent entre autres d’instaurer un couvre feu pour les mineurs délinquants et la responsabilisation des parents de délinquants par la suppression des allocations familiales. On citera encore la création par Pierre Joxe en 1989 de l’IHESI (Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure véritable think tank de l’idéologie sécuritaire (2)). On le voit tous les éléments de la loi Sarkozy sont déjà présents.
Mais cette conversion de la social-démocratie à l’idéologie sécuritaire ne suffit pas à fournir un réel effort de persuasion. Il faut élaborer des techniques, récurrentes et solidaires les unes des autres, qui assurent l’imposition de cette pensée unique.

le cancer social de la délinquance

La première de ces techniques s’appuie, on l’a déjà dit sur une définition non conflictuelle de la société, qui exclue toute évocation de la violence des rapports sociaux. On voit bien ici le recyclage de la conception organiciste de la société. Toute la criminologie de la fin du XIXe siècle est ici utilisée (3). Le corps social est pensé comme un corps biologique où les problèmes sociaux sont définis par références au pathologique : le cancer social de la délinquance des jeunes. Il ne s’agit donc plus qu’à appliquer des traitements curatifs à ce qui est considéré comme des déséquilibres et des dysfonctionnements. La deuxième technique consiste en une réduction à l’individualité dans l’appréhension des phénomènes de délinquance, l’individu n’est plus socialement situé mais devient un sujet unique et seul responsable de ses actes. Toute analyse autre se voit taxée d’angélisme et on peut ainsi éclipser habilement les dominations de classes. L’intellectuel se voit remplacer par l’expert dans un esprit populiste. L’anti-intellectualisme permet d’évacuer toute démarche critique c’est " comprendre c’est déjà excuser " (Sarkozy) et " l’excuse sociologique " (Jospin).
Troisième moment du discours sécuritaire : la création et l’entretien de stéréotypes du délinquant et des modes de cette délinquance. Le jeune baggy-sweat à capuche-casquette remplace le blouson noir qui lui-même succédait à l’apache (4). La litanie de l’évocation télévisuelle et radiophonique des faits divers (jeunes issus de l’immigration, individus encagoulés...) provoque la transformation de groupes sociaux entiers en parias vecteurs de l’insécurité dont la simple vision provoque le malaise et la méfiance chez l’honnête citoyen. La création du concept d’incivilité, notion inexistante en terme de droit, renforce ce sentiment. Tout individu ne s’exprimant pas ou ne correspondant aux normes sociales devient un criminel en herbe. Cette définition de la délinquance trahit immédiatement sa finalité idéologique : la concentration de la répression sur la délinquance juvénile et sur les attaques contre les biens, les personnes et les forces de l’ordre, démontre que la délinquance est une production de la société présentée en référence à un ordre social pour lequel il est censé représenté une menace.

la société capitaliste choisit de braquer ses projecteurs sur certains types d’illégalisme

C’est donc a une définition idéologique de la délinquance à laquelle nous avons affaire. La délinquance est donc bien une production sociale qui possède sa propre histoire. Toute société produit ses normes et ses déviants mais la société capitaliste choisit de braquer ses projecteurs sur certains types d’illégalisme et pas d’autres, aucune allusion dans cette loi sur la délinquance financière ou les innombrables entorses au code du travail. En effet les pratiques qui maximalisent les logiques financières ou spéculatives, fait des groupes socialement dominant trouvent bien évidemment grâce aux yeux des législateurs. Nous pouvons illustrer notre propos par un exemple simple, l’histoire de la répression du vagabondage. Conduite courante au Moyen Age en raison du caractère semi-nomade et de l’activité saisonnière de la société, le vagabondage a été réprimé de manière croissante à partir du XIVème siècle. Une telle réaction était liée à l’apparition des structures économique du salariat. Il s’agissait de " mettre les pauvres en besogne ". La délinquance est donc nécessaire au maintien et au renforcement de l’ordre social. La criminalisation des classes dominées est très utile aux classes dominantes pour pérenniser l’exploitation. Le message doit être clair : il existe un seul mode d’intégration pour les pauvres la précarité et un travail de merde payé des miettes ou l’élimination du champ social par la surveillance et la punition.
Toutes critiques du discours sécuritaire et donc de la loi Sarkozy ne peut faire l’économie des conditions dans laquelle elle est produite (5). Nul besoin d’avoir recours au fascisme ou encore à la période de Vichy pour saisir le sens de la politique sociale de la bourgeoisie. Après avoir détruit les derniers lambeaux du Welfare state (on aurait pu étudier les exemples du PARE et du RMA), la glorification de l’ordre sécuritaire tend vers un objectif, redonner aux classes dangereuses, une fois disciplinées, leur statut de classes productives. Mais comme le capitalisme n’a plus besoin aujourd’hui de tout le monde, les récalcitrants à ce nouveau contrôle social seront impitoyablement éliminés.

Jean-Mi./Reims le 18/12/06

(1) Un seul exemple Alain Bauer directeur de l’Observatoire national de la délinquance possède une société de conseil en sécurité AB associate, il a été aussi accessoirement grand maître du Grand Orient de France
(2) On pourrait multiplier les exemples, pour une chronologie édifiante se reporter à S. Tissot et P. Tévanian, Stop quelle violence ? L’Esprit frappeur, 2001
(3) Comme par exemple le fichage systématique anthropométrique du commissaire Bertillon théoricien de la criminologie qui devient le fichage génétique sous Sarkozy on peut lire à ce sujet : Louis Chevalier, Classes laborieuses et Classes dangereuses Hachette Pluriel
(4) A tel point que certains centres commerciaux outre manche interdise l’accès de leur magasin aux personnes habillés de cette sorte.
(5) Pour une analyse plus en profondeur on peut consulter le hors série spécial sécuritaire de Courant Alternatif.

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