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TGV Lyon-Turin : La concertation arme de gouvernance

samedi 3 janvier 2009, par Courant Alternatif

Le 6 décembre, une manifestation nationale réunissait les opposants au projet européen de ligne ferroviaire Lyon- Turin, un gaspillage inutile et nuisible de l’argent public. Pour rappel, le projet de cette ligne prévue pour le fret, comprend plusieurs tunnels sous les Alpes, dont le plus long aurait la longueur record de 52 km. Elle passe par l’étroite Vallée de Susa, déjà encombrée de lignes ferroviaires, autoroute et autres routes. En décembre 2005, la population du Val Susa s’était opposée à l’épreuve de force lancée par Berlusconi avec l’envoi de 5000 policiers qui cadenassaient le val Susa. Dans de dures batailles, notamment à Seghino et Venaus, les policiers tentèrent en vain de chasser les manifestants qui bloquaient les lieux des futurs chantiers.


Voir en ligne : informations locales Val Susa

Le successeur de Berlusconi, Romano Prodi, plutôt centre-gauche, choisit lui la méthode de la concertation utilisant l’Observatoire technique sur la Grande vitesse, créé pour l’occasion, afin de rompre l’opposition regroupée dans des comités populaires proches des maires de la vallée. Cet Observatoire est devenu opérationnel le 12 décembre 2006. Il n’avait alors aucune valeur institutionnelle et n’employait aucun fonctionnaire. L’Etat italien pouvait se retrancher derrière le président de l’Observatoire, Mario VIRANO1, une personnalité non institutionnelle (non élue et n’appartenant pas à un parti politique) et présentée comme indépendante des enjeux politiques.
Pourtant, au fil des discussions et des concertations avec les élus, les techniciens et les opposants, l’Observatoire a bâti sa légitimité et s’est imposé comme un acteur incontournable qui orienta les luttes.

L’Observatoire a ouvert trois dossiers thématiques pour mener la concertation avec les divers acteurs institutionnels de la Vallée (les communautés montagnes et les maires des villages).
- Le premier cahier traite des transports. Il est élaboré à partir de bases erronées fournies par la Commission européenne des transports, sur une croissance du PNB de 3% par an, alors que la croissance du PNB italien plafonne au mieux à 0,5%. Actuellement 8 millions de tonnes de fret passent les Alpes, alors que l’Observatoire justifie la construction de la ligne ferroviaire en arguant d’un futur passage de 40 millions de tonnes, chiffre contesté par des techniciens.
- Le deuxième cahier mène les discussions sur les différentes options de parcours, ce qui amène les élus à parler des avantages comparés des divers trajets et donc à seulement envisager les choix du parcours. L’alternative « pas de parcours du tout » n’est en effet pas présentée par l’Observatoire dans les débats. De plus, l’Observatoire distille les infos auprès des médias, officiels et alternatifs, ce qui entraîne la mobilisation de la population contre ces projets. Cette orientation de la mobilisation fait perdre du temps et de l’énergie contre des objets déterminés. En effet, la population n’est pas seulement motivée pour que le projet ne soit pas dans son jardin (Not in my backyard), mais par le fait que la ligne ferroviaire ne soit « ni ici, ni ailleurs ».
- Le troisième cahier reprend tous les débats, trajets et contre propositions techniciennes. Cependant, il laisse de côté le cadencement ultra rapide indiqué dans la prospective européenne de 1984 : environ un train toutes les quatre minutes. Un ordinateur embarqué dans le train exploite les informations qui lui sont transmises au sol pour calculer la vitesse maximale autorisée et ralentir automatiquement le train si nécessaire. Quid de ce cadencement en cas de problème sur la ligne ?

