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Aide au séjour irrégulier : Priver les sans-papiers de leur soutien ?

jeudi 1er février 2007, par Courant Alternatif

En avril 2006, RESF mettait en ligne une pétition " Nous les prenons sous notre protection " qui, à ce jour, a recueilli plus de 128 600 signatures (on peut toujours la signer en allant sur le site de RESF). Mais elle n’est pas restée qu’une simple pétition, puisque de nombreux réseaux l’ont mise en application et risquent de se faire condamner pour aide au séjour irrégulier.


Ce sont les articles L.621-1 à L.622-10 du Code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) - anciennement l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 - qui condamnent toute personne qui aura, par une aide directe ou indirecte, permis ou facilité l’entrée ou le séjour d’un immigré en situation irrégulière. Cette disposition prévoit une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison ; une amende pouvant aller jusqu’à 30 000 euros ; la suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire (cette durée peut être doublée en cas de récidive) ; l’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.
Les infractions prévues à l’article L.622-1 sont punies de dix ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende, lorsqu’elles sont commises en bande organisée ou lorsqu’elles ont comme effet, pour des mineurs étrangers, de les éloigner de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel.
Ne peut donner lieu à des poursuites pénales, sur le fondement des articles L.622-1 à L. 622-3, l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait : des ascendants ou descendants de l’étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l’étranger ou de leur conjoint, sauf si les époux sont séparés de corps, ont un domicile distinct ou ont été autorisés à résider séparément ; du conjoint de l’étranger, sauf si les époux sont séparés de corps, ont été autorisés à résider séparément, ou si la communauté de vie a cessé, ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ; de toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace, ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte.

Historique

Jusque dans les années 1990, aucun particulier ou association n’a été inquiété car l’ordonnance visait, à l’origine, les passeurs. Les premières tentatives ont eu lieu sous Charles Pasqua, puis, peu à peu, la législation a été modifiée. Il y a notamment eu, en 1996, une décision du Conseil constitutionnel admettant que la famille ne pouvait pas être poursuivie, ce qui veut dire, a contrario, que tous les autres, y compris les amis, peuvent l’être. Ce délit est donc extrêmement flou et s’applique au cas par cas, en fonction des tribunaux.

Une première dégradation a eu lieu durant les années 1990. Ainsi, en 1997, 100 000 personnes s’étaient déjà mobilisées en faveur de ces " délinquants de la solidarité " pour protester contre une disposition de la loi Debré incitant à la délation. A l’époque, l’émotion avait été très forte dans les milieux associatifs suite à l’affaire de Jacqueline Deltombe, une femme du Nord qui avait été condamnée, quoique dispensée de peine, pour avoir hébergé un immigré.
Cette pression s’est de nouveau accentuée à l’encontre des associations notamment sous la forme d’intimidations. Ainsi, même une association de la taille d’Emmaüs a été inquiétée car ils hébergent forcément, parmi les plus démunis, des étrangers sans papiers. Le but pour la police est de forcer à la délation.
Outre l’intimidation, une autre méthode consiste à essayer de trouver d’autres chefs d’inculpations. Ainsi, à Marseille, Charles Hoareau, un délégué de la CGT des chômeurs et précaires, a été condamné à cinq mois de prison avec sursis en 2000 pour violences sur policier pour avoir voulu empêcher l’embarquement d’un sans-papiers dans le port. Dans les affaires de personnes s’étant opposées à l’embarquement d’un immigré dans un avion, celles-ci sont poursuivies pour entrave à la circulation d’un aéronef. Il y a eu l’affaire de l’Asti de Nantes, une association qui a été accusée de proxénétisme parce qu’elle fournissait des attestations de domicile à des demandeurs d’asile parmi lesquels pouvaient figurer des prostituées. Le 20 août 2004, Charles Frammezelle et Jean-Claude Lenoir ont été déclarés, à Boulogne-sur-Mer, coupables d’avoir retiré des mandats postaux pour le compte de réfugiés sans papiers ; mais ils ont été dispensés de peine, le tribunal ayant estimé que les prévenus avaient servi une cause humanitaire. "On n’est pas ici pour juger les délinquants de la solidarité, avait déclaré le substitut. La justice n’est pas une machine à broyer. "

