Accueil > Courant Alternatif > *LE MENSUEL : anciens numéros* > Courant Alternatif 2009 > 187 Février 2009 > Renault, des voitures à vivre, Des salaires à survivre.

Renault, des voitures à vivre, Des salaires à survivre.

vendredi 6 février 2009, par Courant Alternatif

Pour atteindre ses objectifs économiques, la direction de Renault attaque sur tous les fronts. Après avoir étranglé la plupart de ses fournisseurs, la société s’attaque une nouvelle fois à ses salarié(e)s. Dans les usines, beaucoup d’employé(e)s ont terminé l’année avec un salaire réduit de moitié pour cause de chômage partiel. Dans les sites non dédiés à la production, on fait dans le feutré : Pas de licenciement mais un appel aux départs volontaires. Si les premiers résistent comme ils peuvent, les seconds ne semblent pas se rendre compte de ce qui les menace. On serait bien inspiré de prendre exemple sur la détermination des ouvrier(e)s de Dacia qui ont créé la surprise au printemps 2008.


Mais que se passe-t-il (encore) chez Renault.

« Au secours Renault ne vend plus de bagnoles ! » ce que d’aucun(e)s pourraient appeler un constat objectif mérite quelques précisions. C’est vrai que les volumes de véhicules produits en 2008 ne sont pas ceux escomptés par la direction. Toutefois le 24 juillet, le PDG Carlos Ghosn annonçait les résultats d’un premier semestre exceptionnel : Plus 3,5 % de ventes par rapport à 2007, Un chiffre d’affaires de 19,451 milliards d’euros, un bénéfice net de 1,581 milliard d’euros, soit une MOP (1) évaluée à 4,5 %. Même si depuis les volumes ont chutés, la société au losange est loin d’être en danger de mort. Il n’empêche que, pour celles et ceux qui bossent à la production, cette fin d’année aura été catastrophique. Le chômage partiel s’est généralisé dans les usines et particulièrement à Sandouville (banlieue du Havre) où cela a commencé par une semaine en septembre. Avec 15 jours chômés en octobre, idem en novembre et décembre, les salarié(e)s s’asseyent quasiment sur la moitié de leurs salaires déjà bien maigres pour les 3 derniers mois de l’année. A l’usine de Cléon, certains secteurs auront accumulé 40 jours non travaillés fin 2008, à la fonderie de Normandie ce sont 4 semaines d’arrêt consécutif en fin décembre et début janvier 2009. Du coté des emplois de structure (non-productifs en verbiage politiquement correct), à savoir les salarié(e)s de Boulogne, Rueil, Lardy, Guyancourt, Aubevoye etc, la surcharge de travail et le stress sont toujours présents.
Ce 24 juillet 2008, première claque, on annonçait aux salarié(e)s la nouvelle logique imparable de Renault : « Tout va bien, cassez-vous ». En d’autres termes, l’entreprise est au mieux de sa forme mais dans l’éventualité de jours moins fastes, Renault souhaite se débarrasser de 10 % de son personnel au niveau mondial. Le concept de licenciement par anticipation est né (Alléluia). Cette politique n’abuse personne, le but premier est d’augmenter la MOP en réduisant la masse salariale. Il est reconnu que le départ de 6000 salariés permet de gagner 1% sur la MOP… L’objectif du Renault contrat 2009 étant de 6%, en utilisant le personnel comme variable d’ajustement, la cible devient atteignable.


Qu’est-ce au juste que le Renault contrat 2009 ?

Après un pic en 2004, Renault considère sa rentabilité pour 2005 insatisfaisante car inférieure à la moyenne de ses concurrents directs. Pour comparaison, la MOP de GM se situait en 2005 à -1,3 %, celle de Renault à 3,2 %, PSA à 3,4 % et Nissan à 9,2 %. Suivant la prose Renault, « ce (faible) niveau de rentabilité (serait) associé à une sous-utilisation des capacités industrielles en Europe de l’Ouest ». Traduction : Après avoir choisi de localiser ses productions en LCC (2), la direction se plaint des faibles taux d’utilisation des usines en France et en Espagne. Pour exemple 38 % à Sandouville pour 450 000 véhicules/an, 56 % à Valladolid pour 300 000 véhicules/an. Cherchez l’erreur. Que l’on produise 450 000 voitures ou 1 180 000 par an, les frais fixes du site de prod sont peu ou prou les mêmes. Ces frais étant intégralement répartis sur les véhicules produits, dans le second cas, divisés par 1 180 000, la répercussion sera moindre. Ce n’est pourtant pas compliqué, il est beaucoup plus rentable d’utiliser les outils de prod au maximum de leurs possibilités. Ceux qui ont décidé de désengager ces moyens sont-ils de piètres comptables ou ont-ils programmé de longue date la fermeture des sites HCC (3) sous prétexte de non rentabilité ?
Pour sortir de l’ornière, Carlos Ghosn a donc créé le Renault contrat 2009 (RC 2009). Ce plan triennal est un engagement sur trois objectifs :