L’Observatoire a conclu le 30 juin 2008 la première phase de ses travaux, après 70 réunions hebdomadaires, environ 300 auditions et l’intervention de près de 60 experts internationaux. Les maires de la Vallée ont été convoqués en juillet 2008 à Rome pour discuter des propositions de l’Observatoire. Les juges de la Cour des comptes italienne ont souligné que les modifications du tracé nécessaires pour dépasser l’opposition des communautés locales ont doublé le coût initial pour la réalisation du tunnel, en le portant de 4 385 millions à 9 241 millions. Bruxelles concédera une première avance budgétaire de 671 millions d’euros. Cette masse monétaire attire les promoteurs et souvent la mafia. Sur le tronçon ferroviaire Turin-Milan, de procureurs de Milan ont déjà découvert une quinzaine d’entreprises mafieuses, dans ce cas de la N’drangheta.
La population n’est pas restée inactive durant cette longue période de négociation et de concertation entre l’Observatoire et les acteurs institutionnels de la vallée. Les parcelles de terrains où auront lieu les travaux ont été subdivisées et cédées à de nombreux propriétaires afin de retarder les mesures d’expulsion (comme au Larzac dans les années 70). La lutte contre le TGV a aussi permis de faire émerger de nombreuses solidarités et mises en question de la société. Ainsi, un groupe de femmes s’est constitué pour expliquer aux employés et ouvriers des usines les dangers sanitaires des produits créés par ces mêmes usines. Un Indien mapuche a été accueilli pour expliquer les méfaits de Benetton qui expulse les indiens de leurs terres communautaires. De plus, des solidarités ont été tissées entre les différentes luttes pour une meilleure santé et contre les agressions sanitaires et environnementales. Un pacte de secours mutuel relie tous les endroits où la population se bat (à Naples contre l’absence de traitement des déchets et le trafic financier lié à leur gestion, à Vicenza contre le bruit de la base aérienne qui devrait doubler de capacité, en Sicile et Calabre contre le pont de Messine qui doit relier la Sicile à la péninsule italienne,...). Les groupes de lutte s’entraident et participent aux autres mobilisations en apportant aussi des informations sur leurs propres problèmes. Par exemple, des habitants proches d’une ancienne usine nucléaire sont allés témoigner des dangers du nucléaire auprès d’autres groupes. Ces solidarités à l’intérieur de l’Italie sont parfois développées avec d’autres pays mais la lutte contre le tronçon Lyon-Turin est relativement peu, voire pas du tout, étendue à l’Hexagone.

Dans la vallée les inscriptions No Maffia ont supplanté les inscriptions No TAV

Le samedi 6 décembre 2008 environ 20 000 personnes ont défilé dans les rues de Suza avec diverses banderoles contre le TAV, contre les gros transporteurs routiers etc...
Quelques dizaines d’habitants de l’hexagone sont présents dans le défilé, ainsi que le collectif No Tav du Brenner et le collectif de Trento et des représentants de l’assemblée contre le TGV au Pays basque sud) .
Le lendemain soir, soit le dimanche 7 décembre, des inconnus ont brisé les vitres du Présidio de Borgone (local de résistance, ouvert au début de la lutte contre les sondages du sol en juin 2005). Le climat social continue de s’alourdir dans le Val de Susa.
Le 10 décembre l’annonce des nouveaux projets du gouvernement sème la colère dans la vallée. Et rallume l’opposition des maires qui comprennent alors que l’Observatoire écologique n’était qu’un leurre de concertation. La galerie prévue à Chiamonte est déplacée pour éviter les terrains acquis pendant la campagne d’achat des terres par les opposants du TAV.
La nouvelle galerie de la Maddalena sera longue de 8,800 km et descendra jusqu’au niveau du tunnel de base pour le rejoindre près de la frontière Française sous plus de 2000 m de roche.
Le coût du nouveau tunnel est de 119 millions 300 mille euros. Les premiers 300000 euros auraient déjà dépensé en 2008. En 2009 il est déjà prévu un engagement de dépenses de 5 millions 400 mille euros, pour atteindre 36 millions en 2010 lorsque le chantier doit être entamé.
Les versements se poursuivront jusqu’en 2013, année prévue de l’échéance du chantier.
Mais quand tout cela doit commencer ? Dans le dossier, il est écrit que la partie préliminaire doit se terminer en novembre 2009. Le creusement devrait ainsi commencer en janvier 2010.

Luc 20/12/2008

(Sources : articles de luna nuova, feuille de choux de la vallée, : http://www.lunanuova.it/lunanuova/i...)
Une Video de la manif du 6décembre :
http://www.youtube.com/watch?v=eiYq...

  • Depuis, Mario VIRANO est devenu commissaire du gouvernement.

P.-S.

 " Il faut faire le tunnel du Lyon-Turin car il n’est pas seulement un lien de plus pour la France à travers les Alpes, c’est la possibilité pour la péninsule Ibérique d’être reliée à l’Italie et à l’ensemble des pays de l’Est. "
Dominique BUSSEREAUX, Secrétaire d’Etat chargé des transports, montre avec cette phrase prononcée en septembre 2007, l’intérêt qu’a l’Europe dans la construction de ce tronçon ferroviaire italien.
De manière générale, pour développer le fret, certains prônent la refonte des normes de marchés publics au niveau européen, afin de créer un cadre juridique approprié au partenariat public-privé. Les promoteurs, Veolia, Deutsche Bahn et Colas, sont déjà dans la course.

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