Aujourd’hui

En août 2006, après l’interpellation d’une mère dont les autorités ne trouvaient pas les enfants, en vue de l’expulsion de la famille, Nicole Musle, membre du MRAP et correspondante de RESF 57, accusée de cacher ou protéger ces enfants, a été placée en garde à vue dans les locaux de la gendarmerie de Sarralbe.
En septembre 2006, a Orléans, la police vient chercher à l’école l’enfant d’une maman en situation régulière, car elle a aidé une amie en situation irrégulière... Elle est condamnée à 122 000 euros d’amende avec sursis et mise à l’épreuve cinq ans.
Le 11 novembre dernier, à Marseille, la police avait décidé l’expulsion par avion d’un père d’élèves scolarisées, M Douibi. Près de 200 militant-e-s ont investi l’aéroport de Marignane. Action exemplaire avec intervention sur le tarmac, médiatisation importante, solidarité des passager-e-s. 8 manifestant-e-s sont arrêté-e-s puis relâché-e-s. Mais au bout du compte, une grande victoire : M Douibi n’est pas embarqué dans l’avion, et comme sa durée de détention au Canet arrive à expiration, il est libéré. Du côté des autorités, la gifle est énorme et la riposte s’organise. Ce sont le préfet lui-même et le procureur d’Aix qui prennent l’initiative. Le 19 décembre, deux des animateurs/trices de RESF sont convoqués à l’hôtel de police. Le même jour, l’expulsion par ferry de deux pères de famille échoue grâce à la solidarité des marins de la CGT. D’autres expulsés seront refoulés d’Algérie et ramenés en France ! Il n’y a pas de " chef " au RESF et les prises de responsabilité sont réparties. Myriam Khelfi est étudiante. Elle milite aussi aux Femmes en noir et est très active dans le soutien à la Palestine. C’est elle qui a été interviewée par la télévision à Marignane. Florimond Guimard, professeur des écoles qui est aussi militant syndical et politique à la LCR, a joué dès les débuts du RESF 13 un très grand rôle d’organisation, de conciliation et de diffusion de l’information. Dès leur arrivée à l’hôtel de police, ils sont mis-e-s en garde à vue. Toute la journée, les manifestant-e-s se relaient devant l’Evêché aux cris de " Libérez nos camarades " ou " Police partout, justice nulle part ". Des sans-papiers aussi sont venu-e-s manifester. La police a monté contre Myriam et Florimond le dossier fumeux habituel : il y aurait eu des " violences " à Marignane, et une plainte a été déposée, seul moyen pour les keufs de se venger de leurs humiliations. Après plusieurs heures d’interrogatoire, Myriam et Florimond sont relâché-e-s. Pour Myriam, il n’y aura pas de suite. Mais Florimond est convoqué au tribunal de grande instance d’Aix le 20 avril avec diverses accusations pouvant " justifier " une sérieuse condamnation.
Mi-novembre, Arlette, membre du CAIR 08 (Collectif ardennais pour l’intégration des réfugiés) est mise à garde à vue suite à la décision de cacher une jeune enfant scolarisée dont les parents sont en rétention administrative. Elle sera libérée sans poursuite. La famille est en attente d’une régularisation, l’enfant toujours cachée.
Le 29 novembre, à l’aéroport de Roissy, Kadidja, habitante de Saint Denis et militante de l’association de chômeurs et précaires Apeis, prend un avion pour Bamako au Mali afin de retrouver sa famille paternelle. Alertée par des jeunes du syndicat Sud Etudiant, à l’enregistrement, de l’expulsion imminente d’un jeune sans papiers, elle prend l’initiative de s’opposer à cette expulsion, récupère un paquet de tracts, et part discuter lors de l’enregistrement avec les autres passagers pour demander à parler avec le commandant de bord et lui signifier le refus de voyager avec un expulsé. Une fois dans l’avion, les choses se précisent : un sans-papiers est présent, entouré de policiers. Le commandant ne se manifestant pas, Kadidja appelle les autres passagers à ne pas attacher les ceintures, ;un nombre important de passagers soutient cette action de solidarité. La police intervient et menace de trois mois de prison l’homme, qui finalement accepte sous cette pression de partir. La police relève l’identité de la militante. A son retour du Mali, le 24 décembre, la police des frontières interpelle Kadidja ,qui se voit accusée d’avoir " entravé volontairement la circulation d’un aéro nef". Son jugement devrait avoir lieu en avril. Elle risque cinq ans de prison et 18 000 euros d’amende.

Le 13 décembre, Bernadette (institutrice, membre de RESF) accompagnait à la préfecture de l’Ain un jeune Marocain majeur, étudiant l’année dernière, pour y déposer un dossier de réouverture. A la sortie, comme on ne leur avait pas donné de reçu alors que certains documents originaux étaient restés dans le bureau, ils sont retournés à la préfecture pour les demander. Longue attente, puis arrivée de quatre policiers à qui on demande d’emmener le jeune homme sous le coup d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière... Le chef du service des étrangers demande à Bernadette d’entrer dans son bureau pour qu’il lui donne des explications. Mais elle dit qu’elle préfère accompagner le jeune homme. Ce qu’elle fait. Devant la préfecture, les policiers,, très excités, décident de passer les menottes au garçon, le jettent à terre pour le faire malgré ses protestations. Bernadette proteste aussi, et les policiers la menottent également sans ménagement, pendant qu’elle s’adresse aux passants (il est midi), se fait connaître et leur demande de prévenir Le Progrès, dont les bureaux sont à deux pas. Les voilà emmenés au commissariat derrière le théâtre. Le jeune homme lui a transmis des papiers qu’elle préfère garder. On lui énumère les délits qu’elle est censée avoir commis, et on lui dit que c’est sa faute, qu’il ne faut pas se mêler de tout ça. Elle est relâchée au bout de deux heures. Le jeune Marocain est resté, lui.
Ce ne sont là que quelques exemples.

Vous l’avez compris : si vous vous montrez trop revendicatifs, si vous sortez des clous, l’Etat réagit vivement. Pour faire quelques exemples et montrer qui est le plus fort. Mais pour l’instant, cela n’empêche pas la lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers de se poursuivre.


Camille,
le 24 janvier 2007

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