  • Qualitatif : Améliorer l’image des véhicules de la marque avec, en point de mire, « positionner la Laguna 3 dans le top 3 en qualité de produit et de services ».
  • Quantitatif : Plus 800 000 véhicules par rapport à 2005. 26 nouveaux modèles doivent être lancés avant la fin 2009
  • Économique : Atteindre une MOP de 6% en 2009.

Et au bout du compte ?
Prenant exemple sur les politiciens, c’est au début des vacances d’été que Carlos Ghosn a choisi de lancer son pavé dans la mare. Comme exposé plus haut, malgré d’excellents résultats pour le premier semestre 2008, le RC 2009 a du plomb dans l’aile… Seul l’objectif qualité est en passe d’être atteint. Loin de se remettre en cause, la direction lance son Projet Renault Volontariat (PRV) ; Ou comment dans la joie, la bonne humeur, en période de plein emploi et « sur la base du volontariat », supprimer 5600 à 6000 emplois :

  • Renault SAS = 4000 personnes (3000 structures + 1000 Sandouville).
  • Les FilialesFrançaises de Renault, de 400 à 800 personnes.
  • Autres sites d’Europe, environ 1000 personnes.
  • Reste du monde, environ 200 personnes.

« Quand elle monte des usines, la colère, la colère… » (4)
Dans les usines Renault on tend le dos depuis un moment déjà. Suivant le communiqué CGT du 25/09/08 :

  • La Twingo a été délocalisée de Flins vers la Slovénie, pourtant 80 % de ses volumes s’écoulent en Europe de l’Ouest (WE) et notamment en France.
  • Le Koleos (4x4 Renault) est assemblé en Corée au détriment de Sandouville. Dans ce cas aussi, la quasi-totalité des volumes est réimportée en WE.
  • La Clio Estate est assemblée en Turquie au détriment de Flins. 5 véhicules sont engagés sur le site de Bursa en Turquie… Et pourtant les salariés de Flins n’ont pas cessé de réclamer un deuxième véhicule pour pérenniser leurs emplois.

L’Espace est en fin de vie, la production de la Vel Satis plafonne à 5 par jour (tract CGT Cléon du 02/10/08).
Quant au feuilleton Laguna 3, « La marque comptait en vendre près de 170 000 en 2008… Or, au premier semestre, seulement 60 000 exemplaires ont trouvé preneur » (Le Parisien 25/07/08). D’où la suppression d’une équipe à l’usine de Sandouville. Cette suppression était prévue de longue date et trouve son écho dans le PRV. Les ouvrier(e)s concerné(e)s sont d’ailleurs les seuls salariés Renault directement liés à la fabrication touchés par le plan. L’usine de Cléon qui fournit moteurs et boîtes de vitesse comme celle du Mans pourvoyeuse de trains avant et arrière subissent également le contrecoup de cette réduction de volume.
Le 06/10/08, les salarié(e)s de Sandouville déjà sous le feu croisé du chômage partiel ET du PRV doivent se taper la visite de Nicolas Sarkozy. Le personnage vient-il pour l’hallali ? Piquet de grève comme il se doit contre gardes mobiles (5), tabassages, snipers et tout le toutim… La visite du président aura laissé le gout amer du foutage de gueule : On nous annonce que la direction du groupe s’est engagée à assurer la pérennité de tous les sites français et à attribuer à Sandouville la construction d’un véhicule utilitaire à partir de 2012. Il faut vraiment habiter Neuilly sur Seine pour penser qu’un(e) ouvrier(e) peut tenir le coup avec la moitié de son salaire, voire moins, pendant plus de 3 ans (de 2009 à 2012). De plus, quand un véhicule est programmé sur un site, les projets (études, achats de pièces, machines et outillages) sont lancés entre 3 et 5 ans avant le début de la production. C’est le travail des emplois de structures. Pourtant au TCR, au CTR et à l’IDVU (6) on n’a rien vu passer… Etonnant non ? A moins que ce projet soit géré depuis La Roumanie (7) ou l’on n’incite pas au départ.
Le dernier épisode en date ne maque pas d’intérêt : Le 16/12/08 lors d’une session interne de questions/réponses, Patrick Pelata (8) a répété à plusieurs reprises que Renault pâtissait de « trop de marques, trop d’usines, trop de modèles, trop de concessionnaires ». Je serais presque d’accord (9) toutefois de la part du n° 2 du groupe il y a de quoi s’attendre au pire. Il a d’ailleurs confirmé l’abandon de plusieurs projets de véhicules et s’est montré beaucoup moins catégorique que MM. Ghosn et Sarkozy sur l’avenir des usines françaises.
Ajoutons à cela quelques chiffres édifiants :

