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CORSE Bientôt à la mer, ce PADDUC ?

mardi 30 décembre 2008, par Courant Alternatif

Depuis la rentrée, la Corse a vécu au rythme d’une intense mobilisation contre le Plan d’aménagement et de développement durable (PADDUC) concocté par les hautes instances insulaires. A l’heure qu’il est, le projet prend l’eau de toutes parts, et ses auteurs ne savent plus que faire pour retarder sa complète immersion.


Partisans comme adversaires du PADDUC ne se sont pas trompés sur l’ampleur de l’enjeu qu’il représente : s’il est voté, la Corse sera livrée au tout-tourisme, car le bétonnage de ses côtes y est méthodiquement organisé par le laminage de la loi littoral qui les protégeait jusque-là.
Depuis sa création en 1991, la Collectivité territoriale corse (CTC, comprenant un Conseil exécutif et une Assemblée) a laissé le gouvernement français seul agent actif sur les questions d’aménagement du territoire et de développement économique, qui pourtant lui reviennent en principe (1). Néanmoins, l’exécutif de la CTC a quand même dû se mettre à plancher, après la loi du 22 janvier 2002 qui a donné aux institutions corses pour nouvelle compétence l’élaboration d’un plan d’aménagement censé, d’une part, fixer les objectifs du développement économique, social et culturel de l’île ainsi que ceux de la préservation de son environnement ; et, d’autre part, définir les orientations fondamentales en matière d’aménagement de l’espace, de transports, de télécommunication, de valorisation des ressources énergétiques, et de protection et mise en valeur du territoire.

Pour autant, rien n’a transparu des travaux en cours pendant des années… jusqu’au début d’août dernier : comme par hasard en pleines vacances, l’exécutif de la CTC a soudain rendu public son PADDUC et annoncé que l’Assemblée corse devait l’adopter dans le délai d’un mois. Le fond du projet comme la méthode adoptée pour le faire passer ont rapidement déclenché dans la population une violente opposition, alimentée par deux documents : l’enquête mise sur le site Amnistia.net le 4 septembre sous le titre « On désanctuarise en famille » ; et, surtout, le dossier aussi instructif que clairement présenté rendu public le 16 septembre par une cinquantaine d’associations actives dans les domaines économique, social, culturel et environnemental, pour « Dire non à ce PADDUC contraire aux intérêts collectifs » (voir le site cll-corse.org, très visité – 9 000 passages en septembre).

Le littoral corse,un avenir en béton !

L’enquête du journaliste Enrico Porsia sur Amnistia.net, reprise notamment par Libération et FR3 Corse, a révélé que les plus hauts représentants de l’île, sarkozistes de choc, comptaient se servir largement du PADDUC à des fins personnelles. Ange Santini, président de l’exécutif et gérant d’une société immobilière, y suggère entre autres le déclassement d’une terre de 1,5 hectare jusque-là inconstructible lui appartenant, en bord de mer dans la pinède de Calvi, pour lotir. Camille de Rocca-Sera, président de l’Assemblée, fait de même à Porto-Vecchio (fief de son clan, le plus important de Corse-du-Sud), avec un projet de complexe golfique et immobilier de 48 hectares déclarés par l’Etat inconstructibles en 2001 mais qu’il a déclassés lui-même – c’est bien pratique d’être maire. Enfin, Jérôme Polverini, président de l’office de l’environnement de la Corse et maire de Pianottoli-Cardorelli, qui a déjà réussi, en 1988 et 1998, à bâtir sur un vaste domaine familial également classé inconstructible 60 villas de luxe – dont celle de Christian Clavier (2) –, veut lotir sur quatre parcelles appartenant pourtant aux espaces protégés. Ces trois éminents membres de la classe politique insulaire ont réagi avec véhémence aux affirmations de Porsia, menaçant de porter plainte et lâchant contre lui des journalistes à leur solde pour stigmatiser la « délation » qu’il faisait… mais aucun démenti n’a suivi.

L’étude du PADDUC réalisée par l’association de protection de l’environnement U Levante et son journal Ambiante a fait ressortir que, loin d’être des exceptions, les cas précités constituent des exemples parmi de multiples autres de ce que prépare ce plan, entièrement axé sur la spéculation foncière et ayant pour principal objectif de contourner la loi littoral afin de pouvoir bâtir sur des milliers de terrains en bord de mer. Un important travail d’information a dans la foulée été lancé par un collectif anti-PADDUC, récemment rebaptisé Front uni contre ce PADDUC et qui comprend aujourd’hui 78 membres (3) : tenue de très nombreuses réunions publiques partout dans l’île, présence active dans les foires, avec présentation de la pétition « Non à ce PADDUC » (14 000 signatures à ce jour)…
Pour parvenir à leurs fins, les auteurs du PADDUC usent de divers stratagèmes – assez grossiers, à la vérité, puisqu’ils nient tout bonnement l’existence de ce qui les gêne. D’abord, ils n’accordent pas la moindre ligne du document aux « espaces remarquables » (ER), qui appartiennent au patrimoine naturel et culturel insulaire et dont la préservation implique la non-constructibilité ; et pas davantage aux « espaces proches du rivage » (EPR), cette zone tracée par les directions départementales de l’emploi et de l’environnement sur laquelle la construction est très réglementée. Ensuite, ils recourent à une cartographie délibérément illisible, avec des cartes aussi imprécises qu’inadaptées à ce genre d’études : à l’échelle de 1/150 000 au lieu du 1/25 000 habituel, et avec une épaisseur de trait éléphantesque qui permet de masquer le passage en zone constructible d’une centaine d’ER, ainsi que le rapprochement systématique de la limite des EPR vers le rivage afin de les réduire à la portion congrue. Les auteurs du plan demandent aussi une modification législative pour obtenir la non-application de la loi littoral au-delà de ces EPR déjà revues à la baisse et pouvoir s’appuyer sur la loi montagne, beaucoup moins contraignante en matière de constructibilité. Ils donnent d’un hameau nouveau une définition qui autorise le « pastillage » des côtes, jusqu’à présent interdit, en n’obligeant plus à construire dans le prolongement des hameaux existants et en n’imposant aucun nombre de constructions. Enfin, ils ne tiennent aucun compte de l’agriculture : une seule page lui est consacrée, et pour dire que les terres de bonnes potentialités agricoles, celles aux meilleurs rendements, peuvent devenir constructibles afin de faire face à l’accroissement continu de la population et de ses besoins, ou de favoriser l’implantation des réseaux de transport et d’énergie ainsi que les activités de loisirs… Cela alors qu’en Corse le secteur agricole s’appauvrit, le nombre d’agriculteurs diminue, l’essentiel des produits consommés est importé ; et que la pression foncière favorise la constante hausse du prix des terres agricoles, les rendant dans certaines régions inaccessibles aux agriculteurs. Si ces terres ne sont plus protégées, l’agriculture insulaire sera en réel danger.

En plus des manips grossières, les parfaites aberrations

Le projet économique du PADDUC, explique le dossier d’U Levante, se réduit à une mono-activité touristique (pour l’essentiel sur le littoral) dangereuse en ce qu’elle rend vulnérable aux chocs extérieurs l’ensemble de l’économie insulaire ; et à l’extension d’une économie résidentielle contraire à un réel développement durable en ce qu’elle ignore l’activité productive, ne faisant pas appel à des structures d’accueil génératrices de plus-value et créatrices d’emploi. Non seulement le tourisme recherché est concentré dans l’espace et le temps, sans retombées réelles pour l’emploi, et générateur de déséquilibres sociaux et économiques, mais encore une trop grande augmentation du nombre des résidences secondaires (dont le taux dépasse déjà 40 % dans certaines communes littorales) présente plusieurs dangers. Notamment la perte du patrimoine corse ; l’augmentation du prix du foncier et de l’immobilier, qui prive déjà de nombreux Corses de l’accès à la propriété ; ou un surcoût pour les résidents permanents, car il faut adapter les services publics et les infrastructures en fonction de la population à son niveau le plus élevé (dans les régions où il y a beaucoup de résidences, le coût de l’abonnement de l’eau ou de l’enlèvement des ordures est par exemple beaucoup plus élevé qu’ailleurs). Et puis, le PADDUC donne la priorité aux structures portuaires (nouveau port controversé à Bastia, agrandissement du bassin à Ajaccio) et aéroportuaires (extension de Figari), au détriment d’un réseau routier favorisant le développement intérieur de l’île (la construction du tunnel de Vizzavona est ainsi juste mentionnée).
Comble de l’aberration, alors qu’il vise une population de 320 000 habitant-e-s (il y en a actuellement 285 000), le PADDUC ne se soucie en rien de la gestion de l’eau et veut faire de la Corse une destination golfique (en visant le doublement des cinq golfs déjà installés !), alors que cette activité est grande consommatrice de fertilisants et d’eau. Un golf de 18 trous absorbe en moyenne 5 000 mètres cubes d’eau par jour, soit les besoins d’une ville de 12 000 habitants…
Sur de telles bases, soulignent les anti-PADDUC, les emplois prévus par le plan sur le littoral ne peuvent être que saisonniers, peu qualifiés et précaires ; et leur nombre limité, pour les résidents permanents (dans le tourisme insulaire, 54 % des salarié-e-s sont aujourd’hui au SMIC et viennent très souvent du continent ou d’ailleurs, parce que plus facilement exploitables dans ces conditions). A l’inverse, le PADDUC se désintéresse du tourisme de l’intérieur, qui permettrait un étalement dans le temps et dans l’espace, avec des effets induits sur l’artisanat, l’agriculture et l’économie des villages (gîtes, chambres d’hôtes). En conclusion, considèrent les adversaires du PADDUC, ce plan d’aménagement est parfaitement contraire aux intérêts collectifs des Corses. Son « développement durable » se situe aux antipodes de la lutte contre les inégalités, la pauvreté et la préservation du patrimoine naturel, et ne peut déboucher que sur une véritable dégradation sociale. Il oriente l’économie vers la spéculation et la vie chère au détriment d’une économie de production, programme la perte des valeurs et de l’identité corses : la dimension culturelle, pourtant invoquée en permanence comme alibi dans le texte, disparaît au bénéfice d’une vague notion de « loisirs ». C’est pourquoi le choix de société qui le sous-tend doit être dénoncé avec vigueur.