  • Pour l’exercice 2007, suite à l’assemblée générale du 29/04/08, 913 millions d’euros ont été versés aux actionnaires.
  • Les dividendes versés en 2008 s’élèvent à 3,8 € par action pour 3,1 € par action en 2007. Sacrée culbute !
  • Pour l’exercice 2008, le montant des dividendes sera décidé à l’AG d’avril 2009. la somme de 1 300 millions d’euros aurait déjà été promise aux actionnaires mais MM. Ghosn et Pelata se gardent bien de confirmer ces chiffres.
  • Supposons que les 3 700 personnes de Sandouville chôment 80 jours en 2009 (le maximum autorisé par la loi). Le manque à gagner étant en moyenne de 35 € par jour, la perte totale pour les salarié(e)s de l’usine serait de 10,36 millions d’euros. Le nombre d’actions Renault sur le marché avoisine les 240,3 millions ce qui fait qu’en rognant de 0,043 euros sur les dividendes de chacune d’elles, il n’y aurait aucune perte de salaire. Bien qu’empirique, ce calcul inspiré d’un tract CGT de l’usine du Mans est assez éclairant.

Et pour finir de nous mettre en colère, une autre trouvaille exquise de Renault. Encore sur la base du volontariat et sur les mêmes principes que le lundi de pentecôte pour les vieux (déresponsabilisation des décideurs et responsables, culpabilisation des autres) : Le don d’un jour de congé « pour améliorer l’indemnisation chômage des salariés les plus exposés ». Cet accord signé par la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC en appel au « principe de solidarité »… A hurler.

Et la lutte dans tout ça ?
Petit rappel : Conscients des bénéfices engendrés par le succès de la Logan, le 24/03/08 80 % des 15 000 salarié(e)s de l’usine Dacia en Roumanie se déclaraient en grève reconductible. Le 11/04/08, après 19 jours d’arrêt de travail, les grévistes obtenaient une augmentation générale des salaires de 34 %, l’établissement d’une prime au résultat 2007 et la réévaluation du salaire minimum (porté à 900 lei 330 €).
Pour ce qui est du PRV, à part à Sandouville, peu de réactions de la part des salarié(e)s : Deux manifs de 800 personnes à l’appel de CGT, CFDT, SUD et CFTC au TCR (qui compte approximativement 9000 salarié(e)s Renault). Deux débrayages de 120 personnes maxi à l’appel de CGT et CFDT pour les sites de Rueil et Lardy (approximativement 4000 salarié(e)s). Le mot volontariat est magique, les décideurs ne s’y trompent pas (voir la loi sur le travail du dimanche). Les emplois de structures traditionnellement peu enclins à la lutte ne se sentent pas concernés par le plan mais ne semblent pas se rendre compte que le boulot de celles et ceux qui partent va leur retomber dessus… Bonjour surcharges de travail. Renault gère le stress de ses employé(e)s en condamnant les passerelles (authentique).
Dans les usines touchées par le chômage partiel, des débrayages, blocages et actions sont régulièrement menés, particulièrement à Sandouville. Quelques exemples d’actions :