Le Front uni contre le PADDUC a écrit le 18 novembre une lettre ouverte affirmant : « Un autre PADDUC est possible. Il doit respecter 6 points fondamentaux : - un tourisme intelligent et annualisé, tournant le dos au concept du tourisme de masse (écotourisme, chambres d’hôtes, gîtes ruraux, ferme-auberge, agrotourisme...) ; - une économie où le foncier n’est pas soumis à la spéculation. Un statut du foncier doit répondre aux besoins des habitants de notre île et leur permettre de s’installer et de vivre dignement ; - une économie multisectorielle et de production ; - la protection des terres agricoles et la promotion de l’agriculture et de la pêche ; - le respect de la loi littoral et des espaces remarquables déjà cartographiés ; - la concertation, principe premier d’élaboration du scénario d’avenir à construire. »

Double langage, compromis(sions) et grand-guignol

Mais, à vrai dire, l’actuelle mobilisation anti-PADDUC sur le terrain n’est pas l’unique élément qui incite l’exécutif de la CTC, déjà décrédibilisé par un budget catastrophique, à vouloir le mettre en veilleuse : ses alliés d’hier le lâchent – cuisine électorale oblige, à l’approche des territoriales de 2010 –, et il ne dispose pas tout à fait à sa guise de l’avis des conseils consultatifs. Ainsi, le Parti radical de gauche (PRG) d’Emile Zuccarelli (maire de Bastia et violemment antinationaliste jusqu’à récemment), a annoncé le 25 octobre sa décision de voter contre le PADDUC : « Les motifs de rejet sont profonds, et si le document venait en débat il ne pourrait être corrigé par de simples amendements et serait donc repoussé purement et simplement. » De même, les huit élus de la coalition Unione naziunale (4) menée par Edmond Simeoni et Jean-Guy Talamoni – qui avaient donné la majorité absolue à l’UMP en avril 2004 en votant pour son leader (5), illustrant ainsi le passage du « socialisme original » qu’affichait le mouvement nationaliste dans les années 80 à un libéralisme certain ! – ne soutiendront pas l’exécutif sarkoziste cette fois. Et la nouvelle donne pour les prochaines territoriales pourrait bien être une alliance entre le PRG et les autonomistes du Parti de la nation corse (PNC).
Au mauvais effet de tels lâchages sur l’électorat potentiel de l’UMP s’est ajouté dès le 30 septembre un avis « favorable » du Conseil des sites sur le PADDUC assorti de telles exigences de modifications… qu’elles le rendent inopérant (le conseil ayant repris à son compte la plupart des critiques formulées contre ce plan). Conscient que, même remanié, son projet ne passera pas, Santini cherche donc à retarder le vote du Conseil économique, social et culturel (CESC) prévu ensuite car, après, ce sera à l’Assemblée de statuer. Si Henri Franceschi, président de ce CESC, a annoncé qu’il mettrait « le 25 novembre la proposition d’avis au débat » mais en ajoutant aussitôt : « Je ne peux pas prévoir à l’heure actuelle s’il y aura vote ou pas, car des événements pourraient se produire d’ici là », c’est parce que, le 3 novembre, Santini lui avait écrit d’attendre pour se prononcer d’avoir le nouvel avis du Conseil des sites sur le texte remanié. Et si le CESC se met lui aussi à apporter des amendements au PADDUC quand il l’aura enfin sous le nez, l’Assemblée ne se déterminera pas dessus avant des mois… ou jamais.

« Honte à qui vend la terre ! » : toujours fort, mais aussi payant

En fait, c’est toute la classe politique qui se sent obligée de déclarer partager (plus ou moins) l’indignation populaire contre le PADDUC – même si 70 conseils municipaux (sur les 96 du littoral) ont revu à la baisse les espaces protégés de leur commune, quand, après la loi de 2002, la CTC leur a demandé de les identifier… « Vergogna a chi vende a terra » demeure en effet une idée trop ancrée dans les esprits pour qu’un-e politicien-ne s’avise de la contredire ouvertement. Il n’empêche que, la terre en bordure de mer valant désormais de l’or (jusqu’à 29 330 euros l’hectare de terre agricole en Corse-du-Sud, selon une étude d’Agri France), pas mal de ventes se font malgré tout – souvent en douce.
On le voit, l’actuelle levée de boucliers contre le PADDUC ne doit pas masquer le problème de fond existant, et son enterrement ne suffira pas à inverser la tendance. Parce que le bétonnage des côtes est déjà en cours : en dehors de la bande des 100 mètres et des zones sanctuarisées par le Conservatoire du littoral, les côtes mais aussi les collines derrière seront urbanisées d’ici quelques décennies – en particulier autour d’Ajaccio, d’Ile-Rousse et de Porto-Vecchio, où le paysage n’est plus vraiment préservé (ce phénomène, qui s’amorce à Bonifacio, étant le fait de Corses comme de continentaux). Parce que les « bonnes terres agricoles » ne doivent pas seulement être arrachées à l’emprise des spéculateurs : il faut qu’elles servent à quelque chose… sauf à vouloir figer tout un pays entre désert et musée. Ce n’est pas plus en gelant leur sol qu’en l’aménageant en parc touristique avec « village corse » (comme prévu dans le PADDUC à Olmeta di Tuda !) que les Corses y vivront bien, mais à la fois en y maintenant une identité culturelle vivante (donc en capacité d’accueillir toute personne nouvelle désireuse de la partager) et en assurant le plus possible leur propre production – dans une démarche dynamique, et non simplement défensive.

Vanina

1. L’entourage du ministre de l’Intérieur Pierre Joxe a ainsi revu la copie du schéma régional rédigée par les élus corses en 1990, en affirmant que si les orientations qu’ils y avaient fixées s’étaient traduites dans les faits, « dans vingt ans, les côtes de Corse auraient été couvertes d’un mur de béton. Enfin, un mur de béton ébréché par les bombes… » !
2. Le 30 août dernier, des nationalistes ont investi la villa de Clavier pour dénoncer la réforme de l’urbanisme côtier recherchée à travers le PADDUC. Sarkozy, furieux qu’on touche à son excellent ami, s’est frénétiquement impliqué dans l’« affaire » de cette occupation, en commençant par virer Dominique Rossi, le patron des forces de l’ordre en Corse, pour ne pas l’avoir empêchée (!). Depuis, le luxueux lotissement où se trouve la villa de l’acteur est truffé de gendarmes en permanence (15 rien que pour cette villa, soit, paraît-il, l’équivalent de la protection accordée à une ville de 9 000 habitants). Des leaders comme Talamoni, du principal regroupement nationaliste Indipendenza, sont passés en correctionnelle le 21 novembre pour répondre du jet d’un coq en plâtre dans une piscine…
3. Des associations de tous ordres mais aussi les organisations nationalistes, de nombreux syndicats – CFDT, FDSEA, FSU, UNSA, CDJA –, la Chambre d’agriculture et l’Union des Marocains de Corse-du-Sud…
4. Cette liste a rassemblé la plupart des formations nationalistes et autonomistes (Indipendenza, Parti de la nation corse, A Chjama, Accolta naziunale corsa et Partitu sucialista pè l’indipendenza). Elle comprend des partisans comme des adversaires de la lutte armée, avec un discours libéral comme « de gauche », et a bénéficié entre les deux tours du soutien des écolos I Verdi Corsi.
5. Simeoni avait notamment déclaré à cette occasion : « La violence, c’est […] quand on interdit [aux gens] d’acquérir des biens, car les lois d’un marché véritablement excessif, en fait, pénalisent […] les plus modestes – quand la loi littoral, par exemple, est soutenue par des nantis qui veulent que la Corse reste un véritable parc d’Indiens. » La composition sociale des autonomistes regroupés dans le PNC dont il est le chef explique cette belle envolée : petits hôteliers, commerçants, artisans… Toujours est-il qu’elle lui avait valu les applaudissements de Rocca-Sera.

P.-S.


Erratum
Une erreur s’est glissée dans cet article : ce n’est pas Jérôme Polverini « qui a déjà réussi, en 1988 et 1998, à bâtir sur un vaste domaine familial également classé inconstructible 60 villas de luxe – dont celle de Christian Clavier (2) », mais Camille de Rocca-Serra ; d’autre part, sur les quatre parcelles familiales que J. Polverini a déclassées, deux sont déjà construites.

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