  • Le 26/09/08 à Sandouville, après 3 jours de grèves et de manifestations, les salarié(e)s du matin ont repris le boulot à 5h30. Mais à la pause de 7h30 une partie d’entre eux a décidé de cesser à nouveau le travail. « Nous avons recommandé la reprise du travail mais ils nous ont appelé pour nous dire qu’ils voulaient continuer », a indiqué Josyane Kharo, déléguée CGT. (Le Parisien)
  • Le 06/10/08 à Sandouville, 500 salarié(e)s manifestent leur colère face à la politique de la direction et du pouvoir lors de la venue de Sarkozy. Les forces répressives rentrent dans l’usine pour les mettre à l’écart et leur interdire l’accès au local syndical où le Président de la République recevait les personnes triées sur le volet.
  • Le 10/10/08, la CGT FTM (Métallurgie), SUD et Solidaires industrie appellent les salarié(e)s de la filière automobile à une manif suivie d’une action au mondial de l’automobile. Quelques milliers de manifestant(e)s font irruption dans le salon.
  • Le 10/10/08 à Dieppe, mobilisation sans précédent chez Alpine à l’appel de l’intersyndicale CFTC.CGT.CFDT.FO.CFE/CGC. 92% du personnel a débrayé de 11h à 15h30.
  • Le 13/10/08 à Sandouville, 400 salarié(e)s bloquent l’usine. 46 personnes au tribunal pour avoir entravé la production pendant une matinée.
  • Région du Havre : Manifestations, distribution de tracts sur les marchés et grandes surfaces, lors du match HAC/Lyon, actions sur la zone industrielle. Interpellation des politiques au niveau régional ou national, à la mairie du Havre, à la sous-préfecture, au ministère de l’emploi (10).

A quelle sauce ?
La direction de Renault est l’unique responsable de la situation dans laquelle se trouve le groupe. Mais à qui cela profite-t-il ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes et M. Ghosn ou M. Pelata auront tôt fait de nous expliquer que les usines françaises, non rentables, doivent être fermées. Ce qui intéresse la firme au losange, c’est de confirmer son implantation en Inde, au brésil, en Turquie, en Roumanie et développer de nouveaux en marchés : Russie, Maroc, Iran et Israël (avec le véhicule électrique). Pour ces projets, point de réduction de budget. Face à ces géants, le marché Européen constitué essentiellement de la France, de l’Espagne et de l’Italie fait pâle figure. Ajoutez à cela la disparition à plus ou moins long terme du moteur thermique au profit de l’électrique et l’impact que cela aura sur les lignes de montages et vous aurez pour résultat l’abandon pur et simple des sites Ouest-Européens au profit de belles usines low cost peuplées d’ouvrier(e)s corvéables à merci…
Quoique comme l’ont montré les salarié(e)s de Dacia ou les paysan(ne)s Indien(ne)s face au géant de l’automobile Tata, les LCC pourraient bien donner du fil à retordre aux industriels en mal de docilité. Il ne tient qu’à nous de NE PAS leur faire regretter les travailleurs et travailleuses d’ici. La lutte c’est maintenant !

O Cangaceiro

Notes :
1)MOP : Marge opérationnelle ou marge d’exploitation. Référentiel économique plus pointu que les bénefs de papa ; Rapport entre le résultat d’exploitation (gains résultants de l’exploitation des moyens de production moins les charges) et le chiffre d’affaire (total des ventes, porté sur l’exercice comptable annuel).
2)LCC (voir CA n°178) : Low Cost Country (pays à bas coûts). L’objectif chez Renault est de faire fabriquer un maximum de véhicules, pièces et outillages dans ces contrées. On n’arrête pas le progrès, il existe maintenant du soft LCC (Portugal, Turquie, Roumanie…) et du hard LCC (Inde, Chine, Corée du sud).
3)HCC : High Cost Country. France, Espagne, Allemagne etc. Un boulet pour Renault.
4)« Quand elle monte des usines, la colère a la voix des machines » : Refrain de grève illimitée (Dominique GRANGE, 1968)
5)De mémoire de syndicaliste, la présence des forces de répression A L’INTERIEUR d’une usine Renault est une première…
6)TCR = Tecno Centre Renault de Guyancourt, ingénierie véhicules et achats. Connu pour ses suicides à répétition. CTR = Centre Technique de Rueil, ingénierie moteurs, boîtes et achats. IDVU = Ingénierie de la Division des Véhicules Utilitaires.
7)La Roumanie a maintenant son technocentre, le RTR = Renault Technologie Roumanie… A quand la délocalisation des ingénieries. Il reste à espérer que les salarié(e)s du RTR soient aussi efficaces dans les luttes que leurs compatriotes de Dacia.
8)Nommé responsable opérationnel de Renault le 10/10/08. Quand M.Ghosn délègue, cela ne laisse rien présager de bon ; Pour nous comme pour lui.
9)Pour mon point de vue sur la situation de Renault, on verra dans un numéro ultérieur de CA.
10)L’état possède entre 15 et 17 % des actions Renault (suivant les sources).

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette